Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VIII

CHAPITRE XII
Victoire d'Asa sur les Éthiopiens ; Basa, le mauvais roi d'Israël, règne pendant vingt-quatre ans ; Éla, son fils, lui succède et est assassiné par Zimri ; Omri succède à Zimri et règne pendant douze ans sur Israël ; son fils Achab lui succède ; Josaphat succède à Asa son père ; Asa aura régné en bon roi pendant quarante et un ans sur Juda.

Règne d’Asa ; invasion de Zaréos, roi d’Éthiopie.

1.[1] Le roi de Jérusalem, Asa, avait d’excellentes mœurs et un esprit dirigé vers la divinité ; tous ses actes, toutes ses pensées tendaient à la piété et à l’observance des lois. Il travailla à rendre son royaume prospère en retranchant tout mauvais élément et le purifiant de toute souillure. Il eut une armée d’élite pourvue de boucliers longs et de hallebardes, trois cent mille hommes de la tribu de Juda et, dans celle de Benjamin, deux cent cinquante mille[2], armés de boucliers ronds et d’arcs. Il avait déjà dix ans de règne quand Zaraeos[3], roi d’Éthiopie, l’attaqua avec de grandes forces : neuf cent mille fantassins, cent mille cavaliers[4] et trois cents chars. Zaraeos avait poussé jusqu’à la ville de Marissa[5], qui est dans la tribu de Juda, lorsque Asa marcha à sa rencontre avec ses troupes. Il rangea son armée en bataille en face de l’ennemi dans un ravin nommé Saphtha[6], non loin de cette ville, et dés qu’il aperçut la multitude des Éthiopiens, il éleva la voix pour demander à Dieu la victoire et la destruction de toutes ces myriades d’adversaires. Rien ne lui donnerait, disait il, le courage de marcher contre Zaraeos, si ce n’est cet appui divin qui peut assurer au petit nombre l’avantage sur le grand et aux faibles sur le fort.

[1] II Chroniques, XIV, 1.

[2] Bible : 280.000.

[3] Hébreu : Zérah (LXX : Ζαρέ) le Kouschite.

[4] Bible : un million d’hommes.

[5] Bible : Maréscha.

[6] Hébreu : Cefatha. Le nom manque dans les LXX.

Victoire d’Asa ; prédictions d’Azarias.

2.[7] Pendant qu’Asa parlait ainsi, Dieu lui donna un signe de victoire. Alors il engage la lutte, tout joyeux des prédictions de Dieu, massacre nombre d’Éthiopiens et chasse le reste en déroute jusque dans le pays de Gérar[8]. Puis, ayant cessé le carnage, les vainqueurs partent au pillage de la ville, — car Gérar était prise, — ainsi que du camp ennemi, de sorte qu’ils enlevèrent quantité d’or et d’argent et emportèrent un fort butin : chameaux, bêtes de somme et troupeaux de bétail. Asa et ses troupes, après une si grande victoire et un tel butin procurés par Dieu, retournèrent à Jérusalem. Comme ils y arrivaient, ils rencontrèrent sur la route un prophète nommé Azarias[9]. Celui-ci leur commanda de s’arrêter et commença à leur dire que cette victoire leur avait été accordée par Dieu parce qu’ils s’étaient montrés justes et purs et qu’ils avaient agi en tout selon sa volonté. « Que si donc vous persévérez, dit-il, Dieu vous procurera toujours la victoire sur vos ennemis et une vie pleine de félicité ; mais si vous trahissez la religion, il vous arrivera tout le contraire. Il viendra alors un temps où l’on ne trouvera plus un seul prophète véridique dans votre peuple, ni un prêtre pratiquant la justice, mais les cités seront démolies et la nation sera dispersée par toute la terre pour y mener une vie d’étrangers et de vagabonds. » Il leur conseillait, pendant qu’il était temps encore, de devenir justes et de ne pas s’aliéner la bienveillance divine. Le roi et le peuple se réjouirent de ces paroles et mirent tous leurs soins à cultiver la vertu, tous ensemble et chacun en particulier. Le roi envoya aussi des agents dans le pays pour y veiller au respect des institutions légales.

[7] II Chroniques, XIV, 11.

[8] Comme l’hébreu et la recension lucienne (Γέραρα), les autres mss. des LXX ont Γεδώρ.

[9] II Chroniques, XV, 1 (hébreu : Azariabou, fils d’Oded). Josèphe paraphrase très librement le texte de la Chronique, où il n’est nullement question de la dispersion future.

Crimes de Basa ; prédictions de Jéhu ; Basa fortifie Aramathôn.

3.[10] Tels furent les événements sous Asa, roi des deux tribus. J’en reviens maintenant au roi du peuple d’Israël, Basa, qui avait tué Nadab, fils de Jéroboam, et s’était emparé du pouvoir. Il habitait dans la ville de Tharsale[11], dont il avait fait sa résidence, et régna vingt-quatre ans. Plus pervers et plus impie que Jéroboam et son fils, il fit beaucoup de mal à son peuple et offensa Dieu gravement. Dieu lui envoya le prophète Jéhu[12] (Yous[13]) pour lui prédire qu’il anéantirait toute sa famille et la ferait succomber aux mêmes maux dont il avait accablé la maison de Jéroboam, puisque, devant à Dieu la royauté, loin de répondre à ses bienfaits en gouvernant le peuple avec justice et piété, — conduite aussi salutaire à ceux qui la suivent qu’agréable à Dieu, — il avait imité le scélérat Jéroboam et montré que, si ce dernier avait rendu l’âme, toute sa perversité avait survécu en lui-même. Il subirait donc, à bon droit, les mêmes malheurs, puisqu’il avait pratiqué les mêmes vices. Cependant Basa, bien qu’instruit d’avance des malheurs qui devaient l’accabler ainsi que toute sa famille en raison de ses forfaits, ne sut pas davantage se modérer dans la suite, afin de conjurer une mort due à sa perversité croissante et d’acheter le pardon divin par le repentir des fautes déjà commises. Loin de là : de même que certains hommes, tentés par des récompenses promises s’ils atteignent un certain objet, ne cessent d’y travailler avec zèle, ainsi Basa, après les prédictions du prophète, comme s’il eût estimé pour des bienfaits les maux les plus affreux, la mort de sa famille et la ruine de sa maison, ne fit que se pervertir davantage, et chaque jour, comme un champion du crime, il y donnait tous ses efforts. A la fin, ayant réuni de nouveau son armée, il marcha contre une ville non sans importance, nommée Aramathôn[14], située à quarante stades de Jérusalem, s’en empara et la fortifia, avec le projet d’y laisser une garnison et de s’en servir comme d’un poste avancé pour aller ravager le royaume d’Asa.

[10] I Rois, XV, 33.

[11] Hébreu : Thirça ; LXX : Θερσά.

[12] I Rois, XVI, 1.

[13] Ou Yésous selon les mss. RO ; hébreu : Yéhou ; LXX : Ίοϋς.

[14] I Rois, XV, 17 ; II Chroniques, XVI, 1. Άραμαθών (Άραμαθά, Ant., VI, § 220) ; LXX : Ῥαμά.

Alliance d’Asa avec le roi de Damas ; mort de Basa ; règne d’Éla ; il est assassiné par Zimri.

4. Asa, redoutant l’entreprise de l’ennemi et réfléchissant que les troupes laissées à Aramathôn feraient beaucoup de mal dans tout son royaume, dépêcha des envoyés avec de l’or et de l’argent au roi des Damascéniens[15] pour le supplier de lui venir en aide et pour lui rappeler aussi qu’une amitié datant de leurs pères les liait l’un à l’autre. Le roi de Damas reçut avec plaisir celle quantité de richesses et fit alliance avec lui en rompant toute amitié avec Basa ; il envoya ses capitaines vers les villes du royaume d’Israël, avec ordre de les dévaster. Ceux-ci se mirent en route et brûlèrent ou saccagèrent quantité de villes, telles Yoannès[16], Dana, Abellané[17] et beaucoup d’autres[18]. A ces nouvelles, le roi des Israélites cessa de bâtir et de fortifier Aramathôn et s’en retourna en hâte porter secours à ses sujets en danger. Cependant Asa s’empara des matériaux réunis par Basa pour la construction de la place et fonda dans le même endroit[19] deux villes fortes, dont l’une s’appela Gaba, l’autre Mestaphas[20]. Dans la suite, Basa n’eut plus l’occasion de faire campagne contre Asa. Il fut prévenu, en effet, par le destin. On l’ensevelit dans la ville de Tharsa, et le trône échut à son fils Éla (Elanos)[21]. Celui-ci, après un règne de deux ans, mourut assassiné dans un guet-apens tramé par Zamarios[22], chef de la moitié de la cavalerie[23]. Comme il était en train de festoyer chez son intendant Olsa[24], Zamarios persuada à quelques-uns de ses cavaliers de lui courir sus et de le tuer, alors qu’il était seul, sans ses hommes d’armes et ses capitaines, lesquels étaient tous occupés au siège de Gabatha[25], ville des Philistins.

[15] I Rois, XV, 18 ; II Chroniques, XVI, 2. La Bible le nomme : c’est Ben Adad (LXX : υὸός Ἀδερ).

[16] Hudson corrige en Ἀϊώνα. Hébreu : Iyyon ; LXX : Ἀϊν.

[17] Corrompu d’après Abel Mayim de II Chroniques, XVI, 4 (LXX : Αβελμαϊν). Dans les Rois, la ville s’appelle Abel beth Maacha.

[18] Les Miskenoth des villes de Nephtali d’après l’hébreu des Chroniques ; tous les Kinneroth sur tout le pays de Nephtali, d’après les Rois.

[19] La Bible dit qu’Asa prit les matériaux pour fortifier deux autres villes.

[20] D’après II Chroniques, XVI, 6. Géba en Benjamin et Miçpa (LXX : Γαβαά, Μασφά). Le grec des Rois (I, XV, 22) traduit ces noms (Βουνόν et σκοπιάν).

[21] I Rois, XVI, 8.

[22] Hébreu : Zimri ; LXX : Σαμőρί. Les mss. de Josèphe ont les formes Zamarès, Zamarios, Zambrias.

[23] Plutôt : de ses chars de guerre (I Rois, XVI, 9).

[24] Hébreu : Arça ; LXX : Ώσας.

[25] C’est la même ville qui est appelée plus haut (XI, 4) Γαβαθώ et plus bas (XII, 5) Γαβαθώνη.

Défaite de Zimri ; règne d’Omri  fondation de Samarie.

5.[26] Après avoir assassiné Éla, le chef de la cavalerie, Zamarios, s’empare lui-même du trône et immole toute la famille de Basa, selon la prophétie de Jéhu. Il advint, en effet, que sa maison fut complètement anéantie en raison de son impiété, comme nous avons écrit que fut anéantie celle de Jéroboam. L’armée qui assiégeait Gabatha, ayant appris le sort du roi et comment Zamarios, son meurtrier, occupait le trône, désigna de son côté comme roi son général Omri (Amarinos[27]) ; celui-ci fait remonter son armée de Gabatha, arrive à la capitale Tharsa, attaque la ville et s’en empare de vive force. Zamarios, voyant la ville prise[28], se réfugie dans la partie la plus retirée du palais royal et y ayant mis le feu, périt lui-même dans les flammes après avoir régné sept jours. Aussitôt le peuple des Israélites se divisa : les uns voulaient pour roi Thamnæos[29], les autres Omri. La victoire resta aux partisans de ce dernier : ils mettent Thamnæos à mort[30], et Omri devient roi de tout le peuple. Ce fut dans la trentième année du règne d’Asa qu’Omri commença son règne, qui dura douze ans : il passa les six premiers dans la ville de Tharsa, les autres dans la ville nommée (So)maréôn[31] et appelée Samarie par les Grecs. Il lui donna ce nom de (So)maréôn, d’après Somaros[32] qui lui vendit la colline sur laquelle il bâtit la ville. Omri ne se distingua de ces prédécesseurs qu’en surpassant leur perversité. Tous, en effet, rivalisèrent en efforts pour détacher le peuple de Dieu par leurs impiétés quotidiennes ; c’est pourquoi Dieu les fit se détruire l’un l’autre, sans laisser aucun descendant de leur famille. Omri mourut à Samarie et eut pour successeur son fils Achab(os).

[26] I Rois, XVI, 11.

[27] Hébreu : Omri, LXX : Άμβρί.

[28] Les mss. ont ἠρημωμένην, « déserte », qui n’a guère de sens ; nous lisons ἠρημένην avec Bekker = detentam dans la version latine. Cf. héb. : [hébreu].

[29] Hébreu : Thibni ; LXX : Θαμνί.

[30] La Bible dit simplement que Thibni et son frère moururent.

[31] Bien que tous les mss. aient Maréon, il faut, vu le contexte, restituer, avec Hudson et Niese, Somareon ou Sémareon ; cf. hébreu : Schomerôn ; LXX : Σεμηρών (L : Σομοριόν).

[32] Hébreu : Schémer ; LXX : Σεμμήρ.

Réflexions sur les rois d’Israël ; mort d’Asa, roi de Juda ; avènement de Josaphat.

6.[33] On peut apprendre de tous ces faits quelle sollicitude la divinité apporte aux affaires humaines, et comment elle chérit les bons et déteste les pervers, qu’elle déracine entièrement. C’est ainsi que les rois des Israélites ont péri misérablement à peu d’intervalle, victimes les uns des autres, ainsi que leurs familles, pour leur impiété et leurs crimes, tandis que le roi de Jérusalem et des deux tribus, Asa, grâce à sa piété et à sa justice, fut conduit par Dieu à une longue et prospère vieillesse et mourut heureusement[34] après quarante et un ans de règne. A sa mort, le pouvoir échut à son fils Josaphat(ès), dont la mère s’appelait Abida[35]. Ce dernier fut réputé par tous avoir imité dans ses actes son aïeul David pour le courage et la piété. Mais rien ne nous presse de parler dès maintenant de ce roi.

[33] II Chroniques, XVI, 13.

[34] Josèphe ne parle pas de la maladie de pieds d’Asa (I Rois, XV, 23 ; II Chroniques, XVI, 12).

[35] Azouba dans la Bible (I Rois, XXII, 11).

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