Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XI

CHAPITRE V
Règne de Xerxès, le fils de Darius ; missions d'Esdras et de Néhémie ; achèvement des murailles de Jérusalem.[1]

Règne de Xerxès. Mission d'Esdras.

1. Darius étant mort, son fils Xerxès, en lui succédant sur le trône, hérita aussi de sa piété et de son respect envers Dieu. Il se conforma, en effet, en tout, à ce qu'avait fait son père, en ce qui concernait le culte, et il eut les Juifs en très grande affection. A cette époque le grand-prêtre était Joachim, fils de Jésus[2]. Il y avait aussi à Babylone un homme juste et jouissant d'une bonne renommée auprès de la multitude : c'était le premier prêtre du peuple[3] appelé Esdras ; il connaissait bien les lois de Moïse, et devint l'ami du roi Xerxès[4]. Ayant résolu de partir pour Jérusalem en emmenant quelques-uns des Juifs restés à Babylone, il pria le roi de lui donner pour les satrapes de Syrie une lettre qui l'introduisit auprès d'eux. Le roi écrivit donc à l'adresse des satrapes la lettre suivante : « Le roi des rois Xerxès à Esdras, prêtre et lecteur des lois de Dieu, salut. Pensant que ce serait un effet de notre humanité de laisser partir avec toi pour Jérusalem, s'ils le désirent, ceux du peuple juif et des Lévites qui se trouvent encore dans notre royaume, j'ai donné des ordres dans ce sens ; ceux qui veulent sont libres de partir, comme je l'ai décidé de concert avec mes sept conseillers, d'aller visiter la Judée conformément à la loi de Dieu, et de porter au Dieu des israélites les présents que moi et mes amis avons voué de lui offrir ; tout l'argent et l'or destinés à leur Dieu qu'on trouvera dans le pays des Babyloniens, qu'ils l'emportent à Jérusalem pour leur Dieu, en vue des sacrifices ; tous les vases que tu voudras, en or et en argent, qu'il vous soit permis à toi et à tes frères de les fabriquer. Tu consacreras les vases sacrés qu'on t’a remis et tout ce que tu jugeras bon d'y ajouter, tu le feras aux frais du trésor royal. J'ai écrit aussi aux trésoriers de Syrie et de Phénicie, afin qu'ils veillent à l'exécution de tout ce qu'ordonnera Esdras, prêtre et lecteur des lois de Dieu. Et pour que la divinité n'ait aucune colère contre moi ou mes descendants (j'autorise les trésoriers à leur fournir jusqu'à concurrence de...) cent mesures de blé[5]. Je vous ordonne, en outre, de ne lever aucun impôt sur les prêtres, Lévites, chantres, portiers, esclaves sacrés et scribes du Temple et de ne leur faire subir aucun désagrément ni aucun ennui. Pour toi, Esdras, désigne suivant l'inspiration de Dieu, des juges pour juger ceux qui connaissent ta loi. Quant à ceux qui l'ignorent, tu la leur apprendras, afin que, si quelqu'un de ta race transgresse la loi de Dieu ou du roi, il subisse un châtiment, pour l'avoir transgressée non pas par ignorance, mais en connaissance de cause, et l’avoir audacieusement enfreinte et méprisée. La punition sera la mort ou l'amende. Adieu. »

[1] Les sections 1-5 reproduisent en l'abrégeant le 3e Esdras, VIII, 1–IX, 55, qui repose lui-même sur Esdras, VII–X et Néhémie, VII.

[2] L'indication du grand-prêtre manque dans le 3e Esdras. Mais la succession Jésus, Joachim, Eliasib est conforme à Néhémie, XII, 10.

[3] Esdras est de race sacerdotale et appelé prêtre (3e Esdras, VIII, 9), même grand-prêtre (IX, 40 et 49), mais nulle part il n'est qualifié comme ici de πρῶτος ἱερεὺς τοῦ λαοῦ (θεοῦ Palatinus).

[4] L'histoire d'Esdras est placée par les sources (Esdras, 3e Esdras) sous Artaxerxés et non sous Xerxès. Josèphe a préféré, probablement à tort, ce dernier roi parce que dans l'histoire d'Esther (ch. VI) il a identifié Assuérus avec Artaxerxés.

[5] Le texte de Josèphe (πἀντ' ἀξιῶ καὶ μέχρι τοῦ πυροῦ ἑκατον ἐπιτελεῖσθαι τῷ θεῷ κατὰ τὴν νόμον) est sûrement corrompu. La comparaison avec 3e Esdras, VIII, 20 suiv. (Esdras, VII, 21 suiv.) montre que le roi mettait à la disposition d’Esdras 100 talents d'argent, 100 kor de blé, 100 bath de vin et du sel a discrétion.

2. Esdras, ayant reçu cette lettre, se réjouit extrêmement et se mit à adorer Dieu, pour avoir inspiré la bonté du roi à son égard ; il lui en devait, disait-il, à lui seul toute la reconnaissance. Il lut ensuite la lettre aux Juifs présents à Babylone, puis, conservant l'original, il envoya la copie à tous ceux de sa race qui habitaient la Médie[6]. Ceux-ci, en apprenant la piété du roi envers Dieu et sa bienveillance pour Esdras, furent tous remplis de joie ; plusieurs ramassèrent leurs biens et vinrent à Babylone, désireux de retourner à Jérusalem. Mais le gros du peuple des Israélites resta dans le pays ; c'est pour cela que deux tribus seulement en Asie et en Europe sont assujetties aux Romains ; les dix autres tribus sont restées au delà de l'Euphrate comptant un nombre infini de membres qu'il a été impossible de déterminer. Un très grand nombre de prêtres, de Lévites, de portiers, de chantres, d'esclaves sacrés, vinrent rejoindre Esdras. Celui-ci réunit au delà de l'Euphrate[7] tous ces hommes échappés à la captivité, et là, pendant trois jours[8], il leur ordonna de jeûner, pour rendre grâce à Dieu de les avoir délivrés, et afin que rien de fâcheux ne leur arrivât pendant leur voyage, soit de la part de leurs ennemis, soit par toute autre cause d'ennui. Esdras, en effet, s'étant empressé d'assurer le roi que Dieu pourvoirait à leur sûreté, n'avait pas jugé bon de lui demander des cavaliers d’escorte. Après avoir fait leurs prières, ils quittèrent les bords de l'Euphrate le douzième jour du premier mois de la septième année du règne de Xerxès, et ils arrivèrent à Jérusalem le cinquième mois de la même année. Esdras confia aussitôt les richesses sacrées aux trésoriers, qui étaient de la race des prêtres ; il y avait six cent cinquante talents d'argent, des vases d'argent pour cent talents, des vases d'or pour vingt talents[9], des vases d'airain, plus précieux que l’or, pesant douze talents : c'étaient les présents du roi, de ses conseillers et de tous les Israélites restés à Babylone. Esdras, après avoir remis ces richesses entre les mains des prêtres, offrit à Dieu, sous forme d'holocaustes, les sacrifices accoutumés, douze taureaux, pour le salut commun du peuple, quatre-vingt-dix béliers[10], soixante-douze agneaux, douze chevreaux, en expiation des fautes commises. Il donna la lettre du roi aux intendants royaux et aux préfets de Cœlésyrie et de Phénicie. Et ceux-ci, obligés d’accomplir les ordres qu'il donnait, honorèrent le peuple juif et s'employèrent à lui être utiles en toute chose.

[6] Détails ajoutés par Josèphe.

[7] « Au fleuve Théra » dit le 3e Esdras, VIII, 41.

[8] La durée du jeûne manque dans les sources.

[9] 100 talents d'or et 20 coupes d'or (3e Esdras, VIII, 56-57). En revanche, les vases d'airain sont au nombre de 12, et non pas du poids du 12 talents.

[10] 96 béliers (3e Esdras, VIII, 65).

Affaire des mariages prohibés.

