Théologie de l’Ancien Testament

§ 94. Fonction, consécration et position sociale des Lévites.

La charge, ou plus exactement la garde du sanctuaire, telle est l’expression générale qui sert à désigner à la fois l’office des Lévites (Nombres 3.28,32), et celui des prêtres de la famille d’Aaron (Nombres 18.5). Mais ces derniers sont exclusivement chargés du service de l’autelr, de tout ce qu’il y a à faire en dedans du voile (Nombres 18.7), et en général de tous les actes du culte qui nécessitent l’emploi des ustensiles sacréss ; tandis que les Lévites ont pour leur part le service de la demeure de l’Éternel ou du pavillon du témoignage (Nombres 1.53 ; 16.9 ; 18.4). Ce service a un caractère militaire (il est appelé Tsava, צבא service dans une armée, Nombres 4.3, 30 ; 8.24) ; une fois même le tabernacle est appelé le camp de l’Éternel (1 Chroniques 9.19). Pendant les quarante ans du désert, les Lévites avaient à démonter, à transporter et à remonter le Tabernacle (Nombres 1.50 et sq.) ; c’étaient eux également qui devaient porter l’arche et tous les ustensiles sacrés (Deutéronome 10.8 ; 31.25)t. Ces divers travaux étaient répartis entre les trois familles principales des Lévites. Les descendants de Guerçon avaient pour leur part les tentures et les rideaux ; ceux de Kéhattsu, les ustensiles sacrés ; ceux de Mérari, les ais, les barres, les colonnes, etc. (Nombres 3.25-37 ; ch. 4). D’après Nombres 4.3, 23, 30, les Lévites devaient fonctionner pendant vingt ans, depuis leur trentième jusqu’à leur cinquantième année, Nombres 4.24 et sq., indique l’âge de vingt-cinq ans comme celui où ils devaient entrer en fonctions. Cette contradiction n’est qu’apparente. Les premiers passages cités ont spécialement en vue le transport du Tabernacle ; tandis que Nombres 8.24, parle du service lévitique en général. [Ranke, dans ses « Recherches sur le Pentateuque, » propose de regarder ces 5 années de différence comme un temps de préparation et d’initiation, pendant lequel ils n’osaient faire encore tout ce qui plus tard était exigé d’eux.] A cinquante ans, v. 25, ils sortaient du service et n’avaient plus qu’à aider leurs frères, soit en surveillant l’ouvrage, soit en donnant aux jeunes Lévites des instructions sur les divers travaux qui allaient bientôt leur incomber.[La tradition talmudiquev croit savoir que cette dernière ordonnance n’avait de valeur que pour le temps du désert, et que plus tard le grand âge n’excluait plus du service actif, mais uniquement la perte de la voix.]

r – D’après 1 Chroniques 6.34 (dans les Bibles françaises, v. 49), autel des holocaustes aussi bien qu’autel des parfums.

s – Autrement le lévite Coré n’aurait pas été si sévèrement puni pour avoir voulu offrir l’encens.

t – Toutefois les prêtres avaient dû auparavant couvrir l’arche (Nombres 4.4), car les Lévites n’osaient pas la regarder (v. 17 et s.).

u – C’étaient les plus honorés, car Aaron était sorti du milieu d’eux.

v – Cholin f. 24a

Les lois lévitiques que renferme le livre des Nombres ont toutes quelque chose d’actuel ; elles sont faites en vue du séjour dans le désert. Le Pentateuque, — le Deutéronome pas plus que les trois livres précédents, — ne statue rien sur ce que les Lévites auront à faire quand une fois l’on sera établi dans la Terre de la promesse. Combien n’en serait-il pas autrement, si la critique moderne avait raison quand elle prétend que les ordonnances lévitiques du Pentateuque ont été composées bien des siècles après Moïse !

Le Deutéronome, nous l’avons dit, montre ce que les Lévites et les prêtres ont ensemble de commun, plutôt que ce qui les distingue les uns des autres, mais il ne les confond pourtant pas. Il y a des choses qui sont l’apanage exclusif de ces derniers. Dans Deutéronome 31.9, les prêtres, et, v. 25, les Lévites sont désignés comme les porteurs de l’arche. Mais il n’y a pas là confusion ; les prêtres la portaient dans les circonstances solennelles (Josué 3.6 ; 6.6 ; 1 Rois.8.3 et s.), tandis que les Lévites en étaient chargés pendant les voyages et quand il s’agissait simplement de changer de place. Voyez 2 Samuel 15.24.

Les cérémonies qui constituaient la consécration des Lévites sont racontées dans Nombres 8.5-22. D’abord, trois actes ayant pour but leur purificationThihar, טהר, expression qui du reste désigne aux v. 6 et 21 la consécration dans toutes ses phases ; tandis que la consécration des prêtres est appelée Quiddosch, קדש consécration sainte.. Tu feras aspersion de l’eau purificatricew sur eux ; ils feront passer le rasoir sur toute leur chairx ; et ils laveront leurs vêtements. Pas question de vêtements nouveaux accordés aux Lévites lors de leur consécration, d’une sorte d’investiture ; cela ne sera le cas que longtemps après le Pentateuque.

w – Est-ce de l’eau ordinaire ou une eau particulière (Nombres ch. 19) ? Elle est appelée d’un nom qui me ferait croire plutôt que c’est une eau particulière, מי הטהר.

x – Bæhr (Symb. II, 178) pense qu’il faut en excepter la tête, à cause de Lévitique 21.5, où l’acte de se couper la barbe ou les cheveux est considéré comme une sorte de profanation. Mais Lévitique 14.9, parle en faveur d’une tonsure complète, ainsi qu’Hérodote, II, 37.

