Théologie de l’Ancien Testament

§ 22. Acheminement à l’élection d’un peuple particulier.

Pour que l’œuvre du salut ait un fondement historique, il faut qu’une nation soit choisie pour être dépositaire de la révélation, et lors de la dispersion des peuples Dieu s’occupe déjà de cette nation, qui n’existe pourtant pas encore. « Quand le Très-Haut, dit Moïse, Deutéronome 32.8, assignait leurs lots aux nations, et quand il séparait les fils des hommes, alors il plaça les bornes des peuples d’après le nombre des fils d’Israël ». Les rabbins se sont appuyés sur ce passage pour dire que, de même que la famille de Jacob comptait soixante-dix personnes quand elle descendit en Egypte, de même il existe soixante-dix peuples païens. Moïse n’a certainement point voulu dire cela, mais voici comment nous poumons développer sa pensée : Quand Dieu assignait à chaque peuple de la terre le théâtre particulier sur lequel il devait se développer, il avait déjà déterminé à l’avance la contrée où devrait s’établir un jour le peuple élu, pour pouvoir répondre à sa destination.

C’est parmi les descendants de Sem qu’il faut naturellement chercher les ancêtres du peuple élu ; puis parmi les descendants d’Arpachsad, qui est le père des Chaldéens ; car, quel que soit le sens de ce nom, qu’il signifie territoire, ou plateau, ou forteresse des Chaldéens, toujours est-il que le nom de Chasedim (Chaldéens) s’y trouve. Puis nous avons Héber, dont le nom signifie « passage », et qui est la personnification des tribus chaldéennes d’au-delà de l’Euphrateb, puis enfin Thérach. Pas question encore d’apparitions ni de révélations ; ces patriarches conservent tout simplement le monothéisme primitif, et quand le paganisme se développera chez les Sémites eux-mêmes, on reconnaîtra sans peine qu’il aura crû sur un sol monothéiste.

b – Les Septante déjà ont rendu le nom de Héber par περάτης, étranger, qui demeure au-delà de. Pour quelqu’un qui vivait dans le pays de Canaan, les tribus chaldéennes qui passaient l’Euphrate étaient les gens d’au-delà du fleuve. Comparez la Pérée, la partie de la Palestine située au-delà du Jourdain.

Les enfants de Thérach, probablement par suite des grands bouleversements politiques de ces temps reculés, quittent l’Assyrie du nord et vont s’établir à Caran, en Mésopotamie (Genèse 11.31). C’est à Caran qu’a lieu la vocation d’Abraham et que l’Éternel dit à ce patriarche, le dernier de la seconde décade : « Sors de ton pays et de ton parentage (Genèse 12.1). Effectivement, une espèce d’idolâtrie, — le culte des marmousetsc, avait commencé à pénétrer même chez les enfants de Thérach (Genèse 31.19-30 ; 35.2 ; Josué 24.2). Toutes les autres nations vont marcher dans leurs voies et y déployer leurs aptitudes naturelles ; les enfants d’Abraham, au contraire, le peuple éternel (Ésaïe 44.7), ne sera pas dans ses traits distinctifs, le produit de son développement naturel ; il sera ce que la puissance et la grâce de Dieu l’auront fait (Deutéronome 32.6). L’histoire de l’A. T. ne se comprend qu’à ce point de vue. Je ne refuse pas aux Sémites une certaine prédisposition naturelle à recevoir la religion de l’ancienne allianced. Je suis assez de l’avis de Gustave Baur, qui dit que la différence essentielle qu’il y a entre les Japhétites et les Sémites, c’est que les premiers ont une tournure d’esprit objective, tandis que les seconds ont le don de se concentrer puissamment en eux-mêmes et de descendre par la réflexion jusqu’au fond de leur propre cœur, ce qui devait les disposer favorablement à l’égard de la religion de l’A. T. Les païens d’origine sémitique eux-mêmes, aiment à voir dans la Divinité une puissance législatrice. Les astres sont pour eux des dieux régulateurs tout autant que des dieux créateurs.

c – Une espèce de dieux inférieurs qu’on peut comparer aux Pénates.

d – On a beaucoup écrit sur ce sujet dans ces dernières années : Renan, dans le Journal asiatique de 1859 ; Gustave Baur, Histoire de la prophétie dans l’Ancien Testament ; Grau, Sémites et peuples indo-germaniques ; Diestel. dans le Journal des provinces rhénanes de 1851.

Autre trait de ressemblance entre le paganisme sémitique et le génie de l’A. T. Dieu est volontiers pour lui un Dieu jaloux, et l’homme s’y montre également comme un être éminemment orgueilleux. Les Edomites et les Moabites, ces deux peuples parents des Israélites, se font remarquer par leur indomptable orgueil (Abdias 1.3 ; Ésaïe 16.6), et Israël lui-même a un front d’airain, un cou raide comme une barre de fer (Ésaïe 48.4). Mais on peut parfaitement accorder tout cela, et cependant ne point considérer la religion de l’A. T. comme un produit naturel du caractère religieux des peuples sémitiques. La révélation se donne pour quelque chose de nouveau. C’est lui faire tort que de n’y voir que le développement d’une disposition religieuse naturelle. C’est en même temps mépriser l’histoire, qui nous présente les Israélites dans une constante opposition avec la volonté de Dieu. D’après l’histoire de Melchisédec, et d’après celle de Laban qui jure par le Dieu d’Abraham et le Dieu de Nacor, le Dieu de leur père (Genèse 31.53), tandis que les marmousets sont ses dieux (Genèse 31.19, 30), on peut fort bien admettre que le monothéisme était la religion primitive des ancêtres d’Abraham. Mais, encore une fois, il ne suit point de là que la religion de Moïse ne soit que le développement naturel des connaissances religieuses que possédaient les patriarches sémitiques.

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