3. Tout cela fut conduit et décidé par Esdras ; mais s'il réussit, c'est, je crois, que Dieu l'avait jugé digne de ces grands desseins à cause de son honnêteté et de sa justice. Un peu plus tard, on vint se plaindre à lui que plusieurs, parmi le peuple, les prêtres et les Lévites, avaient transgressé la constitution et violé les lois de leurs pères en épousant des femmes étrangères, souillant ainsi la pureté de la race sacerdotale ; on suppliait Esdras de venir à l'appui des lois, de peur que Dieu, irrité contre tout le peuple, ne le rejetât dans l'adversité : Esdras dans sa douleur déchira aussitôt ses habits, se frappa la tête, s'arracha la barbe, et se jeta par terre en voyant que les coupables étaient les premiers de la nation ; songeant que, s'il leur ordonnait de renvoyer leurs femmes et les enfants qu'ils en avaient eus, ils ne l'écouteraient pas, il resta étendu par terre. Toutes les honnêtes gens accoururent autour de lui, pleurant également et prenant part à sa douleur en présence de cette calamité. Enfin Esdras, se relevant et tendant les mains au ciel, dit qu'il avait honte de lever les yeux en haut, à cause des péchés commis par le peuple, qui avait chassé de sa mémoire les malheurs attirés sur nos pères par leur impiété ; il supplia Dieu, qui avait sauvé de ce malheur et de la captivité, ramené à Jérusalem et sur la terre natale un faible reste de la nation, de se montrer cette fois encore indulgent pour leur péché ; leur crime avait bien mérité la mort, mais la bonté de Dieu pouvait épargner le châtiment même à de pareils criminels.

4. Il cessa ses prières ; et comme tous ceux qui s'étaient rassemblés autour de lui avec leurs femmes et leurs enfants gémissaient, un certain Achonios[11], qui était le premier des habitants de Jérusalem, s'avançant, dit que ces hommes avaient, en effet, péché en introduisant dans leur maison des femmes étrangères ; il conseillait donc à Esdras de leur faire promettre sous serment de renvoyer ces femmes ainsi que les enfants nés d'elles ; ceux qui n'obéiraient pas à la loi seraient châtiés. Esdras se laissa persuader et fit jurer aux chefs des prêtres, des Lévites et des Israélites de renvoyer ces femmes et ces enfants, suivant le conseil d'Achonios. Après avoir reçu leurs serments, il quitta aussitôt le Temple pour se retirer dans la cellule de Jean, fils d'Eliasib, et il y passa la journée entière sans toucher à aucun aliment, à cause de son affliction. Il fit alors publier l'ordre, pour tous ceux qui étaient revenus de captivité, de se réunir à Jérusalem, sous peine, pour quiconque n'aurait pas répondu à cet appel dans les deux ou trois jours, d'être considéré comme ne faisant plus partie du peuple, et de voir ses biens confisqués au profit du trésor sacré, suivant le jugement des anciens ; ceux de la tribu de Juda et de Benjamin se réunirent donc dans les trois jours, le vingt du neuvième mois, qu'on appelle chez les Hébreux Chasleu[12] et chez les Macédoniens Apellaios. Quand ils eurent pris place dans la cour du Temple, en présence des anciens, mal à leur aise et tremblant de froid, Esdras se leva et accusa les coupables d'avoir transgressé la loi en épousant des femmes qui n'étaient pas de leur race ; pour plaire à Dieu, et dans leur propre intérêt, ils devaient maintenant renvoyer ces femmes. Tous s'écrièrent qu'ils le feraient, mais que le nombre de ces femmes était considérable, que l'on se trouvait en hiver, et que ce n'était l'affaire d'un, ni même de deux jours. Il fallait que les chefs restassent là et que tous ceux qui avaient épousé des étrangères se présentassent devant eux dans un temps donné, accompagnés des anciens de chaque localité, qui compteraient le nombre de ceux qui avaient contracté de pareilles unions[13]. L'avis prévalut et le premier jour du dixième mois on commença à rechercher ceux qui habitaient avec des étrangères, et l'enquête ayant été poursuivie jusqu’au premier jour du mois suivant[14], on trouva beaucoup des descendants de Jésus, le grand-prêtre, des prêtres, des Lévites et des Israélites, qui, préférant l'observance des lois aux charmes de l'amour, chassèrent aussitôt leurs femmes et les enfants qui en étaient nés, et, pour apaiser Dieu, amenèrent des béliers et les lui sacrifièrent. Il ne nous a pas paru nécessaire de donner ici leurs noms. En lavant ainsi la souillure contractée par ces mariages illicites, Esdras fixa la coutume sur ce point de manière qu'elle fût immuable à l'avenir.

[11] Sechanya d'après 3e Esdras, VIII, 91 (Esdras, X, 2).

