Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 5
Depuis l'avance de Titus contre Jérusalem jusqu'aux premiers ravages de la famine

CHAPITRE 8
Les Romains prennent le second mur, en sont chassés, puis le reprennent.

Les Romains prennent le second mur, en sont chassés, puis le reprennent.

1. César s'empara de cette muraille cinq jours après la prise de la première[1]. Comme les Juifs avaient fui, il entra dans l'enceinte avec mille soldats d'infanterie régulière et les troupes d'élite de sa garde ; c'était le quartier de la Ville Neuve où se trouvaient le marché aux laines, le marché de la ferraille et celui des vêtements ; des ruelles transversales descendaient vers le rempart. S'il en avait renversé aussitôt une plus grande étendue ou si, en vertu du droit de la guerre, il eût dévasté le quartier conquis, je crois que sa victoire n'eût été payée d'aucune perte. Mais il espérait que les Juifs auraient honte [et se montreraient plus accommodants] quand ils verraient que, pouvant leur faire du mal, il ne le voulait pas. Il n'élargit donc pas la brèche pour faciliter éventuellement une retraite, ne pensant pas que ceux à qui il faisait du bien dussent rien entreprendre contre lui. Après son entrée, il défendit de tuer les prisonniers et d'incendier les maisons ; il s'engagea à autoriser la libre sortie des factieux s'ils voulaient lutter entre eux sans causer de dommage à la population, et promit au peuple de lui restituer ses biens. Son plus vif souci était, en effet, de conserver la ville pour lui-même et le Temple pour la ville. La foule était déjà disposée depuis longtemps à suivre ses conseils ; mais la partie combattante de la population vit de la faiblesse dans cette douceur, et crut que Titus faisait ces propositions, dans l'impuissance où il était de prendre le reste de la ville[2]. Les Juifs menacent de mort les citoyens qui parleraient jamais de capitulation et massacrent ceux qui font la moindre allusion à la paix. Puis ils s'élancent contre ceux des Romains qui étaient déjà entrés les uns en suivant les ruelles, les autres en descendant de leurs maisons, d'autres enfin du rempart par les portes supérieures. Troublées par ce choc, les troupes de garde bondissent en bas des tours et rentrent aux camps. Des cris s'élevaient, poussés par les soldats restés dans les murs que les ennemis entouraient de tous cotés, et aussi par ceux qui, au dehors, craignaient pour leurs camarades abandonnés. Le nombre des Juifs augmentait d'instant en instant ; la connaissance qu'ils avaient des ruelles leur assurait un grand avantage ils blessaient beaucoup de Romains et, se ruant sur eux, les repoussaient. La résistance des Romains croissait avec la nécessité de se défendre, car il ne leur était pas possible de s'échapper en rangs pressés à travers l'étroite brèche du rempart. Il semble bien que tous ceux qui venaient de la franchir auraient été taillés en pièces, sans le secours apporté par Titus. Il dissémina les archers à l'extrémité des ruelles, se posta lui-même dans la plus encombrée et contint à coups de traits les ennemis : il avait auprès de lui Domitius Sabinus[3], qui, dans ce combat, se distingua aussi par sa valeur. César continua à faire tirer de l'arc sans interruption et à empêcher les Juifs d'avancer, jusqu'au moment où tous les soldats se furent retirés.

[1] 30 mai 70.

[2] Josèphe néglige systématiquement l'exaltation produite alors dans les esprits par les prédictions messianiques dont même les auteurs païens ont eu connaissance ; voir W.Weber, Josephus und Vespasian, Berlin, 1921.

[3] Voir liv. III, VII, 34.

2. C'est ainsi que les Romains, après s'être emparés du deuxième mur, en furent chassés. Dans la ville, l'orgueil des combattants s'exalta : fiers de leur succès, ils croyaient que les Romains n'oseraient plus entrer dans la ville et que, s'ils le faisaient, les Juifs se montreraient invincibles. C'est qu'en effet Dieu, à cause de leurs iniquités, aveuglait leurs esprits ; ils ne considéraient ni les forces des Romains, tant de fois supérieures à celles qu'ils avaient repoussées, ni la famine qui les menaçait. Il leur était encore loisible de se repaître des malheurs publics et de boire le sang des citoyens ; mais depuis longtemps les gens de bien étaient en proie à la disette, et, manquant des vivres nécessaires, beaucoup mouraient. Cependant les factieux considéraient la destruction du peuple comme un allégement de leurs propres maux ; car ils estimaient que ceux-là seuls devaient subsister qui ne cherchaient pas la paix, qui désiraient vivre par haine des Romains ; quant à la multitude hostile, ils se réjouissaient de la voir dépérir comme un fardeau[4]. Tels étaient leurs sentiments à l'égard de ceux qui se trouvaient dans la ville. Ils arrêtèrent encore une nouvelle tentative des Romains, en garnissant le rempart et en bouchant la brèche avec des cadavres : ils résistèrent trois jours et se battirent énergiquement ; mais, le quatrième jour, ils ne purent supporter la valeureuse attaque de Titus. Forcés dans leurs lignes, ils s'enfuirent vers l'endroit d'où ils étaient partis. Titus, s'étant donc une seconde fois emparé du rempart, le fit aussitôt abattre dans toute sa longueur du côté du nord au sud, il plaça des postes sur les tours et médita d'attaquer le troisième rempart.

[4] Βάρος, onus quoddam dans l'ancienne traduction latine : des mss. grecs ont Βαρβάρων ou B. Βάρος (comme s'il se fût agi de barbares) sens inadmissible.

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