Élie le Tishbite

29.
L’ambassade céleste

Représentez-vous, mes frères, que sur notre terre arriverait un jour un habitant d’un autre monde, à qui ses sens permettraient d’embrasser d’un regard tous les pays de la chrétienté et d’entendre dans un même moment tous les bruits qui s’en élèvent dans les airs. Supposez que le moment de son arrivée fût les premières heures de Noël, et qu’il abattît son vol sur quelque haute montagne au milieu des peuples qui croient en Jésus-Christ. Bientôt les airs s’ébranlent, les sons de mille cloches arrivent à ses oreilles comme un seul et immense concert ; il voit des multitudes innombrables en habits de fête, qui accourent sous les voûtes des temples ; il entend et leurs cantiques d’actions de grâces et les prédications qui annoncent une bonne et joyeuse nouvelle. Et comme il se demande avec étonnement quel peut être l’objet de cette fête de tout un monde, un homme s’approche de lui et lui offre de le conduire en un lieu où il apprendrait ce qu’il désire savoir. L’étranger accepte, et s’attend à être mené sur quelque champ de bataille, ou à quelque fête de couronnement. Mais son guide le fait marcher par des sentiers solitaires vers une petite ville sans gloire. Là il lui montre d’un geste significatif un artisan et une jeune femme qui fatigués d’un long voyage traversent les rues, cherchent un asile dans les hôtelleries, et n’en trouvent point. Puis le guide mystérieux le conduit dans une chaumière l’une des plus pauvres du lieu, et lui dit : « Nous voici arrivés, » et sans avoir égard à sa surprise qui va croissant, il le fait descendre dans une étable, lui montre à la pâle lueur d’une lampe la jeune femme, auprès d’elle dans la crèche un lit de foin et de paille, et sur ce lit un enfant nouveau-né, et il lui dit que c’est ce petit enfant qui émeut ainsi toutes les nations, que c’est en son honneur que toutes les cloches s’ébranlent et que tous les temples retentissent de chants de louanges, et que c’est lui et lui seul qui répand une si grande allégresse d’un pôle à l’autre sur tous les visages. L’étranger ne sait si l’on se joue de lui, s’il veille, s’il rêve, il lutte avec ses doutes, enfin il s’écrie : « S’il en est ainsi, dites-moi qui est donc cet enfant ! »

Question permise à la vue d’un enfant qui semble ne se distinguer en rien de tous les autres ! La nouvelle nous arrive de Bethléem « qu’aujourd’hui le Sauveur nous est né » (Luc 2.11). Le Sauveur ! Nom plein de douceur, et qui déborde de consolation. C’est nous dire ce que ce petit enfant est pour nous, et c’est appeler notre attention sur des mystères insondables, dont les abîmes donnent le vertige à qui s’en approche. Mais nous voulons nous en approcher, et, soulevant les derniers voiles de la crèche, savoir non seulement ce que le Fils de Marie est pour nous, mais ce qu’il est en lui-même. De pieux bergers entrent dans l’étable, et s’ils nous annonçaient que cet enfant sera un grand génie, un conquérant, un fondateur de religion, nous les croirions sans peine, car l’histoire offre plusieurs exemples des hommes les plus illustres nés dans l’obscurité. Mais les bergers nous disent que cet enfant est descendu des cieux au milieu de nous. — « C’est donc un ange, un séraphin devenu homme ? » — « Non, non, nous répondent-ils, celui qui est couché dans cette crèche est notre Créateur ; cet enfant qui boit le lait d’une femme, a tracé leurs routes aux étoiles. » Il doit donc être Dieu, Dieu fait chair, Jehova sous une forme humaine ! — Vous m’arrêtez et vous me demandez pourquoi je dis qu’il doit être, et non pas qu’il est réellement Dieu. — Sans doute, mes frères, c’est assez la coutume aux fêtes de Noël de crier du haut des chaires que l’enfant Jésus est le vrai Dieu, et de traiter sans ménagement d’hérétique quiconque ne peut encore le croire. Mais je crains bien qu’il ne soit souvent de ces cris comme des chants que font entendre dans des lieux écartés ou obscurs les gens peureux qui veulent se donner du courage. Certes, mes frères, croire du fond du cœur au Dieu manifesté en chair n’est pas petite chose, c’est un miracle comme la naissance même du Fils de Dieu. Quoi ! cet enfant que Marie porte dans ses bras et presse sur son cœur et nourrit et caresse, qui lui sourit, qui lui bégaie ses premiers mots, est la divinité éternelle en personne. Mais s’il est Dieu, Dieu ne peut être inactif. De sa crèche donc il gouverne le monde, de son étable il dirige les destinées des peuples ! Il reposait dans le sein de Marie et remplissait les cieux et la terre ! Et en tant que Dieu, il devait avoir la conscience qu’il était cet enfant qui dort dans la crèche, et qui semble ne se point connaître ! O insondables mystères ! Mon intelligence est trop étroite pour vous contenir, mes forces trop petites pour vous porter ! Je ne puis demeurer près de la crèche, tout m’y oppresse. Il faut que je me transporte au temps où l’enfant est devenu homme, que je me rende aux lieux où sa gloire s’est révélée. Là je reprends haleine, là je le suis de miracles en miracles, là j’écoute ses divins enseignements, là je l’entends, lui si doux et si humble, se déclarer égal à Dieu ; là je prête l’oreille à mon propre cœur qui appelle à grands cris un Dieu fait chair. Et alors, revenant près de la crèche, je puis joindre de toute mon âme ma voix à celle des anges ; alors agenouillé dans la poussière devant la crèche, ma droite élevée vers le ciel, je jure malgré Satan qui voudrait me fermer les lèvres (car ma confession lui annonce sa ruine) malgré l’enfer entier qui me crie de me taire (car ce témoignage brise ses portes) malgré la génération rebelle qui me menace de ses moqueries, et malgré ma propre raison que ma foi terrasse, je jure que cet enfant dans la crèche est le vrai Dieu et la vie éternelle, que faible créature il est cependant le Seigneur de toutes créatures et le Créateur lui-même.

