Élisée fils de Saphat

2.
Le jugement à Béthel

Ils m’ont environné comme des abeilles ! C’est la plainte de Jésus, Psaumes 118.12. Il pensait à Golgotha. Ses bourreaux, ses meurtriers sont les abeilles. De vraies abeilles, en effet ! N’ont-elles pas préparé le miel dans le corps du lion de Juda ? Si la lance et les clous ne nous avaient point ouvert ce trésor ; s’ils n’avaient fait couler un sang précieux, qu’aurions-nous en Christ ? Jésus-Christ crucifié, voilà notre rayon de miel.

Ils m’ont environné comme des abeilles ! Il peut encore le dire aujourd’hui. Le monde entier, l’Eglise même n’est pleine que de nids de guêpes : Tout demeure tranquille tant qu’on laisse le crucifié dans l’ombre. Mais, dès qu’il paraît, les aiguillons se préparent et l’on n’entend plus que bourdonnement. C’est à lui qu’ils en veulent et à ceux qui marchent dans son esprit.

Ils m’ont environné comme des abeilles ! Dans un sens favorable il pourrait le dire des croyants. Christ est la rose de Saron, le muguet des vallées. Les croyants sont les abeilles qui bourdonnent autour.

Plusieurs, il est vrai, ne font que bourdonner et ne savent point extraire le miel. Plusieurs ressemblent aux abeilles qui travaillent mais qui ne s’en nourrissent point.

Regardez faire les vraies abeilles et devenez sages ! Voyez-les s’endormir un soir d’été dans le calice de la fleur ! Les pétales se ferment sur elles. La tiède brise les balance dans leur couche embaumée. Quel doux repos ! Repose-toi de même dans le calice de la rose de Saron. Oublie-toi en Jésus ! Qu’il soit ton tout. Sommeille couché sur ses mérites, enveloppé dans ses promesses ! Qu’importe si la tempête souffle au dehors et si les oiseaux de nuit jettent autour de toi leurs cris sinistres. Tu es en sûreté, car son étendard au-dessus de toi, c’est amour. (Cantique des cantiques 2.4).

2 Rois 2.23-25

23 Il monta de là à Béthel, et comme il montait par le chemin, de petits garçons sortirent de la ville, et en se moquant de lui, ils lui disaient : monte chauve, monte chauve ! 24 Et Élisée regarda derrière lui et les ayant regardés, il les maudit au nom de l’Eternel  ; sur quoi deux ours sortirent de la forêt et déchirèrent quarante-deux de ces enfants là. 25 Et il s’en alla de là en la montagne de Carmel, d’où il s’en retourna à Samarie.

Cette scène nous paraît étrange, n’est-ce pas, mes chers frères ? Cette terrible vengeance, cette malédiction de Sinaï nous étonne dans la vie d’Élisée que nous avons cru devoir considérer comme ayant une mission différente de celle d’Élie, et comme chargé de représenter, sous l’ancienne alliance, la miséricorde de Jéhovah ! Mais, mes frères, l’été n’est-il plus l’été parce qu’un souffle d’automne vient parfois en assainir les ardeurs ? Le printemps n’est-il plus le printemps parce qu’un épouvantable orage, qui amollit la terre, et qui rompt les glaces des prairies, vient quelquefois en interrompre le cours ? Ce seul coup de tonnerre qui nous semble troubler l’harmonie de la vie d’Élisée n’est au contraire qu’une plus haute harmonie.

Considérons donc ce sujet de plus près : Le motif des moqueries des enfants de Béthel ;les moqueries elles-mêmes ;et leurs suites ; telles seront les parties de notre méditation.

I

Nous nous retrouvons à Jéricho, mais pour dire un long adieu à cette ville. Élisée a reçu l’ordre de partir ; il est conduit par une voix mystérieuse entendue de lui seul, qui lui ordonne d’aller ou de s’arrêter et qui lui épargne toute incertitude sur le choix de sa route. — Il est doux à l’homme naturel de marcher au gré de ses désirs ; mais pour le chrétien, combien n’est-il pas plus doux encore de passer sans crainte au milieu de tous les dangers, parce que l’Eternel l’a commandé et lui a accordé sa protection ! Oh ! que le nom de Dieu est un appui ferme et assuré ! Qu’il nous est un merveilleux bâton de voyage ! A ce nom, les vagues écumantes livrent passage au pèlerin ; à ce nom, les montagnes s’aplanissent et les élus les traversent en paix.

