Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 2
Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. – 66 ap. J.-C.)

CHAPITRE 16
Enquête de Neapolitanus à Jérusalem. Grand discours d'Agrippa aux Juifs pour les dissuader de la guerre.

Enquête de Neapolitanus à Jérusalem.

1. Cependant Florus fournit un nouvel aliment au conflit en faisant à Cestius un rapport mensonger sur la défection des Juifs ; il attribuait à ceux-ci le commencement des hostilités et mettait sur leur compte les violences qu'ils avaient en réalité souffertes. D'autre part, les magistrats de Jérusalem ne gardèrent pas le silence : ils écrivirent, ainsi que Bérénice, à Cestius pour lui apprendre quelles iniquités Florus avait commises contre la cité. Cestius, ayant pris connaissance des lettres des deux partis, en délibéra avec ses lieutenants. Ceux-ci étaient d'avis que Cestius montent lui-même vers Jérusalem avec son armée, soit pour punir la défection, si elle était réelle, soit pour raffermir la fidélité des Juifs, s'ils étaient restés dans le parti de Rome ; mais le gouverneur préféra envoyer d'abord un de ses amis pour faire une enquête sur les événements et lui rapporter fidèlement les dispositions d'esprit des Juifs. Il choisit pour cette mission le tribun Neapolitanus[1] qui rencontra à Jamnée Agrippa[2] revenant d'Alexandrie, et lui fit connaître de qui il tenait sa mission et quel en était l'objet.

[1] Quelques manuscrits ont Politianus, mais Vita, § 121, donne Νεοπολιτανός (il est ici qualifié de tribun d'une aile de cavalerie).

[2] Jamnée n'est pas sur la route directe de Césarée à Jérusalem ; on a supposé un détour intentionnel.

2. Les grands-prêtres des Juifs, les notables et le Conseil s'étaient également rendus dans cette ville pour saluer le roi. Après lui avoir présenté leurs hommages, ils se lamentèrent sur leurs propres malheurs et peignirent la cruauté de Florus. A ce récit, Agrippa s'indigna, mais en bon diplomate il tourna sa colère contre les Juifs, qu'il plaignait au fond du cœur ; il voulait ainsi humilier leur fierté et, en feignant de ne pas croire à leurs griefs, les détourner de la vengeance. Ces Juifs, qui représentaient une élite et qui, en leur qualité de riches, désiraient la paix, comprirent la bienveillance contenue dans la réprimande du roi. Mais le peuple de Jérusalem s'avança à une distance de soixante stades au-devant d'Agrippa et de Neapolitanus pour les recevoir ; les femmes des Juifs massacrés couraient en avant et poussaient des cris perçants ; à leurs gémissements, le peuple répondait par des lamentations, suppliait Agrippa de le secourir, criait à Neapolitanus les souffrances que Florus leur avait infligées. Entrés dans la ville, les Juifs leur montrèrent l'agora déserte et les maisons ravagées. Ensuite, par l'entremise d'Agrippa, ils persuadèrent Neapolitanus de faire le tour de la ville accompagné d'un seul serviteur, jusqu'à Siloé[3], pour se rendre compte que les Juifs obéissaient volontiers à tous les Romains, mais qu'ils haïssaient le seul Florus pour l'excès de ses cruautés envers eux. Quand le tribun eut fait sa tournée et fut suffisamment édifié sur leur esprit de soumission, il monta au Temple. Il y convoqua la multitude des Juifs, les félicita chaudement de leur fidélité envers les Romains, les encouragea avec insistance à maintenir la paix, et, après avoir fait ses dévotions à Dieu dans le rayon permis[4], s'en retourna auprès de Cestius.

[3] C'est-à-dire jusqu'à la fontaine (au S. de la ville) dérivée de la source de ce nom.

[4] C'est-à-dire sans dépasser la grille (τρύφακτος) qui séparait le parvis extérieur du péribole intérieur, interdit aux païens sous peine de mort.

Grand discours d'Agrippa aux Juifs pour les dissuader de la guerre.

3. Alors la multitude, se retournant vers le roi et les grands prêtres, les adjura d'envoyer à Néron des députés pour accuser Florus, et de ne pas faire le silence autour d'un massacre aussi affreux, qui laisserait planer sur les Juifs le soupçon de révolte ; ils passeraient pour avoir commencé les hostilités à moins que, prenant les devants, ils n'en dénonçassent le premier auteur. Il était clair qu'ils ne se tiendraient pas en repos, si l'on s'opposait à l'envoi de cette ambassade. Agrippa voyait des inconvénients à élire des accusateurs contre Florus, mais il sentait aussi pour lui le danger de fermer les yeux sur la tourmente qui entraînait les Juifs vers la guerre. Il convoqua donc la multitude au Xyste et se plaça bien en vue avec sa sœur Bérénice sur le toit du palais des Asmonéens : ce palais s'élevait au-dessus du Xyste et sa façade regardait les terrains qui font vis-à-vis à la ville haute ; un pont reliait le Xyste au Temple[5]. Là, Agrippa prononça le discours suivant[6].

[5] La ville haute (au S.-O.) était séparée par un ravin de la colline du Temple. Sur le « glacis » de la ville haute, bordé par l'ancien mur de David (Guerre, V, 144), se trouvait le Xyste (terrasse au sol dallé ou aplani), relié à la colline d'en face par un pont qui aboutissait vers le milieu du portique O. (Guerre, VI, 325). Le palais des Asmonéens s'élevait sur une éminence à côté (à l'O.) du Xyste, et Agrippa s'y était construit un appartement d'où la vue plongeait sur le Temple (Ant., XX, § 189 suiv.). Les mots πρὸς τὸ πέραν τῆς ἄνω πόλεως sont d'ailleurs loin d'être clairs, et plusieurs commentateurs placent le Xyste sur la colline même du Temple.

[6] Sur la source et l'exactitude des renseignements statistiques donnés par Josèphe dans ce discours cf. Friedlaender, De fonte quo Josephus B. J. II, 16, 4, usus sit (Koenigsberg, Lectionsverzeicbniss 1873) ; Domaszewski, Die Dislokation des rümischen Heeres im J. 66 n. Chr. (Rh. Museum, 1892, p. 207-218).

4. « Si je vous avais vus tous résolus à la guerre contre les Romains, sans que la partie la plus honnête et la plus scrupuleuse de votre nation se prononçât pour la paix, je ne me serais pas présenté devant vous et je n'aurais pas osé vous adresser des conseils ; car il est inutile de plaider en faveur du bon parti quand il y a, chez les auditeurs, unanimité pour le plus mauvais. Mais puisque ce qui vous entraîne c'est, les uns, un âge qui n'a pas encore l'expérience des maux de la guerre, les autres, une espérance irréfléchie de liberté, quelques-uns enfin la cupidité et le désir d'exploiter les plus faibles à la faveur d'un bouleversement général, j'ai pensé, afin de ramener les égarés à la raison, afin d'épargner aux gens de bien les conséquences de la faute de quelques téméraires, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous réunir tous pour vous dire ce que je crois utile à vos intérêts. Que personne ne proteste bruyamment, s'il entend des paroles qui ne lui paraissent pas agréables : ceux qui sont irrévocablement décidés à la rébellion sont libres, après mon exhortation, de persister dans leurs sentiments ; et d'autre part, mes paroles seraient perdues même pour ceux qui veulent les écouter, si, tous, vous ne faisiez pas silence.

« Je sais que beaucoup présentent sur le ton tragique les violences des procurateurs et le panégyrique de la liberté quant à moi, je veux, avant d'examiner qui vous êtes et contre qui vous engagez la lutte, prendre séparément les prétextes qu'on a confondus. Car si votre objet est de vous venger de l'injustice, à quoi bon exalter la liberté ? Si, au contraire, c'est la servitude que vous trouvez insupportable, le réquisitoire contre les gouverneurs devient superflu : fussent-ils les plus justes du monde, la servitude n'en serait pas moins honteuse.

« Considérez donc, en prenant chaque argument à part, combien sont faibles vos raisons de faire la guerre ; et d'abord, voyons vos griefs contre les procurateurs. Il faut adoucir la puissance en la flattant, non l'irriter ; quand vous vous élevez avec violence contre de petits manquements, c'est à vos dépens que vous dénoncez les coupables : au lieu de vous maltraiter, comme auparavant, en secret, avec quelque honte, c'est à découvert qu'ils vous persécuteront. Rien n'arrête si bien les coups que de les supporter, et la patience des victimes tourne à la confusion des bourreaux. Mais j'admets que les ministres de la puissance romaine soient d'une dureté intolérable ; on ne doit pas en conclure que tous les Romains soient injustes envers vous, non plus que César : or, c'est contre eux tous, c'est contre lui que vous entreprenez la guerre ! Ce n'est point sur leur ordre que vous vient de là-bas un oppresseur, et ils ne peuvent voir de l'occident ce qui se passe en orient ; même il n'est pas facile de se renseigner là-bas sur les événements d'ici. Il est donc insensé, à cause d'un seul, d'entrer en lutte contre tout un peuple, de s'insurger, pour des griefs insignifiants, contre une telle puissance, sans qu'elle sache seulement le sujet de vos plaintes. D'autant que la fin de vos maux ne se fera guère attendre : le même procurateur ne reste pas toujours en fonctions, et il est vraisemblable que les successeurs de celui-ci seront plus modérés, en revanche, la guerre une fois engagée, vous ne sauriez ni l'interrompre ni la supporter sans vous exposer à tous les maux.

« J'arrive à votre passion actuelle de la liberté : je dis qu'elle ne vient pas à son heure. C'est autrefois que vous deviez lutter pour ne pas perdre vos franchises, car subir la servitude est pénible, et rien n'est plus juste que de combattre pour l'éviter. Mais après qu'on a une fois reçu le joug, tâcher ensuite de le secouer, c'est agir en esclave indocile, non en amant de la liberté. Il fut un jour où vous deviez tout entreprendre pour repousser les Romains : c'est quand Pompée envahit notre contrée. Mais nos ancêtres et leurs rois, qui nous étaient bien supérieurs par la richesse, la vigueur du corps et celle de l'âme, n'ont pu résister alors à une petite fraction de la puissance romaine ; et vous, assujettis de pères en fils, vous, inférieurs en ressources à ceux qui obéirent les premiers, vous braveriez l'empire romain tout entier !

« Voyez les Athéniens, ces hommes qui, pour maintenir la liberté des Grecs, livrèrent jadis leur ville aux flammes ; devant eux l'orgueilleux Xerxès, qu'on avait vu naviguer les continents et chevaucher les flots[7], Xerxès pour qui les mers étaient trop étroites, qui conduisait une armée débordant l'Europe, Xerxès finit par s'enfuir comme un esclave évadé sur un seul esquif. Eh bien, ces hommes, qui, près de la petite Salamine ont brisé cette immense Asie, aujourd'hui ils obéissent aux Romains, et les ordres venus d'Italie régissent la cité qui fut la reine de la Grèce. Voyez les Lacédémoniens : après les Thermopyles et Platées, après Agésilas qui poussa une reconnaissance à travers l'Asie[8], les voilà satisfaits d'obéir aux mêmes maîtres. Voyez les Macédoniens, qui ont encore présents à l'esprit Philippe et Alexandre, et l'empire du monde palpitant devant eux, ils supportent cependant un si grand changement et révèrent ceux à qui la fortune a passé. Mille autres nations, le cœur gonflé de l'amour de la liberté, ont plié. Et vous seuls jugeriez intolérable de servir ceux à qui tout est asservi !

[7] Allusion au canal de l'Athos et au pont sur l'Hellespont.

[8] En lisant avec Naber εἰρηνεύσαντα, au lieu de ἐρευνήσαντα, on obtient un sens moins satisfaisant.

« Et dans quelles forces, dans quelles armes placerez-vous votre confiance ? Où est la flotte qui s'emparera des mers que domine Rome ? où sont les trésors qui subviendront aux dépenses de vos campagnes ? Croyez-vous donc partir en guerre contre des Égyptiens ou des Arabes ? Ne vous faites-vous pas une idée de la puissance de Rome ? Ne mesurez-vous pas votre propre faiblesse ? N'est-il pas vrai que vos armes ont été souvent vaincues même par les nations voisines, tandis que les leurs n'ont jamais subi d'échec dans le monde connu tout entier ? Que dis-je ? ce monde même n'a pas suffi à leur ambition : c'était peu d'avoir pour frontières tout le cours de l'Euphrate à l'orient, l'Ister au nord, au midi la Libye explorée jusqu'aux déserts, Gadès à l'occident ; voici que, au delà de l'océan, ils ont cherché un nouveau monde et porté leurs armes jusque chez les Bretons auparavant inconnus. Parlez : êtes-vous plus riches que les Gaulois, plus forts que les Germains, plus intelligents que les Grecs, plus nombreux que tous les peuples du monde ? Quel motif de confiance vous soulève contre les Romains ?

« Il est dur de servir, direz-vous. Combien plus dur pour les Grecs qui, supérieurs en noblesse à toutes les nations qu'éclaire le soleil, les Grecs qui, établis sur un si vaste territoire, obéissent à six faisceaux d'un magistrat romain[9] ! Il n'en faut pas davantage pour contenir les Macédoniens, qui, à plus juste titre que vous, pourraient revendiquer leur liberté. Et les cinq cents villes d'Asie[10] ? Ne les voit-on pas, sans garnison, courbées devant un seul gouverneur et les faisceaux consulaires ? Parlerai-je des Hénioques, des Colques, de la race des Tauriens, des gens du Bosphore, des riverains du Pont-Euxin et du lac Méotide ? Ces peuples, qui jadis ne connaissaient pas même un maître indigène, obéissent maintenant à 3.000 fantassins ; 40 vaisseaux longs suffisent à faire régner la paix sur une mer naguère inhospitalière et farouche[11]. Quels tributs payent, sans la contrainte des armes, la Bithynie, la Cappadoce, la nation Pamphylienne, les Lyciens, les Ciliciens, qui pourtant auraient des titres de liberté à faire valoir ? Et les Thraces, qui occupent un pays large de cinq jours de marche et long de sept, plus rude et beaucoup plus fort que le vôtre, où la seule rigueur des glaces arrête un envahisseur, les Thraces n'obéissent-ils pas à une armée de 2.000 Romains[12] ? Les Illyriens, leurs voisins, qui occupent la région comprise entre la Dalmatie et l'Ister, ne sont-ils pas tenus en bride par deux légions romaines, avec lesquelles eux-mêmes repoussent les incursions des Daces[13] ? Les Dalmates aussi, qui tant de fois ont secoué leur crinière, qui, toujours vaincus, ont tant de fois ramassé leurs forces pour se rebeller encore, ne vivent-ils pas en paix sous la garde d'une seule légion[14] ? Certes, s'il est un peuple que des raisons puissantes dussent porter à la révolte, ce sont les Gaulois que la nature a si bien fortifiés, à l'orient par les Alpes, au nord, par le fleuve Rhin, au midi par les monts Pyrénées, du côté du couchant par l'océan. Cependant, quoique ceintes de si fortes barrières, quoique remplies de 305 nations[15], les Gaules, qui ont pour ainsi dire en elles-mêmes les sources de leur richesse et font rejaillir leurs productions sur le monde presque entier, les Gaules supportent d'être devenues la vache à lait des Romains et laissent gérer par eux leur fortune opulente. Et si les Gaulois supportent ce joug, ce n'est point par manque de cœur ou par bassesse, eux qui pendant quatre-vingts ans[16] ont lutté pour leur indépendance, mais ils se sont inclinés, étonnés à la fois par la puissance de Rome et par sa fortune, qui lui a valu plus de triomphes que ses armes mêmes. Voilà pourquoi ils obéissent à douze cents soldats[17], eux qui pourraient leur opposer presque autant de villes[18] ! Quant aux Ibères, ni l'or que produit leur sol, ni l'étendue de terres et de mers qui les sépare des Romains, ni les tribus des Lusitaniens et des Cantabres, ivres de guerre, ni l'océan voisin dont le reflux épouvante les habitants eux-mêmes, rien de tout cela n'a suffi dans leur guerre pour l'indépendance : les Romains, étendant leurs armes au delà des colonnes d'Hercule, franchissant à travers les nuées les monts Pyrénées, les ont réduits, eux aussi, en servitude : ces peuples si belliqueux, si lointains, une seule légion suffit à les garder[19] ! Qui de vous n'a entendu parler de la multitude des Germains ? assurément vous avez pu juger souvent de la vigueur et de la grandeur de leurs corps, puisque partout les Romains traînent des captifs de ce pays. Ces peuples habitent une contrée immense, ils ont le cœur encore plus haut que la stature, une âme dédaigneuse de la mort, des colères plus terribles que celles des bêtes les plus sauvages, eh bien, le Rhin oppose une barrière à leur impétuosité : domptés par huit légions romaines[20], les uns réduits en captivité, servent comme esclaves, et le reste de la nation a trouvé son salut dans la fuite. Regardez encore comment étaient fortifiés les Bretons, vous qui mettez votre confiance dans les fortifications de Jérusalem : l'océan les entoure, ils habitent une île qui n'est pas inférieure en étendue à notre continent habité tout entier[21] ; pourtant les Romains, traversant la mer, les ont asservis ; quatre légions[22] contiennent cette île si vaste. Mais pourquoi insister, quand les Parthes eux-mêmes, cette race si guerrière, souveraine de tant de nations, pourvue de forces si nombreuses, envoie des otages aux Romains[23], et qu'on peut voir en Italie la noblesse de l'orient, sous prétexte de paix, languir dans les fers ?

[9] L'Achaïe formait depuis 27 av. J.-C. une province sénatoriale, gouvernée par un proconsul de rang prétorien. Josèphe ne tient naturellement pas compte de la « liberté » des Grecs proclamée en 67 par Néron.

[10] Chiffre probablement exagéré (Ptolémée n'en compte que 140), mais qui concorde avec celui de Philostrate, Vie des sophistes, II, 1, 4 Didot.

[11] Renseignements inédits. Les 3.000 hommes sont ou des cohortes auxiliaires, ou des détachements d'une légion de Moesie. C'est à tort que Villefosse (art. Classis du Dict. des antiq., p. 1234b) y voit les équipages de la flotte de l'Euxin (classis Pontica). L'occupation militaire de ces contrées parait dater de l'an 63 ap. J.-C. (déposition de Polémon II).

[12] Détachés de l'armée de la Moesie, dont relevait la Thrace.

[13] Il s'agit de l'armée de Moesie, qui comprenait deux légions : VIII Augusta et VII Claudia (cette dernière fut, en 70, transférée en Germanie). Josèphe ne parle pas de la légion de Pannonie, XIII Gemina.

[14] La légion XI Claudia (la VIIe, jadis aussi en Dalmatie, ayant été ramenée en Moesie sous Néron).

[15] 400 selon Appien, Celt., I, 2 (p. 24 Didot), 300 selon Plutarque, César, 15. Ce sont les pagi, subdivisions des civitates.

[16] Depuis la constitution de la province Narbonnaise (121 av. J.-C. ?) jusqu'à la fin des campagnes de César il s'est écoule environ 70 ans.

[17] Il s'agit des deux cohortes urbanae (XVII et XVIII) stationnées à Lyon, cf. Tacite, Hist. I, 64 ; Mommsen, Hermes, XVI, 645; Dessau, Inscr. latinae selectae, I, n° 2130. Domaszewski ne tient compte que de la XVIIIe.

[18] « Plus de 800 villes » selon Appien. loc. cit.

[19] La VI Victrix. Quant à la X Gemina, qu'on trouve en Espagne sous Néron et de nouveau sous Galba (Tac. Hist. V, 16), il y a lieu de croire qu'entre 66 et 68 elle a été détachée en Germanie.

[20] En comptant la X Gemina, détachée de l'armée d'Espagne.

[21] Exagération colossale, mais qui a des analogies ailleurs (cf. Pline, IV, c. 30).

[22] II Augusta, IX Hispana, XIV Gemina Mania Victrix (rappelée en 68), XX Valeria Victrix.

[23] Par exemple la fille de Tiridate, en 63 ap. J.-C. (Tac., XV, 30). Cf. aussi Dion, LXII, 23.

« Ainsi, lorsque presque tous les peuples éclairés par le soleil s'agenouillent devant les armes des Romains, serez-vous les seuls à les braver, sans considérer comment ont fini les Carthaginois, qui, fiers du grand Annibal et de la noblesse de leur origine Phénicienne, sont tombés sous la droite de Scipion ? Ni les Cyréniens, fils de Lacédémone, ni les Marmarides, race qui s'étend jusqu'aux régions de la soif, ni le rivage des Syrtes, dont le nom seul fait frémir, ni les Nasamons, ni les Maures, ni l'innombrable multitude des Numides n'ont ébranlé la valeur romaine. Cette troisième partie du monde habité, dont il n'est pas facile même de compter les peuplades, qui, bordée par l'océan Atlantique et les colonnes d'Hercule, nourrit jusqu'à la mer Rouge les Éthiopiens sans nombre, ils l'ont soumise tout entière, et ces peuples, outre leurs productions annuelles, qui alimentent pendant huit mois la plèbe de Rome, paient encore par surcroît d'autres tributs variés et versent sans balancer leurs revenus au service de l'Empire, loin de voir, comme vous, un outrage dans les ordres qu'ils reçoivent, alors qu'une seule légion séjourne parmi eux[24].

[24] La III Augusta, stationnée dans la province sénatoriale d'Afrique. On voit que c'est à tort que Domaszewski signale l'oubli de cette légion par Josèphe.

« Mais pourquoi chercher si loin les preuves de la puissance romaine, quand je puis les prendre à vos portes mêmes, en Égypte ? Cette terre, qui s'étend jusqu'au pays des Éthiopiens et à l'Arabie heureuse, qui confine à l'Inde, qui contient sept millions cinq cent mille habitants[25], sans compter la population d'Alexandrie, comme on peut le conjecturer d'après les registres de la capitation, cette terre subit sans honte la domination romaine ; et pourtant, quel merveilleux foyer d'insurrection elle trouverait dans Alexandrie, si peuplée, si riche, si vaste ! Car la longueur de cette ville n'est pas moindre de trente stades, sa largeur de dix[26] ; le tribut qu'elle fournit aux Romains surpasse celui que vous payez dans l'année ; outre l'argent, elle envoie à Rome du blé pour quatre mois[27], et de toutes parts elle est défendue par des solitudes infranchissables, des mers dépourvues de ports, des fleuves et des marais. Mais rien de tout cela n'a prévalu contre la fortune de Rome : deux légions[28], établies dans cette cité, tiennent en bride la profonde Égypte et l'orgueil de race des Macédoniens.

[25] Sept millions selon Diodore, I, 31. Il faut ajouter 300.000 âmes pour Alexandrie.

[26] 7 ou 8 seulement d'après Strabon, XVII, 1, 8.

[27] Ainsi l'Égypte fournissait alors le tiers, l'Afrique les deux tiers du blé nécessaire à l'alimentation de Rome. Le total était de 60 millions de boisseaux (cf. Aurel Victor, Epit. 1, qui donne 20 millions pour la part de l'Égypte).

[28] III Cyrenaica et XXII Deiotariana.

« Quels alliés espérez-vous donc pour cette guerre ? Les tirerez-vous des contrées inhabitables ? car sur la terre habitable, tout est romain, à moins que nos espérances ne se portent au delà de l'Euphrate et que vous ne comptiez obtenir des secours des Adiabéniens, qui sont de votre race[29] ; mais ils ne s'engageront pas dans une si grande guerre pour de vains motifs, et s'ils méditaient pareille folie, le Parthe ne le leur permettrait pas ; car il veille à maintenir la trêve conclue avec Rome, et il croirait violer les traités s'il laissait un de ses tributaires marcher contre les Romains.

[29] Plus exactement : dont la dynastie (Hélène et ses fils) s'était convertie au judaïsme (cf. Ant., XX, 1,2). L'Adiabène était vassale des Parthes et, à ce titre, avait combattu avec eux en Arménie contre les Romains sous Néron.

« Il ne vous reste donc d'autre refuge que la protection de Dieu. Mais ce secours encore, Rome peut y compter, car sans lui, comment un si vaste empire eut-il pu se fonder ? Considérez de plus combien les prescriptions de votre culte sont difficiles à observer dans leur pureté, même si vous luttiez contre des troupes peu redoutables : contraints à transgresser les principes où réside votre principal espoir en l'aide de Dieu, vous le détournerez de vous. Si vous observez le sabbat et refusez ce jour-là tout travail, vous serez facilement vaincus, comme le furent vos ancêtres, quand Pompée pressait le siège, les jours mêmes où les assiégés restaient dans l'inaction[30] ; si au contraire, vous violez dans la guerre la loi de vos ancêtres, je ne vois plus alors quel sens aurait la lutte, puisque tout votre souci, c'est de ne rien changer aux institutions de vos pères. Comment donc invoquerez-vous Dieu pour votre défense, si vous manquez volontairement au culte que vous lui devez ?

