Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 17
Défaite et mort de Joseph, frère d'Hérode, près de Jéricho. Défections en Galilée et en Idumée. Retour d'Hérode en Palestine. Incident à Jéricho. Victoire d'Hérode à Cana (ou Isana) ; mort de Pappos. Hérode assiège Jérusalem. Ses noces avec Mariamme. Sosius rejoint Hérode devant Jérusalem.

Défaite et mort de Joseph, frère d'Hérode, près de Jéricho. Défections en Galilée et en Idumée.

1.[1] Pendant cette expédition, les affaires d'Hérode subirent un grave échec en Judée. Il y avait laissé son frère Joseph avec de pleins pouvoirs, mais en lui recommandant de ne rien entreprendre contre Antigone jusqu'à sou retour : car Machaeras, à en juger d'après sa conduite passée, n'était pas un allié sûr. Mais Joseph, dès qu'il sut son frère assez loin, négligea cette recommandation et marcha vers Jéricho avec cinq cohortes que Machaeras lui avait prêtées ; son objet était d'enlever le blé, car on était au fort de l'été. Sur la route il fut attaqué par les ennemis qui s'étaient postés au milieu des montagnes dans un terrain difficile ; il périt dans le combat après avoir montré une brillante valeur et tout le contingent romain fut détruit ; ces cohortes venaient d'être levées en Syrie, et on n'y avait pas mêlé de ces « vieux soldats », comme on les appelle, qui auraient pu secourir l'inexpérience des jeunes recrues[2].

[1] Sections 1-9 = Ant., XIV. 15, 10 à 16, 1.

[2] Mai 38 av. J.-C.

2. Antigone ne se contenta pas de la victoire : il porta la fureur au point d'outrager Joseph même après sa mort. Comme les cadavres étaient restés en sa puissance, il fit couper la tête de Joseph, malgré la rançon de cinquante talents que Phéroras, frère du défunt, lui offrait pour la racheter. En Galilée, la victoire d'Antigone produisit un si grand bouleversement que ceux des notables qui favorisaient Hérode furent emmenés et noyés dans le lac (de Génésareth) par les partisans d'Antigone. Il y eut aussi de nombreuses défections en Idumée[3], où Machaeras fortifiait à nouveau une place du nom de Gittha. De tout cela, Hérode ne savait encore rien. Antoine, après la prise de Samosate, avait établi Sossius gouverneur de Syrie ; il lui ordonna de secourir Hérode contre Antigone et s'en retourna de sa personne en Égypte[4]. Sossius envoya tout de suite deux légions pour seconder Hérode ; lui-même suivit de près avec le reste de ses troupes.

[3] Cette leçon est préférable à celle d'Ant., § 450 où on lit Ἰουδαίας. Malheureusement le site de Gittha (Gath ?), est incertain.

[4] C'est une erreur, Antoine se rendit alors à Athènes, où il passa l'hiver 38/37.

Retour d'Hérode en Palestine. Incident à Jéricho.

3. Tandis qu'Hérode était à Daphné, près d'Antioche, il eut un rêve qui lui annonçait clairement la mort de son frère. Il sauta tout troublé du lit au moment où entrèrent les messagers qui lui apprirent son malheur. La douleur lui arracha quelques gémissements, puis il ajourna la plupart des marques de deuil et se mit vivement en route contre ses ennemis. Marchant à étapes forcées, il arriva au Liban, où il s'adjoignit comme auxiliaires huit cents montagnards et rallia une légion romaine. Puis, sans attendre le jour[5], il envahit la Galilée et refoula les ennemis, qui s'opposèrent à sa marche, dans la forteresse qu'ils venaient de quitter. Il pressa la garnison par de fréquentes attaques, mais avant d'avoir pu la prendre, un orage terrible le força de camper dans les bourgades environnantes. Peu de jours après, la seconde légion prêtée par Antoine le rejoignit ; alors les ennemis, que sa puissance effrayait, évacuèrent nuitamment la forteresse.

[5] La phrase οὐ περιμείνας ἡμέραν est équivoque (on pourrait entendre : sans tarder d'un jour), mais le sens résulte de Ant., § 452, où l'on voit que la marche eut lieu de nuit.

4. Il continua sa marche rapide à travers Jéricho, ayant hâte de rejoindre les meurtriers de son frère. Dans cette ville il fut le héros d'une aventure providentielle : échappé à la mort par miracle, il y acquit la réputation d'un favori de la divinité. En effet, comme ce soir-là un grand nombre de magistrats soupaient avec lui, au moment où le repas venait de se terminer et tous les convives de partir, soudain la salle s'écroula. Il vit là un présage à la fois de dangers et de salut pour la guerre future, et leva le camp dès l'aurore. Six mille ennemis environ, descendant des montagnes, escarmouchèrent avec son avant-garde. N'osant pas en venir aux mains avec les Romains, ils les attaquèrent de loin avec des pierres et des traits et leur blessèrent beaucoup de monde. Hérode lui-même, qui chevauchait devant le front des troupes, fut atteint d'un javelot au côté.

Victoire d'Hérode à Cana (ou Isana) ; mort de Pappos.

5. Antigone, voulant se donner l'apparence non seulement de l'audace, mais encore de la supériorité du nombre, envoya contre Samarie Pappos, un de ses familiers, à la tête d'un corps d'armée, avec la mission de combattre Machaeras. Cependant Hérode fit une incursion dans le pays occupé par l'ennemi, détruisit cinq petites villes, y tua deux mille hommes et incendia les maisons ; puis il revint vers Pappos, qui campait près du bourg d'Isana[6].

[6] Leçon de Ant. § 457 Bellum donne Κανᾶ. Nous lisons avec Destinon ἐπὶ τὸν Πάππον (ou τὸ Πάππου στρατόπεδον ?) au lieu de ἐπὶ τὸ στρατόπεδον des mss. C'est Pappos, en effet, qui était campé près d'Isana (Ant. ibid.)

6. Tous les jours une foule de Juifs, venus de Jéricho même et du reste de la contrée, le rejoignaient, attirés à lui les uns par leur haine d'Antigone, les autres par les succès d'Hérode, la plupart par un amour aveugle du changement. Il brûlait de livrer bataille, et Pappos, à qui le nombre et l'ardeur de ses adversaires n'inspiraient aucune crainte, sortit volontiers à sa rencontre. Dans ce choc des deux armées, le gros des troupes ennemies résista quelque temps, mais Hérode, animé par le ressentiment[7] de la mort de son frère, ardent à se venger des auteurs du meurtre, culbuta rapidement les troupes qui lui faisaient face, et ensuite, tournant successivement ses efforts contre ceux qui résistaient encore, les mit tous en fuite. Il y eut un grand carnage, car les fuyards étaient refoulés dans la bourgade d'où ils étaient sortis, tandis qu'Hérode, tombant sur leurs derrières, les abattait en foule. Il les relança même à l'intérieur du village, où il trouva toutes les maisons garnies de soldats et les toits mêmes chargés de tireurs. Quand il en eut fini avec ceux qui luttaient dehors, Hérode, éventrant les habitations, en extrayait ceux qui s'y cachaient. Beaucoup périrent en masse sous les débris des toits qu'il fit effondrer ceux qui s'échappaient des ruines étaient reçus par les soldats à la pointe de l'épée : tel fut l'amoncellement des cadavres que les rues obstruées arrêtaient les vainqueurs. Les ennemis ne purent résister à ce coup : quand le gros de leur armée, enfin rallié, vit l'extermination des soldats du village, ils de dispersèrent. Enhardi par ce succès, Hérode eut aussitôt marché sur Jérusalem, si une tempête d'une extrême violence ne l'en avait empêché. Cet accident ajourna la complète victoire d'Hérode et la défaite d'Antigone, qui songeait déjà à évacuer la capitale.

[7] Les mss. ont les uns μῆνιν (la colère), les autres μνήμην (le souvenir).

7. Le soir venu, Hérode congédia ses compagnons fatigués et les envoya réparer leurs forces : lui-même, encore tout chaud de la lutte, alla prendre son bain comme un simple soldat, suivi d'un seul esclave. Au moment d'entrer dans la maison de bain, il vit courir devant lui un des ennemis, l'épée à la main, puis un second, un troisième, et plusieurs à la suite. C'étaient des hommes échappés au combat, qui s'étaient réfugiés, tout armés, dans les bains ; ils s'y étaient cachés et s'étaient dérobés jusque-là aux poursuites ; quand ils aperçurent le roi, anéantis par l'effroi, ils passèrent près de lui, en tremblant, quoiqu'il fut sans armes, et se précipitèrent vers les issues. Le hasard fit que pas un soldat ne se trouva là pour les saisir. Hérode, trop heureux d'en être quitte pour la peur, les laissa tous se sauver.

Hérode assiège Jérusalem. Ses noces avec Mariamme.

8. Le lendemain, il fit couper la tête à Pappos, général d'Antigone, qui avait été tué dans le combat, et envoya cette tête à son frère Phéroras, comme prix du meurtre de leur frère : car c'était Pappos qui avait tué Joseph. Quand le mauvais temps fut passé[8], il se dirigea sur Jérusalem et conduisit son armée jusque sous les murs : il y avait alors trois ans qu'il avait été salué à Rome du nom de roi. Il posa son camp devant le Temple, seul côté par où la ville fut accessible ; c'est là que Pompée avait naguère dirigé son attaque quand il prit Jérusalem. Après avoir réparti son armée en trois corps[9] et coupé tous les arbres des faubourgs ; il ordonna d'élever trois terrasses et d'y dresser des tours ; il chargea ses lieutenants les plus actifs de diriger ces travaux, et lui-même s'en alla à Samarie, rejoindre la fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, à qui, nous l'avons dit, il était fiancé. Il fit ainsi de son mariage un intermède du siège, tant il méprisait déjà ses adversaires.

[8] printemps 37 av. J.-C.

[9] Je lis avec Baber Adn. critica τρία (mss. ἔργα).

Sosius rejoint Hérode devant Jérusalem.

9. Après ses noces, il retourna à Jérusalem avec des forces plus considérables encore. Il fut rejoint par Sossius, avec une forte armée d'infanterie et de cavalerie ; il avait envoyé ces troupes en avant par l'intérieur, tandis que lui-même cheminait par la Phénicie. Quand furent concentrées toutes ses forces, qui comprenaient onze légions d'infanterie et six mille chevaux, sans compter les auxiliaires de Syrie, dont l'effectif était assez élevé, les deux chefs campèrent près du mur nord. Hérode mettait sa confiance dans les décisions du Sénat, qui l'avait proclamé roi, Sossius dans les sentiments d'Antoine, qui avait envoyé son aimée pour soutenir Hérode.

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