Élisée partit de Jéricho sans escorte ; mais il n’était pas seul, car l’amour et la reconnaissance de bien des cœurs le suivaient dans son pèlerinage ! et les fils des prophètes se souvenaient avec joie des jours paisibles passés en sa société. La ville entière le nommait son sauveur. Ne leur avait-il pas donné plus que de l’or ou de l’argent ? Ne laissait-il pas à Jéricho un monument sublime de la grandeur et de la puissance de ce Dieu qui l’avait choisi pour interprète et pour agent, et qui a déclaré dans sa parole qu’il ne donne point sa gloire à un autre.

Le prophète dirige maintenant ses pas du côté de Béthel, situé à quelques journées de marche de Jéricho. Cette ville, que nous avons appris à connaître dans l’histoire des patriarches, ne mérite plus son beau nom. Les prophètes l’ont appelée dans leur colère Bethaven, c’est-à-dire, maison de vanité ; car, ainsi que le raconte la Bible :

Jéroboam dit en lui-même  : Maintenant le royaume d’Israël pourrait bien retourner à la maison de David, et si ce peuple monte à Jérusalem, pour faire des sacrifices en la maison de l’Eternel, le cœur du peuple se tournera vers son seigneur Roboam, roi de Juda, et ils me tueront. Sur quoi le roi ayant pris conseil, fit deux veaux d’or et dit au peuple : « Ce vous est trop de peine de monter à Jérusalem ; voici tes dieux ô Israël, qui t’ont fait monter hors du pays d’Egypte. » Et il en mit un à Béthel, et l’autre à Dan. Et il fit aussi des maisons de hauts-lieux, et établit des sacrificateurs qui n’étaient point des enfants de Lévi ; puis, il ordonna une fête solennelle qu’on célébrait en Juda, et il offrit sur un autel en faisant des encensements.

Quelle horrible impiété ! des veaux d’or représentant les chérubins qui couvraient l’arche de leurs ailes, ou pour dire encore plus vrai, représentant Jéhovah lui-même ; car, Jéroboam a dit : Voici tes dieux qui t’ont fait monter hors du pays d’Egypte. Des sacrificateurs arbitrairement choisis occupent la place des enfants d’Aaron, et une foule de pratiques païennes sont substituées aux cérémonies religieuses ou destinées à les imiter. On ne se contente pas d’effacer dans le cœur d’un peuple égaré l’espérance d’un Messie, mais on veut encore anéantir tout souvenir du culte du vrai Dieu. O comble d’impiété ! ce qui est le plus précieux à l’humanité, on s’en sert pour favoriser une ambition mondaine, et une main téméraire s’approprie ce trésor pour le refondre à son gré. Du reste, Israël n’offre pas seul l’exemple d’une telle infamie ; de nos jours on en voit de semblables, mais un châtiment juste et sévère est réservé à leurs auteurs. Les terroristes du xviiie siècle, dont on prétend faire les héros de notre histoire moderne, n’avaient-ils pas non seulement changé les noms des saisons, mais fondé aussi un culte comme à Béthel, et cherché à détruire par ce moyen l’antique foi, Dieu et son culte ? Où sont-ils maintenant ces impies ?… La foudre divine les a frappés,… leurs corps gisent au fond de leurs tombes solitaires, enveloppés d’un linceul de malédiction ; et leurs âmes !… que sont-elles devenues ?…

Si nous considérons la dépravation naturelle du cœur de l’homme, nous ne nous étonnerons point de la perversité de Jéroboam. — Des succès pareils aux siens accueillent les nouveaux Jéroboams, les hypocrites apôtres de la société, qui, pour mieux éloigner le peuple du temple où doit se rassembler la véritable Eglise, ne nient point la nécessité d’un temple, mais bâtissent tout auprès leur Bethaven en s’écriant : « Voici Jérusalem ; c’est ici que brille la véritable lumière, et voici la véritable Eglise ! » — Ils y ont bien un Dieu, mais un Dieu qui diffère autant du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les veaux d’or de Béthel différaient de l’Eternel apparaissant dans le sanctuaire de Jah. — On y honore bien un Christ, mais un Christ dont on a ravi la couronne, arraché le pectoral et déchiré la robe de prophète. Il s’y trouve aussi de la dévotion ; mais quelle dévotion ! Ce n’est que le fruit de l’imagination ; ce n’est qu’un triste mélange d’émotions sentimentales et d’exaltation passagère. — On prie aussi dans ces sanctuaires humains, mais c’est la prière de l’homme à lui-même, pleine d’une sentimentalité affectée, de vaines exclamations et qui, vues dans leur vrai jour, ne s’adressent à personne. Vous connaissez les livres tant vantés, dont le contenu, œuvres de folie et de vanité, sert de base au temple du christianisme moderne. Vous savez que ce Béthaven résonne sous les pas de la foule empressée. Israël a oublié Jérusalem et le véritable sanctuaire ! O ! malheur à ce peuple abusé ! et malheur, trois fois malheur à ses impies séducteurs !

Élisée n’était pas fait pour aller à Béthel ; comment s’étonnerait-on que du sein de ce ramas d’incrédules et d’aveugles, le mépris et la dérision s’acharnassent sur le messager de Jéhovah ? — Ce n’est point seulement, hélas ! sous l’ancienne alliance que les saints ont été à même de reconnaître la vérité de ce passage : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. De tout temps, les hommes pieux n’ont que trop péniblement senti l’aiguillon de cette inimitié qui a existé dès l’origine entre la semence de la femme et celle du serpent. Si la haine des enfants du monde contre les enfants de Dieu vous étonne encore, elle vous sera expliquée par cette parole du Seigneur : Si vous étiez de ce monde, le monde vous aimerait ; mais parce que vous n’êtes pas du monde et que je vous ai élus du monde, à cause de cela, le monde vous hait. Les enfants du monde ne veulent pas que nous différions d’eux ; ils ne veulent pas que nous nous élevions au-dessus de leur sphère morale. Ils voudraient que nous suivissions leurs pas, que nous eussions les mêmes pensées, les mêmes sentiments et les mêmes désirs qu’eux. Aussi longtemps que nous nous y prêtons, ils nous ont en faveur ; mais aussitôt que nous nous montrons convertis à la véritable foi, la question de paix ou de guerre se décide. N’est-il pas tout simple que dès ce moment-là, nous leur devenions insupportables ? Que faisons-nous en nous éloignant de leurs affaires et de leurs plaisirs ? Ne les condamnons-nous pas comme impurs et pervers ? Cet acte n’attire-t-il pas sur eux une sentence d’exclusion plus puissante et plus énergique que toutes les paroles qu’on pourrait prononcer ? La vue d’un homme vraiment régénéré met trop en évidence l’opposition de leur propre conduite, pour que les enfants du monde puissent la supporter avec calme. Cette vue leur retrace forcément la nécessité de changer de vie et d’entrer dans une sphère plus sainte et plus élevée que celle qu’ils habitent ; mais ils voudraient que cette nécessité ne leur fût jamais rappelée, ils sont chagrins d’être arrachés à leur doux, mais funeste repos, et de voir se détruire leur trompeuse sécurité. Ils cherchent à se tromper eux-mêmes ; qu’y a-t-il donc d’étonnant dans leur haine pour la lumière et pour ceux qui la font luire au milieu de leurs ténèbres ?

Si nous échappons à cette inimitié, ce n’est pas un bon signe pour nous, mes frères, et nous devons y réfléchir d’autant plus sérieusement que le Seigneur a dit : Vous serez bien heureux quand on vous aura injuriés et persécutés à cause de moi ; — malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous. S’il en est ainsi, c’est que le sceau de notre céleste origine n’est pas assez fortement empreint sur nous ; c’est que nous laissons trop de motifs de sécurité aux inconvertis ; c’est que notre extérieur et certaines formes religieuses nous distinguent seuls d’avec eux, tandis que pour l’intérieur nous leur sommes semblables. Ne nous le dissimulons pas, mes bien-aimés ; le monde n’est aimable envers nous que parce que nous capitulons avec lui. La lâcheté de notre christianisme est récompensée par sa tolérance ; mais il en serait bien autrement si nous possédions plus du sel divin et du feu sacré de l’autel. L’homme en qui habite Christ ne passe point paisiblement au milieu d’un Dan ou d’un Béthel, il devient aux ennemis une odeur mortelle qui les tue, et aux amis une odeur de vie gui les vivifie.

