Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVIII

CHAPITRE IV
Pilate massacre les Samaritains qui veulent monter au mont Garizim ; les Samaritains se plaignent à Vitellius, le gouverneur de Syrie ; Pilate est renvoyé à Rome après dix ans de commandement en Judée ; Vitellius accorde que le vêtement du grand-pontife et tous ses ornements soient placés dans le Temple, et non plus dans la tour Antonia, et gardés par les prêtres ; il dépouille du sacerdoce le grand-prêtre Caïphe et lui substitue Jonathan ; Artabane, le roi des Parthes, perd puis reprend l'Arménie ; mort de Philippe, la trente-septième année de son règne sur sa tétrarchie ; mort sans enfants, Tibère hérite de ses possessions et les annexe à la province de Syrie.

Pilate massacre les Samaritains. Vitellius le renvoie à Rome.

1. Les Samaritains ne manquèrent pas non plus de troubles, car ils étaient excités par un homme qui ne considérait pas comme grave de mentir et qui combinait tout pour plaire au peuple. Il leur ordonna de monter avec lui sur le mont Garizim[1], qu'ils jugent la plus sainte des montagnes, leur assurant avec force qu'une fois parvenus là il leur montrerait des vases sacrés enfouis par Moïse, qui les y avait mis en dépôt. Eux, croyant ses paroles véridiques, prirent les armes, et, s'étant installés dans un village nommé Tirathana, s'adjoignirent tous les gens qu'ils purent encore ramasser, de telle sorte qu'ils firent en foule l'ascension de la montagne. Mais Pilate se hâta d'occuper d'avance la route où ils devaient monter en y envoyant des cavaliers et des fantassins, et ceux-ci, fondant, sur les gens qui s'étaient rassemblés dans le village, tuèrent les uns dans la mêlée, mirent les autres en fuite et en emmenèrent en captivité beaucoup, dont les principaux furent mis à mort par Pilate, ainsi que les plus influents d'entre les fuyards.

[1] Djebel et Tar, au sud de Sichem.

2. Une fois ce trouble calmé, le conseil des Samaritains se rendit auprès de Vitellius, personnage consulaire, gouverneur de Syrie, et accusa Pilate d'avoir massacré les gens qui avaient péri ; car ce n'était pas pour se révolter contre les Romains, mais pour échapper à la violence de Pilate qu'ils s'étaient réunis à Tirathana. Après avoir envoyé un de ses amis, Marcellus, pour s'occuper des Juifs, Vitellius ordonna à Pilate de rentrer à Rome pour renseigner l'empereur sur ce dont l'accusaient les Juifs. Pilate, après dix ans de séjour en Judée, se hâtait de gagner Rome par obéissance aux ordres de Vitellius auxquels il se pouvait rien objecter ; mais avant qu'il ne fût arrivé à Rome, survint la mort de Tibère.

Vitellius rend aux prêtres la garde des vêtements pontificaux.

3. Vitellius, arrivé en Judée, monta à Jérusalem au moment de la fête nationale appelée la Pâque. Reçu avec magnificence, il fit remise aux habitants de l'ensemble des impôts sur la vente des récoltes. Il accorda aussi que le vêtement du grand-pontife et tous ses ornements fussent placés dans le Temple et gardés par les prêtres comme ils en avaient jadis la prérogative ; pour le moment, c'était dans la citadelle appelée l'Antonia qu'ils étaient déposés, et cela pour la raison suivante. Un des pontifes, Hyrcan, premier du nom, — car ils furent beaucoup à le porter — avait construit dans le voisinage du Temple un palais où il vivait la plupart du temps, et c'était là qu'il gardait déposé le vêtement qui lui était confié, parce qu'il avait seul le droit de le revêtir et, lorsqu'il descendait en ville, il revêtait son costume civil. Ses fils et leurs enfants s'appliquèrent à agir de même. Lorsqu'Hérode, devenu roi, rebâtit à grands frais cet édifice favorablement situé, il l'appela Antonia du nom de son ami Antoine ; il s'empara du vêtement et le garda là, assuré que pour cela le peuple ne lui résisterait pas. Archélaüs, fils d'Hérode et son successeur, fit comme lui. Les Romains, en ayant repris le pouvoir, furent maîtres du vêtement du grand pontife, placé dans une construction de pierre scellée par les prêtres et les gardiens du trésor et où le commandant de la garnison allumait chaque jour une lampe. Sept jours avant la fête, en dernier remettait le vêtement aux prêtres, et le grand-prêtre s'en servait après l'avoir purifié ; puis, le lendemain de la fête, il le déposait dans le lieu où il se trouvait auparavant. Cela avait lieu aux trois fêtes annuelles[2] et au jeûne. Vitellius prit soin que le vêtement fût gardé conformément à nos coutumes nationales et enjoignit au commandant de la garnison de ne pas s'inquiéter du lieu où il était, ni du jour où on s'en servirait. Ayant ainsi agi par bienveillance pour le peuple, il dépouilla du sacerdoce le grand-prêtre Joseph appelé Caïphe et lui substitua Jonathan, fils du grand-pontife Anan. Puis il rentra à Antioche.

[2] Pâque, Pentecôte, Tabernacles.

Artabane perd et reprend l'Arménie.

4. Tibère écrivit à Vitellius pour lui ordonner de se concilier l'amitié d'Artabane roi des Parthes, car il redoutait sa haine et craignait qu'ayant attiré à lui l'Arménie, il ne fit encore plus de mal ; mais le seul moyen de se lier à son amitié était de faire livrer des otages, notamment le fils d'Artabane. Après avoir écrit cela à Vitellius, Tibère persuada par le don de grosses sommes le roi des Ibères et celui des Albaniens[3] d'attaquer sans hésitation Artabane. Mais ils refusèrent, tout en livrant le passage aux Alains[4] à travers leur territoire et on leur ouvrant les Portes Caspiennes pour les lancer contre Artabane. L'Arménie fut reprise et le pays des Parthes entièrement envahi par la guerre. Les chefs Parthes furent tués ; tout le pays fut dévasté et le fils du roi périt dans ces combats avec plusieurs milliers de soldats. Vitellius se disposait à faire périr Artabane son père en envoyant de l'argent à ses parents et à ses amis, et il avait obtenu leur aide par ces présents. Mais Artabane comprit qu'il ne pourrait échapper à ce complot tramé par de très nombreux hommes haut placés et que ceux-ci ne manqueraient pas d'arriver à leurs fins ; il pensait au nombre des gens qui restaient ouvertement ses partisans et qui sans doute feignaient par ruse l'affection, bien qu'ils eussent été corrompus, ou qui, si l'on tentait quelque chose contre lui, passeraient à ceux qui l'avaient déjà trahi. Aussi s'enfuit-il vers les satrapies du haut pays[5]. Puis, ayant rassemblé une grande année de Dahes et de Saces, il vainquit ses ennemis et reprit son royaume.

[3] Géorgie et Daghestan. Il s'agit ici des Portes Albaniennes (défilé de Derbent), les Portes Caspiennes proprement dites étant bien plus à l'est. (col de Girdava dans le Mazendéran). Tacite (Annales, VI. 33) commet la même confusion.

[4] Ἀλαοὺς éd. princ. ἀλμανοί E. Σκύθας Naber Schytas, trad. lat. Saumatas Tacite, Ann., VI, 33.

[5] De l'Est (Haute-Asie), par rapport à l'Asie antérieure.

Entrevue d'Artabane et de Vitellius.

5. A ces nouvelles Tibère décida de lier amitié avec Artabane. Celui-ci accepta avec joie la conférence à laquelle on l'invita à ce sujet. Artabane et Vitellius vinrent sur l'Euphrate ; ils se rencontrèrent au milieu d'un pont jeté sur le fleuve : chacun avait sa garde autour de lui. Quand ils eurent discuté le traité, le tétrarque Hérode leur offrit un festin dans une tente luxueuse dressée au milieu du pont. Artabane, peu après. envoya en otage à Tibère son fils Darius avec de nombreux présents, parmi lesquels un homme grand de sept coudées, de race juive, nommé Eléazar et surnommé le Géant à cause de sa taille. Ensuite Vitellius retourna à Antioche et Artabane à Babylone. Hérode, voulant être le premier à annoncer à l'empereur l'obtention des otages, envoya des courriers et écrivit une lettre détaillée qui ne laissait au proconsul rien à ajouter.

Vitellius avait également écrit une lettre. L'empereur lui ayant fait savoir qu'il connaissait déjà tout, parce qu'Hérode le lui avait mandé auparavant, Vitellius, très troublé et supposant qu'on lui avait fait un tort plus grand qu'il n'était en réalité, dissimula sa colère jusqu'à son retour sous le principat de Caius[6].

[6] C. Julius Caesar Augustus Germanicus, plus connu sous son sobriquet de Caligula.

Mort de Philippe. Sa tétrarchie est réunie à la Syrie.

6. C'est alors aussi que mourut Philippe, frère d'Hérode, la vingtième année du principat de Tibère et la trente-septième de son propre règne sur la Trachonitide, la Gaulanitide et le peuple de Batanée. Il avait montré un caractère modéré et pacifique à l'égard de ses sujets. En effet, il passait toute l'année dans les terres qui lui appartenaient. Dans ses voyages il n'avait pour compagnons que quelques hommes choisis. Le trône sur lequel il siégeait pour rendre la justice le suivait dans ces déplacements ; s'il rencontrait quelqu'un dans la nécessité de lui demander secours, il faisait sur le champ dresser son trône là ou il se trouvait et, s'asseyant dessus, donnait audience, châtiait les coupables et acquittait ceux qui étaient accusés injustement. Il mourut à Julias et, après des obsèques somptueuses, fut enseveli dans la sépulture qu'il s'était fait construire à l'avance. Comme il était mort sans enfants, Tibère hérita de ses possessions et les annexa à la province de Syrie, mais en ordonnant que les impôts levés dans sa tétrarchie y fussent affectés.

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