Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IX

CHAPITRE VIII
Mort de Jéhu après un règne de vingt sept ans ; son fils Joaz lui succède ; Joas restaure le Temple, mais il se détourne ensuite de Dieu et fait tuer Zacharie, le fils du grand-prêtre Joad ; invasion des Syriens, assassinat de Joas ; son fils Amasias lui succède ; Joaz règne dix-sept ans sur Israël ; son fils Joas d'Israël lui succède ; il rend visite au vieux prophète Élisée avant la mort de celui-ci ; guerre victorieuse de Joas d'Israël sur les Syriens ; mort de celui-ci ; son fils Jéroboam lui succède.

Ravages d’Azaël en Transjordanie ; mort de Jéhu.

1.[1] Azaël, le roi des Syriens, faisant la guerre aux Israélites et à leur roi Jéhu, dévasta au delà du Jourdain les territoires orientaux des gens de Ruben, de Gad et de Manassé, et, de plus, la Galaditide et la Batanée, incendiant et pillant tout et faisant violence à tous ceux qui lui tombaient entre les mains. Jéhu, en effet, n’eut pas le temps de l’empêcher de ravager le pays ; s’étant mis à négliger ses devoirs envers la Divinité et à mépriser la règle sacrée et les lois, il mourut, après avoir régné sur les Israélites pendant vingt sept ans[2]. Il fut enseveli à Samarie, laissant pour lui succéder son fils Joaz(os)[3].

[1] II Rois, X, 32.

[2] Hébreu : 28 ans.

[3] Bible : Joachaz.

Joas de Juda et Joad s’occupent de la réfection du Temple.

2.[4] Le roi de Jérusalem, Joas, conçut un vif désir de restaurer le Temple du Seigneur. Il manda le grand-prêtre Joad[5] et lui prescrivit d’envoyer dans tout le pays les Lévites et les prêtres demander un demi sicle d’argent[6] par tête pour la réfection et le renouvellement du Temple, que Joram, Athalie et ses fils avaient laissé se délabrer. Le grand-prêtre n’en fit rien, sachant que personne ne paierait de bon cœur cette contribution[7]. Alors, la vingt-troisième[8] année de son règne, le roi le manda ainsi que les Lévites et leur reprocha d’avoir négligé ses instructions ; il leur commanda de veiller à l’avenir à la restauration du Temple. Sur quoi le grand-prêtre recourut, pour recueillir les fonds, à l’expédient suivant, propre à plaire à la multitude. Il prépara un coffre en bois, qu’il ferma de tous côtés en y ménageant une seule ouverture. Il déposa ce coffre dans le sanctuaire près de l’autel et invita chacun à y jeter par le trou ce qu’il voudrait pour la restauration du Temple. Cette institution eut la faveur de tout le peuple ; ils s’empressèrent à l’envi d’y apporter leurs offrandes et réunirent ainsi beaucoup d’argent et d’or. Le scribe et le prêtre commis à la garde des trésors vidaient le contenu et le comptaient en présence du roi, puis remettaient le coffre à sa place. Et ils faisaient de même chaque jour. Lorsqu’il parut que la multitude avait apporté assez d’argent, le grand-prêtre Joad et le roi Joas envoyèrent des hommes embaucher des tailleurs de pierre et des charpentiers et se procurer de grandes pièces de bois de la plus belle essence. Le Temple réparé, tout le reliquat d’or et d’argent, — et il était considérable, — fut dépensé[9] pour fabriquer des cratères, des vases à vin, des coupes et d’autres ustensiles, et l’on ne cessa d’engraisser l’autel de somptueux sacrifices offerts tous les jours. Tout cela, tant que Joad vécut, se fit avec le zèle qui convenait.

[4] II Rois, XII, 4 ; II Chroniques, XXIV, 4.

[5] D’après la Bible, Joas s’adresse directement aux prêtres.

[6] Ce n’est pas dans la Bible. Les Chroniques disent : « Amassez de l’argent ». Josèphe pense à l’impôt du demi-sicle de la loi mosaïque (Exode, XXX, 13) comme, d’ailleurs aussi, les Chroniques (v. 6).

[7] La Bible dit (Chroniques) : « les Lévites ne se hâtèrent pas ».

[8] II Rois, XII, 7.

[9] D’après II Chroniques, XXIV, 14 ; II Rois, XII, 14, dit, au contraire, que rien de cet argent ne fut employé à la confection de vases sacrés.

Joas devient impie et fait tuer Zacharie, fils de Joad.

3.[10] Joad mourut à l’âge de cent trente ans, après avoir pratiqué la justice et fait constamment le bien, et fut enseveli dans les tombes royales à Jérusalem, parce qu’il avait conservé la royauté à la race de David. Ensuite, le roi Joas déserta le culte de Dieu. Avec lui se corrompirent les princes du peuple au point de pécher contre la justice et les institutions tenues chez eux en honneur. Cependant Dieu, indigné de cette volte-face du roi et des autres, envoie les prophètes pour leur demander compte de leur conduite et mettre un terme à leur dépravation. Mais les coupables étaient possédés par une passion si forte, une si puissante ardeur pour le mal, que ni le souvenir des châtiments qu’avaient subis avec toute leur famille ceux qui, avant eux, avaient offensé les lois, ni les prédictions des prophètes, ne purent les persuader de se repentir et de revenir à la conduite dont ils s’étaient écartés pour violer ainsi la loi. Le roi ordonna même, oublieux des bienfaits de Joad, de mettre à mort en le lapidant dans le sanctuaire Zacharias, fils de ce grand-prêtre, parce que, désigné par Dieu pour prophétiser, il s’était dressé ; au milieu du peuple et l’avait exhorté ainsi que le roi à agir justement, prédisant un grave châtiment à leur désobéissance. En mourant, Zacharias prit Dieu à témoin et pour juge d’un traitement qui le faisait payer d’une mort cruelle et violente ses salutaires conseils et les services rendus à Joas par son père.

[10] II Chroniques, XXIV, 15.

Invasion d’Azaël, roi de Syrie ; mort de Joas.

4.[11] Cependant le roi ne tarda pas à expier ses iniquités. En effet, Azaël, roi des Syriens, fit irruption dans son territoire ; après avoir ravagé et pillé Gitta[12], il fit mine de marcher coutre Joas lui-même vers Jérusalem. Joas, effrayé, vida tous les trésors de Dieu et ceux des palais royaux[13], détacha les objets donnés en offrande et envoya le tout au Syrien, comme rançon du siège et du danger d’une catastrophe totale. Azaël céda, en effet, devant l’énormité des sommes et renonça à mener son armée contre Jérusalem. Cependant Joas, étant tombé gravement malade, fut assailli et tué par les amis de Zacharias, qui avaient comploté contre le roi pour venger la mort du fils de Joad. On l’ensevelit à Jérusalem, mais non dans les sépultures royales de ses ancêtres[14], à cause de son impiété. Il avait vécu quarante-sept ans[15], et la royauté fut transmise à Amasias, son fils.

[11] II Rois, XII, 17 ; II Chroniques, XXIV, 23.

[12] Gat, dans le pays des Philistins.

[13] Nous lisons (avec les meilleurs mss.) Βασιλείων, non Βασιλέων.

[14] Conforme aux Chroniques ; le livre des Rois dit qu’il fut inhumé avec ses pères.

[15] Ceci d’après II Rois, XII, 1 et II Chroniques, XXIV, 1.

Règne de Joaz, roi d’Israël ; guerre avec Azaël ; rétablissement de la paix.

5.[16] Dans la vingt et unième[17] année du règne de Joas, Joaz, fils de Jéhu, monta sur le trône des Israélites à Samarie et l’occupa dix-sept ans. Lui non plus ne marcha pas sur les traces de son père, mais commit autant d’impiétés que les premiers contempteurs de Dieu. Le roi des Syriens l’abaissa et l’obligea de réduire ses effectifs si considérables à dix mille hoplites et cinquante cavaliers : ce fut la suite d’une expédition où ce roi lui enleva de grandes et nombreuses villes et détruisit son armée. Ces calamités frappèrent le peuple des Israélites conformément à la prophétie d’Élisée lorsqu’il avait prédit qu’Azaël régnerait sur les Syriens et les Damascéniens, après avoir tué son maître[18]. Dans ces irréparables malheurs, Joaz eut recours aux prières, aux supplications vers Dieu, lui demandant de le tirer des mains d’Azaël et de ne pas le laisser tomber sous la domination de celui-ci. Dieu, qui accueille la pénitence comme une vertu et préfère avertir les puissants plutôt que de consommer leur perte, lui donne toute assurance à l’égard de la guerre et de ses dangers. Et le pays, ayant retrouvé la paix, revint à son état antérieur et florissant.

