Élisée fils de Saphat

15.
La décision

Fais-toi une arche avec du bois de Gopher ; entres-y et toute ta maison ; car je t’ai vu juste devant moi en ce temps. Ainsi parla le Seigneur à Noé. Et Noé, ne prenant conseil ni de la chair ni du sang, mais soumettant sa raison à l’infinie sagesse et n’ayant point égard aux moqueries d’un monde incrédule, commença la construction du vaisseau merveilleux, et donna gloire à Dieu par son obéissance.

Un jugement épouvantable allait s’exercer sur les enfants d’Adam. Dieu voulait détruire toute chair par une inondation immense. Quelle attente pour le monde ! Mais ne vous abusez point. La même colère est toujours embrasée contre ceux qui ne recherchent point Dieu ! elle se manifeste journellement envers ceux qui meurent dans leurs péchés, et le jour est fixé où elle doit s’accomplir d’une manière éclatante. Ne cherchez pas à vous construire avec vos propres œuvres une barque de salut. Que deviendrait-elle devant les récifs de la justice éternelle ? Venez à l’arche, mes frères, venez à l’arche vous tous qui aimez votre âme.

A l’arche ? dites-vous, Oui, à celle qu’on vit paraître à Bethléem, mais qui de ce rivage s’éleva bientôt sur une mer orageuse et vit se déchaîner sur elle toutes les tempêtes ; qui bientôt s’abîma dans un gouffre de colère, mais pour en ressortir avec le pavillon de la victoire, et qui est entrée triomphante dans le port de l’éternel repos. Pourquoi cette navigation effrayante ? dites-vous. — L’arche de Noé ne demeura pas non plus dans des ondes paisibles ; elle supporta tous les maux auxquels elle devait l’arracher lui et les siens. Jésus-Christ, qui est l’arche vivante, s’est exposé, dans le même but, à tous les flots de colère que nous méritions.

L’arche de Noé, toute prête au milieu des champs, était pour les rebelles une prophétie de destruction. La nature des préparatifs de délivrance indique celle du désastre. Si donc le Tout-Puissant envoie du ciel non pas un prophète, non pas un ange, mais son Fils unique, pour être victime expiatoire, que devons-nous en conclure ? La seule présence de Jésus dans le monde déclare le péché des hommes plus efficacement que la plus énergique prédication. La croix, ce signe de salut, est aussi pour les incrédules la déclaration la moins équivoque de leur perdition éternelle.

Mais comment pouvons-nous entrer dans cette arche ? demandez-vous. On peut entrer dans l’arche qui est Christ, par les yeux d’abord, en contemplant les richesses de grâce qui se trouvent en Lui ; — par la prière, comme lorsque les pauvres malades lui disaient : viens à notre aide ! Mais il faut encore entrer réellement en Lui, et ce ne peut être, comme Noé, que par nécessité, lorsqu’on voit qu’il n’y a plus d’autre refuge ; lorsque l’âme, entièrement dépouillée de toute autre espérance, ne voit plus de sûreté que dans ses plaies, dans sa caution et dans sa protection toute-puissante.

Lorsque Noé fut entré dans l’arche, Dieu en ferma la porte. Souvent il semble qu’une âme est entrée dans la communion de Christ, et cependant la porte n’est point encore fermée. Mais lorsque la foi est devenue ferme et qu’on est décidément entré, Dieu ferme la porte. On se sent séparé du monde, de ses péchés et de tous les dangers dont on était auparavant épouvanté. Il faut que le Seigneur lui-même ferme la porte. Nous pouvons bien retirer notre corps du monde, mais pas notre cœur. Mais Dieu ouvre et personne ne ferme ; il ferme et personne n’ouvre. Lorsqu’il nous a lui-même séparés du monde, nous voudrions y retourner que nous trouverions des portes scellées et des barrières infranchissables.

Puis l’arche fut soulevée et entraînée par les eaux ! Elle passa par dessus les lieux les plus hauts élevés de la terre. Qui nous dira les écueils qu’elle a rencontrés, les courants qui en ont fait leur jouet, les vagues menaçantes qui ont passé sur elle ? Mais qu’importe ? Au sein même des abîmes, Noé était à sec et à l’abri de tout danger.

