Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XX

CHAPITRE X
Les grands-prêtres de Moïse à la guerre des Juifs.

De Moïse à Salomon.

1. Je crois nécessaire et conforme à ce qu'exige cette histoire d'exposer, au sujet des grands pontifes, quelle fut leur origine, qui a le droit de recevoir cette dignité, enfin quels sont ceux qui l'ont exercée jusqu'à la fin de la guerre. On dit que le premier de tous à être grand-pontife de Dieu fut Aaron, frère de Moïse, et qu'à sa mort lui succédèrent immédiatement ses fils, puis que tous leurs descendants sans exception gardèrent cet honneur dans leur famille. C'est pourquoi une loi de nos pères exige que personne ne reçoive le grand-pontificat s'il n'est du sang d'Aaron, et il n'est permis à personne d'une autre famille, fût-il roi, d'accéder à cette dignité. Depuis Aaron qui fut, comme nous l'avons dit, le premier, jusqu'à Phineesos qui reçut des mutins le pontificat pendant la guerre, il y eut en tout quatre-vingt-trois grands-prêtres. Depuis l'époque de Moïse, où le tabernacle construit par Moïse pour Dieu s'éleva dans le désert jusqu'à l'arrivée en Judée, où le roi Salomon édifia le temple de Dieu, treize d'entre eux exercèrent le grand-pontificat. En effet, on eut d'abord le grand-pontificat à vie, tandis qu'ensuite on remplaça les grands-pontifes, même de leur vivant. Donc ces treize, comme ils étaient les descendants des deux fils d'Aaron, eurent cet honneur par héritage. Le gouvernement fut d'abord aristocratique, puis monarchique[1] et en troisième lieu royal. Le nombre d'années où commandèrent les treize, depuis le jour où nos pères quittèrent l'Égypte sous la conduite de Moïse jusqu'à la construction du Temple que le roi Salomon éleva à Jérusalem, s'élève à six cent douze.

[1] Josèphe désigne ainsi le gouvernement non héréditaire des Juges.

De Salomon à Antiochus.

2. Après ces treize grands-pontifes, dix-huit exercèrent le grand-pontificat en se succédant depuis le règne du roi Salomon à Jérusalem jusqu'à ce que Nabuchodonosor, roi de Babylone, ayant fait une expédition contre la ville, brûla le Temple et emmena à Babylone notre peuple, en faisant prisonnier le grand-pontife Josedek. La durée de leur grand-pontificat s'éleva à quatre-cent-soixante-six ans, six mois, dix jours, pendant que les Juifs vivaient sous des rois. Soixante-dix ans après la conquête de la Judée par les Babyloniens, Cyrus, roi de Perse, délivra les Juifs de Babylone, les renvoya dans leur pays et leur permit de relever le Temple. Alors un des prisonniers revenus de Babylone, Jésus, fils de Josedek, reçut le grand-pontificat. Lui et ses descendants, quinze en tout, furent pontifes sous un gouvernement républicain jusqu'au roi Antiochus Eupator[2] pendant quatre cent quatorze ans.

[2] En 164 av. J.-C. Voir Antiquités, XII, 327 ; Guerre I, 31.

D'Antiochus au roi Alexandre.

3. Les premiers, cet Antiochus que nous venons de nommer et son général Lysias, mirent fin au grand-pontificat d'Onias surnommé Ménélas en le tuant à Beroia [3] et privèrent son fils de sa succession pour nommer grand-pontife Jacim, qui était bien de la race d'Aaron, mais non de la famille d'Onias. C'est pourquoi Onias, neveu de l'Onias qui avait été tué et porteur du même nom que son père, s'en alla en Égypte, où il fut reçu avec amitié par Ptolémée Philométor[4] et sa femme Cléopâtre, et il les décida à édifier à Dieu, dans le nome d'Héliopolis[5], un temple semblable à celui de Jérusalem en l'en nommant grand-pontife. Mais nous avons souvent parlé déjà du temple construit en Égypte. Quant à Jacim, il mourut après avoir exercé trois ans le grand-pontificat. Personne ne lui succéda et l'État passa sept ans sans grand pontife. Puis les Asmonéens, s'étant vu confier le pouvoir sur le peuple et ayant combattu contre les Macédoniens, reprirent la tradition et nommèrent grand-pontife Jonathan, qui exerça la charge sept ans. Quand il fut mort par suite d'un complot et d'une ruse qu'avait ourdis Tryphon[6], ainsi que nous l'avons raconté plus haut, Simon son frère reçut le grand-pontificat. Celui-ci ayant, été empoisonné dans un repas par son gendre, il eut pour successeur, après une année de pouvoir de plus que son frère, son fils Hyrcan. Hyrcan, après avoir joui de cet honneur pendant trente ans, mourut vieux en laissant la succession à Judas surnommé Aristobule. L'héritier de celui-ci fut son frère Alexandre, lorsqu'il mourut de maladie après avoir exercé à la fois le grand-pontificat et la royauté, car Judas avait été le premier à ceindre aussi le diadème, qu'il avait gardé un an.

[3] Beroia (Alep) avait reçu le nom de Séleucus Nicator en souvenir de la ville Thrace du même nom (Stara-Zagora).

[4] Entre 168 et 146. Voir Antiquités, XIII, 62 ; Guerre, I, 33.

[5] Matarieh. Héliopolis, centre du culte d'Amon-Ra en Basse-Égypte, comptait une très forte colonie juive.

[6] Voir Antiquités, XIII, 187 ; Guerre, I, 48-49.

D'Alexandre à Hérode.

4. Alexandre mourut après avoir été roi et grand-pontife pendant vingt-sept ans, laissant à sa femme AIexandra le soin de désigner le futur grand-pontife. Elle donna le grand-pontificat à Hyrcan et mourut elle-même après avoir gardé la royauté pendant neuf années. Son fils Hyrcan fut grand-pontife un nombre égal d'années. En effet, après la mort de sa mère, son frère Aristobule lui fit la guerre, le vainquit et le priva de sa charge, pour devenir lui-même à la fois roi et grand-pontife de son peuple. Mais trois ans et trois mois après son avènement au pouvoir, Pompée[7] survint et, ayant pris de force la ville de Jérusalem, l'envoya à Rome enchaîné ainsi que ses enfants ; puis il rendit le grand pontificat à Hyrcan en lui confiant le pouvoir sur le peuple, mais en lui défendant de porter le diadème. Outre ses neuf premières années, Hyrcan resta au pouvoir pendant vingt-quatre ans. Mais Barzapharnès et Pacoras, princes des Parthes, traversèrent l'Euphrate, combattirent contre Hyrcan, le firent prisonnier et nommèrent roi Antigone, fils d'Aristobule. Après trois ans et trois mois de règne, celui-ci fut assiégé et pris par Sossius et Hérode [8], conduit à Antioche et mis à mort par Antoine.

[7] En 63 av. J.-C. Voir Antiquités, XIV, 34 ; Guerre, I, 131.

[8] Voir Antiquités, XIV, 468 ; Guerre, I, 345.

D'Hérode à la guerre des Juifs.

5. Hérode, qui reçut le pouvoir des mains des Romains, ne créa plus de grands-pontifes asmonéens, mais conféra cet honneur à des gens obscurs qui étaient de simples prêtres, sauf un seul, Aristobule ; celui-ci était le petit-fils d'Hyrcan que les Parthes avaient fait prisonnier. Hérode lui donna le grand-pontificat et épousa sa sœur Mariamme pour se concilier la faveur du peuple, grâce au souvenir d'Hyrcan. Puis, craignant de voir tout le monde pencher pour Aristobule, il s'en débarrassa, en s'arrangeant pour le faire étouffer à Jéricho[9] pendant qu'il nageait, ainsi que nous l'avons déjà raconté. Ensuite il ne confia plus le grand-pontificat à aucun des descendants des Asmonéens. La conduite d'Hérode fut imitée en ce qui concerne les pontifes par Archélaüs son fils et, après celui-ci, par les Romains qui s'étaient emparés du pouvoir sur les Juifs. Or, depuis le temps d'Hérode jusqu'au jour où Titus prit et incendia la ville et le Temple, il y eut en tout vingt-huit grands-pontifes et le temps de leurs pontificats fait un total de cent-sept ans. Certains d'entre eux gouvernèrent sous le règne d'Hérode et de son fils Archélaüs ; après la mort de celui-ci, le gouvernement fut aristocratique, mais les grands-pontifes avaient la direction du peuple. En voilà assez sur les grands-pontifes.

[9] Voir Antiquités, XV, 51-56 ; Guerre, I, 437.

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