Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE VII

Légende ridicule de la tête d'âne adorée dans le temple.

(79) J'admire aussi les écrivains qui lui ont fourni une telle matière, je parle de Posidonios et d'Apollonios Molon, qui nous font un crime de n'adorer pas les mêmes dieux que les autres peuples. D'autre part, quand ils mentent également et inventent des calomnies absurdes contre notre temple, ils ne se croient pas impies, alors que rien n'est plus honteux pour des hommes libres que de mentir de quelque façon que ce soit, et surtout au sujet d'un temple célèbre dans l'univers entier et puissant par une si grande sainteté. (80) Ce sanctuaire, Apion a osé dire que les Juifs y avaient placé une tête d'âne, qu'ils l'adoraient et la jugeaient digne d'un si grand culte ; il affirme que le fait fut dévoilé lors du pillage du temple par Antiochos Épiphane et qu'on découvrit cette tête d'âne faite d'or, et d'un prix considérable. — (81) A cela donc je réponds d'abord qu'en sa qualité d'Égyptien, même si chose pareille avait existé chez nous, Apion n'eût point dû nous le reprocher, car l'âne n'est pas plus vil que les furets (?), les boucs et les autres animaux qui ont chez eux rang de dieux. (82) Ensuite comment n'a-t-il pas compris que les faits le convainquent d'un incroyable mensonge ? En effet, nous avons toujours les mêmes lois, auxquelles nous sommes éternellement fidèles. Et, quand des malheurs divers ont fondu sur notre cité comme sur d'autres, quand [Antiochos] le Pieux[1], Pompée le Grand, Licinius Crassus et, en dernier lieu, Titus César triomphant de nous ont occupé le temple, ils n'y trouvèrent rien de semblable, mais un culte très pur au sujet duquel nous n'avons rien à cacher à des étrangers.

[1] Antiochos Sidétès surnommé Εὐσεβής; (Ant. jud., XIII, § 244), qui prit Jérusalem en 130 av. J.-C.

(83) Mais qu'Antiochos (Épiphane) mit à sac le temple contre toute justice, qu'il y vint par besoin d'argent sans être ennemi déclaré, qu'il nous attaqua, nous ses alliés et ses amis, et qu'il ne trouva dans le temple rien de ridicule, (84) voilà ce que beaucoup d'historiens dignes de foi attestent également, Polybe de Mégalopolis, Strabon de Cappadoce, Nicolas de Damas, Timagène, les chronographes Castor et Apollodore ; tous disent que, à court de ressources, Antiochos viola les traités et pilla le temple des Juifs plein d'or et d'argent. (85) Voilà les témoignages qu'aurait dû considérer Apion s'il n'avait eu plutôt lui-même le cœur de l'âne et l'impudence du chien, qu'on a coutume d'adorer chez eux. Car son mensonge n'a pas même pu s'appuyer sur quelque raisonnement d'analogie (?). (86) En effet, les ânes, chez nous, n'obtiennent ni honneur ni puissance, comme chez les Égyptiens les crocodiles et les vipères, puisque ceux qui sont mordus par des vipères ou dévorés par des crocodiles passent à leurs yeux pour bienheureux et dignes de la divinité[2]. (87) Mais les ânes sont chez nous, comme chez les autres gens sensés, employés à porter les fardeaux dont on les charge, et s'ils approchent des aires pour manger[3] ou s'ils ne remplissent pas leur tâche, ils reçoivent force coups ; car ils servent aux travaux et à l'agriculture. (88) Ou bien donc Apion fut le plus maladroit des hommes à imaginer ses mensonges, ou, parti d'un fait, il n'a pas su en conclure justement (?), car aucune calomnie à notre adresse ne peut réussir.

[2] Sur les honneurs rendus en Égypte à la victime d'un crocodile, v. Hérodote, II, 90. L'assertion relative à la vipère est isolée, mais on ne doit sans doute pas être mise doute. Spiegelberg (Sitzungsb. Bayr. Ak. Wissenschaften, 1925, 2, p. 2) s'est appuyé sur le texte de Josèphe pour conjecturer que Cléopâtre a voulu mourir de la morsure d'une vipère pour s'assurer la divinisation.

[3] Pourtant le Deutéronome (XXV, 4) défend de museler le bœuf qui foule le grain, à plus forte raison de le battre s'il en mange un peu.

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