Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE XXVIII

Absurdité du point de départ.

(254) D'abord la cause sur laquelle il édifie sa fable est ridicule : « Le roi Aménophis, dit-il, désira voir les dieux. » Lesquels ? Si ce sont les dieux consacrés par leurs lois, le bœuf, la chèvre, les crocodiles et les cynocéphales, il les voyait. (255) Quant à ceux du ciel, comment le pouvait-il ? Et pourquoi eut-il ce désir ? — Parce que, par Zeus[1] déjà avant lui un autre roi les avait vus. — Il avait donc appris de lui leur nature et comment celui-ci avait pu les voir ; alors il n'avait pas besoin d'un nouveau moyen. — (256) Mais le devin grâce auquel le roi pensait réussir était, dit-on, un sage. — Alors comment n'a-t-il pas prévu que le désir du roi était irréalisable ? et en fait il ne s'est pas réalisé. Et pour quelle raison la présence des mutilés et des lépreux rendait-elle les dieux invisibles ? Les dieux s'irritent contre l'impiété, non contre les infirmités du corps. (257) Puis, comment quatre-vingt mille lépreux et malades ont-il pu être réunis presque en un seul jour ? Comment le roi n'a-t-il pas écouté le devin ? Il lui avait prescrit, en effet, de faire passer la frontière d'Égypte aux infirmes, et le roi les enferma dans les carrières, comme un homme qui a besoin d'ouvriers, mais non qui a décidé de purifier le pays. (258) D'après Manéthôs, le devin se tua parce qu'il prévoyait la colère des dieux et le sort réservé à l'Egypte, et il laissa au roi par écrit sa prédiction. Alors pourquoi dès le début le devin n'a-t-il pas eu la prescience de sa mort ? (259) Pourquoi n'a-t-il pas combattu tout de suite la volonté qu'avait le roi de voir les dieux ? Puis, était-il raisonnable de craindre des maux qui ne se produiraient pas de son vivant ? Et pouvait-il lui arriver rien de pire que ce suicide précipité ? (260) Mais voyons le trait le plus absurde de tous. Informé de ces faits, et redoutant l'avenir, le roi, même alors, ne chassa pas du pays ces infirmes dont il devait, suivant la prédiction, purger l'Égypte, mais, sur leur demande, il leur donna pour ville, d'après Manéthôs, l'ancienne résidence des pasteurs, nommée Avaris. (261) Ils s'y réunirent en masse, dit-il, et choisirent un chef parmi les anciens prêtres d'Héliopolis, et ce chef leur apprit à ne point adorer de dieux, à ne point s'abstenir des animaux honorés d'un culte en Égypte, mais à les immoler et à les manger tous et à ne s'unir qu'à des hommes liés par le même serment ; il fit jurer au peuple l'engagement de rester fidèle à ces lois, et, après avoir fortifié Avaris, il porta la guerre chez le roi. (262) Il envoya une ambassade à Jérusalem, ajoute Manéthôs, pour inviter le peuple de cette ville à s'allier à eux, avec la promesse de leur donner Avaris, car cette ville avait appartenu aux ancêtres de ceux qui viendraient de Jérusalem ; ils partiraient de là pour s'emparer de toute l'Égypte. (263) Puis, dit-il, ceux-ci firent invasion avec deux cent mille soldats, et le roi d'Égypte Aménophis, pensant qu'il ne fallait pas lutter contre les dieux, s'enfuit aussitôt en Éthiopie après avoir confié l'Apis et quelques-uns des autres animaux sacrés à la garde des prêtres. (264) Alors les Hiérosolymites, qui avaient envahi le pays, renversèrent les villes, incendièrent les temples, égorgèrent les prêtres, en un mot ne reculèrent devant aucun crime ni aucune cruauté. (265) Le fondateur de leur constitution et de leurs lois était, d'après notre auteur, un prêtre originaire d'Héliopolis, nommé Osarseph du nom d'Osiris, le dieu d'Héliopolis, mais il changea de nom et s'appela Moysès. (266) Treize ans plus tard — c'était la durée fixée par le destin à son exil — Aménophis, suivant Manéthôs, arriva d'Éthiopie avec une armée nombreuse, attaqua les Pasteurs et les impurs, remporta la victoire, et en tua un grand nombre après les avoir chassés jusqu'aux frontières de la Syrie[2].

[1] Singulière expression sous la plume d'un Juif. Elle reparaît plus loin, II, 63.

[2] On ne peut s'empêcher de trouver extrêmement oiseuse cette répétition presque textuelle (§§ 260-266) de ce qui a été raconté il y a un instant (§§ 237-250). On dirait que Josèphe avait d'abord procédé par analyse du texte de Manéthôs et qu'ayant ensuite jugé à propos d'insérer la citation textuelle il a oublié de remanier en conséquence le « résumé » qui suit

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant