Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE I
Jonathan succède à son frère Judas ; Jean, le frère de Jonathan, succombe à une embuscade dressée par les Nabatéens dans le désert ; combat entre Bacchidès et Jonathan au Jourdain ; Jonathas et Simon se vengent de la mort de leur frère Jean sur les Nabatéens ; après une paix de deux ans, Bacchidès tente en vain de mettre la main sur Jonathan ; Jonathan et son frère se retirent à Béthalaga dans le désert ; Bacchidès en fait le siège, mais Jonathan fait une sortie et taille en pièces nombre de ses soldats ; traité de paix entre Jonathan et Bacchidès.

Jonathan choisi pour général des Juifs insurgés.

1.[1] Comment le peuple juif, réduit en servitude par les Macédoniens, recouvra sa liberté ; après combien de combats et de quelle importance leur général Judas mourut en luttant pour eux, c'est ce que nous avons raconté dans le livre précédent. Après la mort de Judas, tout ce qu'il y avait encore de renégats, tous ceux qui avaient transgressé les lois nationales, surgirent de nouveau contre les Juifs et, foisonnant de tous côtés, les persécutèrent. À leur perversité s'ajouta la famine, qui s'abattit sur le pays, si bien que beaucoup, à cause de la disette de vivres et de l'impossibilité où ils étaient de résister ensemble à la famine et à leurs ennemis, passèrent aux Macédoniens. Bacchidès rassembla ceux des Juifs qui avaient renié leurs coutumes nationales et choisi le genre de vie des autres peuples, et leur confia l'administration du pays ; ils s'emparèrent des amis de Judas et de ses partisans et les livrèrent à Bacchidès. Celui-ci les fit périr après des tortures et des mauvais traitements qu'il leur infligea par plaisir. Devant une semblable calamité, telle que les Juifs n'en avaient pas éprouvé depuis le retour de Babylone, ceux qui restaient des compagnons de Judas, voyant que le peuple périssait misérablement, allèrent trouver son frère Jonathas et le supplièrent d'imiter l'exemple de son frère et sa sollicitude pour ses compatriotes, qu'il avait poussée jusqu'à mourir pour la liberté commune ; il ne pouvait laisser le peuple sans défenseur dans un moment où le malheur s'abattait sur lui. Jonathas répondit qu'il était prêt à mourir pour eux, et comme on ne le jugeait en rien inférieur à son frère, il fut élu général des Juifs.

[1] I Maccabées, 9, 23-31.

Jonathan dans le désert. Massacre de son frère Jean par les Nabatéens.

2.[2] Bacchidès, à cette nouvelle, craignant que Jonathas ne créât des difficultés au roi et aux Macédoniens comme auparavant Judas, chercha à s'en débarrasser par ruse. Mais il ne put cacher son dessein à Jonathas et à son frère Simon, qui, l'ayant appris, s'enfuirent en toute hâte, avec tous leurs compagnons, dans le désert le plus rapproché de la ville[3] ; arrivés sur les bords de l'eau qu'on appelle la citerne d'Asphar[4], ils s'y établirent. Bacchidès, quand il sut qu’ils étaient partis et se trouvaient en cet endroit, marcha contre eux avec toutes ses forces, et arrivé au delà du Jourdain[5], campa pour faire reposer ses troupes. Jonathas, à la nouvelle que Bacchidès marchait sur lui, envoya son frère Jean, appelé aussi Gaddin, aux Arabes Nabatéens pour déposer chez eux les bagages de l'armée jusqu'à ce qu'il eut fini de combattre Bacchidès : ces Arabes étaient, en effet, ses amis. Mais comme Jean se rendait chez les Nabatéens, les fils d'Amaraios[6] lui dressèrent une embuscade au sortir de la ville de Médaba, s'emparèrent de lui et de son escorte, et après avoir pillé le convoi, tuèrent Jean et tous ses compagnons. Cependant les frères de leur victime leur infligèrent bientôt le châtiment qu'ils méritaient, comme nous le raconterons.

[2] I Maccabées, 9, 32-36.

[3] Au désert de Thekoa, à 2 lieues au S. de Bethléem (Maccabées, 9, 33).

[4] Localité inconnue.

[5] Josèphe suit le récit de Maccabées, mais en réalité il faut admettre que non seulement le guet-apens des Nabatéens, mais encore la razzia vengeresse de Jonathan, se placent avant le départ de Bacchidès. C'est parce que Jonathan est parti en guerre au delà du Jourdain que Bacchidès lui aussi franchit le fleuve.

[6] οἱ υἱοὶ Ἀμβρί ou Ἰαμβρι (Maccabées, 9, 36). Tribu inconnue. Medaba ou Madeba, a 25 kilomètres au S. E. de l'embouchure du Jourdain dans la mer Morte.

Combat des bouches du Jourdain. Forteresses élevées par Bacchidès.

3.[7] Bacchidès, à la nouvelle que Jonathas campait dans les marais du Jourdain, choisit le jour du Sabbat pour l'attaquer, persuadé qu'il ne combattrait pas ce jour-là, pour obéir à la loi. Mais Jonathas, après avoir exhorté ses compagnons et leur avoir dit qu'il y allait de leur vie, puisque, pris entre le fleuve et l'ennemi[8], ils ne pouvaient fuir (car l'ennemi était devant eux et le fleuve derrière), pria Dieu de lui accorder la victoire et engagea la bataille. Il avait déjà tué beaucoup d'ennemis, quand il vit Bacchidès se précipiter furieusement sur lui ; il étendit alors la main droite comme pour le frapper. Mais Bacchidès aperçut le geste et évita le coup ; Jonathas sauta dans le fleuve avec ses compagnons, le traversa à la nage, et se mit ainsi en sûreté au delà du Jourdain ; les ennemis ne traversèrent plus le fleuve et Bacchidès revint aussitôt à la citadelle de Jérusalem. Cette bataille lui coûta environ deux mille hommes de son armée[9]. Bacchidès se rendit ensuite maître de plusieurs villes de Judée et les fortifia : Jéricho, Emmaüs, Béthoron, Bethèla, Thamnatha, Pharatho, Tochoa[10], Gazara ; il construisit dans chacune d'elles des tours, bâtit une enceinte de murailles hautes et solides, et y établit des garnisons destinées à faire des sorties pour dévaster le territoire juif. Il fortifia surtout la citadelle de Jérusalem. Et prenant comme otages les enfants des premiers de la Judée, il les enferma dans la citadelle et la garda ainsi.

[7] I Maccabées, 9, 43-53.

[8] Ce récit n'est pas clair et le texte de I Maccabées ne l'éclaircit guère. Si Bacchidès a franchi le fleuve (Maccabées, 9, 34) — c'est-à-dire passé sur la rive E. du Jourdain — on ne voit pas bien comment Jonathas peut avoir ce fleuve à dos et surtout comment il peut se sauver « au-delà du Jourdain » que les ennemis « ne traversent plus ». Les commentateurs admettent que le combat eut lieu sur la rive E. et que Jonathas se réfugia à l'ouest dans le désert de Juda.

[9] 1.000 seulement d'après Maccabées.

[10] Τερών Maccabées. Emplacement inconnu. Pharatho est dans le pays d'Ephraïm, au S. O. de Sichem.

Vengeance de Jonathan et de Simon sur les Nabatéens.

4.[11] Vers ce même temps un messager vint annoncer à Jonathas et à son frère Simon que les fils d'Amaraios allaient célébrer un mariage, et amener de la ville de Nabatha[12] la fiancée, fille d'un haut personnage arabe ; le cortège de la jeune fille serait riche et brillant. Jonathas et Simon jugèrent qu'une occasion favorable se présentait de venger leur frère, et qu'ils auraient là toutes les facilités pour tirer des fils d'Amaraios le châtiment de la mort de Jean ; ils marchèrent sur Médaba, et, s'embusquant dans la montagne, attendirent leurs ennemis. Quand ils les virent arriver conduisant la jeune fille et le fiancé, accompagnés du cortège d'amis usité dans les noces, ils s'élancèrent de leur embuscade, les tuèrent tous et s'en retournèrent après avoir pris toutes les parures et fait main basse sur tout le bagage des hommes. Telle fut la vengeance qu'ils tirèrent des fils d'Amaraios pour le meurtre de leur frère Jean : les coupables eux-mêmes, les amis qui les accompagnaient, leurs femmes et leurs enfants, périrent, au nombre d'environ quatre cents[13].

[11] I Maccabées, 9, 37-42. Dans nos manuscrits de I Maccabées cet épisode est placé avec raison avant le combat des bouches du Jourdain.

[12] Un ms. a Γαβαθᾶ, un autre Βαθανᾶ (Maccabées Ναδαβάθ). Site inconnu. D'après I Maccabées la fiancée était Cananéenne, non Arabe.

[13] Ce chiffre n'est point donné par I Maccabées.

Trêve de deux ans. Bacchidés vient assiéger Béthalaga.

5.[14] Simon et Jonathas retournèrent aux marais du Jourdain et y demeurèrent. Bacchidès, après avoir assuré la tranquillité de la Judée en mettant partout des garnisons, retourna auprès de roi. Et pendant deux ans les Juifs eurent la paix. Les transfuges et les renégats, voyant que Jonathas et ses compagnons parcouraient le pays en toute liberté, à la faveur de la paix, firent demander à Démétrius de leur envoyer Bacchidès pour s'emparer de Jonathas ; ils assuraient que cette capture serait facile, et qu'en tombant une nuit sur eux sans qu'ils s'y attendissent, on les tuerait tous. Le roi envoya donc Bacchidès ; celui-ci, aussitôt arrivé en Judée, écrivit à tous ses amis, aux Juifs, à ses alliés, de lui livrer Jonathas. Tous essayèrent de s'emparer de Jonathas, mais en vain, car il se gardait bien, se doutant du complot tramé contre lui. Bacchidès entra alors dans une violente colère contre les Juifs transfuges, prétendant qu'ils l'avaient trompé, lui et le roi, et s'emparant de cinquante des plus importants d'entre eux, il les mit à mort[15]. Jonathas avec son frère et ses compagnons se retira à Béthalaga, bourg du désert[16], par crainte de Bacchidès ; il y construisit des tours et une enceinte de murailles, et s'y tint en sûreté, sous bonne garde. Bacchidès, à cette nouvelle, marcha contre Jonathas, avec ses troupes et ceux des Juifs qui étaient ses alliés, vint attaquer ses retranchements et l'assiégea pendant de longs jours. Mais Jonathas ne céda pas à l'effort du siège. Après une vigoureuse résistance, il laissa son frère Simon dans la place pour tenir tête à Bacchidès, et lui-même gagna secrètement la campagne, réunit une troupe considérable de ses partisans, tomba pendant la nuit sur le camp de Bacchidès, et lui tua beaucoup de monde, en sorte que son frère Simon sut bientôt lui-même qu'il avait attaqué les ennemis. Comprenant que c'était Jonathas qui les massacrait, Simon fit une sortie contre eux, brûla les machines de siège des Macédoniens et en fit un assez grand carnage. Quand Bacchidès se vit cerné par ses adversaires et attaqué de front et à revers il tomba dans le découragement et l'indécision, consterné de la façon imprévue dont se dénouait le siège. Il tourna donc sa fureur contre les Juifs transfuges qui avaient prié le roi de l'envoyer, les accusant de l'avoir trompé, et ne songea plus qu'à terminer le siège sans trop de déshonneur et à rentrer chez lui.

[14] I Maccabées, 9, 57-69 (après avoir raconté la mort d'Alkimos, 153 Sél. = 160-159 av. J.-C.).

[15] Dans Maccabées, 9, 61, il semble que c'est Jonathan qui rait périr ces 50 traîtres.

[16] Βαιθβασί Maccabées. Site inconnu.

Traité entre Jonathan et Bacchidès.

6.[17] Jonathas, ayant eu connaissance de ses dispositions, lui envoya proposer un traité de paix et d'amitié, et l'échange des prisonniers faits de part et d'autre[18]. Bacchidès, trouvant que c'était là une retraite très honorable, fit amitié avec Jonathas, échangea avec lui le serment qu'ils ne marcheraient plus l'un contre le territoire de l'autre, puis, après avoir rendu les prisonniers juifs et recouvré les siens, il rentra à Antioche auprès du roi ; une fois de retour, il n'envahit plus jamais la Judée. Jonathas, désormais libre, s'établit dans la ville de Machma[19], où il jugea la population et purgea la nation des méchants et renégats en les châtiant.

[17] I Maccabées, 9, 70-73.

[18] Maccabées ne parle que des prisonniers juifs.

[19] A 9 milles romains au nord de Jérusalem (aujourd'hui Makhmas près de Rama).

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