[16] II Rois, XIII, 1.

[17] Bible : 23e année.

[18] Voir plus haut.

Joas lui succède ; visite à Élisée : prophétie et mort de ce dernier.

6.[19] Après la mort de Joaz, le pouvoir échoit à son fils Joas. Joas régnait déjà depuis trente-sept ans sur la tribu de Juda, quand cet autre Joas reçut le pouvoir sur les Israélites à Samarie, — il portait, en effet, le même nom que le roi de Jérusalem. — et il le conserva seize ans. C’était un prince vertueux et dont le caractère ne ressemblait en rien à celui de son père[20]. Dans le même temps, comme le prophète Élisée, déjà vieux, était tombé malade, le roi des Israélites vint lui faire visite. L’ayant trouvé à toute extrémité, il se mit à pleurer sous ses yeux, à se lamenter, l’appelant « son père » et « son armure ». Grâce à lui, en effet, disait-il, jamais il n’avait eu besoin d’armes contre les ennemis : les prophéties d’Élisée avaient suffi pour qu’il triomphât de ses adversaires sans coup férir ; mais maintenant il quittait la vie et l’abandonnait désarmé[21] aux Syriens, ses ennemis : aussi, disait-il, la vie ne lui offrait plus de sécurité et il avait envie de partir en même temps que le prophète et de quitter la vie avec celui-ci. Élisée apaise le chagrin du roi, se fait apporter un arc et lui commande de le bander. Le roi ayant bien tendu l’arc, le prophète le saisit par les mains et le pria de tirer. Le roi lança trois traits, puis s’arrêta. « Si tu en avais envoyé davantage, dit Élisée, tu aurais extirpé entièrement la royauté des Syriens. Mais puisque tu t’es borné à trois flèches, tu gagneras sur les Syriens trois batailles, de manière à recouvrer le territoire qu’ils ont enlevé à ton père. » Ce qu’ayant entendu, le roi se retira. Peu après, le prophète mourut. Renommé pour sa justice, il avait joui de la faveur éclatante de Dieu : il accomplit, en effet, grâce à son don de prophétie, des actions merveilleuses, extraordinaires, qui lui ont valu une renommée glorieuse chez les Hébreux. Il obtint une sépulture magnifique, vraiment digne d’un homme aussi aimé de Dieu. Et il advint un jour que, des brigands ayant précipité dans le tombeau d’Élisée le cadavre d’un homme qu’ils avaient assassiné[22], ce cadavre toucha le corps d’Élisée et ressuscita. Nous avons ainsi retracé tout ce qui a trait au prophète Élisée, les prophéties qu’il fit de son vivant, et comment encore après sa mort il exerça une puissance divine.

[19] II Rois, XIII, 9.

[20] La Bible dit le contraire (v. 11) : « Il fit ce qui déplaît au Seigneur. »

[21] En lisant (avec les mss. RO) έξωπλισμένον, dans le sens (rare, mais attesté) de « désarmé ». Les autres mss. ont έξωπλισμένους, qui signifierait « équipés de pied en cap » (les Syriens). (T. R.)

[22] Dans la Bible, c’est une bande de Moabites qui enterrent quelqu’un ; il n’est pas dit qu’il s’agit d’un meurtre.

Victoire de Joas d’Israël sur Adad, roi de Syrie ; mort de Joas.

7.[23] Cependant le roi des Syriens, Azaël, étant mort, la royauté échoit à son fils Addan[24], avec lequel Joas, roi des Israélites, engage une guerre. L’ayant vaincu dans trois batailles, il lui enleva tout le pays et toutes les villes et bourgades que son père Azaël avait pris au royaume des Israélites. Et tout cela arriva selon la prophétie d’Élisée. Lorsque Joas, à son tour, vint à mourir, il fut enseveli à Samarie, et le pouvoir échut à son fils Jéroboam.

[22] II Rois, XIII, 22.

[23] Hébreu : Ben Adad ; LXX : Άδέρ (Hadad III).

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