Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE II
Alexandre Bala, fils d'Antiochus Épiphane, s'empare de Ptolémaïs ; Jonathan s'installe à Jérusalem et rebâtit les murailles de la ville en pierres carrées pour plus de résistance ; Alexandre tente de s'allier Jonathan contre Démétrius en le nommant grand-prêtre ; Jonathan revêt l'habit de grand-prêtre à l'occasion de la fête des Tabernacles ; Démétrius fait des concessions à Jonathan en se proposant d'exonérer les Juifs de plusieurs taxes ; guerre entre Alexandre et Démétrius ; mort de Démétrius.

Invasion d'Alexandre Bala. Concessions des deux prétendants aux Juifs ; Jonathan grand-prêtre.

1.[1] La cent soixantième année[2], Alexandre, fils d'Antiochus Épiphane[3], remonta en Syrie et s'empara de Ptolémaïs grâce à la trahison des soldats de la garnison, qui en voulaient à Démétrius de sa fierté et de la difficulté qu'il y avait à l'aborder. Il s'était, en effet, enfermé dans un palais défendu par quatre tours, qu'il s'était fait bâtir non loin d'Antioche, et ne laissait approcher de lui personne ; il était de plus négligent et insouciant des affaires, ce qui redoublait la haine de ses sujets, comme nous l'avons déjà raconté ailleurs[4]. A la nouvelle de l'entrée d’Alexandre dans Ptolémaïs, Démétrius marcha contre lui avec toute ses forces. Il envoya aussi à Jonathas des messagers pour faire avec lui alliance et amitié ; il voulait devancer Alexandre, de peur que celui-ci ne le prévint et n'obtint l'aide de Jonathas, car il avait lieu de craindre que Jonathas, se souvenant du mal que Démétrius avait fait, ne se laissât facilement persuader de se déclarer contre lui. Il l'invita donc à réunir ses forces, à préparer ses armes, et à reprendre les otages prélevés sur les Juifs et enfermés par Bacchidès dans la citadelle de Jérusalem. Jonathas, au reçu de ces ouvertures de la part de Démétrius, se rendit à Jérusalem, et lut la lettre du roi en présence du peuple et des soldats qui gardaient la citadelle. A cette lecture, les Juifs transfuges et apostats de la citadelle furent saisis de crainte, voyant que le roi permettait à Jonathas de réunir une armée et de reprendre les otages. Jonathas rendit chacun de ceux-ci à leurs parents. Et c'est ainsi qu'il se fixa à Jérusalem ; il fit d'importants remaniements dans la ville et régla tout à sa volonté. Il fit construire notamment les murailles de la ville[5] en pierres carrées pour qu'elles résistassent mieux aux attaques de l'ennemie. En présence de ces faits, les soldats des garnisons de Judée abandonnèrent tous leur poste et s'enfuirent à Antioche, à l'exception de ceux de Bethsoura et de la citadelle de Jérusalem[6] : ceux-ci étaient, en effet, pour la plus grande partie des Juifs transfuges et apostats ; c'est pour cela qu'ils n'abandonnèrent pas leurs garnisons.

[1] I Maccabées, 10, 1-14 (certaines parties du début proviennent d'une autre source).

[2] 160 Sél. – 153/2 av. J.-C.

[3] Alexandre Bala se donnait pour fils d'Antiochus Épiphane, mais tout fait croire que c'était un enfant supposé.

[4] Encore un lapsus de plagiaire ; Josèphe n'a encore rien dit de cela.

[5] Autour de la colline de Sion (Maccabées, 10, 11).

[6] Maccabées ne mentionne que Bethsoura, mais évidemment l'Akra ne fut pas évacuée.

2.[7] Alexandre, ayant su les promesses faites par Démétrius et Jonathas, et ayant appris la vaillance de celui-ci, les exploits qu'il avait accomplis en luttant contre les Macédoniens, tout ce qu'il avait eu à souffrir de Démétrius et de Bacchidès, le général de Démétrius, déclara à ses amis qu'il ne pouvait, dans les circonstances présentes, trouver un meilleur allié que ce Jonathas, si courageux contre l'ennemi et nourrissant une haine personnelle contre Démétrius qui lui avait fait et avait éprouvé de lui beaucoup de mal. Si donc ils étaient d'avis de se l'attacher contre Démétrius, rien ne pouvait être plus utile que de solliciter maintenant son alliance[8]. Ses amis et lui décidèrent donc d'envoyer un messager à Jonathas et lui écrivirent en ces termes : « Le roi Alexandre à Jonathas, son frère, salut. Nous avons entendu depuis longtemps vanter ta valeur et ta fidélité, et c'est pourquoi nous t'envoyons demander ton amitié et ton alliance. Nous te nommons dès aujourd'hui grand-prêtre des Juifs et te donnons le titre de notre ami. Je t'envoie en présent un habit de pourpre et une couronne d'or, et je te prie d'avoir pour nous la considération que nous avons pour toi. »

[7] I Maccabées, 10, 15-20.

[8] Texte altéré.

3.[9] Jonathas, au reçu de cette lettre, revêtit l'habit de grand-prêtre, à l'occasion de la fête des Tabernacles, quatre ans[10] après la mort de son frère Judas : pendant ces quatre années il n'y avait pas eu de grand prêtre. Il réunit une armée considérable et forgea une grande quantité d'armes. Quand Démétrius apprit ces faits, il en fut vivement contrarié ; il se reprocha sa lenteur et de n'avoir pas gagné par de bons procédés Jonathas, et devancé ainsi Alexandre, au lieu de lui laisser le temps d'agir. Il écrivit donc lui aussi une lettre à Jonathas et au peuple, ainsi conçue : « Le roi Démétrius à Jonathas et au peuple juif, salut. Puisque vous avez conservé votre amitié pour nous et que vous n'avez pas passé à nos ennemis, malgré leurs tentatives pour vous débaucher, je loue votre fidélité et vous prie de rester dans les mêmes sentiments, dont vous recueillerez de notre part fruit et récompense. Je vous libérerai, en effet, de la plupart des tributs et des redevances que vous payiez aux rois mes prédécesseurs et à moi-même, et dès maintenant je vous exempte des tributs permanents. Outre cela, je vous fais la remise du sel et des couronnes que vous m'apportiez ; la part qui me revenait en remplacement du tiers de la moisson et de la moitié de la récolte des arbres fruitiers[11], je vous l'abandonne, à dater de ce jour. Je vous exempte également à partir d'aujourd'hui et pour toujours de la taxe que devaient me payer par tête les habitants de la Judée et des trois toparchies annexes, Samarie, Galilée et Pérée[12]. Je veux que la ville de Jérusalem soit sacrée, inviolable, et exempte, jusqu'à ses limites, de la dîme et des droits de douane. Je remets la citadelle aux mains de votre grand-prêtre Jonathas ; il pourra y placer, comme garnison, ceux de ses fidèles et amis qu’il voudra, qui la garderont pour nous. Je remets en liberté tous les Juifs prisonniers et esclaves sur notre territoire. J'interdis la réquisition des bêtes de somme des Juifs ; ceux-ci seront exempts de toutes corvées les jours de Sabbat ou de fête, et trois jours avant[13] chaque fête. De même, je renvoie libres et indemnes de tout dommage tous les Juifs habitant mon royaume, et j'autorise ceux qui le désirent à entrer dans mon armée, jusqu'à concurrence de trente mille ; et partout où ils iront, ils recevront la même solde que mes propres soldats. J'en placerai une partie dans les garnisons, quelques-uns dans ma garde personnelle, et je leur donnerai des commandements à ma cour. Je vous[14] permets aussi d'observer et de conserver vos lois nationales, et de réduire à votre obéissance les trois préfectures annexées à la Judée ; j'autorise le grand-prêtre à veiller à ce qu'aucun Juif n'ait d'autre temple où adorer Dieu, que le Temple de Jérusalem[15]. Je donnerai sur mon trésor chaque année, pour les frais des sacrifices, cent cinquante mille (drachmes)[16], et je veux que tout l'excédent des sommes[17] vous appartienne. Quant aux dix mille drachmes[18] que les rois retiraient du Temple, je vous en fais la remise parce qu'elles reviennent aux prêtres qui desservent le Temple. Et tous ceux qui se réfugieront dans le Temple de Jérusalem ou dans ses dépendances, soit parce qu'ils devaient de l'argent au trésor royal, soit pour toute autre cause, seront libérés et n'auront rien a craindre pour leurs biens. Je permets aussi de restaurer le Temple et de le rebâtir à mes frais ; j'autorise la reconstruction des murailles de la ville, et l'édification de tours élevées, également à mes frais, et s'il est quelque place forte qu'il importe à la sécurité du territoire des Juifs de fortifier, que ces travaux soient faits à ma charge. »

[9] I Maccabées, 10, 21-45. Contre l'authenticité du rescrit de Démétrius, cf. Willrich, Judaica, p. 52 suiv., qui considère à tort le texte de Josèphe comme l'original du « faux ».

[10] Ce chiffre est erroné ou altéré ; il faudrait huit ans. La date donnée par Maccabées est le 7e mois de l'an 160 Sél., automne 153 av. J.-C. (Ce texte est un de ceux qui prouvent que l'année séleucide de I Maccabées commence au printemps.)

[11] Texte suspect.

[12] Josèphe a mal compris Maccabées, 10, 30 où il est question de 3 noms détachés de la Samarie et de la Galilée (Kautzsch supprime ce dernier nom).

[13] « Et après » ajoute Maccabées, 10, 34.

[14] Maccabées, 10, 37, dit « je leur permets ».

[15] Clause ajoutée par Josèphe. En revanche il omet la donation de Ptolémaïs (10, 39).

[16] 15.000 sicles d'argent d'après Maccabées, 10, 40.

[17] Cette phrase obscure est à peine éclaircie par Maccabées, 10,41, où l'on voit qu'il s'agit d'arriérés dus au Temple par le trésor royal.

[18] 5.000 sicles (Maccabées, 10, 42), somme équivalente.

Défaite et mort de Démétrius.

4.[19] Telles furent les promesses et les marques de bienveillance que Démétrius prodigua aux Juifs dans sa lettre. Le roi Alexandre de son côté réunit une armée considérable de mercenaires et des troupes de Syrie qui s'étaient ralliées à lui et marcha contre Démétrius. La bataille s'engagea ; l'aile gauche de Démétrius mit en fuite ses adversaires, les poursuivit fort loin, en tua un grand nombre et pilla leur camp ; mais l'aile droite, où se trouvait Démétrius, fut vaincue. Tous les soldats s'enfuirent ; Démétrius combattit bravement, tua beaucoup d'ennemis, et se mit à la poursuite des autres ; mais il se lança dans un marais profond et difficile à traverser ; son cheval étant tombé, il ne put s'enfuir et fut tué : les ennemis, en effet, à la vue de sa chute, firent volte-face, l'entourèrent et l'accablèrent de leurs javelots. Démétrius, quoique démonté, résista courageusement ; mais enfin, couvert de blessures, incapable de tenir davantage, il tomba. Telle fut la fin de Démétrius ; il avait régné onze ans, comme nous l'avons raconté ailleurs[20].

[19] I Maccabées, 10, 46-50. Tous les détails relatifs à la bataille proviennent d'une autre source. En revanche, Josèphe a omis de signaler que les Juifs repoussèrent les avances de Démétrius et restèrent attachés au parti d'Alexandre.

[20] Toujours la même formule copiée sur la source grecque. Comme Polybe (III, 5) attribuait à Démétrius 12 ans de règne, on voit que cette source n'est pas Polybe.

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