Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIX

CHAPITRE VI
Agrippa à Jérusalem ; il dépouille Théophile de la grande-prêtrise au profit de Simon, puis la donne à Mathias ; des gens de Dora amènent dans la synagogue des Juifs une statue de l'empereur ; Petronius, gouverneur de Syrie, écrit aux notables de Dora une lettre en faveur des Juifs et pour qu'on lui livre les fauteurs de troubles ; Marsus succède à Petronius.

Retour d'Agrippa en Judée.

1. En adressant ces édits à Alexandrie et à tout l'univers, l'empereur Claude montra ses dispositions envers les Juifs. Aussitôt après il envoya, avec les plus grands honneurs, Agrippa reprendre possession de son royaume et manda par lettres aux gouverneurs et aux procurateurs de lui faire bon accueil. Agrippa, comme il est naturel pour qui revient avec une fortune meilleure, se hâta de rentrer. Arrivé à Jérusalem, il immola des victimes en actions de grâces, sans oublier aucune prescription de la loi. C'est pourquoi il ordonna qu'un grand nombre de nazirs fussent rasés[1]. La chaîne d'or[2] que Caius lui avait donnée et qui pesait autant que celle de fer dont avaient été enchaînées ses royales mains, monument de sa triste infortune et en même temps témoignage de son sort meilleur, fut suspendue à l'intérieur des enceintes sacrées au-dessus du tronc les offrandes, pour qu'elle fût un exemple montrant que les grands peuvent un jour déchoir et que Dieu peut relever celui qui est tombé. En effet, l'offrande de la chaîne montrait clairement à tous que le roi Agrippa avait pour une cause insignifiante été jeté en prison et avait perdu sa dignité antérieure, et que peu après il avait été délivré de ses chaînes pour être investi d'une royauté plus brillante. Cela devait faire comprendre que toutes les grandeurs humaines peuvent décliner, tandis que ce qui est tombé peut se relever avec éclat.

[1] Contrairement à leur vœu de sainteté, qui leur interdisait de se raser la barbe et de se couper les cheveux. Mais il s'agit ici sans doute de nazirs temporaires, dont les vœux n'étaient plus valables (voir Jewish Encycl., au mot Nazarite, p. 197).

[2] Cf. XVIII, 237.

2. Après avoir accompli complètement toutes les cérémonies en l'honneur du Dieu, Agrippa dépouilla Théophile, fils d'Anan, du grand-pontificat et transmit sa charge à Simon, fils de Boéthos, surnommé Cantheras. Simon avait deux frères, et son père Boéthos avait épousé la fille du roi Hérode, comme nous l'avons dit plus haut. Simon eut donc le pontificat ainsi que ses frères et son père, comme auparavant les trois fils de Simon Onias sous le gouvernement des Macédoniens, ainsi que nous l'avons raconté dans les livres précédents.

Lettre de Publius Petronius aux gens de Dora en faveur des Juifs.

3. Quand le roi eut ainsi organisé le grand pontificat, il récompensa les Hiérosolymitains de leur dévouement envers lui. A cet effet il les exempta de l'impôt dû pour chaque maison, parce qu'il jugeait bon de payer de retour ceux qui l'avaient traité avec affection. Il désigna comme chef de toute l'armée Silas, qui avait partagé toutes ses tribulations. Très peu de temps après, les jeunes gens de Dora[3], préférant l'audace à la sainteté et portés par leur nature à une hardiesse téméraire, amenèrent dans la synagogue des Juifs une statue de l'empereur qu'ils y dressèrent. Cela irrita beaucoup Agrippa, car c'était comme la destruction de la loi nationale. Aussi alla-t-il trouver sans retard Publius Petronius qui était alors gouverneur de Syrie, et il accusa les gens de Dora. Petronius ne fut pas moins indisposé par cet acte, car il regardait également comme impie cette transgression des lois, et, il écrivit aux notables de Dora[4] cette lettre notée Publius Petronius, légat. de T. Claudius César Augustus Germanicus, aux notables de Dora. « Quelques-uns d'entre vous ont eu une audace assez insensée pour ne pas respecter l'édit de Claudius César Augustus Germanicus qui permet aux Juifs d'observer leurs lois nationales ; ils ont fait tout le contraire, en empêchant les Juifs de se réunir dans leur synagogue, par l'érection de la statue de l'empereur, violant ainsi la loi, non simplement à l'égard des Juifs, mais de l'empereur, dont il vaut mieux élever la statue dans son propre temple que dans un autre et surtout en pleine synagogue, car il est conforme à la justice naturelle que chacun soit maître dans le lieu qui lui appartient, selon la décision de l'empereur. Il serait ridicule de rappeler ma propre décision, après l'édit impérial permettant aux Juifs de vivre selon leurs coutumes particulières et ordonnant en sus qu'ils aient des droits civiques égaux à ceux des Grecs. Ceux qui ont ainsi osé contrevenir à l'édit de l'empereur ont excité même l'indignation de ceux qui paraissent être leurs chefs, puisque ceux-ci les désavouent en déclarant que l'acte ne vient pas de leur propre inspiration, mais résulte d'une manifestation populaire. J'ordonne donc que ces gens me soient amenés par le centurion Proculus Vitellius afin de rendre compte de leur conduite et j'invite les premiers magistrats, s'ils ne veulent pas passer pour avoir inspiré eux-mêmes cette injustice, à dénoncer les coupables au centurion, en s'opposant à toute tentative de sédition ou de bagarre, car c'est à quoi ils me semblent viser par de tels actes. J'ai, en effet, comme le roi Agrippa, mon très cher ami, le plus grand souci que le peuple juif ne saisisse cette occasion de se rassembler sous prétexte de se défendre et ne se laisse aller à un acte de désespoir. Afin qu'on connaisse encore mieux la pensée de l'empereur sur toute l'affaire, j'ai joint à ceci ses édits publiés à Alexandrie, qui, bien que paraissant déjà connus de tous, ont été lus devant mon tribunal par mon très cher ami le roi Agrippa lorsqu'il a plaidé en faveur du maintien aux Juifs des bienfaits d'Auguste. J'ordonne donc qu'à l'avenir vous ne cherchiez plus aucune occasion de sédition ni de trouble et que chacun puisse suivre son culte national. »

[3] Aujourd'hui Tantoura, au pied du Carmel, civitas libera depuis 63 av. J.-C.

[4] προεστῶσι conj. Niese, ἀποστᾶσι codd.

4. Telles furent les mesures de précaution prises par Petronius pour redresser les illégalités déjà commises et pour empêcher que rien d'analogue ne survint plus tard. Quant au roi Agrippa, il priva du pontificat Simon Cantheras pour le rendre à Jonathan[5], fils d' Anan, parce qu'il le reconnaissait plus digne de cette charge. Mais celui-ci se voyait sans plaisir investi d'un tel honneur et il le refusa en ces termes : « Je me réjouis, ô roi, que tu m'aies donné cette marque d'estime, et l'honneur que tu m'as accordé de ton plein gré me va au cœur, bien que Dieu m'ait jugé tout à fait indigne du pontificat. Mais il me suffit d'avoir revêtu une fois les vêtements sacrés ; car autrefois, quand je les ai endossés, j'étais plus saint que je ne le suis maintenant pour les reprendre. Pour toi, si tu veux qu'un plus digne que moi reçoive maintenant cet honneur, laisse-moi te donner un conseil. Mon frère est pur de toute faute envers Dieu et envers toi, ô roi, et je te le recommande comme digne de cette charge. » Le roi, satisfait de ces paroles, admira les dispositions de Jonathan et donna le grand pontificat à son frère Mathias. Peu de temps après, Marsus[6] succéda à Petronius dans le gouvernement de la Syrie.

[5] Plus haut il s'agit de Théophile, fils d'Anan. C'est le même personnage, mais le nom hébreu « Jonathan », serait mieux traduit par « Théodore » que par « Théophile ». (Léon HERMANN].

[6] C. Vibius Marsus, consul suffect en 17, légat de Germanicus en Orient (Tacite, Annales, II, 74 et 79), proconsul d'Afrique de 27 à 30, accusé de lèse-majesté en 37 et sauvé par le mort de Tibère (Tacite, Annales, VI, 47-48), succède en Syrie à P. Petronius vers 42 (Tacite, Ann., XI, 10) et y reste jusque vers 45.

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