[12] Les mss. ont ξένιος (corrigé dans L en ξέλιος). Il faut lire sans doute avec Hudson Χαλσεύς, nom qui a été souvent altéré par les copistes (cf. Ant., XII, 248 et 319).

[13] Nous traduisons au jugé, d'après 3e Esdras, IX, 12-13 (Esdras, X, 14). Le texte de Josèphe est horriblement corrompu. Peut-être doit-on restituer ainsi : ἀλλ' οἵ γε (τε la plupart des manuscrits) ἡγέμονες <μενόντων> καὶ οἱ συνοικοῦντες ταῖς ἀλλοφύλοις παραγενέσθωσαν <τουτοῖς> λαβόντες χρόνον καὶ πρεσβυτέρους ἐξ οὗ ἂν τελῶσιν (θελήσωσιν mss.) τόπου etc.

[14] Le 1er jour du 1er mois de l'année suivante (3e Esdras, IX, 17).

Fête des Tabernacles ; lecture de la Loi.

5. Le septième mois, lors de la célébration de la fête des Tabernacles, pour laquelle le peuple presque entier s'était rassemblé, les Juifs montèrent sur la terrasse du Temple, du côté de la porte qui regarde vers l'Orient, et prièrent Esdras de leur lire les lois de Moïse. S'étant donc placé au milieu de la foule, il lut ces lois depuis le matin jusqu'au milieu du jour. En entendant cette lecture, les Juifs apprirent à être justes dans le présent et dans l'avenir, mais en songeant au passé, ils furent attristés et en vinrent jusqu’aux larmes, car ils pensaient qu'ils n'auraient souffert aucun des maux dont ils avaient été accablés, s'ils avaient observé la loi. Esdras, les voyant dans ces sentiments, leur ordonna de rentrer chez eux et de ne pas pleurer[15] ; c'était, en effet, un jour de fête et il ne convenait pas de gémir, car ce n'était pas chose permise ; il leur conseilla de banqueter gaiement, de ne s'occuper que de réjouissances qui fussent en rapport avec la fête ; leur repentir et leur affliction au sujet de leurs anciennes fautes seraient une garantie et une certitude qu'ils n'y retomberaient pas. Sur ce conseil d'Esdras[16], ils se mirent à célébrer la fête, et quand ils l'eurent fait pendant huit jours sous les tentes, ils rentrèrent chez eux en chantant des hymnes à Dieu, reconnaissants à Esdras d'avoir réformé leurs manquements à la loi de l'État. Celui-ci, après avoir acquis tant de gloire auprès du peuple, mourut âgé et fut enseveli avec de grandes marques d'honneurs à Jérusalem. Vers le même temps, Joachim le grand-prêtre étant mort aussi, son fils Eliasib lui succéda dans sa haute charge.

[15] D'après 3e Esdras, IX, 49, ce n'est pas Esdras qui parle ainsi, mais « Attharat » c'est-à-dire, en réalité, « le Thirschatha » ou « gouverneur » Néhémie.

[16] Ici s'arrête notre texte du 3e Esdras. La fin de la phrase reproduit en abrégé Néhémie, VIII, 12-18 ; le reste du § a été ajouté par Josèphe. Il est possible d'ailleurs qu'il avait sous les yeux un texte plus complet du 3e Esdras.

Mission de Néhémie. Achèvement des murs de Jérusalem.

6.[17] Un des captifs juifs, qui était échanson du roi Xerxès, et avait pour nom Néhémie, se promenant un jour au dehors de la capitale des Perses, Suse, entendit des étrangers, qui semblaient au terme d'un long voyage et qui entraient dans la ville, parler entre eux en hébreu ; il les aborda et leur demanda d'où ils venaient. Sur leur réponse qu'ils arrivaient de Judée, il se mit de nouveau à demander des nouvelles de leur peuple et de leur capitale Jérusalem. Ils lui dirent que tout allait mal, que les murailles étaient détruites de fond en comble et que les peuples voisins faisaient mille misères aux Juifs, le jour parcourant le pays et le mettant au pillage, la nuit s'attaquant à la ville (?)[18] de telle sorte qu'ils emmenaient de nombreux prisonniers faits dans la campagne et à Jérusalem même, et que chaque jour les routes étaient couvertes de cadavres. Là-dessus Néhémie versa des larmes, plein de pitié pour le malheur de ses compatriotes, et levant les yeux au ciel : « Jusques à quand Seigneur, dit-il, souffriras-tu que notre peuple supporte ces maux, devenu la proie et le butin de tous ? » Comme il s'attardait près de la porte à déplorer ces malheurs, on vint l'avertir que le roi allait se mettre à table. Il se hâta[19], et, sans prendre même le temps de se laver, tel qu'il se trouvait, il courut remplir auprès du roi son office d'échanson. Le roi, après le repas, se sentant l'esprit relâché et d'humeur affable, tourna les yeux vers Néhémie, et, lui voyant l'air sombre, lui demanda la cause de son abattement. Celui-ci, après avoir prié Dieu de donner à ses paroles la grâce et la persuasion : « O roi, dit-il, comment donc pourrais-je n'avoir pas le visage triste et l'âme pleine d'affliction, quand j'apprends que Jérusalem, ma patrie, où sont les tombeaux et les monuments de mes ancêtres, a vu ses murailles jetées à terre et ses portes incendiées ? Faites-moi la grâce de me laisser aller relever ses murs et aider à terminer la reconstruction du Temple[20] ». Le roi promit de lui accorder cette faveur et une lettre qu'il porterait aux satrapes, afin qu'ils le traitassent bien et lui fournissent tout le nécessaire pour ce qu'il désirerait. « Cesse donc, lui dit-il, d'être affligé, et sers-moi désormais avec un visage heureux ». Néhémie adora Dieu et remercia le roi de sa promesse, et le plaisir qu'il prit à ces nouvelles chassa de son visage l'abattement et l'angoisse. Le lendemain le roi le fit appeler et lui donna une lettre à porter à Adaios[21], préfet de Syrie, de Phénicie et de Samarie, dans laquelle il commandait à celui-ci de bien traiter Néhémie, et de pourvoir à la construction du Temple.

[17] Les sections 6 à 8 sont un résumé du livre de Néhémie. Toutefois ce résumé est très libre et contient des détails étrangers à l'original ; aussi a-t-on soupçonné (H. Bloch, Die Quellen des Flavius Josephus in seiner Archeologie, p. 76) que Josèphe a utilisé, non le Néhémie du canon, mais des chapitres aujourd'hui perdu du 3e Esdras, qui auraient paraphrasé ce livre. Josèphe, conséquent avec lui-même, a placé ces événements sous le règne de Xerxès (Artaxerxés selon Néhémie), mais il n'a pas remarqué que la 28e année de Xerxès était une impossibilité, ce prince n'ayant régné que 14 ans (485-472).

[18] κακῶς ἀπεργαζομένων, texte corrompu. Herwerden insère τὴν πόλιν.

[19] Josèphe précipite les événements. Dans Néhémie, l'entretien avec les voyageurs juifs a lieu au mois de Kislev (I, 1), la scène devant le roi en Nisan (II, 1).

[20] Il n'est pas question du Temple dans Néhémie, ni ici ni plus loin.

[21] On ne sait où Josèphe a pris ce nom.

7. Néhémie se rendit à Babylone, et, suivi de plusieurs de sa nation qui s'étaient joints volontairement à lui, il arriva à Jérusalem, la vingt-cinquième année[22] du règne de Xerxès ; après avoir (rendu grâces à) Dieu, il remit ses lettres à Adaios et aux autres préfets. Puis, ayant convoqué à Jérusalem tout le peuple, il se leva au milieu du Temple et parla dans ces termes : « Juifs, sachez que Dieu, en souvenir de nos pères Abraham, Isaac et Jacob, ne nous a pas abandonnés, et qu'en considération de leur justice, sa providence pour nous ne s'est pas lassée. Il m'a aidé à obtenir du roi la permission de relever nos murailles et de terminer la construction du Temple. Mais comme vous connaissez bien la haine des peuples voisins contre nous, comme vous savez que, s'ils apprennent que vous travaillez avec diligence à cette reconstruction, ils s'y opposeront et vous susciteront mille obstacles, je veux d'abord que vous ayez confiance en Dieu pour résister à cette hostilité, que ni nuit ni jour vous n'interrompiez les travaux, et que vous meniez à bout en toute hâte l'entreprise, aujourd'hui que les circonstances vous sont favorables ». Sur ces mots, il enjoignit aussitôt aux magistrats de mesurer la muraille et de distribuer la besogne au peuple par bourgs et villes, suivant les forces de chacun, promettant d'en prendre sa part pour lui-même et ses serviteurs ; puis il congédia l'assemblée. Les Juifs se mirent aussitôt à l’œuvre. On les appelait ainsi du jour où revinrent de Babylone ceux de la tribu de Juda, qui, retournés les premiers dans le pays, lui donnèrent leur nom.

[22] La 20e année selon Néhémie (I, 1 ; II, 1).

8. Lorsque les Ammanites, les Moabites, les Samaritains et tous les habitants de la Cœlésyrie apprirent que l'on hâtait la construction des murailles, ils en furent fort irrités ; il ne se passait pas de jour qu'ils ne tramassent contre les Juifs quelque embûche pour contrecarrer leurs desseins ; ils en tuèrent plusieurs et voulurent même se débarrasser de Néhémie, en soudoyant quelques étrangers pour l'assassiner. Puis ils essayèrent de les effrayer et de les troubler en répandant le bruit qu'une expédition de peuples coalisés se préparait contre eux : et peu s'en fallut que les Juifs épouvantés n'abandonnassent leur travail. Mais rien de tout cela ne put détourner Néhémie de son zèle ; il se contenta de s'entourer de quelques gardes, pour sa propre sécurité, et resta ferme à son poste, rendu par son désir d'accomplir son œuvre insensible à toutes les tracasseries ; s'il prit ainsi des précautions sévères pour sa sauvegarde, ce n'était pas par crainte de la mort, mais dans la persuasion que, lui disparu, ses compatriotes cesseraient d'élever les murs. Il ordonna ensuite à ceux qui étaient employés à la construction de travailler en armes ; les ouvriers et les manœuvres avaient une épée ; il leur recommanda d'avoir leurs boucliers tout auprès d'eux, et tous les cinq cents pas il disposa des trompettes chargés de prévenir le peuple, si l'ennemi survenait, afin qu'il les trouvât là équipés pour la lutte, au lieu de les massacrer sans défense. Lui-même, pendant la nuit, faisait le tour de la ville, et rien ne le fatiguait, ni le travail, ni le régime auquel il se soumettait, ni le manque de sommeil : car il ne prenait que le strict nécessaire, sans rien accorder au plaisir. Il supporta ces fatigues deux ans et quatre mois ; c'est le temps que mirent les habitants de Jérusalem à bâtir leurs murailles : tout fut achevé le neuvième mois de la vingt-huitième année du règne de Xerxès[23]. L’œuvre étant enfin terminée, Néhémie et le peuple sacrifièrent à Dieu en l'honneur de la construction des murailles, et passèrent huit jours en réjouissances[24]. Les peuples de Syrie, à la nouvelle que le travail était fini, en furent irrités. Néhémie, voyant que la ville n'était pas assez peuplée, invita les prêtres et les lévites à quitter la campagne pour venir habiter Jérusalem et y demeurer ; il leur y prépara des demeures à ses propres frais ; les cultivateurs reçurent l'ordre d'apporter à Jérusalem la dîme de leurs récoltes[25], afin que les prêtres et les lévites ayant toujours de quoi se nourrir, le culte ne subit aucune interruption. Ils obéirent volontiers aux prescriptions de Néhémie, et c'est ainsi que Jérusalem devint une ville populeuse. Après avoir rendu aux Juifs bien d'autres services également dignes de louanges, Néhémie mourut, dans une vieillesse fort avancée. C'était un homme bon, juste, entièrement dévoué aux intérêts de sa nation, et il laissa comme un éternel souvenir les murailles de Jérusalem. Ces événements se passèrent sous le règne de Xerxès.

[23] D'après Néhémie, VI, 15, tout aurait été fini en 52 jours, le 25 Eloul.

[24] Néhémie, VIII, 18. C'est la même fête qui a été déjà racontée sous Esdras, plus haut V, 5.

[25] Néhémie, X, 37 ; XII, 44. Mais il n'est dit nulle part que les prêtres et lévites se soient tous établis à Jérusalem : on tira au sort un homme sur dix pour habiter la capitale (Néhémie, XI, 1). — Après avoir rendu aux Juifs… est ajouté par Josèphe.

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