Un de ces lieux où l’on apprend qui est l’enfant de Bethléem, c’est le sommet du Thabor, dont la lumière se verse par torrents et sur la crèche et sur la croix. Retournons y donc aujourd’hui pour y puiser de nouveau foi, paix et joie.

Matthieu 17.3-4

3 Et voici ils virent Moïse et Élie qui s’entretenaient avec lui. 4 Alors Pierre prenant la parole dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; faisons y, si tu le veux, trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.

Trois sujets nous occuperont aujourd’hui : l’ambassade céleste, son entretien avec le Seigneur et le désir de Pierre.

I

Les disciples contemplaient, adoraient leur maître glorifié, quand apparaissent à sa droite et à sa gauche deux autres figures resplendissantes, qui se tiennent devant lui dans l’attitude du respect. D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? N’avons-nous pas gravi seuls avec lui la montagne ? Qui viendrait à cette heure sur ce sommet désert ? Mais ce ne sont pas des mortels ; de tels fronts ont déjà porté la couronne de vie ; et tandis que ces pensées s’agitaient dans les cœurs des trois apôtres, Jésus commence à s’entretenir avec les deux étrangers, il les appelle par leurs noms, que les disciples entendent. C’est à peine s’ils osent se fier à leurs oreilles ; il leur semble que la terre disparaît sous eux, que le temps n’est plus et que déjà commence l’éternité qui réunit en un point et en une heure ce que séparent ici bas d’immenses distances et des milliers d’années. Et qui sont donc ces deux étrangers ? Ce sont deux justes glorifiés, deux citoyens de la Jérusalem céleste. Le maître ne les aurait pas nommés, que les disciples les auraient reconnus, comme les saints en arrivant dans le ciel reconnaissent sans qu’on les leur nomme Jésus et ses apôtres. L’un est âgé de quinze siècles, et cependant il est vert et fort comme un palmier et brûle d’une éternelle jeunesse : c’est celui qui a conduit Israël hors d’Egypte, à travers la mer Rouge, à Sinaï, dans le désert, Moïse, qui a préféré l’opprobre de Christ aux trésors de l’Egypte. Et l’autre ? Quoi, vous ne le reconnaîtriez pas ? C’est Élie, c’est notre héros de Tishbé, qui après avoir pendant mille ans uni sa voix aux chœurs des bienheureux, se retrouve près du Carmel, au dessus de la plaine de Jesréel, non loin du torrent du Kisçon, et qui aux souvenirs ravivés de ses heures de doute et de découragement, se prend à sourire avec confusion.