Puis, trois actes ayant pour but la consécration proprement dite, la présentation, la remise des Lévites à l’Éternel : c’est d’abord, l’imposition des mains, v. 10, par les représentants de l’assemblée. Le peuple montrait par là qu’il envisageait les Lévites comme un sacrifice qu’il offrait à l’Éternel. Puis, venait la présentation avec tournoiement ou agitation (Tenoupha, תנפה. Voyez § 133). C’était là l’acte consécratoire par excellence, mais le tournoiement indique en même temps que l’offrande ainsi présentée à l’Éternel sera laissée au prêtre comme un don de la part de l’Éternel. Pour les Lévites, cette présentation avec agitation ne peut s’entendre que d’un simple mouvement de va-et-vient qu’on leur faisait faire auprès de l’autely. Enfin, on offrait un sacrifice pour le péché et un holocauste au nom des Lévites, qui imposaient leurs mains aux victimes (v. 12) pour leur transmettre leurs péchés, car ceux-mêmes que Dieu a acceptés comme un présent de la part du peuple, ne peuvent commencer leurs saintes fonctions qu’après qu’un sacrifice expiatoire a été offert en leur faveurz.

y – Il résulte en effet de la comparaison des versets 12 et 21 que le double sacrifice dont nous allons parler ne précédait pas la consécration, ainsi que le prétend encore Hofmann dans ses Preuves scripturaires, mais qu’il le suivait.

z – Les recommandations de Lév. ch. 21 ne concernent que les prêtres de la famille d’Aaron, et le Pentateuque n’en adresse point de correspondantes aux Lévites.

La tribu de Lévi ne reçoit aucun héritage, aucun territoire, car elle ne doit pas s’occuper de la culture du sol comme le reste du peuple ; elle doit s’employer exclusivement au service du tabernacle (Nombres 18.23). Ce n’est pas seulement des enfants d’Aaron que l’Éternel veut être lui-même l’héritage (Nombres 18.20), mais aussi de tous les Lévites. Ils sont dispersés par toutes les tribus, où quarante-huit villes avec leur banlieue leur sont assignées pour demeure (Nombres 35.6-7) [מגרשים, Miguerachim, pâturages. Sur ces 48 villes nous verrons plus tard (§ 108) qu’il y en avait six qui servaient en même temps de villes de refuge. Les territoires qui accompagnaient ces villes n’étaient pas vastes : mille coudées à partir des murailles (Nombres 35.4). On ne sait trop comment accorder ce verset avec le suivant, où il est dit qu’il doit y avoir 2 000 coudées de territoire aux quatre points cardinauxa.]

a – Cela s’explique assez bien, si l’on admet que les villes ont ordinairement une forme arrondie. Le territoire environnant ayant au contraire la forme d’un carré, les quatre angles de ce carré étaient plus éloignés de la muraille de la ville que le milieu des quatre côtés. (N. du T.)

Au reste, dans cette loi les prêtres ne sont pas séparés des Lévites, et ce n’est que dans Josué 21.4, que treize de ces villes seront mises à part pour les enfants d’Aaron.

[Dans les tribus de Juda, de Benjamin et de Siméon. Des 35 villes lévitiques proprement dites, dix, destinées aux enfants de Kahath, se trouvent dans les tribus d’Éphraïm, de Dan et de Manassé en deçà du Jourdain ; treize, destinées aux enfants de Guersçom, dans les tribus d’Isacchar, d’Asser, de Nephtali et de Mariasse au delà du Jourdain ; enfin douze, destinées aux enfants de Mérari, dans les tribus de Zabulon, de Gad et de Ruben. — Nous parlons d’après Jos. ch. 21, dont 1 Chroniques 6.46 (dans les Bibles françaises, v. 71 et sq.) diffère sensiblement.]

Au surplus, il ne faudrait pas se représenter que les Lévites ou les prêtres fussent les uniques habitants et propriétaires de ces villes et de leurs territoires. Ils n’en occupaient que les maisons et les prés qu’il leur fallait. Le reste demeurait aux habitants primitifs (Josué 21.12), ainsi que cela résulte de la loi (Lévitique 25.32, sq.) touchant la vente des maisons des Lévites, loi qui n’a de sens que si d’autres Israélites vivaient parmi les Lévites. Voyez encore 1 Samuel 6.13 et sq. Il résulte de ce récit qu’il y avait à Bethsémès, ville lévitique (Josué 21.16), à la fois des Israélites ordinaires et les Lévites.

Cette dissémination permettait aux Lévites de veiller partout à l’observation des lois.

Ils vivaient du produit des dîmes (§ 136, 3), ce qui ne leur faisait pas une position bien brillante. La dîme, même consciencieusement payée, ne constituait pas un revenu régulier. Puis, les Lévites durent se multiplier sans que ces revenus s’accrussent dans la même proportion. Enfin, dans les siècles de décadence, le peuple négligea tous ses devoirs et laissa ses pauvres frères de la tribu de Lévi dans le besoin, malgré les recommandations expresses de Moïse. (Deutéronome 12.19 ; 14.27, 29)

[On s’est appuyé sur Deutéronome 12.12, 18 ; 14.27, 29 ; 16.11, 14 ; 18.6, pour prétendre que le Deut. renferme sur les lieux d’habitation des Lévitns des données inconciliables avec celles du livre des Nombres ; qu’il les représente absolument comme des étrangers sans feu ni lieu. — Il n’y a, de tous ces passages, que le dernier (Deutéronome 18.6) qui appelle vraiment les Lévites des étrangers. Nous verrons plus tard que les données du Deut. se justifient pleinement par ce que le livre des Juges nous raconte sur la condition des Lévites au commencement de cette malheureuse période.]

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