Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 7
Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre

CHAPITRE 3
Les Juifs d'Antioche accusés par Antiochos d'être des incendiaires.

Les Juifs d'Antioche accusés par Antiochos d'être des incendiaires.

1. Pendant son séjour dans cette ville, il fêta avec éclat l'anniversaire de la naissance de son frère[1] et, pour lui faire honneur, fit périr dans cette fête une foule de Juifs. Le nombre de ceux qui moururent dans des luttes contre les bêtes féroces, dans les flammes ou dans des combats singuliers, dépassa deux mille cinq cents. Cependant les Romains, en les détruisant ainsi de tant de manières, trouvaient encore trop léger leur châtiment. César se rendit ensuite à Berythe, colonie romaine de Phénicie ; il y fit un plus long séjour, célébrant avec plus d'éclat encore l'anniversaire de la naissance de son père, tant par la magnificence des spectacles que pour les autres occasions de largesses qu'il put imaginer. Une multitude de prisonniers y périt de la même manière que précédemment[2].

[1] Domitien, né le 14 octobre 52.

[2] L'indifférence avec laquelle le Juif Josèphe raconte ces horreurs suffit à juger ce triste personnage.

2. A ce moment, ceux des Juifs qui étaient restés à Antioche subirent des accusations et se trouvèrent en péril de mort ; la ville d'Antioche se souleva contre eux, tant à cause de calomniés récentes dont on les chargeait que d'événements qui s'étaient produits peu de temps auparavant. Il est nécessaire que je parle d'abord brièvement de ces derniers, pour rendre plus intelligible le récit des faits subséquents.

3. La race des Juifs s'est répandue en grand nombre parmi les populations indigènes de toute la terre ; elle s'est particulièrement mêlée en très grand nombre à celle de Syrie, par l'effet de la proximité de cette contrée. Ils étaient surtout nombreux à Antioche, à cause de la grandeur de cette ville et, plus encore, à cause de la sécurité que leur accordèrent les successeurs d'Antiochos[3].
Car si Antiochos, surnommé Epiphanes[4], ravagea Jérusalem et pilla le Temple[5], ceux qui lui succédèrent sur le trône restituèrent aux Juifs d'Antioche tous les objets votifs de bronze et en firent hommage à leur synagogue : de plus, ils les autorisèrent à jouir du droit de cité au même titre que les Grecs. Les rois suivants tinrent à leur égard la même conduite : aussi leur nombre s'accrut et ils ornèrent le Temple d'offrandes aussi remarquables par leur aspect que par leur richesse[6]. Bien plus, ils attirèrent successivement à leur culte un grand nombre de Grecs, qui firent dès lors, en quelque faon, partie de leur communauté[7]. A l'époque où la guerre fut déclarée, au lendemain du débarquement de Vespasien en Syrie. quand la haine des Juifs était partout à son comble, un d'entre eux, nommé Antiochos, particulièrement honoré à cause de son père qui était archonte des Juifs d'Antioche, se présenta au peuple assemblé au théâtre, dénonçant son père et d'autres Juifs comme coupables d'avoir décidé de brûler en une nuit toute la ville : il dénonça aussi quelques Juifs étrangers comme avant participé à ce complot. A ce discours. le peuple ne put maîtriser sa colère et fit tout de suite apporter du feu pour le supplice de ceux qui avaient été livrés : ceux-ci furent aussitôt brûlés en plein théâtre. Puis le peuple s'élança contre la foule des Juifs, pensant que leur châtiment immédiat était nécessaire au salut de la patrie. Antiochos nourrissait cette fureur ; pour donner une preuve de son propre changement, et de sa haine contre les coutumes des Juifs, il sacrifiait à la manière habituelle des Grecs ; il ordonnait de contraindre les autres à en faire autant, car le refus d'obéir mettrait en évidence les conjurés. Les habitants d'Antioche agirent en conséquence ; cette épreuve instituée, un petit nombre des Juifs consentirent ; ceux qui refusèrent furent mis à mort. Antiochos, ayant obtenu des soldats du gouverneur romain, traita avec cruauté ses concitoyens, les empêchant de rester oisifs le jour du sabbat et les contraignant à y poursuivre toutes leurs occupations des autres jours. Il appliqua ces prescriptions avec tant de rigueur que l'observance du sabbat, comme jour de repos, ne fut pas seulement violée à Antioche, mais aussi dans d'autres villes, où cette négligence, qui avait commencé là, trouva quelque temps des imitateurs.

[3] Probablement Antiochos I Soter (280-261).

[4] Antiochos IV Epiphanes (175-164).

[5] Vers 170 (cf. plus haut, I, 31).

[6] S'agit-il du Temple de Jérusalem ou de la synagogue nommée plus haut ?

[7] Témoignage intéressant sur la diffusion du judaïsme par des conversions (R. H.).

4. A ces maux qui frappèrent alors les Juifs d'Antioche se joignit encore une nouvelle calamité ; il nous a fallu, pour la faire connaître, retracer les événements antérieurs. Un incendie consuma le marché carré, les archives, le greffe et les basiliques ; on eut grand peine à arrêter le feu, qui se répandait sur toute la ville avec une extrême violence. Antiochos accusa les Juifs de ce désastre. Même si les habitants d'Antioche n'avaient pas été déjà mal disposés à leur égard, Antiochos, dans l'émotion produite par cet événement, les aurait trouvés prêts à accepter ses calomnies ; mais maintenant, après ce qui s'était passé, peu s'en fallait qu'ils n'eussent vu les Juifs allumer le feu ! Aussi, devenus comme furieux, s'élancèrent-ils tous, avec une rage insensée, contre ceux que l'on accusait. Le légat Gnaeus Colleta[8] parvint avec peine à calmer cette fureur ; il demanda la permission de faire un rapport à César sur les événements ; car Caesennius Paetus, que Vespasien avait envoyé comme gouverneur de Syrie, n'était pas encore arrivé. Colleta, procédant à une enquête attentive, découvrit la vérité ; aucun des Juifs accusés par Antiochos n'avait participé au crime, œuvre de scélérats, chargés de dettes, qui pensaient qu'en brûlant le marché et les registres publics ils se débarrasseraient de leurs créanciers. Mais les Juifs, sous le poids d'accusations suspendues sur eux et inquiets de l'avenir, vivaient dans l'appréhension et la terreur.

[8] Consul en 93.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant