Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE XXXIV

Grossièreté des dieux grecs.

(242) C'est à juste titre que les esprits les plus distingués ne ménagent point leurs critiques à ces histoires ; et ils trouvent ridicule aussi d'être obligé de croire que parmi les dieux ceux-ci sont des jouvenceaux imberbes, ceux-là des vieillards barbus ; que les uns sont préposés aux arts, que celui-ci travaille le fer[1], que celle-là tisse la toile[2], qu'un troisième fait la guerre et se bat avec les hommes[3], que d'autres encore jouent de la cithare[4] ou se plaisent à lancer des flèches[5] ; (243) puis d'admettre qu'ils se révoltent les uns contre les autres, et se querellent au sujet des hommes au point non seulement d'en venir aux mains entre eux, mais encore de se lamenter, et de souffrir, blessés par les mortels. (244) Et, pour comble de grossièreté, n'est-il pas inconvenant d'attribuer des unions et des amours sans frein presque à tous les dieux des deux sexes ? (245) Ensuite, le plus noble d'entre eux et le premier, le père lui-même, après avoir séduit des femmes par la ruse et les avoir rendues mères, les voit, d'un œil tranquille, emprisonner ou noyer ; et les enfants issus de lui, il ne peut ni les sauver, soumis qu'il est au destin, ni supporter leur mort sans pleurer. (246) Voilà de belles choses ; d'autres qui suivent ne le sont pas moins, comme l'adultère auquel les dieux assistent au ciel avec tant d'impudence que quelques-uns avouent même qu'ils envient le couple ainsi uni ; que ne devaient-ils pas se permettre quand le plus vieux, le roi, n'a pas même pu refréner son désir de posséder sa femme, ne fût-ce que le temps de gagner sa chambre à coucher[6] ? (247) Et les dieux en esclavage chez les hommes, et salariés tantôt pour bâtir, tantôt pour paître les troupeaux ; d'autres enchaînés dans une prison d'airain à la manière des criminels[7] ! Est-il un homme sensé qui ne soit excité par ces contes à blâmer ceux qui les ont imaginés et à condamner la grande sottise de ceux qui les admettent ? (248) D'autres divinisent la crainte et la terreur, la rage et la fourberie ; quelle est celle des pires passions qu'ils n'aient représentée avec la nature et sous la forme d'un dieu ? Ils ont même persuadé aux cités de faire des sacrifices aux plus favorables d'entre elles. (249) Aussi ils sont mis dans la nécessité absolue de croire que certains dieux accordent les biens, et de donner aux autres le nom de « dieux qui détournent les maux »[8]. Alors, ils s'efforcent de les fléchir comme les plus méchants des hommes par des bienfaits et des présents, et s'attendraient à subir de leur part un grand mal s'ils ne les payaient pas.

[1] Héphaïstos.

[2] Athénée.

[3] Arès.

[4] Apollon.

[5] Apollon et Artémis.

[6] Allusion au célèbre épisode de l'Ida, Iliade, Y, 329 suiv.

[7] Poséidon, Apollon, les Titans.

[8] C'est la traduction normale de [grec], mais à lire la phrase suivante il semble bien que Josèphe ait pris ce mot au sens passif « dieux à détourner » qui ne se rencontre qu'avec des termes abstraits, idée, spectacle, calomnie, etc. (Thackeray).

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