Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 7
Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre

CHAPITRE 4
Réception de Vespasien à Rome. Révoltes en Gaule, écrasées par Céréalis et Domitien. Invasion des Sarmates en Maesie, réprimée par Rubrius Callus.

Réception de Vespasien à Rome.

1. Titus César reçut alors des nouvelles de son père : il apprit que celui-ci était entré dans un grand nombre de villes d'Italie, appelé par leur faveur, et que Rome surtout l'avait reçu avec beaucoup d'enthousiasme et d'éclat. Le prince fut très heureux de ces nouvelles qui le délivraient le mieux du monde de ses soucis. Alors que Vespasien était encore très éloigné, il jouissait, comme s'il était déjà présent, des sentiments affectueux de tous les Italiens ; dans leur vif désir de le voir, ils ressentaient l'attente de sa visite comme son arrivée même, et l'attachement qu'ils lui témoignaient était libre de toute contrainte. En effet, le Sénat, qui se rappelait les catastrophes causées par les changements rapides des princes[1], était heureux d'en accepter un que distinguaient la gravité de la vieillesse et le succès d'entreprises guerrières, assuré que son élévation au pouvoir ne tendrait qu'au salut de ses sujets. Le peuple, de son côté, épuisé par les calamités civiles, était encore plus impatient de voir venir Vespasien, espérant d'être complètement délivré de ses infortunes et persuadé que sa sécurité et son bien-être iraient de pair. Mais c'était surtout l'armée qui avait les yeux sur lui ; les soldats connaissaient le mieux la grandeur des guerres qu'il avait conduites avec succès ; comme ils avaient éprouvé l'ignorance et la lâcheté des autres princes, ils souhaitaient de se purifier de toutes ces hontes, et formaient des vœux pour recevoir celui qui seul pouvait les sauver et leur faire honneur.
Dans ce courant d'universelle sympathie, les plus éminents en dignité n'eurent pas la patience d'attendre, mais se hâtèrent de se rendre très loin de Rome au-devant du nouveau prince. Les autres étaient si impatients de tout retard, dans leur désir de le rejoindre, qu'ils se répandaient en foule au dehors ; chacun trouvait plus commode et plus facile de partir que de rester. C'est alors que, pour la première fois, la ville ressentit avec satisfaction l'impression d'être dépeuplée, car ceux qui restèrent étaient inférieurs en nombre à ceux qui sortirent. Quand on annonça que Vespasien approchait, quand ceux qui revenaient parlèrent de l'aménité de son accueil pour tous, aussitôt tout le reste de la multitude, avec les femmes et les enfants, l'attendit aux bords des voies. Dans celles où il passait, on poussait des exclamations de toute sorte inspirées par la joie de le voir et l'affabilité de son aspect ; on l'appelait bienfaiteur, sauveur, seul prince de Rome digne de ce titre. La cité entière ressemblait à un temple ; elle était remplie de guirlandes et d'encens. C'est à grand peine qu'il put, au milieu de la foule qui l'environnait, se rendre au palais  ; là il offrit aux dieux domestiques les sacrifices d'actions de grâces pour son arrivée. La multitude commença alors à célébrer une fête ; divisés en tribus, en familles, en associations de voisins, les citoyens s'attablent à des banquets, répandent des libations et prient Dieu de maintenir le plus longtemps possible Vespasien à la tête de l'Empire, de conserver le pouvoir indiscuté à ses enfants et à ceux qui successivement naîtront d'eux. C'est ainsi que la ville de Rome reçut cordialement Vespasien et atteignit rapidement un haut degré de prospérité[2].

[1] Néron, Galba, Othon, Vitellius (68-69 après J.-C.).

[2] Comparez les récits de ces événements dans Tacite, Hist., IV, 54 et suiv.

Révoltes en Gaule, écrasées par Céréalis et Domitien.

2. Avant ce temps-là, quand Vespasien était à Alexandrie et que Titus s'occupait du siège de Jérusalem, un grand nombre de Germains fut excité à la révolte ; les Gaulois du voisinage conspirèrent avec eux et se promirent, par suite de cette alliance, de se soustraire à la domination des Romains.
Ce qui poussa les Germains à ce soulèvement et à la guerre, ce fut d'abord leur caractère, sourd aux bons conseils et prompt à braver les dangers même sur une légère espérance ; ce fut ensuite leur haine contre leurs maîtres, car ils savaient que les Romains seuls ont réduit leur race à la servitude. Mais ce fut surtout l'occasion qui enflamma leur audace, car ils voyaient l'Empire romain troublé dans son sein par les continuels changements de maîtres ; ayant d'ailleurs appris que toutes les parties de l'univers soumises à leur domination étaient hésitantes et agitées, ils jugèrent que les malheurs et les discordes des Romains leur fournissaient une excellente occasion. Ceux qui encouragèrent ce dessein et enivrèrent les peuples de ces espérances furent Classicus et Civilis[3] deux de leurs chefs : ils avaient depuis longtemps et ostensiblement médité cette révolte. Maintenant, enhardis par l'occasion, ils déclarèrent leur projet, désireux de mettre à l'épreuve les multitudes avides d'action. Comme déjà une grande partie des Germains s'étaient mis d'accord pour la révolte et que les autres ne s'y opposaient pas, Vespasien, par une sorte de prévision surhumaine, adressa une lettre à Pétilius Céréalis, qui avait été auparavant légat en Germanie[4], lui conférant la dignité consulaire avec l'ordre de partir pour prendre le gouvernement de la Bretagne. Il s'avançait vers le terme assigné à son voyage quand il fut informé de la révolte des Germains ; aussitôt il s'élança contre leurs troupes déjà réunies, leur livra bataille, en tua un grand nombre dans le combat et les contraignit à renoncer à leur folie et à rentrer dans le devoir. Si d'ailleurs Céréalis n'était pas arrivé si rapidement dans ces régions, les Germains n'auraient pas attendu longtemps leur châtiment. Car à peine la nouvelle de leur révolte parvint-elle à Rome que Domitien César, l'apprenant, loin d'appréhender, comme un autre l'eût fait à cet âge, le poids d'une expédition si importante — car il était encore dans la première jeunesse — se sentit un courage naturel qu'il tenait de son père, une expérience supérieure à son âge, et partit aussitôt contre les Barbares. Ceux-ci, frappés de terreur à la nouvelle de son approche, se rendirent à sa merci, trouvant avantage, dans leur effroi, à retomber sans calamités sous le même joug. Domitien, après avoir rétabli l'ordre qui convenait parmi les Gaulois de manière qu'un nouveau soulèvement fût désormais difficile, retourna à Rome, illustre et admiré de tous pour des succès supérieurs à son âge, mais dignes de la gloire de son père[5].

[3] Les mss., par une évidente erreur, portent Οὐίτιλλος.

[4] Q. Pétilius Céréalis, parent de Vespasien, qui fit la guerre en Bretagne (61, 71) et prépara les succès d'Agricola.

[5] Le témoignage de Tacite (Hist. IV, 86) est beaucoup moins favorable à Domitien ; Josèphe écrit en courtisan.

Invasion des Sarmates en Maesie, réprimée par Rubrius Callus.

3. En même temps que la révolte des Germains dont nous venons de parler, les Scythes firent une audacieuse tentative contre les Romains. Celle de leurs tribus qui porte le nom de Sarmates, nation très nombreuse, franchit à l'improviste l'Ister et envahit l'autre rive ; ils se précipitèrent sur les Romains avec une extrême violence, redoutables par la soudaineté tout-à-fait imprévue de leur attaque. Beaucoup de gardes romains des forts furent massacrés, et parmi eux le légat consulaire Fonteius Agrippa[6], qui s'était porté à leur rencontre et combattit valeureusement. Inondant la contrée ouverte devant eux, les Sarmates dévastèrent tout ce qu'ils rencontraient. Vespasien, apprenant ces événements et le pillage de la Moesie, envoya Rubrius Gallus[7] châtier les Sarmates. Beaucoup tombèrent sous ses coups dans des combats ; ceux qui échappèrent s'enfuirent terrifiés dans leur pays. Le général, après avoir ainsi terminé la guerre, assura pour l'avenir la sécurité en répartissant dans la région un plus grand nombre de postes plus solides, en sorte que le passage du fleuve fut complètement interdit aux Barbares. La guerre de Moesie fut donc ainsi rapidement terminée.

[6] Gouverneur de Maesie depuis 70.

[7] Tacite, Hist., II, 51, 99. Mais Tacite ne fait qu'une allusion vague à la guerre sarmatique (IV, 54 ).

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