Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 27
Dénonciation de Salomé. Les princes aux fers. Auguste donne carte blanche à Hérode. Tribunal de Césarée ; condamnation des princes. Affaires du soldat Tiron et du barbier Tryphon. Supplice des fils de Mariamme.

Dénonciation de Salomé. Les princes aux fers. Auguste donne carte blanche à Hérode.

1.[1] Salomé vint encore exaspérer la férocité d'Hérode contre ses fils. Aristobule, dont elle était la belle-mère et la tante, voulant l'associer à leurs périls, lui manda avec insistance de veiller à son propre salut, car le roi, disait-il, méditait de la faire mourir, sous l'accusation déjà précédemment dirigée contre elle : on prétendait que, voulant épouser l'Arabe Sylléos, elle lui communiquait à la dérobée les secrets du roi, dont il était l'ennemi. Ce fut là le dernier coup de vent qui acheva de submerger les jeunes princes, battus par la tempête. Salomé courut chez le roi et lui dénonça l'avis qu'elle avait reçu. Alors Hérode, sa patience à bout, fit mettre aux fers ses deux fils, les isola l'un de l'autre et envoya en hâte auprès d'Auguste le tribun[2] Volumnius et Olympos, un de ses amis, porteurs d'un réquisitoire écrit contre les princes. Arrivés à Rome, ils remirent les lettres du roi à l'empereur ; celui-ci, vivement affligé du sort des jeunes gens, ne crut pas cependant devoir enlever au père ses droits sur ses fils. Il répondît donc à Hérode qu'il était le maître, que, cependant, il ferait bien d'examiner ce complot avec le conseil commun de ses propres parents et des administrateurs romains de la province : si les princes étaient convaincus de crime, ils méritaient la mort ; si leur seul dessein avait été de s'enfuir, une peine plus douce suffisait.

[1] Section 1 Ant., XVI, 10, 5-7 ; 11, 1.

[2] στρατοπεδάρχην. Dans Ant., XVI. 332 et 354, ce personnage n'est pas défini par sa fonction, mais ailleurs nous trouvons un Volumnius procurateur (Guerre, 1, XXVII, 2), général romain (Ant., XVI, 277) ou administrateur de la Syrie τῶν Συρίας ἐπιστατούντων 280) que je ne crois pas différent du messager d'Hérode a Rome. Tel paraît être l'avis de Naber, tandis que Niese, Kohout, etc.. distinguent deux Volumnius. S'il n'y a qu'un Volumnius, le titre de στρατοπεδάρχης doit s'interpréter, comme ailleurs (Guerre, II, XIX, 4, etc.), par tribun militaire, et non par chef d'armée comme le font les traducteurs.

Tribunal de Césarée ; condamnation des princes.

2.[3] Hérode se rendit à cet avis. Il se transporta à Beryte, lieu que César lui avait désigné, et il y réunit le tribunal. La cour était présidée par les officiers romains, auxquels César l'avait mandé par écrit, à savoir Saturninus[4] et ses légats, Pédanius[5] et autres ; y figuraient encore le procurateur Volumnius, les parents et amis de roi, puis Salomé et Phéroras, enfin les plus grands personnages de la Syrie à l'exception du roi Archélaüs[6] : car celui-ci était suspect à Hérode en qualité de beau-père d'Alexandre. Quant à ses fils, Hérode ne les fit pas comparaître : mesure très prudente, car il savait que leur seule vue inspirerait une compassion irrésistible, et que, s'ils obtenaient la parole, Alexandre n'aurait pas de peine à se justifier. Ils furent donc retenus sous bonne garde au bourg de Platané, dans le territoire de Sidon.

[3] Sections 2 et 3 Ant., XVII 11, 2-3.

[4] C. Sentuis Saturninus, gouverneur de Syrie, homme de guerre distingué, il avait été consul en 19 av. J.-C.

[5] Inconnu d'ailleurs. Peut-être le frère de Saturninus, mentionné sans Ant., XVII, § 7, comme faisant partie du tribunal.

[6] On doit conclure de ce passage qu'à cette époque le royaume de Cappadoce était placé sous la surveillance du gouverneur de Syrie.

3. Le roi, ayant pris place, parla contre eux, comme s'ils eussent été présents : il développa faiblement l'accusation de complot, faute de preuves, mais il insista sur les outrages, les railleries, les insolences, les manquements innombrables et plus cruels que la mort commis à son égard, qu'il énuméra aux conseillers. Ensuite, personne ne contredisant, il fondit en gémissements, comme un homme qui se condamnait lui-même et qui remportait sur ses enfants une douloureuse victoire, puis il demanda l'avis de chacun. Saturninus opina le premier : il déclara qu'il condamnait les jeunes gens, mais non à la peine de mort ; père lui-même de trois enfants présents à la séance, il croirait commettre une impiété s'il votait la mort des fils d'un autre. Ses deux légats[7] votèrent dans le même sens, et quelques autres les suivirent. Ce fut Volumnius qui inaugura la sentence impitoyable : après lui, tous se prononcèrent pour la mort, les uns par flatterie, les autres par haine d'Hérode, aucun par indignation. Dès lors, toute la Syrie et la Judée furent dans des transes, attendant le dénouement du drame : nul cependant ne pensait qu'Hérode pousserait la barbarie jusqu'au meurtre de ses enfants. Lui, cependant, traîna ses fils jusqu'à Tyr, et, passant par mer à Césarée, chercha là de quelle façon il les exécuterait.

[7] οἱ δύο πρεσβευται. Plus haut ils sont appelés πρεσβεῖς. Kohout objecte que : 1° d'après Ant. XVI, 369, les trois fils de Saturninus l'avaient accompagné comme πρεσβευται ; 2° Ces trois fils votent comme le père (ibid.). Comme Pedanius est aussi l'un des πρεσβεῖς (538), cela ferait, au moins, quatre ; il propose donc de lite τέτταρες au lieu de δύο. Ce qui complique la question c'est que nous ne savons pas au juste de quelle espèce de légat il s'agit : dans les provinces de l'empereur, comme la Syrie, le gouverneur étant lui-même légat (legatatus Augusti) n'a pas, comme le proconsul dans ses provinces sénatoriales, trois légats proprement dits sous ses ordres (Dion Cass. 53. 11, .7), mais il a à côté de lui des legati Augusti iuridici (depuis Auguste selon Mommsen. Eph. epig., 5 656) et des legati Augusti legionis (en Syrie 3 ou 4 selon le nombre des légions). Certaines provinces ont plusieurs legati iuridici (p. ex. la Tarraconaise), d'autres un seul ; les inscriptions ne nous apprennent rien de ceux de Syrie.

Affaires du soldat Tiron et du barbier Tryphon.

4.[8] Il y avait dans l'armée du roi un vieux soldat nommé Tiron, dont le fils était l'ami ultime d'Alexandre et qui lui-même avait les princes en particulière affection. Dans l'excès de son indignation, il perdit la raison. D'abord, courant çà et là, il s'écriait que le droit était foulé aux pieds, la vérité morte, la nature confondue, le monde rempli d'iniquité, et autres discours que la douleur suggérait à un homme indifférent à la vie. Enfin il se présenta devant le roi et lui tînt ce langage : « Maudit entre tous les hommes, toi qui, contre les êtres les plus chers, suis le conseil des plus méchants, s'il est vrai que Phéroras et Salomé, que tu as plus d'une fois condamnés à mort, trouvent crédit auprès de toi contre tes enfants. Ne vois-tu pas qu'ils t'enlèvent tes héritiers légitimes pour te laisser le seul Antipater, qu'ils se sont choisi pour roi, afin d'en tenir les ficelles ? Mais prends garde que la mort de ses frères ne soulève un jour contre lui la haine de l'armée ; car il n'y a personne qui ne plaigne ces pauvres jeunes gens, et beaucoup de chefs font même éclater librement leur indignation ». Ce disant, Tiron nommait les mécontents. Là-dessus le roi les fit arrêter aussitôt, mais aussi Tiron et son fils.

[8] Section 4 Ant., XVI, 11, 4-5.

5.[9] A ce moment, un des barbiers du roi, nommé Tryphon, saisi d'une sorte de frénésie, s'élança et se dénonça lui-même. « Et moi aussi, dit-il, ce Tiron a voulu me persuader, lorsque je ferais mon office auprès de toi, de te tuer avec mon rasoir, et il me promettait de grandes récompenses au nom d'Alexandre ». En entendant ces mots, Hérode ordonne de soumettre à la question Tiron, son fils et le barbier, et comme les premiers niaient tout et que le barbier n'ajoutait rien à son témoignage, il commanda de torturer Tiron plus sévèrement encore. Alors, pris de pitié, le fils offrit au roi de tout raconter s'il voulait épargner son père. Et comme Hérode lui octroya sa demande, il déclara qu'effectivement son père, à l'instigation d'Alexandre, avait voulu tuer le roi. Ce témoignage, selon les uns, n était qu'une invention destinée à faire cesser les souffrances du père ; d'autres y voyaient l'expression de la vérité.

[9] Section 5-6 Ant., XVI. 11, 6-7.

Supplice des fils de Mariamme.

6. Hérode réunit une assemblée publique, y accusa les officiers coupables ainsi que Tiron, et ameuta le peuple contre eux ; on les acheva sur la place même, avec le barbier, à coups de bâtons et de pierres. Il envoya ensuite ses fils à Sébasté, ville peu éloignée de Césarée, et ordonna de les y étrangler. L'ordre fut promptement exécuté ; puis il fit transporter les corps dans la forteresse d'Alexandréon pour y être ensevelis auprès de leur grand-père maternel Alexandre. Telle fut la fin d'Alexandre et d'Aristobule[10].

[10] Hiver 7 à 6 av. J.-C.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant