Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 3
Depuis la prise du commandement par Vespasien jusqu'à la soumission de la Galilée (67 ap. J.-C.)

CHAPITRE 2
Tentatives infructueuses des Juifs contre Ascalon. Vespasien à Ptolémaïs ; soumission des Sepphorites.

Tentatives infructueuses des Juifs contre Ascalon.

1. Cependant les Juifs. après la défaite de Cestius, enflés par ce succès inattendu, ne pouvaient contenir leur élan, et, comme emportés par le tourbillon de la Fortune, ne pensaient qu'à pousser la guerre plus loin. Leurs meilleurs combattants se rassemblèrent en toute hâte et coururent contre Ascalon. C'est une ancienne ville, éloignée de cinq cent vingt stades de Jérusalem[1], qui avait toujours été odieuse aux Juifs. Aussi en firent-ils l'objet de leurs premières attaques. Trois hommes, remarquables par la vigueur physique et la capacité, dirigeaient l'expédition : Niger, de la Pérée, Silas de Babylone et Jean l'Essénien. Ascalon avait de solides murailles, mais presque point de défenseurs ; toute la garnison consistait en une cohorte d'infanterie et une aile de cavalerie commandée par Antonins.

[1] Environ 92 kilomètres. A vol d'oiseau la distance n'est que de 70 kilomètres.

2. L'ardeur des Juifs leur fit faire tant de diligence qu'ils tombèrent sur la ville comme si elle eût été à portée de main. Cependant Antonius ne se laissa pas surprendre. Informé de leur approche, il fit sortir sa cavalerie de la place, et, sans s'émouvoir ni du nombre ni de l'audace des ennemis, soutint avec fermeté leurs premières attaques et repoussa ceux qui se ruaient contre les remparts. On voyait aux prises des guerriers novices avec des soldats exercés, des fantassins avec des cavaliers, l'indiscipline avec la cohésion, un armement de fortune avec un équipement régulier et complet ; d'une part, des mouvements dirigés par la colère plutôt que par la réflexion, de l'autre une troupe docile, manœuvrant avec ensemble au moindre signal. Aussi les assaillants furent-ils aisément défaits ; une fois leurs premiers rangs rompus par la cavalerie, ils prirent la fuite. Les fuyards tombent sur ceux qui, plus en arrière, prenaient encore leur élan contre les murailles ; ils s'embarrassèrent les uns les autres, jusqu'à ce qu'enfin tous, brisés par les charges répétées de la cavalerie, se dispersèrent dans la plaine. Celle-ci était vaste et tout entière propre aux chevauchées, circonstance qui fournit un puissant avantage aux Romains et favorisa le carnage des Juifs. Car les cavaliers, devançant les fuyards, faisaient ensuite volte-face, fondaient sur les pelotons épais qu'agglomérait la panique, et les sabraient en masse ; d'autres petits détachements, se retirant çà et là en désordre, se laissèrent cerner : les cavaliers galopaient autour d'eux en les abattant sans peine à coups de javelots. Les Juifs, malgré leur multitude, se sentaient isolés dans leur détresse ; les Romains, au contraire, malgré leur faible effectif, s'imaginaient, dans l'entraînement du succès, l'emporter sur l'ennemi même en nombre[2]. Cependant, les uns s'acharnaient contre leur défaite, dans la honte de la débandade et l'espoir d'un retour de fortune ; les autres, sans se lasser, voulaient pousser à bout leur victoire ; ainsi le combat dura jusqu'au soir, et dix mille cadavres juifs, dont ceux de deux généraux, Jean et Silas, jonchèrent le champ de bataille. Les autres, la plupart blessés, se réfugièrent avec Niger, le seul survivant des généraux, dans une bourgade d'Idumée nommée Challis[3]. Du côté des Romains, il n'y eut que quelques blessés.

[2] Nous lisons avec Niese τῶν πολεμίων (περισσεύειν) : les mss. ont τῷ πολέμῳ.

[3] Localité inconnue (d'après Riess : Djalis ou Djoulis, village à 11 kil. à l'Est d'Ascalon). Plusieurs mss. ont Σάλλις. S'agirait-il de Lachis (II Rois, 14, 19, etc.), qui était située dans le voisinage ?

3. Cependant, loin qu'un si grand échec abattit la fierté des Juifs, la douleur ne fit que redoubler leur audace. Négligeant les cadavres étendus à leurs pieds, le souvenir de leurs premiers succès les entraîna dans un nouveau désastre. Sans donner seulement aux blessés le temps de guérir, ils rassemblèrent toutes leurs forces, et, plus nombreux, avec plus de fureur, revinrent à l'assaut contre Ascalon. Mais la même inexpérience, les mêmes désavantages militaires leur valurent la même infortune. Antonius avait dressé des embuscades sur le chemin ; ils y tombèrent inconsidérément ; environnés par les cavaliers avant d'avoir pu se ranger en bataille, ils perdirent de nouveau plus de huit mille hommes ; tout le reste s'enfuit avec Niger, qui se signala dans la retraite par de nombreux actes de courage. Pressés par les ennemis, ils s'engouffrèrent dans la forte tour d'un bourg nommé Belzédek[4]. Les soldats d'Antonius, ne voulant ni user leurs forces devant une citadelle presque inexpugnable, ni laisser échapper vif celui qui était à la fois le chef et le plus brave des ennemis, mirent le feu à la muraille. En voyant la tour en flammes, les Romains se retirèrent tout joyeux, persuadés que Niger avait péri ; mais celui-ci, sautant en bas de la tour, s'était sauvé dans le souterrain le plus reculé de la forteresse. Trois jours après, des gens qui, en gémissant, cherchaient son cadavre pour l'ensevelir, entendirent soudain sa voix et le virent paraître à leurs yeux. Ce fut pour tous les Juifs une joie inespérée : ils pensèrent que la Providence divine leur avait conservé leur chef, en vue des luttes à venir.

[4] Site Inconnu. Des mss. ont Βεζεδέλ ou Beldezel.

Vespasien à Ptolémaïs ; soumission des Sepphorites.

4. Cependant Vespasien avait rassemblé ses forces à Antioche, capitale de la Syrie, ville qui, par sa grandeur et sa richesse, est la troisième du monde soumis aux Romains[5]. Il y trouva le roi Agrippa qui l'y attendait avec ses propres troupes. Le général en chef se dirigea vers Ptolémaïs. Près de cette ville, il vit venir à sa rencontre les gens de Sepphoris en Galilée, qui, seuls de cette contrée, montrèrent des sentiments pacifiques ; préoccupés de leur sûreté et connaissant la puissance romaine, ils n'avaient pas attendu l'arrivée de Vespasien pour donner des gages à Cæsennius Gallus[6] et reçu ses assurances ainsi qu'une garnison romaine. Maintenant ils firent un accueil chaleureux au général en chef et lui offrirent un concours empressé contre leurs compatriotes. Sur leurs instances, Vespasien leur donna d'abord pour leur sûreté autant de cavaliers et de fantassins qu'il jugea nécessaire pour résister aux Juifs, s'ils les attaquaient ; il estimait, en effet, que la prise de Sepphoris aurait pour la suite des opérations une importance décisive, car c'était la plus grande ville de Galilée, forte par son assiette et par ses remparts, qui en faisaient comme la citadelle de la province tout entière.

[5] Après Rome et Alexandrie.

[6] C'est le commandant de la 12e légion, précédemment nommé (liv. II, XVIII, 11). Plusieurs mss. ont à tort Cestius ; c'est aussi la leçon de Vita, § 394, où il est question de l'introduction de la garnison romaine.

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