II

Solitaire et plongé dans ses réflexions, Élisée continuait sa route ; l’histoire des temps passés se retraçait à sa mémoire et remplissait son âme d’une vague émotion. Le monde patriarcal et ses nobles figures, ses images de bonheur et de paix, semblaient reprendre vie pour charmer le voyageur. L’esprit du saint homme Jacob le saluait, et ce patriarche, jadis ravi en extase dans les mêmes lieux, se présentait à lui. Le prophète contemplait cette vision avec les yeux de l’âme ; il se rappelait les douces promesses qui avaient été faites du haut des cieux au prince d’Israël. Une foule d’émotions diverses agitaient le cœur d’Élisée, affermi par cette contemplation du passé, mais déchiré néanmoins par la vue du présent, qui répandait de ténébreuses ombres sur les douces images qu’il venait de se retracer. Qu’est-il devenu, ce lieu sacré ! Béthel n’est plus qu’un Bethaven, une maison de ténèbres ; la ville une fois consacrée à la gloire de Jéhovah, le siège des mensonges et des abominations. « Mais pourquoi, » pensait Élisée, « pourquoi l’Eternel m’envoie-t-il ici aujourd’hui ? » Alors plusieurs lueurs d’espérance brillèrent pour le rassurer ; l’homme de Dieu se dit à lui-même : « Puisse ce lieu redevenir un Béthel » et, rempli de consolation, il continua son chemin.

On savait à Béthel quel était celui qui s’approchait. Le prince des ténèbres ne se laisse pas si aisément surprendre : il aperçoit de loin ses ennemis et redouble de vigilance. Élisée était un ennemi dangereux, et il le craignait presque autant qu’il avait redouté le Thisbite. — Quelle différence cependant entre le simple fermier d’Abel Méhola et le terrible prophète dont les paroles transperçaient comme des glaives de feu, et qui répandait autour de lui la désolation et la mort ! Mais ce n’est pas en face d’aussi fervents avocats de la loi que Satan tremble le plus. Il sait que la loi donne lieu à la colère, et qu’elle éloigne le pécheur de Dieu plus souvent qu’elle ne le jette dans ses bras. Mais l’Evangile et son message de paix causent de vives inquiétudes au démon ; il sait que ce message touche, attire et persuade ; il connaît la force attractive qui est cachée en lui ; aussi, Satan n’est-il jamais plus actif que lorsqu’il entend retentir le son merveilleux qui en annonce la venue sur les frontières de son empire. Comment donc aurait-il pu rester neutre en voyant arriver Élisée comme un héraut de paix aux portes de l’une de ses plus fidèles cités ? Il connaît le miracle de Jéricho, il sait qu’il serait facile à Élisée de soumettre la ville entière-à Dieu, et cette idée fait trembler le noir adversaire. Il se hâte de prendre ses mesures ; les aides ne lui manquent pas, car les prêtres sont choisis pour l’exécution de son plan. Il leur parle du danger qui les menace, il excite leur colère, et leur montre les armes avec lesquelles ils peuvent combattre et vaincre ; mais les prêtres hésitent à entrer eux-mêmes dans la lice. Ils font connaître à leurs disciples le prétendu danger, et cette jeunesse perverse s’engage à combattre le prophète détesté, et même à le chasser pour toujours de la ville.

Mais voici qu’Élisée arrive auprès de la cité idolâtre ; il ne pense ni à la maudire, ni à la détruire ; il espère, au contraire, ramener les rebelles sous la bannière divine. Cependant un essaim bruyant de jeunes garçons s’élance hors des portes de Béthel ; on en compte quarante-deux, de petits garçons, dit notre traduction, mais l’original porte : Des jeunes gens de quinze à dix-huit ans. Ils entourent l’homme de Dieu, font entendre de bruyants éclats de rire, et répandent la méchanceté de leurs cœurs par les moyens les plus vulgaires et les plus profanes. Ils choisissent la tête chauve du prophète pour but de leurs insultes. Cette infirmité était regardée par le peuple comme un sujet de honte, parce qu’elle était ordinairement le résultat de la lèpre, et comme le signe non pas seulement d’une faiblesse physique, mais aussi de l’imbécillité. 11 y avait donc une méchante intention dans le choix de cette injurieuse épithète de chauve que ces jeunes gens adressaient à l’homme de Dieu. Et ici ce ne sont pas seulement les fruits de la pétulance du jeune âge que nous avons à considérer, ce sont les dards enflammés du malin qui sifflent autour de nous. Chauve, cela veut dire : « Lépreux ! bientôt nous serons débarrassés de toi ; prétendu prophète, nous sommes loin de te craindre. » Et cette parole impie qu’ils y ajoutent : Monte, ou pour mieux dire : « Elève-toi, prends ton essor, » signifie : « Prépare-toi, monte dans un chariot de feu comme ton maître, et suis-le au travers des nuées. » En faisant allusion à l’ascension d’Élie, ils exprimaient leur incrédulité et leurs doutes, et ridiculisaient ainsi Élisée, qu’ils taxaient d’imitation : « Si tu peux faire quelque chose, montre-le-nous. » Voilà le sens de leurs paroles. C’était donc plus qu’une simple étourderie d’enfant, c’était une impiété diabolique, un sarcasme amer, un blasphème volontaire contre les choses saintes. Ils n’auraient pas parlé ainsi au Thisbite, car ils savaient que celui-ci n’aurait pas supporté l’affront et les railleries ; mais la douceur d’Élisée leur laissait le champ libre. Cependant, ce qui montre l’excès de leur insolence et de leur odieuse perversité, c’est que tout l’amour qui resplendissait sur la physionomie d’Élisée n’a pu les empêcher de donner essor à leur haine ! Ah ! qui peut voir sans une profonde douleur ces jeunes gens courir ainsi à une perte irrévocable ! N’eût-il pas mieux valu qu’ils eussent été livrés à Moloch aux jours de leur enfance, que d’avoir échappé à cette mort pour devenir ensuite les victimes du péché et de Satan, et être précipités dans la géhenne ?

Hélas ! cette race n’a point disparu avec les quarante-deux jeunes gens de Béthel ; plût à Dieu qu’il en fût ainsi, et que la génération actuelle ne fût pas partout une preuve de ce que nous avançons ! Ce qui nous afflige le plus profondément dans ces temps de perversité, c’est que nous n’apercevons nulle part des gages d’un avenir meilleur. Nos cœurs se brisent en voyant les générations nouvelles mettre en pratique ces théories impies que leurs pères ont recueillies comme une liqueur enivrante. Hélas ! les semences malfaisantes que vous avez jetées s’élèvent abondamment autour de vous. Vous avez mangé des raisins aigres, et les dents de vos enfants en sont agacées. Vous avez conjuré des puissances que vous ne pouvez plus contenir ; vous en souffrez maintenant, et vous voudriez bannir ces malins esprits jadis évoqués ; mais où donc est le mot magique dont vous deviez vous servir ? Vous l’ignorez, et vous êtes condamnés à recueillir le fruit de vos œuvres. Vous avez chanté la liberté à vos enfants ; ils l’ont acquise ; ils s’en servent. Vous avez renversé les barrières imposées par la parole de Dieu et foulé aux pieds le respect que vous lui deviez. Vous le voyez, parents, maîtres, instituteurs ; une foule de jeunes rebelles vous entourent et vous ne pouvez les discipliner. Vous leur avez appris à considérer le christianisme biblique comme une chaîne dégradante forgée dans un temps d’erreur et de superstition, et ses prédicateurs comme des prêtres orgueilleux ou d’ambitieux jésuites. Hélas ! vos élèves ne sont que trop dociles ! Nous leur demandons au nom de Dieu d’honorer leurs pères et leurs mères, et vous savez quel est le cas qu’ils font de nos exhortations ! Vous ne leur avez parlé que d’émancipation, d’indépendance, de raison pure et des droits inaliénables de l’homme, et vous voyez comment déjà ils usent de ces droits. Vous êtes les premiers à recueillir les fruits amers de cette indépendance tant vantée. Non, non, ce n’est point au travers d’un verre obscur et trouble que nous considérons la jeunesse de nos temps, lorsque nous portons sur elle un jugement sévère. Allez de maison en maison, et d’école en école ; écoutez ce qui vous y sera dit, et vous serez convaincus que nous ne sommes que l’écho de ce qui se dit partout, et que ce sont les instituteurs et les parents qui se plaignent le plus. L’ivraie empoisonne nos jeunes moissons, le grain est pourri et la racine rongée. C’est une race hardie, désobéissante, éhontée ; la plupart sont initiés dès l’enfance à tous les mystères de l’infamie et de l’impiété, et personne ne pense plus en voyant la génération qui s’élève : Le royaume de Dieu est pour ceux qui sont tels. La jeunesse actuelle ignore toute obéissance filiale, toute tendresse respectueuse envers les parents et les supérieurs ; elle se rit de nos bons conseils et se secoue de toute contrainte ; pour elle en général, les choses saintes et vénérables n’ont aucune valeur. Dans les rangs inférieurs de la société, les jeunes gens sont vulgaires et licencieux, et dans les classes supérieures ils sont dépourvus d’énergie morale, remplis d’hypocrisie et d’une intolérable arrogance. Que Dieu veuille se montrer miséricordieux pour l’avenir qui se prépare ! Frères, les fondements du royaume de l’Antechrist sont posés, oui posés, dans les cœurs de nos enfants. L’homme de péché n’a qu’à secouer l’arbre des nations, et ses disciples tomberont dans ses bras comme le fruit mûr ! Les rameaux du figuier sont pleins de sève et l’été s’approche. — Que Dieu use de miséricorde envers nous, et prévienne la destruction qui s’avance !

III

Nous savons maintenant ce que nous devons penser de ceux qui profèrent des blasphèmes aux portes de Béthel. C’est plus qu’une bande d’enfants insolents ; c’est une horde de misérables déjà vendus au père du mensonge, et qui ont pris parti contre le royaume de lumière et de vérité. Représentants de la cité idolâtre, ils viennent au nom du démon, qui espère empêcher par leur moyen les travaux futurs du prophète et frapper à mort la cause de Dieu. — Le plan d’attaque n’est vraiment pas mal conçu, il est digne de celui qui l’a tracé. Si ces misérables avaient réussi, et que leurs railleries impies fussent restées impunies, que serait-il advenu ? La plus grande partie du peuple aurait perdu tout respect pour Élisée ; l’effronterie de ses adversaires aurait atteint son comble et renversé les dernières barrières. Tout le reste de sa vie, Élisée aurait été en butte aux sarcasmes des moqueurs, et n’aurait pu demeurer une minute en repos parmi les idolâtres ! C’était là ce que se proposait le vieil ennemi au moyen de sa jeune armée. L’influence morale d’Élisée devait être détruite dès le commencement, ses travaux foulés aux pieds et l’auréole de sa mission céleste arrachée de son front. Il devait être insulté, ridiculisé aux yeux de la multitude et signalé à l’opinion publique comme un faux prophète ou comme un insensé qui prétendait jouer le rôle d’Élie.

Nous voyons sans cesse le prince des ténèbres travailler de cette manière contre les serviteurs de Dieu. S’il ne réussit pas à les rendre suspects d’hypocrisie ou de jésuitisme, il leur met un bonnet de fou sur la tête, une marotte dans la main, et les fait passer pour des êtres bizarres, des imbéciles, d’abstraits théoriciens, d’absurdes visionnaires, des orgueilleux qui ont la prétention d’imiter les apôtres.

Mais ce qui arriva devant les portes de Béthel était trop grave pour être laissé dans l’oubli, ou pour obtenir un silencieux pardon ; l’attaque contre la cause de Dieu était trop évidente, et aurait eu, par le succès, des suites trop sérieuses pour être supportée avec indulgence. L’indulgence n’eût été ici que lâcheté et retraite devant l’ennemi. Le précepte du Seigneur : Si quelqu’un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l’autre, n’était pas applicable dans ce cas-là. Il fallait que les puissances infernales fussent repoussées avec force, Élisée le sentit bien. Quant à lui-même, il eût facilement supporté les offenses de ces méchants, mais de plus hautes considérations lui commandaient d’agir différemment : Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’autorité de l’homme de Dieu était tout entière en jeu, et avec elle, les résultats de ses travaux. Il dut faire taire les sentiments d’amour et de pardon qui s’élevaient au dedans de lui, et les sacrifier à l’honneur de son maître.

C’était là une dure nécessité, une pénible tâche d’abnégation pour un homme paisible et débonnaire comme Élisée. Mais l’esprit le soutint, et le devoir eut le dessus dans cette lutte. L’homme de Dieu se tourne vers la bande impie des jeunes gens, et les regardant avec une sainte indignation, il les maudit au nom du Seigneur, suivant le récit de l’Ecriture. Plusieurs personnes ont voulu adoucir la chose, et ont prétendu que le prophète avait simplement repris cette jeunesse moqueuse en la menaçant du châtiment divin. Mais c’est à tort qu’on cherche à rétablir la réputation d’Élisée ; car dans le cas dont nous parlons, tout reproche serait injuste et mal fondé. La parole de Dieu nous apprend positivement qu’il les maudit au nom de Jéhovah. C’était leur dire : « Le Seigneur se venge sur vos têtes de votre perversité. » Et le Seigneur, d’accord avec son messager et dans le but d’anéantir les efforts de Satan, mit sur-le-champ à exécution la menace d’Élisée.

Aussitôt après que la terrible malédiction fut sortie de la bouche du prophète, deux ours en fureur s’élancèrent de la forêt voisine, comme deux messagers de la vengeance divine ; ils se jetèrent sur les jeunes blasphémateurs et les mirent tous en pièces ; puis ils regagnèrent tranquillement la forêt sans faire aucun mal à l’homme de Dieu. Quel terrible jugement ! quelle puissante prédication pour Béthel et tout le pays d’alentour ! On dut voir dans cette catastrophe une preuve éclatante de l’intervention divine. Les bêtes sauvages approchent rarement des villes, surtout pendant le jour, et si quelques-unes se montrent sur la lisière des bois, le moindre bruit ou la seule vue d’un être humain les fait fuir dans leurs tanières ; une faim extraordinaire peut seule les pousser à attaquer les hommes, mais toujours isolément. Que deux de ces animaux se soient jetés sur une troupe de quarante-deux jeunes gens forts et robustes, c’est là une chose inouïe ! Le fait même prouve que la faim ne les y poussait point, puisqu’après avoir déchiré leurs victimes, ils ne les dévorèrent pas, mais les laissèrent gisants dans leur sang. Il faut donc incontestablement y voir la main de Dieu, qui, dans sa co1ère, fit servir ces deux ours à l’exécution de sa vengeance, tout comme jadis il avait confié à des corbeaux une mission d’amour envers Élie.

L’événement porta ses fruits. Sans pouvoir changer les sentiments de l’ennemi idolâtre, il lui imposa cependant un frein ; le prophète et l’Eglise de Dieu furent protégés pendant un certain temps d’attaques trop insolentes ou trop grossières. La sanglante exécution de ceux qui jadis avaient introduit le culte du veau d’or au pied du mont Sinaï, servit aussi au même but, et le Nouveau Testament nous offre un exemple de ce genre dans la mort d’Ananias et de Saphira. — L’horreur et la crainte s’emparèrent de tout le peuple. Ils virent alors écrits non point avec de l’encre, mais en caractères sanglants, ces mots terribles : Ne vous abusez point ; Dieu ne peut être moqué. Pendant longtemps, la moquerie et les blasphèmes furent contenus par le souvenir de la sévérité de Dieu ; les fils des prophètes et particulièrement ceux qui habitaient Béthel, purent jouir de quelque repos. — Les images effrayantes des deux ours, ces terribles messagers, furent placées au seuil de leurs maisons comme deux sentinelles protectrices, et Élisée lui-même les porta dès lors comme des insignes destinés à accroître la force et l’influence de son témoignage. Dès lors aussi, il sembla protégé par une armure redoutable, et l’on croyait voir briller sur sa tête le bouclier de l’Eternel et à ses côtés l’épée du Tout-Puissant, prêts à le défendre contre ses adversaires.

Le jugement divin infligé aux jeunes gens de Béthel contribua beaucoup à affermir la réputation de notre prophète, et l’assista puissamment dans ses travaux en Israël pour les progrès de la bonne cause. Cependant l’esprit de l’homme de Dieu était agité de sentiments tout autres que ceux que l’on aurait pu lui supposer. Loin de se réjouir de la grande victoire qu’il venait de remporter, il quitta le sanglant théâtre de son triomphe, accablé, humilié, et personne ne déplora plus que lui-même la triste nécessité de ce sévère châtiment. Tout autre qu’Élisée serait demeuré pour être témoin de l’effroi causé par ce terrible exemple de justice, et eût désiré de contempler la consternation du peuple de Béthel, ainsi que le soudain changement survenu dans les dispositions de ses ennemis, maintenant forcés de le redouter. Mais Élisée n’aspire pas à de pareils triomphes ; au contraire il a hâte de s’éloigner et de chercher la solitude et le repos.

Nous ne saurions nous en étonner ; le doux prophète n’a-t-il pas été transporté dans une sphère d’action tout à fait étrangère à ses sentiments et à ses habitudes ? Lui, si disposé au pardon, à la bienveillance, au support, il avait dû maudire!… Lui, si particulièrement doué pour consoler l’affligé et guérir les cœurs brisés, il s’est vu soudainement appelé à saisir le glaive vengeur de la divinité et à répandre autour de lui la destruction et la mort ! Hélas ! ce ne fut pas sans en éprouver, une fois sa mission accomplie, un grand abattement de corps et d’esprit. La pensée de l’acte qu’il venait d’accomplir pesait sur son cœur comme un lourd fardeau ; les cadavres sanglants des jeunes gens s’offraient continuellement à sa vue ? il voyait leurs âmes perdues et précipitées de sa main dans les flammes de l’enfer. Ah ! comment recouvrer la paix et la joie que ce funeste événement lui a ravies ? Comment apaiser les sentiments tumultueux qui agitent son cœur ? Comment calmer cette horreur en même temps que cette immense pitié qui remplissent son âme ? Il n’ignore pas cependant que le Seigneur lui a ordonné de maudire, et cette assurance est pour lui comme le pâle rayon de la lune qui perce de sombres nuages et vient le consoler au milieu de la tempête. Mais cette pensée : « Voilà ce que j’ai fait, » domine toutes les voix intérieures et anéantit jusqu’à la consolation elle-même.

Ah ! il faut qu’Élisée s’entretienne avec son Dieu ! c’est dans les bras de Jéhovah qu’il doit reprendre haleine et retrouver la paix. Il faut qu’il reçoive le témoignage signé et scellé que ce qu’il a fait est bien fait, qu’il n’a agi qu’en son nom, par son ordre, comme son instrument. Il s’éloigne donc promptement de Béthel et s’en va chercher au mont Carmel le repos et la tranquillité dont il a besoin. — C’est dans les profondes solitudes des forêts qu’il ira répandre la douleur de son âme, et se recueillir après les émotions qu’il vient d’éprouver.

Quittons-le maintenant, mais avec la douce conviction qu’aux yeux de Dieu, sa propre gloire et celle de son peuple ne font qu’une et que toute attaque dirigée contre ce peuple qu’il aime, il la considère comme portant atteinte à sa majesté. Dans cette confiance, peu nous importent les offenses dont nous sommes les objets de la part du monde ; car, nous voyons les flèches lancées contre nous s’envoler au delà des nuages, et nous ne nous irritons point contre les archers ; mais nous sommes bien plutôt disposés à les recommander à la miséricorde divine. Il est vrai que Dieu n’intervient plus directement en faveur de son peuple, comme il le fit pour Élisée à Béthel ; s’il veut venger nos offenses, il le fait pour le présent en voilant notre gloire aux yeux de ceux qui nous injurient plutôt qu’en la leur révélant.

Le royaume auquel nous appartenons est de telle nature, que pour le temps, il demeure le royaume de la croix ; et à l’entrée on lit cette inscription, comme indication du chemin par lequel le Seigneur veut nous conduire : Par la foi.

Mais un jour viendra, où le roi retirera le voile de devant les yeux de Sion, et la placera à sa droite comme son épouse bien-aimée, à la vue de ses ennemis confondus. Quelle surprise alors ! Quelle confusion ! Quelle honte ! Jusque là, laissons-les nous tromper et nous maltraiter. Nous nous connaissons nous-mêmes, nous apercevons dans le miroir de la parole de Dieu, la beauté dont nous sommes revêtus. Marcher sans être reconnu, traverser la foule sous l’humble habit d’un pauvre pèlerin, tandis que la foule ignore que cet habit cache des splendeurs, cela n’est pas sans douceur et sans charme.

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