Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVII

CHAPITRE IV
Soupçons d'empoisonnement de Phéroras ; les intrigues d’Antipater contre son père sont révélées, ainsi qu'une tentative d'empoisonnement d'Hérode par Antipater et Phéroras ; Antipater accuse Archélaüs et Philippe de médire de leur père.

Enquête sur la mort de Phéroras. Révélations sur des intrigues d’Antipater.

1.[1] Lorsque Phéroras fut mort et que ses obsèques[2] eurent été célébrées, deux de ses affranchis tes plus appréciés vinrent trouver Hérode et lui demandèrent de ne pas laisser sans vengeance le cadavre de son frère, de faire une enquête sur sa fin imprévue et triste. Le roi tint compte de leurs paroles, qui lui semblèrent, sincères. Ils racontaient que la veille de sa maladie il avait soupé chez sa femme, qu’il avait absorbé du poison introduit dans un mets inusité et en était mort. Or, ce poison avait été rapporté par une femme d’Arabie sous prétexte de l’exciter à l’amour — on l’appelait un charme d’amour — en réalité pour le tuer. Il n’y a pas en effet de plus expertes empoisonneuses que les femmes arabes. L’accusée était connue pour une amie des plus intimes de la maîtresse de Syllaios ; c’était pour la persuader de leur vendre le poison qu’étaient venues dans son pays la belle-mère et la belle-sœur de Phéroras, et elles l’avaient ramenée la veille du repas en question. Le roi, surexcité par ces discours, fit torturer les esclaves de ces femmes et même quelques femmes libres ; comme l’affaire restait ténébreuse en raison de leurs dénégations, l’une d’elles, vaincue par les tourments, finit par dire qu’elle priait Dieu d’infliger de pareilles souffrances à la mère d’Antipater, cause des maux qu’elles supportaient toutes. Ce mot conduisit Hérode à la vérité ; puis les tortures de ces femmes révélèrent, tout, les orgies, les réunions clandestines et même des paroles dites en secret par le roi à son fils et rapportées aux femmes de Phéroras : il s’agissait de l’ordre donné par Hérode à Antipater de passer sous silence un don de cent talents qu’il lui avait fait pour lui faire rompre tout commerce avec Phéroras[3]. On connut encore la haine d’Antipater contre son père et ses lamentations auprès de sa mère sur la trop longue durée de la vie de celui-ci, sur sa propre vieillesse qui s’approchait, de telle sorte que, même si la couronne venait à lui échoir, il n’en jouirait guère ; d’ailleurs, combien de ses frères et de ses neveux étaient élevés à côté de lui en vue de la royauté et empoisonnaient sa sécurité[4] ! Maintenant, même s’il arrivait malheur au roi, c’était à son frère plutôt qu’à son fils qu’il avait ordonné de confier le pouvoir. Antipater incriminait encore la grande cruauté du roi qui avait massacré ses fils ; c’était la crainte qu’on ne s’attaquât bientôt à eux qui les avait poussés, lui, à gagner Rome, Phéroras à se retirer dans sa tétrarchie.

[1] Section 1 = Guerre, I, 582-589.

[2] ταφαίτε codd. : ταφνίται Niese.

[3] έπὶ τῖω μὴ φράζειν Hudson coll. Bello., I, 589 : ἐπικρόπτεσθαι [φράζειν] Naber.

[4] Ce sont sans doute ces propos qui font dire à Nicolas de Damas (F. G. H., III, 351, § 13) que les révélations des esclaves soumis à la torture convainquirent Antipater d'avoir également voulu tuer sa tante (Salomé), ses frères survivants et les fils des morts. Rien de pareil chez Josèphe.

Découverte d’une tentative d’empoisonnement ourdie par Antipater et Phéroras contre Hérode.

2.[5] Ces révélations s’accordaient si bien avec les rapports de la sœur du roi qu’elles contribuaient à lui enlever toute idée de s’en défier. Le roi, ayant convaincu la mère d’Antipater, Doris, d’avoir trempé dans les intrigues de son fils, commença par la dépouiller de tous ses ornements qui valaient beaucoup de talents, puis il la répudia et conclut amitié avec les femmes de Phéroras. Sa colère contre son fils fut excitée au plus haut degré par un homme de Samarie nommé Antipater, intendant d’Antipater, fils du roi ; au milieu d’autres aveux faits dans les tortures, ce personnage révéla qu’Antipater s’était procuré un poison mortel et l’avait donné à Phéroras, en lui recommandant de profiter de son absence, qui le mettait à l’abri des soupçons, pour le faire prendre au roi. Antiphile, un des amis d’Antipater, avait apporté d’Égypte ce poison et l’avait fait parvenir à Phéroras par l’entremise de Theudion, oncle maternel du prince Antipater ; ainsi ce poison était venu entre les mains de la femme de Phéroras à qui son mari en avait confié la garde. Cette femme, interrogée par le roi, avoua et, courant comme pour chercher le poison, alla se jeter du haut de son toit, mais sans se tuer, car dans sa chute elle retomba sur ses pieds. Aussi, quand elle eut repris ses connaissance, Hérode lui promit l’impunité pour elle et ses proches si elle ne cherchait pas à dissimuler la vérité, mais menaça de l’écraser sous les pires supplices si elle préférait faire l’ignorante. Là-dessus elle promit et jura de révéler tous les faits exactement comme ils s’étaient passés et en effet elle dit, de l’avis de la plupart, toute la vérité : « Le poison a bien été apporté d’Égypte par Antiphile ; son frère, qui est médecin, l’a fourni. Theudion nous l’a rapporté et je le gardais moi-même, l’ayant reçu de Phéroras ; il avait été prépare contre toi par Antipater. Quand Phéroras tomba malade et que tu vins lui donner des soins, considérant le dévouement que tu lui témoignais, Phéroras fléchit dans sa résolution et m’ayant fait appeler : « Femme, me dit-il, Antipater m’a circonvenu contre son père, mon frère, en concevant un dessein homicide et en se procurant le poison qui devait servir à cet effet. Mais à présent que je vois mon frère ne renoncer nullement à la bonté qu’il avait jadis pour moi et que je n’ai guère l’espoir de prolonger ma vie, je ne veux pas déshonorer mes ancêtres par une pensée fratricide ; apporte-moi ce poison pour le jeter au feu sous mes yeux. » Et l’ayant cherché, la femme avait aussitôt exécuté les ordres de son mari ; elle avait consumé la majeure partie du poison, mais en avait gardé un peu pour elle afin que si, après la mort de Phéroras, le roi la poursuivait, elle pût échapper aux tourments ». Ayant ainsi parlé, elle montra la boîte et le poison. Un autre frère d’Antiphile et sa mère, sous la violence des tourments et des supplices, dirent la même chose et reconnurent la boite. On accusait aussi la fille du grand-prêtre, femme du roi, d’avoir reçu la confidence de tout ce complot et d’avoir voulu le cacher ; pour cette raison Hérode la répudia et raya son fils du testament qui le désignait pour régner ; il dépouilla aussi son beau-père Simon, fils de Boéthos, du grand-pontificat et le remplaça par Matthias, fils de Théophile, originaire de Jérusalem.

[5] Section 2 = Guerre, I, 590-600.

Accusations mensongères d’Antipater contre Archélaüs et Philippe.

3.[6] Sur ces entrefaites arriva de Rome Bathylle, affranchi d’Antipater ; mis à la torture, il fut convaincu d’apporter du poison et le livrer à la mère d’Antipater et à Phéroras, de sorte que, si le premier n’avait pas atteint le roi, le second leur permit d’en avoir d’avoir voulu raison. Il arriva aussi des lettres des amis romains d’Hérode, écrites sur l’initiative et sous la dictée d’Antipater, pour accuser Archélaüs et Philippe de médire de leur père à cause du meurtre d’Aristobule et d’Alexandre et de s’être plaints du sort qui les menaçait eux-mêmes ; car ils étaient rappelés par leur père et cet appel n’avait pas d’autre but que leur perte. Les amis d’Hérode avaient prêté leur concours à Antipater moyennant une grosse somme. Antipater lui-même écrivait à son père au sujet de ces jeunes princes, disant qu’il les absolvait complètement des plus graves accusations et que, pour leurs paroles, il les attribuait à leur jeunesse. Lui-même luttait contre Syllaios, faisait sa cour aux hommes les plus influents et avait acheté de splendides ornements pour deux cents talents. On pourrait s’étonner que de toutes les menées qui se machinaient contre lui en Judée depuis sept mois déjà, rien ne lui eût été découvert. Il n’y avait d’autre cause à cela que le soin avec lequel les routes étaient gardées et la haine générale contre Antipater ; personne n’eût accepté de courir un risque pour assurer sa sécurité.

[6] Section 3 = Guerre, I, 601-607.

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