Es-tu en Jésus-Christ ? — Si Dieu t’a mis dans cette arche véritable, demeure ferme et ne crains point les orages. Lors même que les secousses violentes des eaux te feraient chanceler tu ne saurais devenir la proie des flots. Tu es dans l’arche. Tu y demeures jusqu’au jour où tu pourras mettre le pied sur l’Ararat d’un monde nouveau. — C’est aujourd’hui que nous voyons Naaman entrer dans l’arche. Venez, réjouissons-nous avec lui, et que son exemple nous soit salutaire.

2 Rois 5.15-16

15 Alors il retourna vers l’homme de Dieu lui et toute sa suite, et il vint se présenter devant lui et dit : Voici maintenant, je connais qu’il n’y a point d’autre Dieu en toute la terre qu’en Israël. Maintenant donc, je te prie, prends ce présent de ton serviteur. 16 Mais Élisée répondit : l’Eternel en la présence duquel je me tiens, est vivant, que je ne le prendrai point ; et quoique Naaman le pressât fort de le prendre, Élisée le refusa.

Le miracle est accompli. Nous avons vu l’heureux Naaman sortir des ondes du fleuve, rajeuni de corps et d’âme. Aujourd’hui nous cueillerons des fleurs dans le jardin de son âme renouvelée. Nous présenterons à votre méditation la confession de sa foi — et l’offre de sa reconnaissance. Puissions-nous y trouver un breuvage rafraîchissant.

I

Trois merveilleuses transformations se présentent à nous dans le règne de la nature. C’est la semence qui meurt dans le sein de la terre et renaît sous la forme d’un jeune arbre bientôt paré de fleurs et chargé de fruits. C’est l’œuf réchauffé sous l’aile maternelle, où la vie se développe peu à peu et d’où sort l’oiseau déjà couvert de plumes. C’est le brillant papillon qui, débarrassé de son informe chrysalide, déploie ses ailes de gaze pour s’envoler vers les fleurs embaumées. Trois transformations analogues plus sublimes et plus étonnantes encore s’opèrent aussi dans le règne de la grâce. C’est lorsque, par l’acte de justification, le pécheur devient, en un instant, un saint de Dieu. C’est lorsque, par l’acte de régénération, le Tout-Puissant fait de celui qui est mort spirituellement une nouvelle créature animée du souffle de vie ; c’est enfin lorsque, après le dernier combat, le pèlerin, las de sa course, rejette son lourd manteau, et semblable en beauté à un ange de Dieu, s’envole pour prendre place parmi les justes glorifiés. Naaman a déjà subi les deux premières. La foi seule peut mesurer ce qu’il est maintenant devant Dieu. Mais sa transformation devant les hommes est évidente : c’est une lumière sur le chandelier, c’est une ville située sur la montagne.

Naaman arrive à Jéricho. Pour la seconde fois il se dirige vers la demeure d’Élisée et se dispose à y entrer ; mais le prophète vient au devant de lui, le visage tout rayonnant d’une sainte joie. Oh ! quel amour, quel ravissement dans le cœur de ces deux hommes ! Quelles ferventes actions de grâce montent de ces autels vivants, au pied du trône du Jéhovah ! Tous deux, oppressés par la profonde émotion qu’ils ressentent, se regardent un instant en silence ; l’heureux étranger commence alors à parler et donne cours aux sentiments qui l’agitent en s’écriant : « Voici maintenant, je connais qu’il n’y a point d’autre Dieu en toute la terre qu’en Israël ! » Ainsi parle l’homme qui, peu d’heures auparavant, était encore enlacé dans les liens du paganisme ! Le charme diabolique est rompu. Le piège est détruit, l’oiseau est délivré. Une nouvelle créature, née de Dieu et revêtue d’une immortelle beauté, se présente à nos regards. Cette confession est un acte par lequel Naaman renonce au culte de ses idoles. C’est l’arme avec laquelle il détruit à jamais pour lui-même les temples de Baal et de Rimmon. C’est son joyeux adieu au royaume des ténèbres ; c’est le cri de guerre qu’il pousse en se rangeant sous la bannière de Sion ; c’est la première offrande qu’il dépose sur l’autel de Jéhovah. — Par ces mots, il déclare esclaves du mensonge tous ceux qui reconnaissent d’autres dieux que celui d’Israël. Naaman ne s’inquiète point de ce que pensent ceux qui l’entourent ; peu lui importe ce qu’en dira Ben-Hadad. Dût-il sacrifier son emploi, sa dignité et même sa vie, il s’écrierait encore : Il n’y a point d’autre Dieu en toute la terre qu’en Israël ! Cette confession reste éternellement vraie si, sous le nom d’Israël, nous comprenons le peuple qui, fermement appuyé sur la parole prophétique, a pénétré par la porte de la conviction du péché jusqu’au propitiatoire de la nouvelle Alliance. C’est là seulement que Dieu peut être connu et nulle part ailleurs : c’est là que se trouve un tabernacle de Dieu parmi les hommes. Le rationaliste, le déiste, le panthéiste, peuvent avoir l’idée d’un Dieu, mais ils n’ont réellement point de Dieu. S’ils en ont un, c’est tout au plus un Dieu intellectuel, ce n’est point le Dieu vivant. Leur cabinet secret est vide. Ils ne connaissent point cet ami dont l’oreille écoute les soupirs, dans le sein duquel on peut verser toutes ses inquiétudes. Hélas, leur monde spirituel est ténébreux et désert, sans visitations divines, sans expériences de grâce ; il n’est hanté que par les mauvais esprits et par leurs pernicieuses influences. Ils n’aperçoivent point d’échelle de Jacob ; ils sont étrangers aux expériences du Thabor et d’Horeb ; et les mots les plus doux du langage humain, tels que grâce, communion fraternelle, etc., etc., sont pour eux vides de sens. Oh ! que Jean a raison de dire : « Quiconque ne demeure point dans la doctrine de Jésus-Christ n’a point Dieu. » — Non, il n’y a point d’autre Dieu en toute la terre qu’en Israël.

L’homme le plus heureux de la terre, le seul qui soit heureux, c’est l’homme qui est en Jésus-Christ. Nous contemplons en lui le phénomène le plus remarquable comme le plus mystérieux qui se voie sous le ciel. Son extérieur le distingue fort peu des autres hommes. Sa beauté est intérieure. — Entretenons-nous quelques instants avec un tel homme et faisons-lui subir un interrogatoire. Informons-nous d’abord de ses circonstances de famille : — « D’où es-tu ? — Il montre le ciel. — Où habite ton père ? — Loin et près. — Combien loin ? — Autant que le ciel l’est de la terre. — Combien près ? — Autant que la mère l’est de l’enfant qui repose sur son sein. — Qu’est ton père ? — Un architecte. — Qu’a-t-il bâti ? — Le monde. — Qu’est-il encore ? — Un soutien. — Que soutient-t-il ? — Toutes choses par sa parole puissante. — Qu’est-il encore ? — Un nourricier. — Qui mange à sa table ? — Les yeux de tous s’attendent à lui. — Qu’est-il encore ? — Un pilote. — Que dirige-t-il ? — : Le gouvernail du monde et même celui de ma frêle nacelle. — Quel est son nom ? — L’Eternel des armées. — Quoi, Dieu serait ton père ?… — Oui, Dieu est mon père. — Sans doute il est ton père comme il l’est de tout le genre humain ? — Non, comme il l’est d’un petit nombre d’hommes. — Pourquoi l’appelles-tu ton père ? — Parce qu’il m’aime d’un paternel amour. — Et pour quelle autre raison ? — Parce qu’il m’a engendré. — Tu es donc de haut rang ? — Du rang le plus élevé. — Tu es riche ? — Dieu est mon trésor. — Tu ne voudrais changer avec personne ? — Pas même avec un séraphin. — N’es-tu pas pécheur aux yeux de Dieu ? — Non. — Qu’es-tu ? — Juste et agréable. — Par toi-même ? — Non. — Par qui ? — Par Jésus-Christ l’agneau de Dieu ! — Entendez-vous ce langage ? — Il repose sur le fondement le plus solide et le plus saint. Quiconque a reçu le baptême spirituel a le droit de nous répondre de cette manière. Mais continuons à interroger cet homme en Christ. Nous lui demandons : — De quoi vis-tu ? — Je suis en pension. — As-tu de la fortune ? — Aucune, et pourtant une très grande. — Aucune ? — Je vis de bienfaits journaliers. — Une très grande ? — Un grand capitaliste m’a dit : Ce qui est à moi est à toi. — Ainsi donc rien ne te manque ? — Une seule chose encore. — Laquelle ? — C’est une foi plus entière à ma richesse. –« Où demeure ton bienfaiteur ? — Au-dessus des nues. — Prend-il soin de toi pour toutes choses ? — Déchargez-vous sur lui, car il prend soin de vous. — Tu ne crains donc rien ? — De quoi aurais-je, peur ? — Ne peut-il rien t’arriver de mal ? — Rien ! — Tu n’éprouveras que félicité et bonheur ? — Oui, rien que bonheur. — N’auras-tu plus de tentations ? — J’en aurai encore mais je vaincrai. — Aucune épreuve ne t’atteindra-t-elle ? — Je ne puis le savoir. — Cependant tu dis qu’il ne peut rien t’arriver que de désirable ? — Je n’ai pas dit désirable. — Mais qu’as-tu dit ? — J’ai dit qu’il ne pouvait m’arriver que du bien. Car je me confie en Dieu et je ne doute pas qu’il ne veuille faire tourner à mon plus grand bien, tous les maux qu’il lui plaira de m’envoyer dans cette vallée de larmes. — Voilà le langage du chrétien, quiconque est en Christ et hésite encore à parler ainsi méconnaît son rang. Car ses privilèges l’autorisent à le faire avec plus de hardiesse encore.

Retournons à notre Syrien. Maintenant s’écrie-t-il, ravi de joie, je sais qu’il « n’y a point d’autre Dieu en toute la terre qu’en Israël. »

Oui ! il sait que Jéhovah vit, car il porte en lui-même le sceau de cette vérité. Ce qu’il sait, il le sait par expérience, et ce n’est que dans un sol semblable que prospère la foi. — Aussi longtemps qu’elle n’est qu’un oui-dire, elle demeure semblable à une plante étiolée ; elle est indigne de son nom. — Elle ne devient : « la victoire par laquelle le monde est vaincu, » que lorsque elle a pris racine dans l’expérience personnelle ; et lorsque nous pouvons dire avec saint Pierre : Nous avons vu sa majesté de nos propres yeux. Alors, les terribles tempêtes du blasphème grondent au-dessus de nos têtes, mais leurs éclairs ne nous frappent point et leurs tonnerres ne nous effraient pas. Nulle injure ne peut nous affliger ; nous croyons à ce qu’un monde tout entier nie. L’esprit et la sagesse du monde peuvent démontrer avec éclat que l’Evangile n’est qu’un tissu de fables, mais nous sommes hors de la portée de ces traits : Nous avons vu sa gloire et nous l’avons vue dans une telle splendeur que nous nous sentons émus de pitié, lorsque nous entendons mettre en doute la manifestation du Dieu vivant.

Nous avons vu sa gloire ; c’est le foyer du zèle qui nous pousse à le confesser ; c’est notre assurance dans un siècle opposé à Christ ; c’est l’impénétrable bouclier que nous opposons aux coups les mieux calculés du père du mensonge. Une foi qui n’est point appuyée sur l’expérience ne résistera pas aux orages de la vie. Satan ne s’effraie pas des armes philosophiques ; mais ce cri de guerre : Nous avons vu sa gloire ! le fait trembler ; car il lui : annonce l’approche d’une légion qui assurément le foulera aux pieds.

II

Maintenant donc je te prie prends ce présent de ton serviteur. Ainsi parle Naaman, après avoir confessé le nom de Jéhovah. Il voudrait exprimer en quelque manière la profonde reconnaissance qui remplit son cœur et c’est ce qui l’engage à déposer au pied du trône de Dieu, en la personne de son serviteur, un léger signe de son respect et de son amour. — Non seulement il se nomme le serviteur d’Élisée, mais il le conjure de ne pas rejeter son présent, comme s’il voulait dire : Je sais qu’il ne te sera d’aucune utilité, mais en l’acceptant tu allégeras et réjouiras mon cœur. Et qui est celui d’entre nous qui, ayant éprouvé la grâce de Dieu, n’apprécie de tels sentiments ? et qui, sous l’influence des rayons du soleil de justice n’ait ressenti cette ardeur d’amour, de reconnaissance, ce besoin d’hommages et de sacrifices, qui consumerait le cœur s’il ne trouvait moyen de se manifester ? C’est dans ces moments bénis que viennent affluer dans le divin trésor, les pites que le Seigneur estime plus que les plus riches offrandes. C’est alors que s’accomplissent ces œuvres de miséricorde dont il est dit : « qu’elles suivent les saints, » et que la main gauche ne sait ce que fait la droite. C’est dans ces heureux temps que nous donnons à boire et à manger à Christ en la personne de nos frères ; et cependant, au jour du jugement, nous ne nous souviendrons point d’avoir rien fait pour l’amour de Jésus. — C’est la saison où fleurit la vigne sans se douter de la parole dont elle se revêt. Combien alors sont applicables ces paroles du royal Psalmiste : « Je courrai par la voie de tes commandements quand tu auras mis mon cœur au large. » Oui, chrétiens, vous ressemblez à ces fleurs qui, pendant la nuit, inclinent leurs têtes, demeurent closes et sans parfums, mais qui, dès que brillent sur elles les premiers rayons du soleil levant, rouvrent leurs calices, se redressent, déploient leurs pétales humides et les présentent au roi du firmament comme de gracieux autels, qui ne répandent que de suaves parfums. Vous ne pouvez rien faire de mieux pour avancer votre sanctification que de vous envelopper toujours davantage de l’amour de votre Dieu ! Ah !qu’un seul rayon de cet amour, tombant sur nos cœurs, fortifiera vite le champ stérile et fera fleurir les solitudes du désert ! C’est pour cela que nous vous parlons si fréquemment des biens que vous possédez en Jésus-Christ. La joie au Seigneur est la source de toutes les choses saintes et belles. Puisse-t-elle devenir plus ordinaire au milieu de nous.

Sans aucun doute Élisée se réjouit en son cœur de ce parfum de bonne odeur qu’exhale l’offre du Syrien, mais il ne peut accepter ce présent ; « l’Eternel, en la présence duquel je me tiens est vivant, » dit-il d’un accent solennel, « que je ne le prendrai point. » Naaman insiste, supplie ; mais Élisée persiste dans son refus. Il est aisé de comprendre ses motifs. Tout devait concourir à démontrer à Naaman que lorsque Jéhovah bénit, c’est la grâce qui agit et rien que la grâce. Le prophète ne veut rien enlever à la gloire de son maître. Il ne veut pas qu’on puisse dire que le don de Dieu s’achète avec de l’argent, ou qu’il a égard à la richesse des personnes. Le Seigneur est vivant, que je ne le recevrai point. La gloire de Jéhovah fut toujours le principal objet des serviteurs de Dieu. Tels que de fidèles chevaliers qui veulent servir leur roi sans récompense, ils ne songent qu’à l’honneur de son nom ; ce noble sentiment donne à toute leur conduite cette admirable dignité qui nous inspire un si profond respect, et dans toutes les circonstances il leur suggère ce tact sacré qui les porte à ne jamais dévier de la ligne de conduite qui convient à leur position comme agents et ministres de Jéhovah.

Élisée était pauvre et les fils des prophètes ne l’étaient pas moins. Quelqu’autre à la place d’Élisée aurait pensé que le présent venait fort à propos et que Dieu voulait pourvoir à ses besoins de cette manière. Sa joie à la réception de ce secours temporel aurait absorbé son esprit de telle manière qu’il n’aurait pu discerner si l’honneur de Jéhovah exigeait le refus, plutôt que l’acceptation du présent. Mais Élisée n’était pas tellement préoccupé de ses moyens de subsistance, qu’il ne sût éprouver qu’une extravagante joie à la réception d’un bienfait temporel. La conviction où il était que celui qui nourrit les oiseaux et pare les lis des champs ne permettrait pas qu’il manquât du nécessaire, était trop profonde en lui pour que le secours divin, à quelque heure qu’il arrivât, put encore l’étonner. C’est pourquoi, il considérait d’un œil paisible et indiffèrent les biens temporels qu’il recevait et ne trouvait aucune difficulté à subordonner les avantages terrestres à de plus hautes considérations et même à les sacrifier avec joie, persuadé que le secours lui serait accordé d’une autre manière.

Ceci me rappelle un aimable trait de la vie d’un saint de l’Eglise romaine, Jean de la Croix, l’un des fondateurs des Carmélites. C’était un homme distingué par son fervent amour pour le Seigneur, par sa foi enfantine en la parole de Dieu et sa ferme confiance à la lettre des promesses divines. Le monastère dont ce digne homme était prieur, était pauvre et ne possédait que les aumônes que le Seigneur mettait au cœur de quelques personnes charitables de lui faire. La confrérie était donc souvent appelée à chercher sa consolation dans ces paroles bénies : « L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Un jour, telle était, en effet, la situation du couvent ; les frères affamés se réunissent au réfectoire, la table est dressée, mais on ne trouve dans les armoires qu’un peu de pain sec. Cette faible ressource n’en est pas moins bien accueillie. Les frères se placent autour de la table et s’asseyent pour la partager entr’eux. Mais Jean se levant de son siège avec une sérénité plus qu’ordinaire, entr’ouvre ses lèvres éloquentes et leur fait entendre de telles paroles sur l’amour de Dieu en Christ et sur les grandes promesses faites à ceux qui lui appartiennent, qu’ils se lèvent ensuite et retournent dans leurs cellules plus fortifiés que s’ils avaient pris le meilleur repas. Mais à peine les frères y sont-ils rentrés, qu’on entend agiter bruyamment la cloche du monastère ; le portier ouvre et voit un homme qui portait un grand panier couvert et qui lui présente une lettre pour le prieur. Il quitte l’étranger, et s’empresse de porter la lettre à son adresse. Il trouve le prieur à genoux, dans sa cellule : « Pardonne, mon père, lui dit-il avec une crainte respectueuse ; pardonne, si je t’interromps, mais voici une lettre pour toi. » Jean prend la lettre, mais à peine l’a-t-il à moitié lue qu’il laisse tomber ses mains et commence à pleurer amèrement. — Le portier surpris de cette conduite lui dit : « Père, pourquoi pleures-tu, ne nous as-tu pas dit souvent, qu’on ne doit pleurer que sur ses péchés ? » « Mon frère, » répond le prieur, « je ne pleure point sans cause. Songe combien faible le Seigneur estime notre foi, puisqu’il craint de nous exposer à souffrir même un seul jour, sans nous envoyer un secours visible ! Il a prévu l’abattement et l’angoisse dont nous serions atteints avant la fin de la journée, s’il ne nous envoyait cette aumône pour relever notre courage. C’est à cause de notre peu de confiance en un maître si bon et si riche que je verse ces larmes ; mais puisque le Seigneur le veut ainsi, va et accepte le don qu’il nous envoie. » — Cet homme, comme Élisée, était bien au-dessus des terrestres faveurs, et l’offre d’un secours temporel ne le touchait pas assez pour ne laisser aucune place dans son cœur à des sentiments plus élevés.

Oh ! que le Seigneur daigne nous mettre aussi dans ce noble affranchissement. Puisse-t-il élargir nos vues ! Puisse-t-il donner à nos sentiments spirituels cette vivacité et cette délicatesse ! Puisse-t-il débarrasser toujours plus le bouton de notre céleste vie de sa grossière et charnelle enveloppe ! Le nouvel homme mis en liberté ! tel est le plus beau de tous les spectacles ! Comment pourrait-il en être autrement ? Il est créé à l’image de Dieu, il est l’image même de Christ en Dieu. C’est la réflection du soleil levant dans une goutte de rosée ! Mais cette réflection est une image vivante, c’est un nouvel être. C’est Dieu glorifié dans un ver de terre !

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