Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVII

CHAPITRE XI
Une ambassade juive demande à l’empereur la suppression de la royauté et le rattachement à la Syrie en prétextant la barbarie d'Hérode et d'Archélaüs ; Nicolas de Damas disculpe Hérode et Archélaüs ; l'empereur rend sa décision : Archélaüs n'est pas proclamé roi, mais hérite de la moitié du pays sous la forme d'une ethnarchie, l'autre moitié est divisée en deux et revient à Antipas et à Philippe.

Les Juifs demandent à l’empereur un changement de régime.

1.[1] Après avoir ainsi réglé la situation et laissé en garnison à Jérusalem la même légion que précédemment, Varus se hâta de retourner à Antioche. Archélaüs vit naître pour lui à Rome de nouveaux tracas pour la raison que voici. Une ambassade juive arriva à Rome sur l’autorisation donnée par Varus à la nation afin de demander l’autonomie[2]. Les ambassadeurs envoyés par la volonté de la nation étaient au nombre de cinquante, que soutenaient plus de huit mille des Juifs de Rome. L’empereur convoqua le conseil de ses amis et les Romains les plus considérables dans le temple d’Apollon[3] qu’il avait édifié à grands frais. Les ambassadeurs se présentèrent avec la foule des Juifs de Rome et Archélaüs avec ses amis. Tous les parents du roi refusaient de se ranger aux côtés d’Archélaüs par haine contre lui, mais regardaient comme dangereux d’unir contre lui leurs voix à celles des ambassadeurs, craignant qu’ils ne fussent déshonorés aux yeux de l’empereur s’ils voulaient agir ainsi contre un personnage de leur famille. Philippe était également arrivé de Syrie sur les exhortations de Varus, surtout pour aider son frère, pour lequel Varus avait beaucoup de sympathie, mais aussi, au cas d’un changement dans la succession royale — car Varus prévoyait qu’elle serait divisée en raison du nombre de ceux qui souhaitaient l’indépendance, — pour n’être pas en retard et obtenir du moins une part de royauté pour lui-même.

[1] Sections 1-2 = Guerre, II, 80-94.

[2] C’est-à-dire de vivre en république.

[3] Apollon Palatin. Ce temple faisait partie intégrante du palais impérial.

2. Donc, quand on eut donné la parole aux ambassadeurs des Juifs, qui s’étaient proposé de parler en faveur de la suppression de la royauté, ils se mirent à critiquer les illégalités d’Hérode, déclarant que, s’il était nominalement leur roi, il avait en réalité réuni en lui les vices les plus insupportables de tous les tyrans afin de s’en servir pour perdre les Juifs, sans manquer de trouver dans son propre naturel de quoi renchérir encore à cet égard. En tout cas, si nombreux qu’eussent été ceux qu’il avait fait périr par des supplices tels qu’on n’en avait jamais rapportés avant lui, les vivants étaient encore bien plus malheureux que les victimes parce que ces supplices tourmentaient non seulement leur vie et leur pensée, mais encore menaçaient leurs biens. Hérode, en effet, n’avait cessé d’orner les villes circonvoisines habitées par des étrangers, en ruinant et faisant disparaître celles de l’intérieur de son royaume ; il avait réduit son peuple à une misère sans espoir, alors qu’il l’avait reçu dans un rare état de prospérité ; il privait de leur fortune les patriciens, qu’il tuait pour des motifs insensés et, à ceux qu’il laissait vivre, il infligeait un prélèvement de leurs biens. Outre les tributs qu’il imposait annuellement à chacun, il y avait des dons lucratifs faits à lui, à ses familiers, ses amis et ses esclaves chargés de la répartition des impôts, car on n’achetait pas même à prix d’argent le droit de n’être pas pressuré. Quant aux jeunes filles séduites et aux femmes déshonorées, ils ne voulaient pas dénombrer combien il y en avait eu, victimes de sa débauche et de son inhumanité ; celles, en effet, qui ont souffert de ces attentats considèrent qu’obtenir le silence sur leur déshonneur est chose aussi précieuse que d’y échapper. Si grandes étaient les injustices dont Hérode les avait abreuvés qu’aucune bête féroce n’aurait pu en faire autant si on l’avait douée du pouvoir de commander aux hommes. A coup sûr, à travers toutes les séditions et toutes les révolutions qu’avaient subies la nation jamais l’histoire n’avait enregistré une calamité semblable au fléau dont Hérode l’avait accablée. Aussi était-ce à bon droit qu’ils auraient salué avec joie l’avènement d’Archélaüs, pensant que celui, quel qu’il fût, qui accéderait à la royauté, se montrerait plus modéré qu’Hérode ; c’était, par déférence pour lui qu’ils avaient célébré un deuil public pour son père et offert de le servir en toute autre occasion s’ils pouvaient obtenir de lui une conduite sage. Mais Archélaüs, craignant sans doute de ne pas être reconnu pour le fils légitime d’Hérode, avait immédiatement montré sa folie à son peuple, et cela avant de posséder le commandement de manière sure, puisque l’empereur avait le pouvoir de le conférer ou de le refuser. Il avait donné l’exemple de sa future vertu, de la modération et du respect des lois dont il ferait preuve envers ses futurs sujets. Car le crime qu’il avait commis dès le début contre ses concitoyens et contre Dieu en massacrant dans le sanctuaire trois mille de ses compatriotes. Comment donc ne les poursuivrait-il pas désormais d’une juste haine, lui qui, indépendamment de sa cruauté native, avait contre eux les griefs de s’être révoltés et d’avoir résisté à son pouvoir ? En résumé, ce qu’ils demandaient c’était d’être débarrassés de la royauté et de tout autre gouvernement de cette espèce, et d’être rattachés à la Syrie sous l’administration des légats qu’on envoyait là-bas : ainsi l’on verrait bien s’ils étaient vraiment des factieux toujours avides de révolution ou s’ils étaient amis de l’ordre, dès qu’ils auraient des chefs qui les gouverneraient avec plus de douceur.

Discours de Nicolas de Damas pour Archélaüs.

3.[4] Quand les Juifs eurent parlé de la sorte, Nicolas disculpa les rois de ces accusations. Personne, de son vivant, n’avait accusé Hérode et il ne fallait pas que ceux qui auraient pu l’incriminer vivant auprès de juges équitables pour le faire châtier pussent intenter une accusation contre un mort. Quant aux actes d’Archélaüs, c’était sur l’insolence de ces gens que Nicolas en rejetait la responsabilité, puisque après avoir cherché à agir contre la loi et avoir, les premiers, massacré ceux qui s’efforçaient d’arrêter leur violence, ils se plaignaient à présent d’une répression légitime. Il leur reprochait aussi leur penchant à la sédition, leur joie à se rebeller, leur incapacité d’obéir à la justice et aux lois parce qu’ils voulaient toujours faire leur volonté.

[4] Section 3 = Guerre, II, 92.

L’empereur règle la succession d’Hérode.

4.[5] Ainsi discourut Nicolas. L’empereur, après les avoir entendus, leva la séance du conseil. Quelques jours plus tard, il se prononça : il ne proclama point Archélaüs comme roi, mais il fit de la moitié du pays qui était soumis à Hérode une ethnarchie qu’il lui donna, en promettant de l’honorer plus tard du titre de roi s’il s’en montrait digne par sa vertu. Divisant l’autre moitié en deux parties, il les donna aux deux autres fils d’Hérode, à Philippe et à Antipas, celui qui avait revendiqué tout le royaume contre son frère, Archélaüs. Antipas eut pour sa part la Pérée et la Galilée qui lui versaient annuellement deux cents talents. La Batanée, avec la Trachonitide et l’Auranitide, une partie de ce qu’on appela le domaine de Zénodore, rapportaient à Philippe cent talents. Quant aux districts soumis à Archélaüs, Idumée, Judée et Samarie, les habitants furent exemptés du quart de leurs tributs par l’empereur, qui décréta cet allégement pour les récompenser de ne pas s’être révoltés avec le reste de la multitude. Les villes soumises à Archélaüs étaient la Tour de Straton[6], Sébaste, Joppé et Jérusalem. Gaza, Gadara et Hippos, villes grecques, furent détachées de son obédience pour être annexées à la Syrie. Archélaüs retirait de son lot un revenu de six cents talents par an[7].

[5] Sections 4-6 = Guerre, II, 93-100.

[6] Vieux nom de Césarée.

[7] Cette répartition du royaume d'Hérode est le dernier événement mentionné dans les fragments de Nicolas (F. G. H., III, 354, § 29-30).

5. Telle fut la partie des biens paternels qu’eurent les fils d’Hérode. Quant à Salomé, outre ce que son frère lui avait assigné dans son testament — Iamnia, Azotos, Phasaëlis et cinq cent mille drachmes en monnaie d’argent — l’empereur lui accorda encore le palais royal d’Ascalon. Son revenu total était de soixante talents par an, et son domaine était situé dans le territoire d’Archélaüs. Les autres parents du roi obtinrent tout ce que prescrivait le testament. A chacune des deux filles non mariées, outre ce que leur père leur avait légué, l’empereur fit un don de deux cent cinquante mille drachmes de monnaie d’argent, et il les maria aux fils de Phéroras. Il fit même cadeau aux enfants du roi de tout ce qui lui avait été légué personnellement, c’est-à-dire de quinze cents talents, se réservant seulement quelques meubles qui lui étaient agréables, non à cause de leur grand prix, mais comme souvenir du roi.

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