Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE XI

Prétendue preuve de l'injustice des lois juives, tirée des malheurs des Juifs.

(125) Il faut encore grandement admirer la vive intelligence d'Apion pour ce que je vais dire. La preuve, à l'en croire, que nos lois ne sont pas justes, et que nous n'adorons pas Dieu comme il faut, c'est que nous ne sommes pas les maîtres, mais bien plutôt les esclaves tantôt d'un peuple, tantôt d'un autre, et que notre cité éprouva des infortunes[1], — comme si ses propres citoyens étaient habitués depuis une haute antiquité à être les maîtres dans la cité la plus propre à commander au lieu d'être asservis aux Romains. (126) Cependant qui supporterait de leur part une telle jactance ? Parmi le reste des hommes il n'est personne pour nier que ce discours d'Apion ne s'adresse assez bien à lui. (127) Peu de peuples ont eu la fortune de dominer fût-ce par occasion, et ceux-là même ont vu des revers les soumettre à leur tour à un joug étranger ; les autres peuples, pour la plupart, sont plusieurs fois tombés en servitude. (128) Ainsi donc les seuls Égyptiens, parce que les dieux, à les en croire, se sont réfugiés dans leur pays et ont assuré leur salut en prenant la forme d'animaux[2], ont obtenu le privilège exceptionnel de n'être soumis à aucun des conquérants de l'Asie ou de l'Europe, eux qui n'ont pas ou un seul jour de liberté en aucun temps, pas même de leurs maîtres nationaux ! (129) Du traitement que leur infligèrent les Perses, qui, non pas une fois, mais à plusieurs reprises, saccagèrent leurs villes, renversèrent leurs temples, égorgèrent ce qu'ils prennent pour des dieux, je ne leur fais pas un grief. (130) Car il ne convient pas d'imiter l'ignorance d'Apion, qui n'a songé ni aux malheurs des Athéniens, ni à ceux des Lacédémoniens, dont les uns furent les plus braves, les autres les plus pieux des Grecs, du consentement unanime. (131) Je laisse de côté les malheurs qui accablèrent les rois renommés partout pour leur piété, comme Crésus. Je passe sous silence l'incendie de l'Acropole d'Athènes, du temple d'Éphèse, de celui de Delphes, et de mille autres. Personne n'a reproché ces catastrophes aux victimes, mais à leurs auteurs[3]. (132) Mais Apion s'est trouvé pour produire contre nous cette accusation d'un nouveau genre, oubliant les propres maux de son pays, l'Égypte. Sans doute Sésostris, le roi d'Égypte légendaire, l'a aveuglé[4]. Mais nous, ne pourrions-nous pas citer nos rois David et Salomon, qui ont soumis bien des nations ? (133) Cependant n'en parlons pas. Mais il est un fait universellement connu, quoique ignoré d'Apion : c'est que les Perses et les Macédoniens, maîtres après eux de l'Asie, asservirent les Égyptiens, qui leur obéirent comme des esclaves, alors que nous, libres, nous régnions même sur les cités d'alentour pendant cent vingt ans environ[5], jusqu'au temps de Pompée le Grand. (134) Et alors que tous les rois de la terre avaient été subjugués par les Romains, seuls nos rois, pour leur fidélité, furent conservés par eux comme alliés et amis.

[1] La prise de Jérusalem par Pompée a inspiré à Cicéron une réflexion analogue (Pro Flacco, § 69 = Textes d'auteurs grecs et romains, p. 241).

[2] Cf. Ovide, Métamorphoses, V, 325 suiv. ; Diodore, I, 86, etc.

[3] Les incendies de l'Acropole d'Athènes par les Perses, du temple d'Éphèse par Hérostrate sont bien connus. L'allusion au temple de Delphes peut se rapporter soit à l'incendie du temple primitif (548) soit à celui qu'allumèrent les barbares Maides au temps de Sylla (Plut. Num. 9) ; il s'agit plutôt de ce dernier évènement.

[4] Allusion possible à la cécité dont auraient été frappés Sésostris et son fils (Hérodote, II, III).

[5] Depuis l'insurrection des Macchabées (168).

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