Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE VIII
Grande-prêtrise de Jean Hyrcan, le fils de Simon ; Ptolémée, son beau-frère, met à mort ses frères et sa mère ; Antiochus envahit la Judée, ravage le pays et enferme Hyrcan dans Jérusalem ; Antiochus lève le siège moyennant compensations ; Hyrcan fait alliance avec Antiochus, il l'accompagne lors de son expédition contre les Parthes ; Antiochus meurt dans la bataille ; le royaume de Syrie revient à son frère Démétrius.

Avènement de Jean Hyrcan ; sa lutte contre son beau-frère Ptolémée.

1. Ptolémée se retira dans une des forteresses situées au-dessus de Jéricho, appelée Dagôn[1]. Hyrcan, qui avait hérité de la charge de grand-prêtre que remplissait son père, offrit d'abord à Dieu des sacrifices, puis marcha contre Ptolémée, et mit le siège devant la place. Il avait sur tous les points l'avantage, mais sa piété pour sa mère et ses frères le paralysait, car Ptolémée les faisait amener sur le rempart et les maltraitait à la vue de tous, menaçant de les précipiter des murailles si Hyrcan ne levait pas le siège. Hyrcan, pensant que moins on mettrait de hâte à la prise de la place, plus il épargnerait de souffrances à ceux qu'il aimait le plus, se relâcha un peu de son ardeur. Cependant sa mère, lui tendant les mains, le suppliait de ne pas fléchir à cause d'elle ; tout au contraire, donnant un bien plus libre cours à sa colère, il devait hâter la prise de la forteresse et venger, une fois maître de son ennemi, ses plus chers parents : elle-même trouverait douce la mort dans les supplices, si l'ennemi, coupable envers eux d'une telle perfidie, en subissait la peine. Hyrcan, quand sa mère parlait ainsi, se sentait plein d'ardeur pour la prise de la place ; mais lorsqu'il la voyait frappée et déchirée, il faiblissait et se laissait vaincre par la pitié que lui inspiraient ses souffrances. Le siège traîna ainsi en longueur, et l'on arriva à l'année pendant laquelle les Juifs doivent rester inactifs : c'est en effet leur coutume tous les sept ans, comme tous les sept jours[2]. Ptolémée, profitant de la suspension de la guerre qui en résulta, fit mettre à mort les frères et la mère d'Hyrcan, et ce meurtre accompli, s'enfuit auprès de Zénon, surnommé Cotylos, tyran de la ville de Philadelphie[3].

[1] Δώκ dans Maccabées, 16, 15. Aujourd'hui Ayn Douk, à une lieue au N. O. de Jéricho.

[2] D'après cela l'année 135/4 aurait été sabbatique. Or, en partant de l'année sabbatique à peu près assurée 38/7 av. J.-C. (Ant., XIV, VI, 2), on trouve comme sabbatique l'année précédente 136/5. Il est probable que Josèphe a été induit en erreur par une source païenne ; le siège fut levé non pas parce que l'année sabbatique commençait (elle n'a jamais suspendu les opérations militaires), mais parce que, en raison de l'année sabbatique précédente, on n'avait pas d'approvisionnements. Cf. Schürer, I3, p. 36.

[3] L'ancienne Rabbath Ammon, hellénisée par Ptolémée Philadelphe.

Siège et prise de Jérusalem par Antiochus Sidétès.

2. Cependant Antiochus, vivement irrité des échecs que lui avait infligés Simon, envahit la Judée la quatrième année de son règne, qui était la première du gouvernement d'Hyrcan, dans la cent soixante-deuxième Olympiade[4]. Après avoir ravagé le pays, il enferma Hyrcan dans Jérusalem même, qu'il entoura de sept camps. Tout d'abord il ne fit aucun progrès, tant à cause de la solidité des murailles, que de la valeur des assiégés et du manque d'eau, auquel remédia cependant une pluie abondante qui tomba au coucher des Pléiades[5]. Du côté du mur nord, au pied duquel le terrain était plat, il éleva cent tours à trois étages, dans lesquelles il plaça des détachements de soldats. Il livra des assauts journaliers, et ayant creusé un double fossé d'une grande largeur, il bloqua les habitants. Ceux-ci de leur côté firent des sorties nombreuses ; quand ils pouvaient sur quelque point tomber à l'improviste sur l'ennemi, ils le maltraitaient fort ; s'ils le trouvaient sur ses gardes, ils se retiraient facilement. Mais lorsque Hyrcan s'aperçut que l'excès de population était nuisible, que les vivres se consommaient trop rapidement, et que, comme de juste, tant de mains gâtaient la besogne, il renvoya, après avoir fait son choix, toutes les bouches inutiles et ne garda que les hommes d'âge et de force à combattre. Antiochus empêcha le départ des expulsés, et nombre de ces malheureux, errant entre les deux lignes fortifiées, épuisés par la faim, périrent misérablement. Enfin, à l'approche de la fête des Tabernacles[6], les assiégés pris de pitié les firent rentrer. Hyrcan cependant ayant fait demander à Antiochus une trêve de sept jours pour célébrer la fête, Antiochus, par respect pour la divinité, l'accorda et envoya de plus un magnifique sacrifice, des taureaux aux cornes dorées et des coupes d'or et d'argent pleines de parfums de toutes sortes. Les gardiens des portes reçurent cette offrande des mains de ceux qui l'apportaient et la conduisirent au Temple ; Antiochus pendant ce temps donna un festin à son armée[7], bien différent d'Antiochus Épiphane, qui, après avoir pris la ville, sacrifia des porcs sur l'autel et arrosa le Temple de leur graisse, au mépris des coutumes des Juifs et de leur religion nationale, sacrilège qui poussa le peuple à la guerre et le rendit intraitable. Cet Antiochus au contraire, pour son extrême piété, fut surnommé par tous Eusébès (le Pieux)[8].

[4] Ce synchronisme est inexact. La 162e olympiade va de juillet 132 à 128 av. J.-C. ; la 4e année d'Antiochus Sidétès est 136/5 d'après les monnaies, 135/4 d'après Porphyre ; la 1ère année d'Hyrcan est, strictement parlant, 136/5 (puisque Simon est mort en février 135). Schürer place l'invasion d'Antiochus en 135/4.

[5] Novembre 135 ? Pour la date du coucher des Pléiades dans l'antiquité, cf. Pline, II, 47, 125.

[6] Octobre 134 ? Le siège aurait donc déjà duré un an.

[7] τὴν στρατίαν εἰστία. Je ne puis croire qu'il s'agisse de l’armée juive.

[8] Ce titre ne figure pas sur ses monnaies, où il s'intitule Evergète, Josèphe le cite encore Ant., VII. Remarquez le contraste de cet éloge d'Antiochus avec le jugement sévère du VII, 3, ou Josèphe suit une autre source.

3. Hyrcan, charmé de l'équité d'Antiochus et ayant appris son zèle à l'égard de la divinité, lui envoya une ambassade pour lui demander de rendre aux Juifs leur constitution nationale. Antiochus repoussa sans examen le conseil de ceux qui le poussaient à exterminer ce peuple, comme refusant de partager le genre de vie des autres[9] ; et résolu de conformer tous ses actes à sa piété, il répondit aux envoyés qu'il mettrait fin à la guerre aux conditions suivantes : les assiégés livreraient leurs armes, paieraient un tribut pour Jopé et les autres villes limitrophes de la Judée qu'ils occupaient, et recevraient une garnison. Les Juifs acceptèrent toutes ces conditions, à l'exception de la garnison, repoussant tout commerce avec d'autres peuples ; ils offraient en compensation des otages et cinq cents talents d'argent ; le roi ayant consenti, ils payèrent aussitôt trois cents talents et remirent les otages, parmi lesquels était le frère[10] d’Hyrcan. Antiochus détruisit de plus l'enceinte de la ville[11]. A ces conditions il leva le siège et se retira.

[9] Ce détail est confirmé par le fr. de Diodore XXXIV, 1, qui reproduit sûrement le récit de Posidonius (Textes, p. 56 suiv.). Rapproché de plusieurs autres traits concordants, il permet de croire que tout le récit du siège de Jérusalem dans Josèphe dérive directement ou indirectement de Posidonius.

[10] Quel frère, puisque Hyrcan n'en avait que deux et que tous deux (τοὺ ἀδελφούς) avaient été massacrés par Ptolémée ?

[11] La muraille fut rétablie plus tard par Hyrcan, I Maccabées, 16, 23.

Hyrcan l'accompagne contre les Parthes.

4. Hyrcan ayant ouvert le tombeau de David, qui surpassait en richesses tous les rois d'autrefois, en retira trois mille talents d'argent, et, grâce à ces ressources, se mit, ce que n'avait encore jamais fait un Juif, à entretenir des mercenaires[12]. Il fit amitié et alliance avec Antiochus, le reçut dans la ville, et fournit abondamment et généreusement à tous les besoins de son armée. Et quand Antiochus fit son expédition contre les Parthes[13], Hyrcan l'accompagna. Nous en avons également pour garant Nicolas de Damas, qui raconte le fait suivant[14] : « Antiochus, après avoir dressé un trophée sur les bords du fleuve Lycos, en souvenir de sa victoire sur Indatès, général des Parthes, y demeura deux jours à la demande d'Hyrcan le juif, à cause d'une fête nationale pendant laquelle la loi interdisait aux Juifs de marcher. » Nicolas ne dit là rien que de vrai : car la fête de la Pentecôte devait être célébrée le jour après le Sabbat[15], et il ne nous est pas permis de cheminer ni le jour du Sabbat ni les jours de fête. Antiochus livra bataille au Parthe Arsace, perdit une grande partie de son armée et périt lui-même. Le royaume de Syrie passa aux mains de son frère Démétrius, qu'Arsace avait délivré de captivité au moment où Antiochus envahit le pays des Parthes on l'a raconté ailleurs[16].

[12] D'après un autre passage de Josèphe (Ant., VII) les sommes extraites par Hyrcan « d'une des chambres du tombeau de David » auraient servi, au moins en partie, à payer l'indemnité de guerre exigée par Antiochus « 1300 ans après la mort de David ».

[13] En 130/29 av. J.-C.

[14] Fr. 74 Didot = Textes, p. 81. Le Lycos est le grand Zab.

[15] L'explication de Josèphe n'est qu'une conjecture ; mais il semble en résulter que dans son opinion la Pentecôte était toujours (et non pas seulement cette année là) célébrée un dimanche, conformément à l'interprétation littérale que les Sadducéens donnaient à Lévitique, 23, 11. Sur la controverse soulevée par ce texte voir Adler, Monatschrift, 1878, p. 522, et Purves, art. Pentecost, p. 740 b, dans le dictionnaire de Hastings.

[16] Dans l'ouvrage grec extrait par Josèphe. — Démétrius II remonte sur le trône en 129/8 av. J.-C.

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