Moïse et Élie ! Que votre visite dans la sombre vallée de la mort est la bienvenue ! Mais pourquoi ne nous avez-vous pas parlé des cieux, vous qui depuis tant d’années et de siècles habitiez le palais de Dieu, goûtiez le repos de l’éternité, parcouriez ces prairies sur lesquelles ne passe jamais la faux de la mort, faisiez retentir sous vos doigts ces harpes dont nous rêvons, contempliez ces merveilles que nous pressentons à peine, receviez dans vos cœurs ce fleuve de délices dont il ne tombe que quelques gouttes sur la terre ? Comme il vous eût été facile de résoudre nos énigmes de la mort et de la résurrection, du paradis et de la vie des cieux ! Mais vous vous taisez, comme s’est tû l’apôtre Paul qui avait été ravi (de corps ou d’esprit ? il l’ignore) au troisième ciel, au paradis, où il a entendu des paroles que nul homme ne peut répéter (2 Corinthiens 12.1-2). A la nouvelle de ce voyage d’exploration fait par un de nos frères dans cette contrée où ne conduisent ni coursiers ni navires, qu’éclaire une bien autre lumière que celle des étoiles, où Dieu a son trône et le Christ son palais, nos cœurs brûlent d’entendre le récit que va nous en faire l’apôtre. Mais il nous répond froidement qu’il est hors d’état de nous rapporter ce qu’il a vu. Froidement ? Non, je me trompe ; sa réponse en phrases brisées trahit sa profonde émotion, et son refus est un magnifique témoignage rendu à la magnificence des cieux, qu’il ne pouvait décrire avec le peu de mots que lui fournissait la langue de la terre, ni faire comprendre à notre intelligence captive dans les liens du temps et de l’espace. Pour dépeindre les beautés des cieux il eût dû recourir à celles de la terre, qui n’en sont que de pâles images, que les vaines ombres. Qu’est-ce que l’éclat du soleil, la lumière des étoiles, l’émail des lys et des roses pour dépeindre la gloire du Seigneur ? Qu’est-ce que nos terrestres musiques comparées aux concerts des anges ? Et comment Paul aurait-il la puissance de nous faire partager ce qu’il éprouvait quand il aperçut l’Agneau sur le trône du Père, et qu’il entendit les anges et les saints le glorifier dans leurs cantiques ? Il se tait donc, mais son silence nous parle avec éloquence et force. Toutefois ce qui nous donne une idée plus haute encore des merveilles qu’il a vues, c’est le désir ardent que dès lors il a porté constamment dans son cœur, de revoir ces demeures de la lumière éternelle. Il a bu à la source du paradis, et dès ce moment il est étranger sur la terre : « Mon désir est de déloger et d’être avec Christ. » La mort est pour lui un messager de bonne nouvelle, qui viendrait, la hache du bourreau à la main, sans qu’il s’en effrayât. Comme les biens les plus désirables de la terre lui semblent chétifs ! Comme il prend avec plaisir la coupe amère des souffrances, maintenant qu’il sait qu’il ne la vide que pour la remplir bientôt à la source de ces eaux vives desquelles il a déjà goûté ! Comme il supportera volontiers tous les fardeaux qu’il plaira au Seigneur de lui imposer, dès qu’il ose espérer finir un jour sa carrière dans ces lieux célestes où il a contemplé le Roi dans toute sa beauté ! « Car tout bien compté, j’estime que les souffrances du temps présent ne sont point comparables à la gloire avenir qui doit être révélée en nous. Christ est ma vie et la mort m’est un gain. La vie ne m’est point précieuse, pourvu que j’achève ma course avec joiea. » C’est ainsi, mes frères, que Paul trahit malgré son silence le grand secret de sa vie, et nous instruit sans paroles ni figures de ces secrets qu’il ne pouvait raconter. De même la seule présence de Moïse et d’Élie sur le Thabor vaut tout un long discours, et fortifie puissamment notre foi qui tremble, encore faible et incertaine, auprès des tombeaux. Quelle preuve éclatante nous avons là que les saints conservent au delà du sépulcre leur pleine et entière individualité ! Et que d’instructions ne trouvons-nous pas sur la mort et la résurrection dans cet éclat qui environne les deux envoyés célestes, dans cette gloire qui pare leurs fronts si souvent frappés par la tempête, dans cette paix qui est répandue sur leur visage si profondément sillonné par la souffrance, dans cette joie intime qui se peint sur tous leurs traits et en efface toutes les traces de la terre et de la mort ! Sans doute nous avons un plus grand témoin du monde invisible que Moïse et Élie ; mais il nous est bon, dans les heures d’obscurité où nous demandons si ces ossements ressusciteront, de pouvoir porter les yeux vers le Thabor en même temps que vers le tombeau vide du jardin de Joseph, et de contempler à la fois le Sauveur triomphant du sépulcre, et ces deux hommes nos égaux qui plusieurs siècles après leur départ, nous apparaissent de nouveau en leur corps et pleins de vie.

a – Krummacher a-t-il raison de faire reposer le désir que Paul avait de déloger et son entier détachement du monde sur une vision extraordinaire et unique, plutôt que sur sa foi de tous les jours ? N’est-ce pas déplacer la vie chrétienne de son vrai fondement ?

Depuis que les portes d’Eden avaient été fermées, jamais les cieux et la terre n’avaient été réunis comme ils Tétaient sur le Thabor. Ici le Fils de la dilection éternelle revêtu de majesté, à ses côtés les deux ambassadeurs de la cité de Dieu, près de lui les trois colonnes de l’église de grâce ; dans les nuages les troupes des saints anges, et au milieu d’eux tous, quoique invisible, le Père Eternel ! Quand a-t-on vu sur la terre une pareille assemblée ! Quelle lumière l’inonde ! quelle joie, quelles délices dans tous les cœurs ! Et comme ils sont intimement unis les uns aux autres ! Le Père un avec le Fils, dans son essence comme pour le plan de la rédemption du monde. Le Fils un avec les deux envoyés d’en haut, qui jadis avaient annoncé et préparé sa venue. Moïse et Élie un avec Jean, Pierre et Jacques, car ils portent le même étendard, ils sont tous les colonnes du même temple. Les apôtres unis aux anges, qui doivent porter un jour sur leurs bras dans les cieux les brebis qui auront cru à la bonne nouvelle. Et les anges réunis au Père et au Fils, qui font d’eux leurs messagers et qui les envoient pour servir en faveur des hommes qui doivent hériter la félicité. Sainte union ! Chaîne sublime ! Alliance universelle dont le but unique est que le nom de Dieu soit sanctifié, que son règne vienne, et que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel.

II

Voilà donc Moïse et Élie auprès du Fils de l’homme. Moïse, qui tient dans ses mains les tables de pierre, Élie qui marche en tête du chœur des prophètes. Quel sens profond a leur présence sur le Thabor ! Elle met dans tout son jour la parfaite harmonie, l’unité de l’économie de Dieu au temps de l’ancien Testament et de celle qui commence en Christ. Moïse est le représentant de la loi, Élie de la prophétie. La loi et la prophétie viennent se prosterner aux pieds du Fils de Marie. L’une rend le témoignage qu’elle n’a voulu que le Christ, l’autre, qu’elle n’a connu que lui. « C’est toi, lui dit la loi, à qui seul je voulais conduire. » « C’est toi, dit la promesse, qui faisait le sujet de tous mes chants. » — Voyez aussi comme Moïse et Élie sont plongés dans les rayons qui partent du Seigneur, et semblent y disparaître. C’est une représentation sensible de cette vérité que Christ est la fin de la loi comme de la promesse. La prophétie trouve en lui son accomplissement, car il est le corps de toutes les ombrés. La loi cesse de nous contraindre, de nous juger, menacer, condamner, dès qu’elle nous trouve en Christ notre caution. Voilà le profond accord qui existe entre Christ, Moïse et Élie, l’admirable correspondance entre Sinaï, Morija et la montagne de la nouvelle Jérusalem !

Moïse et Élie commencent à s’entretenir avec le Seigneur. De quel sujet vont-ils lui parler ? Lui annoncent-ils peut-être que le char de feu l’attend pour le ramener du champ de bataille dans la maison de son Père ? Nous nous en réjouirions pour lui, mais nous, nous serions éternellement perdus, et Moïse et Élie eux-mêmes devraient rendre leurs couronnes immortelles et se laisser mettre de nouveau les fers de la mort et de la condamnation. Aussi sommes-nous heureux qu’il soit question sur le Thabor de tout autre chose, de croix et de couronne d’épines, d’autel et de flammes expiatoires. C’est un sacrifice que désirent les représentants de l’ancienne alliance. « Ils parlaient avec lui, nous dit saint Luc, de l’issue qu’il accomplirait à Jérusalem. » Chargés des pleins pouvoirs de Dieu, ils viennent certifier à Jésus et aux apôtres que le décret de Dieu est aujourd’hui encore comme de toute éternité, que Jésus éteigne dans son sang les traits enflammés de la colère divine, car « sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon. » Ils impriment au nom de Dieu un sceau nouveau sur l’ancienne et éternelle vérité : que Sa croix seule peut renverser la muraille qui sépare le ciel et la terre, que Sa vie est la seule rançon au prix de laquelle puissent être délivrées ses brebis. Tel était l’objet de leur entretien avec Jésus. Ils nomment ses souffrances et sa mort une issue, comme pour le consoler par cette expression, et ils parlentd’accomplir cette issue comme pour lui faire porter ses regards plus loin que la croix, sur le couronnement qui suivra et sur les joies de la victoire. Tous les sentiments s’agitaient au.- dedans d’eux pendant cet entretien, mais celui qui prédominait était une admiration pleine de joie, une adoration à la vue des abîmes de la miséricorde divine.

Le Sauveur entend avec une filiale soumission les décrets de son Père que lui répètent les messagers célestes, et il renouvelle le vœu du plus complet abandon à la volonté de l’Eternel : « Me voici, dit-il en son cœur, je viens, je fais avec plaisir, ô mon Dieu, ta volonté, et je porte ta loi dans mon cœur. » Les disciples lisent sur ses traits ces paroles et les comprennent. Et si elles ont pour un temps cessé de retentir dans leur sein, elles ont plus tard repris vie et ont rendu à leur foi de grands services. Ainsi la lumière du Thabor venait de briller de nouveau aux yeux spirituels de Pierre quand il parlait au peuple le jour de la première Pentecôte, de ce conseil défini et de cette providence de Dieu d’après lesquels les juifs avaient pris et mis à mort Jésus de Nazareth.

L’entretien est terminé ; les messagers vont se retirer. « Quoi, déjà se séparer ? se disent les disciples ivres de joie, oh restez, restez ! » Et sans songer s’il leur convient de se mêler à la conversation des habitants des cieux, Pierre s’écrie : « Seigneur, il fait beau ici. Si tu le veux, nous dresserons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie. »

Pierre a payé chèrement l’extase qui lui avait mis sur les lèvres ces paroles. La plupart des interprètes l’ont jugé à peu près comme jadis le vieux Héli avait jugé la pieuse Hanna qui priait avec ardeur dans le temple, et qu’il croyait pleine de vin. On lui a dit : « Simon, tu es un paresseux qui aime mieux te reposer sous une tente que voyager et travailler. » — « Simon, tu as peur des souffrances et des croix, et tu trouves plus agréable d’habiter sur le Thabor que d’être à ton rang dans la bataille. » — « Simon, tu es un égoïste, qui demandes à ton maître qu’il fonde son royaume sur le sommet de la montagne pour toi seul et tes amis ; et sans songer aux milliers qui périssent, tu ne t’inquiètes que de ton salut. » Un ancien père de l’église va même jusques à voir dans « l’insensée et présomptueuse » proposition de Pierre, une inspiration de l’enfer et du diable » qui tendait à détourner Jésus de mourir sur la croix. Accusations sans fondement ! Le désir de Pierre découlait de la source la plus pure, il procédait non de la chair mais de l’esprit. Car pourquoi se sentait-il pareillement heureux sur le Thabor ? Parce que il voyait le Roi dans toute sa beauté, parce que Emmanuel se montrait à lui sans voile, et lui découvrait et sa gloire et sa grâce, parce que l’amour de Dieu pour les pécheurs se révélait à ses regards comme pour la première fois. Voilà pourquoi son cœur était rassasié de joie ; il oubliait et le ciel et la terre, il ne désirait plus que prolonger indéfiniment ce moment de ravissement, et il y aurait là quelque sujet de blâme ! Ne vouloir que Dieu et sentir en sa présence son cœur déborder de joie, ne serait pas la perfection et la gloire du fidèle !

