Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 3
Depuis la prise du commandement par Vespasien jusqu'à la soumission de la Galilée (67 ap. J.-C.)

CHAPITRE 6
Tentative infructueuse de Placidus contre Jotapata. Vespasien part de Ptolémaïs ; ordre de marche de son armée. Débandade de l'armée de Josèphe à Garis.

Tentative infructueuse de Placidus contre Jotapata.

1. Pendant que Vespasien, demeuré jusqu'alors à Ptolémaïs avec son fils Titus, y organisait ses forces, Placidus, parcourant la Galilée, commençait par tuer nombre de gens qui tombaient entre ses mains : c'étaient les individus les plus débiles et les plus démoralisés de la contrée[1] ; voyant ensuite que les meilleurs combattants se réfugiaient constamment dans les places fortifiées par Josèphe, il s'attaqua à la plus forte d'entre elles, Jotapata. Il comptait l'enlever sans peine par un coup de main, s'acquérir ainsi auprès des chefs une grande réputation et leur assurer un avantage considérable pour la suite de la campagne, car, la plus forte place une fois tombée, la terreur soumettrait les autres. Cependant son espérance fut bien trompée. Les habitants de Jotapata, prévenus de son approche, l'attendirent en avant de la ville. Ils s'élancèrent inopinément contre les Romains. Nombreux, bien préparés au combat, enflammés par la pensée du danger que couraient la patrie, leurs femmes et leurs enfants, ils mirent promptement en fuite leurs adversaires, et en blessèrent un grand nombre. Toutefois ils ne leur tuèrent que sept hommes, car les Romains se replièrent en bon ordre et, protégés sur tout le corps, ne reçurent que des blessures superficielles, d'autant que les Juifs, légèrement armés et opposés à des hoplites, ne tiraient que de loin et n'osaient pas engager le corps à corps. De leur côté les Juifs eurent trois morts et quelques blessés. Placidus, se voyant trop faible pour emporter la ville, battit en retraite.

[1] Nous lisons avec Naber ταῖς ψυχαῖς ἐναπόκαμνον. certains mss. ont φυγαῖς ou φυλακαῖς.

Vespasien part de Ptolémaïs ; ordre de marche de son armée.

2. Vespasien, impatient d'envahir lui-même la Galilée, s'ébranla de Ptolémaïs, après avoir réglé, suivant l'habitude romaine, l'ordre de marche de son armée. Il plaça en tête les vélites et les archers auxiliaires, avec la mission de repousser les incursions soudaines des ennemis et de fouiller les bois suspects, propres à dissimuler des embuscades. Venait ensuite un corps[2] de soldats romains pesamment armés, fantassins et cavaliers. Ils étaient suivis d'un détachement composé de dix hommes par centurie qui portaient leurs propres bagages et les instruments d'arpentage nécessaires pour le tracé du camp. Après eux venaient les pionniers chargés de rectifier les détours de la route, d'aplanir les passages difficiles et d'abattre les broussailles gênantes, de manière à épargner à l'armée les fatigues d'une marche pénible. Derrière ceux-ci, Vespasien fit marcher son propre équipage, et celui de ses lieutenants avec un gros de cavaliers pour les garder. Il chevauchait ensuite lui-même avec l'élite de l'infanterie et de la cavalerie, et les lanciers de sa garde. Puis venait la cavalerie proprement légionnaire, car à chaque légion sont attachés cent vingt chevaux ; ensuite les mulets, portant les hélépoles[3] et les autres machines. Puis les légats, les préfets des cohortes et les tribuns, escortés de soldats d'élite. Derrière venaient les enseignes, entourant l'aigle qui, chez les Romains, conduit chaque légion, parce qu'il est le roi et le plus brave de tous les oiseaux : c'est pour eux le symbole de leur suprématie, et, quel que soit l'adversaire, le présage de la victoire. A la suite de ces images sacrées marchaient les trompettes et, derrière eux, le gros de la phalange, sur six hommes de front. Un centurion (par légion[4]) les accompagnait suivant la coutume pour surveiller le bon ordre de la marche. Derrière l'infanterie venaient tous les valets de chaque légion, menant les bagages des combattants à dos de mulet et sur d'autres bêtes de somme. En queue de la colonne, cheminait la cohue des mercenaires[5] et, enfin, pour faire le service de sûreté, une arrière-garde composée de fantassins[6] et d'un bon nombre de cavaliers.

[2] μοῖρα. Probablement une cohorte mixte (cohors equitata).

[3] Par hélépoles. Josèphe entend peut-être les béliers comme plus loin, VII, 21. Cependant dans le récit du siège de Jotapata il ne figurera qu'un seul bélier.

[4] τις ἑκατοντάρχης. Il parait peu croyable qu'un seul centurion fût chargé de la surveillance de tout le gros de la phalange.

[5] μίσθιοι (mercenarii). Soit le reste des cohortes auxiliaires (plus haut, on n'en a mentionné qu'une fraction), soit des corps spéciaux d'archers et de cavaliers barbares.

[6] πεζοί τε καὶ ὁπλίται. Ces deux derniers mots paraissent être de trop.

Débandade de l'armée de Josèphe à Garis.

3. Ainsi procédant avec son armée, Vespasien arrive aux confins de la Galilée. Là, il établit son camp et retient l'ardeur de ses soldats, qui brûlaient de combattre, se contentant de donner aux ennemis le spectacle de son armée pour les épouvanter et leur permettre de se raviser, s'ils voulaient, avant l'engagement, revenir à de meilleurs sentiments. En même temps, il complétait ses préparatifs en prévision du siège des places fortes. La vue du général en chef inspira à beaucoup d'insurgés le regret de leur défection, à tous la terreur. Les troupes qui, sous les ordres de Josèphe, campaient non loin de Sepphoris[7], près d'une ville nommée Garis, sentant la guerre à leurs portes et les Romains tout près de les attaquer, se dispersent, non seulement avant tout combat, mais avant même d'apercevoir l'ennemi. Josèphe resta seul avec un petit nombre de compagnons ; il reconnut qu'il n'était pas en force pour attendre l'ennemi de pied ferme, que l'ardeur des Juifs était tombée et que, si on voulait accepter leur parole, la plupart étaient prêts à capituler. Il conçut dès lors des craintes pour l'issue de toute la guerre, et décida pour le moment d'éviter autant que possible le danger d'une rencontre. Ramassant donc le reste de ses troupes, il se réfugia derrière les murs de Tibériade.

[7] A vingt stades suivant Vita, § 395. Garis y est qualifié de bourgade. — Kohout place, sans raison suffisante, la déroute de Garis avant la tentative de Placidus sur Jotapata.

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