Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XI

CHAPITRE I
Cyrus, le roi de Babylone, permet aux Juifs de se mettre en route et de rebâtir Jérusalem et le Temple.[1]

Cyrus, ému par les prophéties, autorise les Juifs à rebâtir Jérusalem et le Temple.

1. La première année du règne de Cyrus, qui était la soixante-dixième depuis le jour où notre peuple avait dû quitter sa patrie pour Babylone, Dieu prit en pitié la captivité et le misérable sort de ces malheureux[2], suivant la prédiction qu'il leur avait faite par la bouche du prophète Jérémie[3] avant la destruction de leur ville, à savoir qu'après soixante-dix ans de servitude et de captivité qu'ils auraient supportés sous Nabuchodonosor et ses descendants, il les ramènerait dans leur patrie où ils reconstruiraient le temple et retrouveraient leur ancienne prospérité. Ces promesses, il les tînt alors. Inspirant, en effet, l'âme de Cyrus, il lui fit adresser à toute l'Asie une proclamation ainsi conçue : « Cyrus roi dit ceci : Puisque le Dieu tout-puissant m’a fait roi du monde entier, je crois que ce Dieu est celui qu'adore le peuple des Israélites. Car il a prononcé d'avance mon nom par la bouche de ses prophètes, et prédit que je construirai son Temple à Jérusalem, dans le pays de Judée. »

[1] La substance de ce chapitre est prise non pas directement dans Esdras, I, 1-11 et VI, 3-5, mais dans la compilation apocryphe dite troisième livre d'Esdras (II, 1-14 ; VI, 24-32), qui ne fait elle-même ici que reproduire, quant aux faits, l'Esdras hébreu. Josèphe a tantôt transcrit, tantôt paraphrasé l'original. Il faut mettre au compte de Josèphe : 1° l'allusion expresse aux prophéties juives qu'il met dans la bouche de Cyrus, 2° la grossière erreur qu'il a commise en contaminant l'édit de Cyrus (Esdras, VI, 3-5) avec la lettre de Darius où elle est insérée ; les §§ 16-17 appartiennent, en réalité, à ce dernier document, et c'est lui, non l'édit de Cyrus, qui est adressé aux satrapes Sisinès (Thatnaï) et Sarabasanès ou plutôt Satrabouzanès (Schathar Boznaï). L'erreur est d'autant plus impardonnable que nous retrouverons plus loin ces deux personnages (§ 89 suiv.) et la lettre même que Darius leur adresse (§ 104 suiv.).

[2] καθὼς (Naber, Laurentianus), non καὶ καθὼς.

[3] Jérémie, XXV, 11 suiv. ; XXIX, 10 suiv.

2. Cyrus connut ces prédictions en lisant le livre des prophéties qu'avait laissé Isaïe deux cent dix ans auparavant : celui-ci assure que Dieu lui dit en secret : « Je veux que Cyrus, que je marquerai pour régner sur des peuples nombreux et puissants, renvoie mon peuple dans sa patrie et construise mon Temple[4] ». Voilà ce que prophétisa Isaïe cent quarante ans avant la destruction du Temple. Cyrus lut la promesse divine, en fut émerveillé, et fut pris du désir et de l'ambition d'accomplir ce qui était écrit. Ayant donc fait rassembler les plus importants des Juifs de Babylone, il leur dit qu'il leur permettait de se mettre en route pour leur patrie et de relever leur ville et le Temple de Dieu ; il ajouta que Dieu les aiderait et qu'il allait lui-même écrire aux généraux et satrapes voisins de leur pays de leur fournir l'or et l'argent nécessaires pour la reconstruction du Temple, et, en outre, des animaux pour les sacrifices.

[4] Deutéro-Isaïe, XLIV, 28 ; XLV, 13.

Restitution des vases du Temple. Lettre de Cyrus aux satrapes de Syrie.

3. Dès que Cyrus eut annoncé cette nouvelle aux Israélites, les chefs des deux tribus de Juda et de Benjamin, les lévites et les prêtres partirent pour Jérusalem. Mais beaucoup demeurèrent à Babylone pour ne pas abandonner leurs propriétés. A leur arrivée, tous les amis du roi leur vinrent en aide et concoururent à la construction du Temple, fournissant les uns de l'or, d'autres de l'argent, d'autres force troupeaux avec des chevaux. Les Juifs rendirent grâce à Dieu, et lui offrirent les sacrifices anciennement d'usage, pour le remercier d'avoir relevé leur ville et fait revivre leur culte d'autrefois. Cyrus leur renvoya aussi les vases sacrés que le roi Nabuchodonosor avait emportés à Babylone après le pillage du Temple. Il chargea Mithridate, son trésorier, de les leur porter, avec mission de les remettre à Abassaros[5], pour les garder jusqu'à la construction du Temple, à l'achèvement duquel il devait les livrer aux prêtres et aux chefs du peuple qui les replaceraient dans le sanctuaire. Cyrus envoya aussi aux satrapes de Syrie la lettre suivante : « Le roi Cyrus à Sisinès et Sarabasanès, salut. J'ai permis aux Juifs établis dans mon pays de retourner, s'ils le voulaient, dans leur patrie, de relever leur ville et de rebâtir le Temple de Dieu à Jérusalem sur l'emplacement qu'il occupait jadis. J'ai envoyé mon trésorier Mithridate et Zorobabel, chef des Juifs[6], pour jeter les fondations du temple et bâtir un édifice de soixante coudées de hauteur sur autant de largeur&nnbsp;: ils feront trois rangées en pierre polie, et une en bois du pays, semblablement un autel sur lequel ils sacrifieront à Dieu. Je veux que toute la dépense faite pour ces constructions soit supportée par moi. J'ai de plus renvoyé tous les vases provenant du pillage du Temple par le roi Nabuchodonosor ; Mithridate, mon trésorier, et Zorobabel, chef des Juifs, à qui je les ai remis, doivent les reporter à Jérusalem et les replacer dans le Temple de Dieu. En voici l'énumération : 50 psyctères[7] d'or, 400 d’argent ; 50 coupes Théricléennes[8] en or, 400 en argent ; 50 jarres d'or, 500 d'argent ; 40 vases à libations en or, 300 en argent ; 30 phiales d'or, 2.400 d'argent, et mille autres grands ustensiles. Je concède aussi aux Juifs le présent honorifique auquel ils sont accoutumés depuis le temps de leurs ancêtres, à savoir deux cent cinquante mille cinq cents drachmes de bétail, de vin et d'huile, et vingt mille cinq cents artabes de blé pour la fleur de farine[9]. J'ordonne que cette dépense soit prise sur les impôts de Samarie[10]. Leurs prêtres à Jérusalem offriront ces sacrifices suivant les lois de Moïse, et en les offrant, ils prieront Dieu pour le salut du roi et de sa race et pour la durée du royaume des Perses. Quiconque désobéira à ces ordres ou les tiendra pour nuls sera mis en croix et ses biens seront confisqués ». Tels étaient les termes de cette lettre. Ceux qui, délivrés de captivité, partirent pour Jérusalem étaient au nombre de quarante-deux mille quatre cent soixante-deux[11].

[5] Scheschbassar dans le texte hébreu d'Esdras. C'était le gouverneur perse de la Judée sous Cyrus, confondu à tort avec Zorobabel.

[6] Le trésorier Mithridate est bien un contemporain de Cyrus (Esdras, I, 8), mais Zorobabel est donné par le texte le plus précis (Esdras, V, 2) comme un contemporain de Darius et nous verrons tout à l'heure Josèphe le considérer comme tel.

[7] Vases à rafraîchir.

[8] On appelait proprement ainsi des coupes en terre noire, du nom d'un célèbre potier. Ici le mot désigne ce que le texte hébreu (Esdras, I, 10) appelle des « coupes de second ordre ». Les chiffres dans cette énumération varient selon les manuscrits.

[9] Chiffres imaginaires. L'artabe, mesure égyptienne, vaut entre 30 et 40 litres. L'artabe perse en vaut 55.

[10] Rien de pareil dans le texte d'Esdras.

[11] Ce chiffre emprunté à Esdras, (II, 64 = 3e Esdras, V, 41) et à Néhémie, vii, 66 (le texte hébreu a 42.360) désigne, en réalité, le nombre des exilés revenus avec Josué et Zorobabel, c'est-à-dire sous Darius.

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