Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE XV
Antiochus Dionysos, le frère de Philippe, convoite le pouvoir ; en Palestine, Alexandre érige des fortifications pour éviter son passage ; Antiochus fait une brèche et passe en Arabie, se bat contre le roi des Arabes, puis est tué ; Arétas, devenu roi de la Cœlé-Syrie, marche contre Alexandre, le bat, puis repart de Judée après avoir traité ; campagne de trois ans d'Alexandre en Pérée ; avant de mourir, Alexandre donne des conseils à sa femme ; il meurt après vingt-sept ans de règne.

Antiochus Dionysos en Palestine.

1. Peu après, son frère Antiochus, surnommé Dionysos, aspirant au pouvoir, vint à Damas, et, s'en étant rendu maître, prit le titre de roi. Comme il faisait une expédition contre les Arabes, son frère Philippe, informé de son absence, marcha sur Damas. Milésios, à qui avait été laissée la garde de la citadelle et des habitants, lui livra la ville ; mais Philippe se montra ingrat à l'égard du traître et ne lui donna rien de ce qu'il avait espéré pour prix de son accueil : il voulait faire croire qu'il s'était emparé de la ville par la crainte qu'il inspirait et non par les bons offices de Milésios, ce qui serait arrivé s’il les avait récompensés selon leur du. Devenu suspect, il fut de nouveau chassé de Damas : un jour qu'il était sorti pour aller à l'hippodrome, Milésios ferma les portes et garda Damas à Antiochus. Celui-ci, informé de la tentative de Philippe, revint d'Arabie ; il se remit aussitôt en campagne vers la Judée avec huit mille hoplites et huit cents cavaliers[1]. Alexandre, dans la crainte de cette invasion, creusa un large fossé, depuis Chabarzaba, qu'on appelle aujourd'hui Antipatris[2], jusqu'au bord de la mer, à Jopé, seul point où l'attaque fût facile ; puis il éleva un mur, des tours de bois reliées par des courtines sur une longueur de cent cinquante[3] stades, et attendit Antiochus. Mais celui-ci incendia tous ces ouvrages et fit par cette brèche passer ses troupes en Arabie. Le roi des Arabes se retira d'abord, puis reparut tout à coup avec dix mille cavaliers. Antiochus marcha à leur rencontre et combattit courageusement ; vainqueur, il fut tué en se portant au secours d'une partie de son armée qui faiblissait. Antiochus mort, ses soldats se réfugièrent dans le bourg de Cana, où le plus grand nombre moururent de faim.

[1] Le but de cette expédition était, non pas la Judée, mais l'Arabie ; Antiochus demandait seulement le passage. C'est ainsi d'ailleurs que les choses sont présentées dans la Guerre, I, § 99.

[2] Au N-E. de Jopé.

[3] Quelques mss. ont 160.

Alexandre Jannée battu par Arétas.

2. Après lui régna en Cœlé-Syrie Arétas[4], appelé au pouvoir par ceux qui occupaient Damas, en haine de Ptolémée, fils de Mennaios[5]. De là Arétas marcha sur la Judée, vainquit Alexandre aux environs de la place forte d'Addida[6], et se retira de Judée, après avoir traité.

[4] C'est le roi des Arabes dont il vient d'être question.

[5] Dynaste de Chalcis etc., dans le Liban.

[6] Haditheh, à l'E. de Lydda.

Ses conquêtes dans la Pérée.

3. Alexandre marcha de nouveau sur la ville de Dion[7], et s'en empara, puis se dirigea sur Gerasa[8], où se trouvaient les richesses les plus précieuses de Zénon, entoura la place d'un triple mur et la prit sans combat. Il se tourna ensuite vers Gaulana et Séleucie. Il s'empara également de ces villes, et réduisit encore le « ravin d'Antiochus » et la forteresse de Gamala. Comme il avait à se plaindre de Démétrius, gouverneur de ces localités, il le dépouilla[9]. Après cette expédition, qui dura trois longues années, il revint à Jérusalem où les Juifs, à cause de ses succès, le reçurent avec empressement.

[7] Dans la Pérée, ainsi que les villes suivantes. Au lieu de Dion, Guerre, § 104, a Pella.

[8] Leçon de Guerre, § 104. Dans les Antiquités on lit Ἔσσα.

[9] Dans Guerre, § 105, il est dit au contraire que le roi acquitta Démétrius (gouverneur de Gamala) des nombreuses accusations portées contre lui (παραλύσας au lieu de περιέδυσεν).

Étendue des possessions d'Alexandre.

4.[10] A ce moment les Juifs possédaient les villes suivantes de Syrie, d'Idumée et de Phénicie. Sur la mer, la Tour de Straton, Apollonia, Jopé, Iamnée, Azotos, Gaza, Anthédon, Raphia, Rhinocoroura. Dans l'intérieur : en Idumée, Adora et Marisa, l’Idumée entière ; Samarie, le mont Carmel, le mont Itabyrion, Scythopolis, Gadara ; en Gaulanitide, Séleucie et Gamala ; en Moabitide, Hesbon, Médaba, Lemba, Oronas[11], Telithon, Zara, le val des Ciliciens. Pella, qui fut détruite parce que les habitants refusaient d'adopter les coutumes nationales des Juifs ; nombre d'autres villes parmi les plus importantes de Syrie leur furent soumises.

[10] Une énumération analogue est donnée par le chroniqueur Syncelle (I, 558 Dind.) et paraît remonter en dernière analyse à Juste de Tibériade. On y trouve plusieurs villes qui manquent dans Josèphe (Abila, Hippos, Philoteria, etc.). Cf. Tuch, Quaestiones de Flavii Josephi libris historicis (Lips., 1859), p. 12 suiv. Les villes enlevées aux Arabes, énumérées plus loin, XIV, § 18, complètent cette liste.

[11] Lemba est sans doute identique à Libba, ville enlevée aux Arabes (XIV, 18). Les quatre localités suivantes sont inconnues et la lecture des trois premiers noms fort incertaine.

Sa mort et ses derniers conseils.

5. Après tous ses succès, le roi Alexandre tomba malade des suites d’une ivresse. Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu'au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba[12], au delà du Jourdain. Quand la reine le vit sur le point de mourir, sans qu'aucun espoir subsistât de le sauver, elle se mit à verser des larmes et à se frapper la poitrine, gémissant sur l'isolement où elle allait rester avec ses enfants. « A quel sort nous laisses-tu ainsi, lui disait-elle, moi et ces enfants qui ont besoin du secours d'autrui ? Tu sais combien le peuple est mal disposé pour toi. » Alexandre lui conseilla d'obéir à ses recommandations pour conserver avec ses enfants le pouvoir en toute sécurité : il fallait cacher sa mort aux soldats jusqu'à la prise de la place ; puis, comme au retour d'une brillante victoire, elle rentrerait à Jérusalem et donnerait aux Pharisiens une part au pouvoir ; ceux-ci la loueraient de ces égards, et en retour lui concilieraient la bienveillance du peuple ; c'était, dit-il, des hommes influents auprès des Juifs, capables de nuire à ceux qu'ils haïssaient et de servir ceux qu'ils aimaient ; ils rencontraient grand crédit auprès de la foule, même pour les calomnies que leur dictait l'envie ; lui-même, s'il avait été mal avec le peuple, c'était, dit-il, parce que les Pharisiens, outragés par lui, l'avaient noirci. « Quand donc tu seras à Jérusalem, dit-il, fais venir leurs chefs, et leur montrant mon cadavre, permets-leur, en toute sincérité, de le traiter à leur guise : soit qu'ils veuillent, pour tout ce qu'ils ont souffert de ma part, faire à mes restes l'insulte de les laisser sans sépulture, soit que leur colère leur inspire contre ma dépouille quelque autre injurieux traitement. Promets-leur enfin de ne rien faire dans le royaume sans demander leur avis. Quand tu leur auras tenu ce discours, ils me feront de plus somptueuses funérailles que tu n'aurais fait toi-même, car dès qu'ils auront le pouvoir de maltraiter mon cadavre, ils ne voudront pas en user, et toi tu régneras en toute sécurité. » Après avoir donné ces conseils à sa femme, il mourut, ayant régné vingt-sept ans[13], et âgé de quarante-neuf.

[12] Probablement le Regeb de la Mishna (Menahoth, VIII, 3), fameux par son huile.

[13] 103 à 76 av. J.-C. — Les recommandations d'Alexandre à sa femme, rapportées par le Talmud (Sota, 22 b), sont assez différentes de celles que lui prête Josèphe ou Nicolas : il l'aurait surtout mise en garde contre les hypocrites, les faux dévots.

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