Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XV

CHAPITRE II
Hyrcan, libéré par le roi des Parthes, rejoint Hérode à Jérusalem ; Hérode nomme Ananel grand-prêtre ; Alexandra revendique la grande-prêtrise pour son fils Aristobule auprès de Cléopâtre ; elle envoie les portraits de ses deux enfants, Aristobule et Mariamme, à Antoine ; Hérode accorde la grande-prêtrise à Aristobule ; réconciliation entre Hérode et Alexandra.[1]

Hyrcan renvoyé à Jérusalem par le roi des Parthes.

1. Le grand-prêtre Hyrcan, qui était prisonnier chez les Parthes, à la nouvelle qu'Hérode s'était emparé de la royauté, vint le rejoindre : il avait recouvré la liberté de la manière suivante. Barzapharnès et Pacoros, généraux des Parthes, après s'être emparés d'Hyrcan, d'abord grand-prêtre, puis roi, et de Phasaël, frère d'Hérode, les emmenèrent chez les Parthes. Phasaël, ne pouvant supporter la honte de la captivité et préférant à la vie une mort glorieuse, se tua lui-même, comme je l'ai dit plus haut[2].

[1] Cf. pour le retour d'Hyrcan Guerre, I, § 433-4.

[2] Livre, XIV, XIV, 10.

2. Quant à Hyrcan, Phraate, roi des Parthes, auprès duquel il fut conduit, le traita avec douceur, car il avait appris à quelle noble race appartenait son captif. Il le délivra de ses chaînes et lui permit de se fixer à Babylone, où se trouvaient beaucoup de Juifs. Ceux-ci, ainsi que tous les Juifs habitant le pays jusqu'à l'Euphrate, témoignèrent à Hyrcan les égards qui lui étaient dus comme grand-prêtre et roi, à sa grande satisfaction. Lorsqu'il apprit qu'Hérode s'était emparé de la royauté, il reporta sur lui ses espérances, car il lui avait toujours témoigné de l'affection et il pensait qu'Hérode se rappellerait avec reconnaissance que, traduit en jugement et sur le point d'être condamné à mort, c'est à lui, Hyrcan, qu'il avait dû d'échapper au danger et au châtiment. Il en parla donc aux Juifs et témoigna un vif désir de se rendre auprès d'Hérode. Les Juifs le retenaient et le suppliaient de rester, faisant valoir le dévouement et la considération qu'il trouvait parmi eux, lui remontrant qu'ils lui prodiguaient tous les honneurs dus aux grands prêtres et aux rois, et, sérieux argument, qu’il ne pourrait plus en obtenir de pareils à Jérusalem, par suite de la mutilation qu'Antigone lui avait fait subir ; qu'enfin les rois ne rendent pas les services reçus par eux, simples particuliers, car le changement de fortune n’apporte pas en eux un changement médiocre.

3. Malgré ces représentations faites dans son intérêt même, Hyrcan souhaita partir. Hérode lui écrivit de prier Phraate et les Juifs de Babylone de ne pas lui envier le plaisir de partager la royauté[3] ; le moment était venu pour lui, Hérode, de s'acquitter envers Hyrcan, qui l'avait toujours bien traité, l'avait élevé, lui avait même sauvé la vie, et pour Hyrcan de recevoir le prix de ces services. En même temps qu'il écrivait à Hyrcan, Hérode envoya Saramallas en ambassade auprès de Phraate, avec de nombreux présents pour le prier de ne pas mettre obstacle à ce qu'il témoignât sa reconnaissance à son bienfaiteur en lui rendant à son tour les services qu'il en avait reçus. Ce n'était cependant pas là son véritable motif ; mais comme il ne devait pas le trône à son rang, il craignait des changements trop vraisemblables, et avait hâte de voir Hyrcan en son pouvoir, en attendant de se débarrasser complètement de lui, ce qu'il fit plus tard[4].

[3] Texte incertain.

[4] L'intervention d'Hérode en faveur du retour d'Hyrcan, racontée ici, se concilie assez mal avec la section précédente où ce retour est attribué aux démarches d'Hyrcan lui-même. Destinon (op. cit., p. 110) soupçonne ici la « contamination » de deux versions distinctes, dont la première seule dériverait de Nicolas (la fin de cette section trahit, en effet, une source hostile à Hérode).

Ananel ci grand-prêtre.

4. Hyrcan céda donc à ses sollicitations ; mis en liberté par le Parthe et pourvu d'argent par les Juifs, il arriva à Jérusalem. Hérode le reçut avec les plus grands égards, lui donna dans toutes les assemblées la première place, et, dans les festins, le lit d'honneur, l'appelant son père, sut enfin le tromper et lui enlever tout soupçon de ses projets contre lui. Mais en même temps, il prenait dans l'intérêt de son pouvoir différentes mesures qui amenèrent le trouble dans sa propre maison ; entre autres, pour éviter que le grand-prêtre ne fût choisi parmi les hommes de marque, il fit venir de Babylone un prêtre obscur, nommé Ananel, auquel il donna le sacerdoce suprême.

Intrigues d'Alexandre auprès d'Antoine.

5. Cette injure parut insupportable à Alexandra, fille d'Hyrcan. Veuve d'Alexandre, fils du roi Aristobule, elle était mère de deux enfants : un fils appelé Aristobule, dans tout l'éclat de la jeunesse, et une fille, Mariamme, unie à Hérode, d'une beauté remarquable. Elle fut soulevée d'indignation à l'affront fait à son fils : lui vivant, un individu appelé de l'étranger être jugé digne de la grande-prêtrise ! Elle écrivit donc à Cléopâtre, à qui elle fit parvenir sa lettre par l'entremise d'un chanteur, la priant de demander à Antoine la prêtrise pour son fils.

6. Antoine fit quelques difficultés pour se laisser convaincre : mais son ami Dellius, venu en Judée pour certaines affaires, vit Aristobule, fut séduit par le charme du jeune homme et vivement frappé de sa taille et de sa beauté, non moins que de celle de Mariamme, femme d'Hérode ; il ne se cacha pas pour féliciter Alexandra d'avoir de si beaux enfants. Dans un entretien qu'elle eut avec lui, il lui persuada de faire peindre les portraits de l'un et de l'autre et, de les envoyer à Antoine, car dès que celui-ci les aurait vus, il ne refuserait plus aucune de ses demandes. Alexandra, encouragée par ces assurances, envoya les portraits à Antoine[5]. Dellius, de son côté, déclara avec enthousiasme que ces enfants lui paraissaient nés non de mortels, mais de quelque dieu. Son but était qu'Antoine, par son entremise, les fit venir pour servir à ses plaisirs. Antoine n'osa pas se faire envoyer la fille, parce qu'elle était mariée à Hérode et qu'on lui en ferait un crime auprès de Cléopâtre. Mais il demanda qu'on lui envoyât le garçon sous quelque honnête prétexte, si toutefois, ajoutait-il, la chose ne lui faisait point de peine. Hérode averti ne jugea pas prudent d'envoyer Aristobule, qui était alors brillant de tout le charme de la jeunesse — il avait seize ans — et qui appartenait à une famille illustre, auprès d'Antoine, le plus puissant de tous les Romains à ce moment, tout disposé à abuser de l'enfant, et libre, en raison de sa puissance, de se livrer sans mystère à tous ses désirs. Il répondît donc que, pour peu que le jeune homme quittât seulement le pays, tout serait plein de guerre et de désordre, parce que les Juifs concevraient l'espoir d'un changement et d'une révolution sous un autre roi.

[5] Cf. Guerre I, § 439, où Mariamme est accusée d'avoir envoyé elle-même son portrait.

Réconciliation apparente d'Hérode avec Alexandre. Aristobule III grand-prêtre.

7. Après s'être ainsi excusé auprès d'Antoine, Hérode résolut cependant ne pas tenir à l'écart de tous les honneurs l'enfant et Alexandra ; d'ailleurs, sa femme Mariamme le priait instamment de donner la grande-prêtrise à son frère, et lui-même jugeait conforme à son propre intérêt de mettre Aristobule, retenu par sa charge, dans l'impossibilité de quitter le pays. Il réunit donc un conseil de ses amis et commença par accuser vivement Alexandra, déclarant qu'elle aspirait secrètement à la royauté et intriguait par l'intermédiaire de Cléopâtre, pour que le pouvoir lui fût enlevé à lui-même et qu'Aristobule reçût d'Antoine sa succession : desseins injustes, ajoutait-il, puisqu'elle déposséderait du même coup sa fille de son haut rang et déchaînerait des troubles dans le royaume, qu'il avait conquis au prix de mille fatigues et de périls peu communs. Cependant, oubliant tous les torts qu'elle avait envers lui, il ne cesserait pas d'être juste pour elle et son fils ; il déclara donc qu'il donnait en ce jour la grande-prêtrise au jeune homme, et que s'il avait auparavant nommé Ananel à cette charge, c'est qu'Aristobule était encore tout à fait enfant. Il prononça ce discours non pas à la légère, mais après mûre réflexion et avec une habileté capable de tromper les deux femmes et les amis qu'il avait réunis. Transportée par la joie de ce bonheur inespéré, craignant en même temps d'avoir donné prise au soupçon, Alexandra se justifia tout en larmes : en ce qui concernait la grande-prêtrise, elle avouait avoir tout fait pour effacer l'injure faite à son fils, mais, quant à la royauté, elle n'y aspirait nullement, et lui fût-elle même offerte, elle ne l'accepterait pas ; elle se déclarait désormais suffisamment honorée par le pouvoir de son gendre et par la sécurité que donnait à toute sa famille le mérite qui l'avait désigné parmi tous pour le rang suprême. Vaincue par ses bienfaits, elle acceptait l'honneur fait à son fils, assurait qu'elle serait désormais un modèle de docilité et demandait qu'on l'excusât si son attachement à sa race et sa franchise naturelle l'avaient entraînée, dans son dépit de l'injustice commise, à quelque témérité. Après cet échange de paroles, ils se touchèrent dans la main[6] … et tout soupçon parut banni entre eux.

[6] Nous ne comprenons pas les mots σπουδαιότερον ἢ θᾶττον.

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