Il nous est arrivé quelquefois d’attaquer l’estime exagérée qu’on fait des sentiments de dévotion. Nous avions en vue ces chrétiens qui ont élevé l’édifice de leur paix bien moins en dehors d’eux sur le Sauveur que au dedans d’eux sur leurs extases et leurs expériences intérieures. Il ne peut que leur être salutaire d’échanger pour un temps leurs gras pâturages contre le désert de la désolation spirituelle, et d’être privés du superflu pour apprendre à apprécier et saisir la seule chose nécessaire. Il leur est sans doute pénible de voir s’écrouler leur maison de paix qu’ils ont bâtie sur un sol mouvant ; mais ils la reconstruiront plus belle encore sur d’inébranlables fondements. — Cependant notre pensée n’est point de condamner la joie même que l’on goûte dans la communion du Seigneur. Bien au contraire, que celui qui la goûte, s’efforce de la retenir. Elle est la sanctification du chrétien et sa force, la source des actions les plus belles dont la terre ait été témoin, la mère des actes du dévouement le plus pur et de l’amour le plus désintéressé. Elle naît dans nos cœurs non point quand nous nous considérons nous-mêmes, mais quand nous contemplons en esprit le Christ, le Prince de la vie, sa beauté, ses souffrances et sa mort. Alors nous nous oublions nous mêmes et tout avec nous ; sa miséricorde se découvre à nous dans son immensité, les profondeurs du plan de la rédemption s’illuminent à nos regards, le voile se lève de dessus son œuvre médiatrice, la gloire qu’il nous a acquise se déploie devant nous. Nous voyons nos souillures purifiées dans son sang, nos dettes payées entièrement par sa mort ; nous nous sentons saints et justes dans son obéissance, accomplis en lui qui a pris notre place, aimés de Dieu autant que lui-même. Dans ces moments la poussière de la terra

ne souille plus nos pieds, l’âme est parée d’un vêtement de fête, le péché en a disparu comme une vaine ombre, le cœur est tout zèle pour le Seigneur, les séductions du monde ne nous atteignent plus, ses plaisirs ont perdu leurs attraits, ses couronnes de gloire n’obtiennent de nous qu’un sourire de compassion. Un soleil mystérieux nous enveloppe de ses rayons et fait en un clin d’œil sortir du sol de notre cœur comme un riche parterre de divines vertus. Et nous ignorons notre sainteté d’autant plus que nous voyons mieux nos péchés. Tout nos désirs ne se rapportent qu’à Jésus, nous ne contemplons que lui, et disons : « Il est doux d’être ici, Seigneur, permets nous d’y dresser nos tentes. »

« Il est bon que nous restions ici, » s’écrie Simon ; car ici est le ciel. En effet, mes frères, où pensez-vous qu’est le ciel ? Au delà des nuages, des étoiles ? dans les régions où les anges chantent sur leurs harpes d’or ? — Le ciel est partout où est le Fils de la dilection, partout où Jésus se révèle à nos âmes ? La cime du Thabor ressemblait à celles de cent autres montagnes ; le Seigneur s’y manifeste, et elle se change au même instant en un délicieux Eden qui n’a rien à envier au paradis céleste. L’enfer cesserait d’être l’enfer, si Jésus pouvait y demeurer. C’est Jésus qui fait le ciel ; qui le possède, est dans le paradis. — Ecoutez quelle douceur, quelle joie intime il y a dans ces mots : » II est bon d’être ici. » L’ancien Testament sait dire : » Oh que ce lieu est saint ! » mais il n’a pas des accents aussi simples, aussi familiers, aussi sentis. C’est le chant du vrai Israël, cygne mélodieux qui se balance sur le lac paisible et limpide de la grâce divine, et s’abandonne sans crainte à ses flots. Mais ce chant se fait rarement entendre parmi nous, et cependant il est ici bas pour le peuple de Dieu un paradis céleste où le chrétien se repose de ses œuvres, s’assied sous sa vigne, écoute le murmure des palmiers et écrit sur sa tente de pèlerin : « Il est bon de demeurer ici Seigneur, si tu le veux, » continue Simon, moins prompt et confiant, plus soumis que d’ordinaire. D’où vient ce changement ? De ce que le Seigneur s’est révélé à lui. Car on ne peut le contempler dans toute sa beauté et sa grâce, et vouloir autre chose que ce qu’il veut. — « Si tu le veux, nous ferons ici trois tentes. » Et pour qui ces trois tentes ? « Une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie. » Les deux habitants des cieux devraient donc renoncer à retourner dans le paradis ? Mais que dis-je ? Si le Seigneur eût accepté la proposition de son disciple, le Thabor fût devenu le paradis, tout le ciel y eût accouru, et au matin on eût vu la montagne environnée des armées de Dieu qui auraient fait retentir toute la contrée de leurs cantiques. — « Trois tentes, » et aucune pour les disciples ? Où comptaient-ils donc demeurer ? Ils se seraient tenus à distance ; car aucun des trois apôtres ne songe alors à demander qui siégera à la droite du Maître. Qui voit le Seigneur dans sa gloire, se prosterne dans la poudre. Ou peut-être pensaient-ils qu’ils partageraient avec Jésus sa tente ; car le racheté du Seigneur s’approche avec plus de confiance de lui que des saints glorifiés ou que des séraphins.

Vous le savez, mes frères, les tentes ne se dressèrent pas sur le Thabor. Les ombres de la nuit ne recouvrèrent que trop tôt leur empire. Il fallait que le grain de froment mourût pour porter les fruits que Pierre voulait cueillir déjà sur le Thabor ; et ce n’était que sur la croix de Golgotha que pouvait s’élever le tabernacle après lequel le disciple soupirait. Maintenant la tente sacrée est là dressée dans la vallée des larmes. Temple magnifique et sans pareil ! Ses colonnes embrassent tout un monde, son faîte dépasse les étoiles, ses murailles sont inébranlables, la terre et le ciel passeront sans faire chanceler ses fondements. L’œil du corps ne voit pas cet édifice, qui ne se montre qu’à la foi. Nous croyons la sainte église universelle, mais nul n’y croit que celui qui se trouve dans son enceinte. Le temple reçoit sa lumière d’en haut, toutes les parties en sont éclairées, et l’on y reçoit la réponse aux énigmes les plus profondes. Personne n’y dit : « Comment apaiserai-je le Seigneur ? » car un sacrifice y a été célébré qui a rendu pour toujours parfait le pécheur. La grâce y surmonte le péché. L’amour en bannit la crainte, et les voûtes retentissent des cris d’Abba que les enfants adressent à leur Père. Tous y sont vêtus de la même robe de justice. Le pain qu’on leur rompt, est une paix qui surpasse toute intelligence, et le vin qui les abreuve est une joie que rien ne peut leur enlever. L’air qu’ils y respirent vient de l’orient, du paradis. L’encens de leurs prières pénètre jusques au trône de Dieu. Les chants qui y retentissent, ont pour unique refrain : « Miséricorde nous a été faite. »

Nul sur la terre n’est heureux que celui qui a trouvé une place dans ce temple. Qui que tu sois et dans quelques circonstances extérieures que tu passes ta vie terrestre, si tu es du nombre de ceux qui demeurent dans ce saint lieu, tu n’as rien à envier aux rois sur leurs trônes, aux illustres de la terre sous leurs arcs de triomphe. Tu es couronné de la grâce du Tout-Puissant ! tu es enrichi de ses plus précieux trésors ! L’aiguillon du Roi des épouvantements ne peut t’atteindre, ni les foudres divines te frapper. Ta chaumière est-elle misérable : l’amour de Dieu l’inonde de ses rayons. Ta route passe-t-elle par d’obscurs défilés : elle se dirige vers l’orient. Es-tu assailli par des tempêtes : elles te poussent vers le port du repos éternel.

Qui conduit à ce temple ? Qui en ouvre les portes ? C’est Celui là seul qui porte entre ses mains les clefs de David, Celui sur qui l’édifice repose comme sur la pierre angulaire. Il se tient à la porte, toujours prêt à ouvrir. Oh demande lui qu’il t’ouvre, jette toi à ses pieds et ne t’en relève que lorsqu’il t’aura introduit dans son royaume ! Amen.

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