Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVII

CHAPITRE V
De retour de Rome, Antipater est mal reçu à Sébaste ; procès d'Antipater à Jérusalem en présence de Quintilius Varus, le gouverneur de Syrie ; il est accusé par Nicolas de Damas ; Antipater se défend ; Hérode le fait enchaîner et envoie une lettre à l'empereur pour l'accuser.

Antipater revient de Rome et est mal reçu.

1.[1] Hérode, à qui Antipater avait écrit que, dés qu’il aurait achevé toute sa mission comme il fallait, il se hâterait dit revenir, lui répondit en dissimulant sa colore et en l’invitant à ne pas s’attarder en route, de peur qu’il n’arrivât malheur à son père pendant son absence ; en même temps, il se plaignait quelque peu de sa mère, mais promettait d’abandonner ses griefs contre elle dès son arrivée ; il lui témoignait de toute façon son affection de crainte que, pris de soupçon, il ne différât son retour vers lui, et que, s’attardant à Rome, il ne machinât en vue du trône et même n’obtint quelque succès à ses dépens[2]. C’est en Cilicie qu’Antipater fut rejoint par cette lettre, ayant reçu auparavant à Tarente celle qui lui annonçait la mort de Phéroras : cette nouvelle lui avait été très pénible, non qu’il aimât Phéroras, mais parce que celui-ci était mort sans l’avoir, selon sa promesse, débarrassé de son père. Quand il arriva à Célendéris en Cilicie, il hésitait déjà à rentrer dans son pays, tant il était affligé par la répudiation de sa mère. Ses amis lui conseillaient, les uns de s’arrêter dans ces parages pour observer les événements, les autres de ne pas retarder son retour dans sa patrie : une fois présent, il dissiperait toutes les accusations, car maintenant ce n’était rien d’autre que son absence qui avait donné du crédit à ses accusateurs. Persuadé par les derniers, il s’embarqua et aborda au port Sébaste[3] construit à grands frais par Hérode et nommé ainsi par lui en l’honneur de l’empereur. Là Antipater entrevit déjà ses malheurs, car personne ne vint au devant de lui, personne ne vint le saluer comme lors de son départ avec des prières et des vœux de bonheur ; plusieurs ne s’abstenaient même pas de l’accueillir avec des imprécations toutes contraires, en supposant qu’il venait expier ses crimes envers ses frères.

[1] Section 1 = Guerre, I, 608-616.

[2] Texte altéré.

[3] Le port de Césarée.

Accusé par Nicolas de Damas devant Hérode et Quintilius Varus, il est convaincu d’avoir voulu empoisonner son père et perdre Salomé.

2.[4] A ce moment se trouvait à Jérusalem Quintilius Varus[5], qui avait succédé à Saturninus dans le gouvernement de Syrie, il était venu en personne et à la demande d’Hérode pour lui donner des conseils sur la situation. Pendant qu’ils délibéraient ensemble arriva Antipater, sans que rien lui eût été divulgué. Il entra au palais encore revêtu de sa robe de pourpre. Les gardes des portes le laissèrent pénétrer lui-même, mais écartèrent ses amis. Il était déjà troublé, comprenant et clairement dans cruel piège il était tombé, surtout, quand son père, au moment où il s’avançait pour l’embrasser, le repoussa en lui reprochant d’avoir tué ses frères, comploté de le tuer lui-même, ajoutant que Varus entendrait et jugerait toute l’affaire le lendemain. Antipater, apprenant et voyant en même temps son malheur, sortit tout égaré par la grandeur de son péril ; il vit venir à sa rencontre sa mère et sa femme, fille d’Antigone[6], qui avait été roi des Juifs avant Hérode ; elles lui apprirent tout et il se prépara à son procès.

[4] Section 2 = Guerre, I, 617-619.

[5] P. Quintilius Varus, consul en 13 av. J.-C., légat de Syrie de 6 à 4 av. J.-C. C’est le vaincu de la forêt de Teutobourg.

[6] Le nom de cette princesse est inconnu.

3.[7] Le jour suivant Varus et le roi tinrent conseil ; ils avaient convoqué chacun leurs familiers ainsi que les parents du roi et sa sœur Salomé ; puis les témoins qui devaient dénoncer, ceux qu’on avait mis à la question, enfin des esclaves de la mère d'Antipater qui, peu avant son retour, avaient été arrêtés et trouvés porteurs d’une lettre dont le contenu était en résumé qu’il ne devait pas revenir parce que son père était au courant de tout, qu’il ne lui restait plus d’autre ressource que l’empereur et d’évier de tomber avec elle aux mains de son père. Antipater se jeta aux genoux de son père et le supplia de ne pas prononcer contre lui un jugement rendu à l’avance, mais après l’avoir écouté en homme capable de rester vraiment père. Hérode ordonna alors de l’amener au milieu de l’assemblée et se lamenta d’avoir procréé des enfants qui lui qui avaient valus tant de misères, et d’avoir mérité que la colère de la divinité exposât sa vieillesse aux coups d’Antipater[8] ; il rappela l’éducation et l’instruction qu’il leur avait données, l’abondance des richesses qu’il leur avait fournies pour tous leurs besoins quand et comme ils l’avaient voulu ; rien de tout cela n’avait empêché qu’il risquât de périr victime de leurs complots, car ils préféraient s’emparer tout de suite de la royauté par un acte impie, au lieu de l’attendre de la volonté et de la justice d’un père cédant aux lois de la nature. Il se demandait avec étonnement quels espoirs avaient poussé Antipater à ne pas se détourner d’une telle entreprise, lui qui avait été désigné par écrit comme héritier du trône, qui, même du vivant de son père, ne lui cédait en rien ni par l’éclat de la dignité, ni par l’ampleur du pouvoir, puisqu’il jouissait d’un revenu annuel de cinquante talents et avait reçu pour son voyage à Rome une allocation de trois cents talents. Hérode reprochait aussi à Antipater, si ses frères accusés par lui avaient été réellement pervers, de les avoir imités, et, dans le cas contraire, d’avoir porté sans motif de telles accusations contre ses proches parents ; en effet, tout ce qu’Hérode avait appris de leurs actes, il ne le tenait que des dénonciations d’Antipater ; ce qu’il avait décidé contre eux, ce n’était que d’après son avis ; ainsi Antipater les absolvait de tout crime en devenant l’héritier de leur parricide.

[7] Section 3 = Guerre, I, 620-629.

[8] Texte profondément altéré. Nous traduisons d'après la version latine.

4.[9] En parlant ainsi, il se mit à pleurer et ne put continuer. Alors Nicolas de Damas, ami du roi, son commensal perpétuel et le témoin de tous ses actes, sur la demande que lui fit le roi d’achever son discours, exposa tout l’échafaudage, des indices et des preuves. Antipater se tourna vers son père pour se défendre : il énuméra tous les témoignages de la bienveillance de son père envers lui, invoqua les honneurs qui lui étaient échu, et qu’il n’aurait jamais reçus s’il ne s’en était rendu digne par sa vertueuse conduite envers son père. Tout ce qui exigeait de la prévoyance, il y avait sagement pourvu ; fallait-il mettre la main à la besogne, il avait tout accompli par des efforts personnels. Comment admettre qu’après avoir sauvé père des complots d’autrui, il eût comploté lui-même et qu’effaçant toute la réputation qui lui avaient, valu ses actes passés, il se fût exposé à la honte qu’entraînerait cette nouvelle conduite ? D’ailleurs, il avait été désigné à l’avance comme successeur du roi ; sans aucun empêchement il participait dès maintenant aux mêmes honneurs. Était-il vraisemblable que, possédant sans risque et en toute innocence la moitié du pouvoir, il visât à prendre le tout en encourant blâme et dangers sans savoir s’il réussirait, et surtout alors qu’il avait vu le châtiment de ses frères, qu’il avait dénoncés et accusés des crimes qui pouvaient rester inconnus, dont il avait causé la perte quand ils avaient été convaincus de crimes contre leur père ? Ces luttes mêmes qu’il avait soutenues sur place étaient des exemples de sa conduite absolument dévouée envers son père. De sa conduite à Rome il avait pour témoin l’empereur, aussi difficile à tromper que Dieu lui-même ; la preuve en était dans les lettres envoyées par celui-ci, auxquelles on devait accorder de poids qu’aux calomnies de fauteurs de discordes, calomnies dont son absence avait donné à ses ennemis le loisir de préparer la plupart, ce que, lui présent, ils n’auraient pu faire. Quant aux tortures, il les accusait d’avoir incité au mensonge, parce que la nécessité pousse ceux qu’on y soumet à parler pour plaire à leurs maîtres ; il s’offrait lui-même à subir la question.

[9] Section 4 = Guerre, I, 630-636.

5.[10] Cette attitude produisit un revirement dans l’assemblée, car on plaignait vivement Antipater, qui recourait aux larmes et se déchirait le visage, de telle sorte que même ses ennemis étaient déjà saisis de pitié et qu’on voyait Hérode fléchir dans sa résolution, encore qu’il ne voulût pas le laisser voir. Nicolas, reprenant, mais en les développant davantage[11], les arguments déjà exposés par le roi, rassembla, pour prouver l’accusation, tous les éléments fournis par les tortures et les témoignages. Il exposa surtout la bonté du roi, témoignée dans les soins et l’instruction donnés à ses fils sans qu’il y eût jamais rien gagné, n’ayant fait que tomber de malheurs en malheurs. Et pourtant il s’étonnait moins de la folie des autres : jeunes et corrompus par de mauvais conseils, ils avaient oublié les lois de la nature dans leur impatience d’obtenir le pouvoir plus vite qu’il ne fallait. Mais on pouvait à bon droit être épouvanté de la scélératesse d’Antipater, non seulement parce que tous les bienfaits de son père n’avaient pas fléchi un esprit semblable à celui des plus venimeux reptiles — encore ceux-là même répugnent-ils quelque peu à faire du mal à leurs bienfaiteurs — mais encore parce que le sort même de ses frères ne l’avait pas détourné d’imiter leur cruauté. « Et pourtant, Antipater, c’est toi-même qui as dénoncé les projets audacieux de tes frères, toi-même qui as cherché des preuves contre eux et qui as châtié les coupables une fois découverts. Et ce n’est pas d’avoir hardiment manifesté ta colère contre eux que nous te blâmons : nous sommes épouvantés que tu te sois hâté d’imiter leur impudence, nous y voyons la preuve que déjà dans le passé tu as agi non pour le salut de ton père, mais pour la perte de tes frères, afin que ta haine contre leur méchanceté te procurât le renom d’un bon fils et que tu pusses plus sûrement comploter contre ton père. C’est ce que tes actes ont prouvé. A peine t’étais-tu débarrassé de tes frères, convaincus de scélératesse par toi, que tu omettais de livrer leurs complices, montrant clairement à tous que tu t’étais mis d’accord avec eux contre ton père avant de lancer tes accusations. Mais tu voulais réserver à toi seul les bénéfices d’un complot parricide et tirer des deux entreprises une volupté bien digne de ton caractère. L’une, ostensible, était dirigée contre tes frères, tu t’en vantais comme d’une action très glorieuse, et tu aurais eu raison si, en réalité, tu n’avais pas été pire qu’eux, puisque tu dressais secrètement un piège contre ton père et que ta haine contre eux, au lieu d’être due à leurs entreprises contre lui — car en ce cas tu ne te serais pas laissé entraîner à un acte pareil — venait de ce qu’ils auraient pu prétendre, à meilleur droit que toi, à la succession au trône. L’autre entreprise, c’était d’immoler ton père après tes frères, afin d’éviter d’être au plus tôt convaincu de les avoir calomniés et d’infliger à ton malheureux père le châtiment que tu méritais toi-même ; tu as imaginé non pas un parricide ordinaire, mais tel que l’histoire n’en a pas relaté jusqu’ici. Ce n’est pas seulement le fils qui a comploté contre son père, mais contre un père qui l’aimait et le comblait de ses bien faits, un fils effectivement associé à la royauté, proclamé d’avance héritier, que personne n’empêchait de commencer dès lors à jouir de la puissance et dont l’espoir pour l’avenir était assuré par les intentions de ton père et par ses écrits. Cependant ce n’était pas d’après la bonté d’Hérode, mais d’après tes mauvaises pensées que tu jugeais les choses, car tu voulais enlever jusqu’à sa propre part à ce père qui déférait à tous tes désirs, et celui que, en paroles, tu prétendais sauver par tes actions, tu cherchais à le faire disparaître ; non seulement tu te faisais toi-même criminel, mais tu avais fait partager tes desseins à ta mère, tu excitais la discorde entre tes frères unis, tu osais appeler ton père un monstre alors que tu t’étais fait un caractère plus féroce que celui de tous les serpents. C’est ainsi que tu appelais à ton aide leur poison contre tes plus proches parents, contre les plus généreux bienfaiteurs et c’est avec le secours de gardes, avec des machinations d’hommes et de femmes que tu te protégeais contre ce vieillard, comme si ton âme ne suffisait pas à supporter la haine cachée en toi. Et maintenant te voici, après que des hommes libres et des esclaves ont été torturés, que des hommes et des femmes ont été dénonces par tes complices, tout prêt à nier la vérité, impatient de supprimer non seulement ton père du nombre des vivants, mais encore la loi écrite contre toi, la vertu de Varus et le droit naturel. As-tu donc une telle confiance en ton impudence que tu t’offres à la torture et taxes de mensongères les réponses obtenues par les tortures précédentes, pour que ceux qui ont préservé ton père soient repoussés comme ayant menti, tandis que les paroles que t’arrachera la torture passeraient pour être vraies ? Ne préserveras-tu pas le roi, ô Varus, de la menace de ses proches ? Ne feras-tu pas périr ce monstre malfaisant qui, pour perdre ses frères, a feint l’affection envers son père et qui, alors qu’il devait recueillir tout seul et bientôt la royauté, s’est montré de tous le plus meurtrier ? Tu sais que le parricide est un crime qui fait injure à la fois à la nature et à l’humanité ; préméditée aussi bien qu’accomplie, qui le laisse impuni, outrage les lois naturelles ».

[10] Sections 5-6 = Guerre, I, 367-638.

[11] μειζόνως ἐκδεινῶν (exemple unique) des mss. me paraît impossible ; je lis ἐκτείνων.

6. Nicolas ajouta encore ce qui concernait la mère d’Antipater, tout ce qu’elle avait raconté à certains en bavardant comme une femme, ses consultations de devins et ses sacrifices pour dévouer le roi, toutes les débauches d’Antipater avec les femmes de Phéroras, leurs beuveries et leurs orgies, les réponses arrachées par la torture et tout le dossier des témoignages. Il y en avait beaucoup et de toute sorte, les uns préparés, les autres improvisés pour dénoncer et confirmer. En effet, certaines gens qui avaient passé des choses sous silence, par crainte qu’Antipater ne les punît s’il échappait, le voyant maintenant en butte aux accusations de ceux qui en avaient pris l’initiative et s’apercevant que la fortune, qui l’avait jadis follement favorisé, le livrait visiblement à ses ennemis, se laissaient entraîner par la haine insatiable déchaînée contre lui. Cependant, ce qui précipitait sa ruine, c’était moins la haine de ses accusateurs que l’énormité de l’audace avec laquelle il avait projeté ses crimes, de sa méchanceté envers son père et ses frères, car il avait rempli la maison royale de discorde et de dissensions mutuelles : ni ses haines n’étaient dictées par la justice, ni ses amitiés par la bienveillance, mais seulement par l’intérêt. La foule qui avait deviné cela depuis longtemps, elle qui juge les choses surtout par le sens moral, parce qu’elle n’est pas gênée par la colère pour donner son avis sur les événements, avait été empêchée de crier auparavant, mais, le pouvant désormais sans risques, dévoilait tout ce qu’elle savait. On révélait alors toute sorte de vilenies et il était impossible de taxer cela de mensonges, parce que la plupart ne parlaient pas pour se concilier l’affection d’Hérode ni par crainte de se voir reprocher d’avoir tu ce qu’ils avaient à dire, mais parce qu’ils considéraient que les actions d’Antipater étaient mauvaises et qu’il méritait tous les châtiments, moins pour assurer la sécurité d’Hérode qu’à cause de sa propre scélératesse. Beaucoup de faits étaient même rapportés par des gens auxquels on n’avait pas enjoint de parler, de telle sorte qu’Antipater, bien que passé maître en mensonge et impudence, n’avait pas la force d’élever la voix pour les contredire.

Quand Nicolas eut cessé de parler et de développer ses preuves, Varus ordonna à Antipater de s’avancer pour se disculper, s’il avait préparé quelque chose qui le mit à l’abri des chefs d’accusation ; car il souhaitait personnellement et son père aussi — Antipater le savait — qu’il ne fût convaincu d’aucun crime. L’autre gisait tourné la face contre terre, s’en remettant à Dieu et à tous pour témoigner de son innocence, ou établir par des signes manifestes qu’il n’avait pas comploté contre son père. C’est une habitude chez tous ceux qui sont dépourvus de vertu, quand ils entreprennent de mauvaises actions, d’oublier que la providence divine préside à tout et d’agir à leur guise ; mais le jour où pris en flagrant délit ils risquent d’être châtiés, ils invoquent le témoignage de cette même divinité pour qu’elle retourne la situation. Tel fut le cas d’Antipater. Alors qu’il avait toujours agi comme en l’absence de la divinité, maintenant, cerné de toutes parts par la justice, n’ayant pas d’autres moyens pour se justifier des accusations, il outrageait à nouveau la bonté divine en invoquant en témoignage tout ce qu’il avait pu conserver grâce à la puissance de ce Dieu, qui révélait tout ce qu’il n’avait cessé d’oser faire envers son père[12].

[12] Texte altéré.

7.[13] Varus, après de fréquentes questions posées à Antipater, n’ayant rien obtenu de plus que des invocations à la divinité et voyant qu’il n’en finissait pas, ordonna d’apporter le poison pour éprouver la force qui lui restait encore. Quand on l’eut apporté ; un condamné à mort le but sur l’ordre de Varus et succomba instantanément. Alors Varus se leva et, quitta l’assemblée ; il partit le lendemain pour Antioche, où il séjournait la plupart du temps parce que c’est la capitale de la Syrie. Hérode fit sur le champ charger son fils de chaînes ; la foule ignora le contenu des conversations de Varus avec le roi et, ce qu’il avait ajouté en s’en allant, mais supposa que c’était d’après son avis qu’Hérode traitait ainsi Antipater. Donc, après avoir enchaîné celui-ci, Hérode expédia à Rome à l’empereur une lettre à ce sujet et des envoyés chargés de le renseigner de vive voix sur la perversité d’Antipater.

[13] Section 7 = Guerre, I, 641-644.

Pendant ces mêmes journées on intercepta encore une lettre écrite à Antipater par Antiphile qui séjournait en Égypte ; cette lettre, ouverte par le roi, était ainsi conçue : « Je t’ai envoyé la lettre d’Acmé sans craindre de risquer ma propre vie. Tu sais en effet que je me trouverai de nouveau en danger du fait de deux familles si je suis pris. Bonne chance dans ton entreprise. » Voilà ce que révélait cette lettre. Le roi recherchait aussi l’autre lettre[14], mais on ne la découvrait pas, et l’esclave d’Antiphile, qui portait celle qu’on avait lue, niait en avoir reçu une autre. Comme le roi se trouvait embarrassé, un des familiers d’Hérode, remarquant que la tunique intérieure de l’esclave — il en portait deux — avait été recousue, supposa que la lettre était cachée dans ce repli ; et il en était réellement ainsi. On saisit donc la lettre où était écrit ce qui suit : « Acmé à Antipater. J’ai écrit, à ton père la lettre que tu voulais, et après avoir fait faire une copie de la prétendue lettre de Salomé à ma maîtresse[15], je la lui ai envoyée ; quand il l’aura lue, je suis sûre qu’il se vengera de Salomé comme d’une traîtresse ». Il s’agissait là d’une lettre soi-disant écrite par Salomé à la maîtresse d’Acmé, mais en réalité dictée, par Antipater sous le nom de Salomé ; tout au moins en ce qui concernait la pensée ; le style contrefait était bien celui de Salomé. Quant à la lettre d’Acmé à Hérode, voici quel en était le texte — « Acmé au roi Hérode. Désireuse de te faire connaître tout ce qui se trame contre toi et ayant découvert une lettre écrite par Salomé à ma maîtresse contre toi, je l’ai recopiée à mon grand risque, mais pour ton salut, et je te l’envoie. Salomé l’a écrite parce qu’elle veut épouser Syllaios. Déchire donc la lettre afin que je ne sois pas également en danger de mort ». En même temps Acmé avait écrit à Antipater lui-même, lui faisant savoir qu’obéissant à son ordre elle avait écrit à Hérode que Salomé s’efforçait, toujours de comploter contre lui et qu’elle, Acmé, envoyait à Hérode une copie de la prétendue lettre adressée à sa maîtresse par Salomé[16]. [141] Cette Acmé était juive de naissance, mais esclave de Julia, femme de l’empereur, elle agissait ainsi par amitié pour Antipater, qui l’avait achetée à grand prix pour en être aidé dans ses machinations criminelles contre son père et sa tante.

[14] Celle d’Acmé, mentionnée dans celle d’Antiphile.

[15] L’impératrice Livie.

[16] Ce paragraphe ne fait que répéter ce qui a été dit au § 137, où le texte même du message de Salomé à Antipater est reproduit : Josèphe s’est embrouillé dans son dossier.

Hérode le fait garder à vue et en réfère à l’empereur.

8.[17] Hérode, épouvanté de la scélératesse immense d’Antipater, songea d’abord à se débarrasser de lui sur le champ comme d’un fomenteur des plus graves troubles qui avait comploté non seulement contre lui, mais contre sa sœur, et avait corrompu la maison impériale. Il y était encore incité par Salomé qui se frappait la poitrine et lui demandait de la tuer si la moindre preuve digne de foi pouvait être fournie contre elle pour un si grand crime. Hérode fit donc amener son fils et l’interrogea, en lui ordonnant de répondre sans rien dissimuler s’il le pouvait. Comme celui-ci restait interdit, Hérode lui demanda, puisque partout il était pris en flagrant délit de scélératesse, de désigner au moins sans retard ses complices. Et lui rejeta sur Antiphile la responsabilité de tout, mais ne nomma personne autre. Hérode, très affligé, songea alors à envoyer son fils à Rome[18] auprès de l’empereur pour subir la peine de ses complots. Puis, craignant qu’il ne trouvât moyen d’échapper au danger grâce à l’aide de ses amis, il le garda enchaîné comme auparavant et envoya de nouveaux ambassadeurs avec une lettre pour accuser son fils, avec l’indication de tout ce qu’avait fait Acmé de concert avec lui et la copie des lettres saisies.

[17] Section 8 = Guerre, I, 640 ; 645-6.

[18] C’était, parait-il, l’avis de Nicolas de Damas (F. H. G., III, 353).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant