Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 3
Avènement d'Aristobule. Ses premiers actes. Meurtre de son frère Antigone. Prédiction de Judas l'Essénien. Fin d'Aristobule.[1]

[1] Chapitre III de Ant., XIII, II. Les deux récits sont presque identiques et copient le même original, mais les renseignements précis de Ant., § 319, sur les conquêtes d'Aristobule manquent ici.

Avènement d'Aristobule. Ses premiers actes.

1. Après la mort d'Hyrcan, Aristobule, l'aîné de ses fils, transforma le principat en royauté ; il fut le premier à ceindre le diadème, quatre cent soixante et onze ans[2] et trois mois après que le peuple, délivré de la captivité de Babylone, fut revenu en Judée. Parmi ses frères, il s'associa, avec des honneurs égaux aux siens, le puîné Antigone, pour lequel il paraissait avoir de l'affection ; les autres furent, par son ordre, emprisonnés et chargés de liens. Il fit enchaîner aussi sa mère, qui lui disputait le pouvoir et à qui Jean avait tout légué par testament ; il poussa la cruauté jusqu'à la faire mourir de faim dans sa prison.

[2] 481 d'après Ant., § 301. Ces deux chiffres sont également erronés, mais celui des Ant. s'accorde mieux avec la chronologie de Josèphe fondée sur la prophétie de Daniel : il compte 490 ans (70 semaines d'années) entre la destruction du Temple par les Chaldéens et la mort de Judas Macchabée (d'après lui, 150 av. J.-C.). Cf. Destinon, Chronologie des Josephus (Kiel, 1880, prog.), p. 31.

Meurtre de son frère Antigone.

2. Il fut puni de ces iniquités dans la personne de son frère Antigone qu'il aimait et avait associé à la royauté car il le tua lui aussi sur des calomnies que forgeaient de perfides courtisans. Tout d'abord Aristobule avait refusé toute créance à leurs propos, parce qu'il chérissait son frère et attribuait à l'envie la plupart de ces imputations. Mais un jour qu'Antigone revint d'une expédition en un brillant appareil pour assister à la fête solennelle ou l'on élève à Dieu des tabernacles, il se trouva qu'Aristobule était malade en ce temps là. Antigone, à la fin de la solennité, monta au Temple, entouré de ses hommes d'armes, avec la pompe la plus magnifique, et pria Dieu surtout pour son frère. Les méchants coururent alors auprès du roi, lui dépeignirent le cortège d'hoplites, l'assurance d'Antigone trop grande pour un sujet ; ils dirent qu'Antigone revenait avec une très nombreuse armée pour mettre son frère à mort, qu'il ne se résignait pas à n'avoir que les honneurs de la royauté quand il pouvait obtenir le pouvoir lui-même.

3. Peu à peu Aristobule ajouta foi malgré lui à ces discours. Préoccupé à la fois de ne pas dévoiler ses soupçons et de se prémunir contre un danger incertain, il fit poster ses gardes du corps dans un souterrain obscur — il demeurait dans la tour nommée d'abord Baris, depuis Antonia — et ordonna d'épargner Antigone, s'il était sans armes, de le tuer, s'il se présentait tout armé. Il envoya même vers lui pour l'avertir de ne pas prendre ses armes. Cependant la reine se concerta très malicieusement avec les perfides, à cette occasion : on persuada aux messagers de taire les ordres du roi et de dire, au contraire, à Antigone que son frère savait qu'il s'était procuré en Galilée de très belles armes et un équipement militaire que la maladie l'empêchait d'aller examiner tout le détail de cet appareil « mais, puisque tu es sur le point de partir, il aurait un très grand plaisir à te voir dans ton armure ».

4. En entendant ces paroles, comme il n'y avait rien dans les dispositions de son frère qui pût lui faire soupçonner un piège, Antigone revêtit ses armes et partit comme pour une parade. Arrivé dans le passage obscur, appelé la tour de Straton, il y fut tué par les gardes du corps. Preuve certaine que la calomnie brise tous les liens de l'affection et de la nature, et qu'aucun bon sentiment n'est assez fort pour résister durablement a l'envie.

Prédiction de Judas l'Essénien.

5. On admirera dans cette affaire la conduite d'un certain Judas, Essénien de race. Jamais ses prédictions n'avaient été convaincues d'erreur ou de mensonge. Quand il aperçut a cette occasion Antigone qui traversait le Temple, il s'écria, en s'adressant a ses familiers, — car il avait autour de lui un assez grand nombre de disciples — : « Hélas ! Il convient désormais que je meure, puisque l'esprit de vérité m'a déjà quitté et qu'une de mes prédictions se trouve démentie, Car il vit, cet Antigone, qui devait être tué aujourd'hui. Le lieu marqué pour sa mort était la tour de Straton : elle est a six cents stades d'ici, et voici déjà la quatrième heure du jour le temps écoulé rend impossible l'accomplissement de ma prophétie ». Cela dit, le vieillard resta livré a une sombre méditation ; mais bientôt on vint lui annoncer qu'Antigone avait été tué dans un souterrain appelé aussi tour de Straton, du même nom que portait la ville aujourd'hui appelée Césarée-sur-mer. C'est cette équivoque qui avait troublé le prophète.

Fin d'Aristobule.

6. Le remords de ce crime aggrava la maladie d'Aristobule. Il se consumait, l'âme sans cesse rongée par la pensée de son meurtre. Enfin cette immense douleur déchirant ses entrailles, il se mit à vomir le sang en abondance ; or, comme un des pages de service enlevait ce sang, la Providence divine voulut qu'il trébuchât au lieu où Antigone avait été égorgé et qu'il répandit sur les traces encore visibles de l'assassinat le sang du meurtrier. Les assistants poussèrent une grande clameur, croyant que le page avait fait exprès de répandre là sa sanglante libation. Le roi entend ce bruit et en demande la cause, et comme personne n'ose répondre, il insiste d'autant plus pour savoir. Enfin ses menaces et la contrainte arrachent la vérité. Alors, ses veux se remplissent de larmes, il gémit avec le peu de force qui lui reste et dit : « Ainsi donc je ne devais pas réussir à soustraire mes actions coupables à l'œil puissant de Dieu, et me voici poursuivi par un prompt châtiment pour le meurtre de mon propre sang. Jusques à quand, corps impudent, retiendras-tu mon âme, due à la malédiction d'un frère et d'une mère ? Jusques à quand leur distillerai-je mon sang goutte à goutte ? Qu'ils le prennent donc tout entier et que Dieu cesse de les amuser en leur offrant en libation des parcelles de mes entrailles ». En disant ces mots, il expira soudain après un règne qui n'avait duré qu'un an[3].

[3] La mort d'Aristobule se place en 103 av. J.-C.

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