[30] Cf. Ant., XIV, § 63 suiv.

« Tous ceux qui entreprennent une guerre mettent leur confiance soit dans le secours de Dieu, soit dans celui des hommes ; dès lors, quand suivant toute vraisemblance l'un et l'autre leur manquera, ils vont au-devant d'une ruine certaine. Qu'est-ce donc qui vous empêche de faire périr plutôt de vos propres mains vos enfants et vos femmes et de livrer aux flammes votre magnifique patrie ? Démence, direz-vous : mais du moins vous vous épargnerez ainsi la honte de la défaite. Il est beau, mes amis, il est beau, tandis que la barque est encore au mouillage, de prévoir l'orage futur, afin de ne pas être emporté du port au milieu des tempêtes ; à ceux qui succombent à des désastres imprévus, il reste l'aumône de la pitié : mais courir à une perte manifeste, c'est mériter par surcroît l'opprobre.

« Car n'allez pas penser que la guerre se fera selon des conditions particulières et que les Romains vainqueurs vous traiteront avec douceur ; bien plutôt, pour vous faire servir d'exemple aux autres nations, ils incendieront la ville sainte et détruiront toute votre race. Même les survivants ne trouveront aucun refuge, puisque tous les peuples ont pour maîtres les Romains, ou craignent de les avoir. Au reste, le danger menace non seulement les Juifs d'ici, mais encore ceux qui habitent les villes étrangères, et il n'y a pas au monde un seul peuple qui ne contienne une parcelle du notre[31]. Tous ceux-là, si vous faites la guerre, leurs ennemis les égorgeront, et la folie d'une poignée d'hommes remplira toutes les villes du carnage des Juifs. Ce massacre trouverait une excuse ; que si par hasard il ne s'accomplissait pas, pensez quel crime de porter les armes contre des hommes si pleins d'humanité ! Prenez donc pitié, sinon de vos enfants et de vos femmes, du moins de cette capitale et de ces saints parvis. Épargnez le Temple, préservez pour vous-mêmes le sanctuaire avec ses vases sacrés : car les Romains, vainqueurs, n'épargneront plus rien, voyant que leurs ménagements passés ne leur ont valu que l'ingratitude. Pour moi, je prends à témoin les choses saintes que vous possédez, les sacrés messagers de Dieu et notre commune patrie, que je n'ai rien négligé de ce qui pouvait contribuer à votre salut ; quant à vous, si vous décidez comme il faut, vous jouirez avec moi des bienfaits de la paix ; si vous suivez votre colère, vous affronterez sans moi ces suprêmes dangers[32] ».

[31] Ce sont presque les mêmes expressions que chez Strabon, XIV, 7, 2 (Textes relatifs au judaïsme, n° 51) et Sénèque (ibid., n° 145).

[32] Ce long discours est certainement le plus remarquable dans toute l'œuvre de Josèphe, à la fois par l'habile rhétorique et par l'abondance et la précision des renseignements concernant l'empire romain et en particulier son organisation militaire. On ne saurait, quoi qu'on en ait dit, y voir un document authentique, le discours même prononcé à cette occasion par Agrippa : ces détails minutieux n'auraient d'ailleurs nullement intéressé son auditoire. Mais il n'est pas facile de déterminer à quel auteur, évidemment contemporain, Josèphe a pu emprunter ce morceau. Peut-être devons-nous tout simplement voir ici la main d'un de ces grammairiens grecs très instruits, probablement alexandrins, que Josèphe a eus pour collaborateurs dans son premier ouvrage.

5. Après avoir ainsi parlé, il fondit en larmes, et sa sœur avec lui ; ces pleurs touchèrent sensiblement le peuple. Cependant les Juifs s'écrièrent qu'ils ne faisaient pas la guerre contre les Romains, mais contre Florus, à cause du mal qu'il leur avait causé. Alors le roi Agrippa : « Mais vos actes, dit-il, sont déjà des faits de guerre contre Rome : vous n'avez pas payé le tribut de César, vous avez abattu les portiques de la citadelle Antonia. Si vous voulez écarter de vous le reproche de défection, rétablissez les portiques et payez l'impôt ; car assurément ce n'est pas à Florus qu'appartient la citadelle, ce n'est pas à Florus qu'ira votre tribut ».

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