Théologie de l’Ancien Testament

§ 139. Rites observés dans le sacrifice pour le péché.

Le sacrifice pour le péché a ceci de particulier que les victimes varient suivant la faute commise et la position qu’occupe dans la théocratie la personne qui offre le sacrifice ; qu’il y est fait aspersion du sang sur des objets et dans des lieux plus saints que ce n’est le cas pour les autres sacrifices, et enfin que la chair en est traitée avec des égards spéciaux. Reprenons ces trois points.

Le souverain sacrificateur, quand il a manqué en quelque point en sa qualité de représentant du peuple, dans ses fonctions saintes (Lévitique 4.3), ou bien au grand jour des expiations (Lévitique 16.3) ; l’assemblée, quand elle a péché tout entière par erreur (Lévitique 4.13) ; enfin, les prêtres et les Lévites, lors de leur consécration (Exode 29.10,14,36 ; Nombres 8.8), — doivent offrir un jeune taureau. C’est là le sacrifice pour le péché de premier degré. Un bouc שעיר עזים, constituait un sacrifice inférieur. C’était la victime qui s’offrait en faveur de l’un des principaux du peuple (Lévitique 4.22), et en faveur du peuple lui-même, le jour des expiations (Lévitique 16.5), aux autres fêtes annuelles et aux nouvelles lunes (Nombres 28.15, 22, 30 ; 29.5), ou bien lorsqu’il s’était commis quelque chose de mauvais dans l’assemblée « loin de ses yeux », c’est-à-dire à son insu (Nombres 15.24).

[Voyez encore Lévitique 9.3,15 ; Nombres 7.16, sq. — Il y a entre Nombres 15.24 et Lévitique 4.13. sq., cette différence que ce dernier passage a en vue tel ou tel cas où l’assemblée tout entière a péché, tandis que Nombres 15.24, suppose que l’assemblée n’est point coupable, mais qu’il s’est commis dans son soin, par un individu particulier et à son insu, un péché qui la souille.]

D’une moindre valeur encore étaient la chèvre ou la brebis du simple Israélite (Lévitique 4.28, 32 ; 5.5), la brebis d’un an du Naziréen (Nombres 6.14) et du lépreux (Lévitique 14.10, 19). Enfin, nous trouvons dans des cas de purification (Lévitique 12.6 ; 15.14, 29 ; Nombres 6.10), et substitués par les pauvres à une pièce de menu bétail (Lévitique 5.7 ; 14.22), les pigeonneaux et les tourterelles. Et ce n’est pas tout encore. L’Israélite qui n’était pas même en état de procurer ces volatiles pouvait, d’après Lévitique 5.11, du moins quand son péché n’avait rien d’extraordinaire, — présenter à leur place la dixième partie d’un épha de fine farine, sans huile ni encensg.

g – En effet, ce n’était pas une offrande, mais seulement comme une offrande (Lévitique 5.13).

Quant aux lieux plus ou moins saints où le sang était répandu, il y avait d’abord, pour commencer par le plus sacré de tous, le lieu très saint au jour des expiations (§ 140) ; puis, le voile intérieur et les cornes de l’autel d’orh (Lévitique 4.5, 16), dans les sacrifices pour le péché offerts pour l’assemblée ou le souverain sacrificateur, en dehors du jour des expiations ; et enfin les cornes de l’autel d’airain, dans les sacrifices pour le péché offerts par de simples Israélites (Lévitique 4.25, 30, 34), ou lors de la consécration des prêtres (Exode 29.12), et sans doute aussi des Lévites.

h – On en faisait sept fois aspersion contre le voile, puis on en répandait sur les cornes de l’autel et enfin ce qui restait était versé au pied de l’autel des holocaustes.

La chair des sacrifices pour le péché est appelée une chose très sainte (Lévitique 6.22), et c’est là une dénomination qui n’est appliquée qu’à ce qui est entré en rapport intime avec Dieui. Dans les sacrifices d’un ordre inférieur, à l’exception des consécrations de prêtres, elle était consommée par les prêtres dans leur parvis (Lévitique 6.18) ; dans les sacrifices d’un ordre supérieur et lors de la consécration d’un prêtre, elle était consumée dans un lieu pur, hors du camp, avec la peau, la tête, les os et les entrailles de la victime (Lévitique 4.11, 21 ; 16.27). S’il rejaillissait quelque sang de ces victimes sur le vêtement (Lévitique 6.27), le vêtement devait être lavé en lieu saint, afin d’éviter toute profanation. Les vases où l’on avait fait bouillir la viande des sacrifices inférieurs, devaient être brisés, s’ils étaient de terre, soigneusement lavés, s’ils étaient d’airain ou de cuivre. Dans les sacrifices d’un ordre supérieur, le prêtre qui était allé brûler la chair hors du camp devait, avant d’y rentrer, se baigner et laver ses vêtements (Lévitique 16.28).

i – Voyez les remarques de Knobel, à propos de Lévitique 21.22.

[On ne sait pas au juste si, dans les sacrifices pour le péché consistant en pigeonneaux, tout l’animal était consumé sur l’autel après qu’on en avait, bien entendu, jeté le gésier et la fiente, ou bien si, comme le raconte la Mischna Sébachim 6.4, le sang en était seul répandu sur l’autel, le reste appartenant aux prêtres. Quant aux sacrifices des pauvres, consistant en un peu de fine farine, le prêtre en prenait une poignée pour la consumer sur l’autel et le reste lui appartenait, comme dans les offrandes (Lévitique 5.12).]

Maintenant, quel est le sens de ces diverses cérémonies ? Substituer une vie pure à une vie impure ; couvrir ainsi devant Dieu le pécheur qui sacrifie, tel est, avons-nous vu au § 127, le but des sacrifices expiatoires et le sens de l’aspersion du sang.

Voici comment, dans son dernier ouvrage : Un mystère de la Passion, page 355, Mr. de Rougemont résume la théorie de Œler sur l’expiation :

« La purification par le sang d’une victime pure et sainte a été mise en pleine lumière par l’épître aux Hébreux, et seule elle donne la pleine intelligence des rites lévitiques. Néanmoins nul théologien n’en avait fait usage, à ma connaissance, dans son explication de la rédemption. Mon attention a été appelée sur cette face méconnue de la vérité par les élèves du célèbre professeur de Tubingue, Œhler, que la mort vient d’appeler dans un monde meilleur. Sa théorie, qu’il n’a d’ailleurs exposée nulle part sous une forme systématique, fut pour moi comme une révélation.

La sainteté a en abomination le péché, qu’elle repousse loin d’elle comme par instinct ; la justice le pèse et le condamne avec la froide réflexion de l’entendement, l’amour cherche les moyens de le détruire. Si Anselme voit en Dieu la justice, et la nouvelle école l’amour, Œhler voit en lui la sainteté. Les hommes sont pour Anselme des pécheurs, et il y a coulpe ; pour la nouvelle école, des infirmes ; pour Œhler, des êtres souillés. Ils devraient, pour Anselme, expier leurs fautes ; pour la nouvelle école, se repentir, obéir, être vivifiés ; pour Œhler, se purifier.

La rédemption s’opère, d’après Anselme, par le sang divin de Jésus-Christ versé an lieu de celui des pécheurs ; d’après Œhler, par le sang humain et divin de Jésus-Christ épanché dans son infinie pureté sur la race souillée. Le sang de Christ est sans valeur pour la nouvelle école.

Jésus-Christ est pour Anselme un Dieu qui vient expier nos péchés ; pour la nouvelle école, un homme qui, le premier, aime Dieu ; pour Œhler, un Dieu-Homme qui, par amour pour les hommes, fait une œuvre de propitiation…

La théorie de Œhler n’éveille en nous aucune objection. Nous l’acceptons en plein, mais elle n’embrasse pas toute la vérité. » (Note du T.)

C’est parce qu’il s’agit pour les victimes des sacrifices pour le péché, de tenir la place des personnes qui ont péché, qu’elles sont choisies parmi des animaux de valeur et de dignité fort différentes. Si la chèvre et le bouc y dominent, c’est que la chair en est peu succulente, aussi le repas sacerdotal qui suit plusieurs des sacrifices pour le péché, est-il moins un repas qu’une manière d’employer cette viande.

[Je ne mentionne que pour leur étrangeté l’opinion des Rabbins, qui pensent que le bouc du jour des expiations vient de ce que les frères de Joseph ont tué un bouc le jour où ils ont vendu leur frère ; celle de Maïmonides, qui dit que le choix de cet animal est déterminé par le fait (la supposition) que d’après Lévitique 17.7, c’est à propos de sacrifices semblables que le peuple est tombé dans la plus grossière corruption ; celle enfin de Bœhr, qui pense que les longs poils de cet animal pouvaient aisément apparaître comme un symbole de deuil.]

C’est ainsi que la farine que les pauvres pouvaient substituer à des victimes trop coûteuses, était offerte sans l’huile qui l’assaisonnait ordinairement. — L’imposition des mains, avec la confession des péchés qui l’accompagnait bien probablement, était destinée à manifester le désir de l’Israélite de voir l’âme innocente de la victime livrée à la place de la sienne propre pour en couvrir ses péchés. Ce don, cet abandon, cette offrande d’une vie pure à Dieu se fait au moyen du sang qui résulte de l’immolation et que l’on se hâte d’aller appliquer aux places saintes où Dieu est tout spécialement présent. Et, pour bien montrer que cette présentation du sang à Dieu n’est pas simplement une effusion de sang ; qu’elle n’est pas un moyen, le moyen d’avoir une victime morte, mais un but, le but principal du sacrifice, — ce sang est apporté sur l’autel et il en est fait aspersion sur les cornes, qui sont les parties les plus sacrées de l’autel (§ 117)j. Au grand jour des expiations, il en est même fait aspersion sur le propitiatoire dans le lieu très saint ; impossible sur terre de rapprocher davantage de l’Éternel le sang d’une victime.

j – Keil, qui voit dans les cornes le symbole de la force, pense que leur aspersion par le sang de la victime marque que désormais l’âme du pécheur pardonné va entrer dans la pleine jouissance des forces de l’esprit divin et des puissances de la grâce.

[Nous avons vu que, dans certains sacrifices, on faisait à sept reprises aspersion du sang des victimes sur le voile intérieur. Ce nombre sept montre que l’alliance, compromise par le péché, est rétablie ou raffermie par le sacrifice.]

Après avoir fait aspersion du sang, on brûlait la graisse sur l’autel « en bonne odeur à l’Éternel. » (Lévitique 4.31) C’est bien à tort que Knobel dit que ces mots ne sont là que par inadvertance. Sans doute, il n’y a pas autant dans cette expression que dans celle qui est employée en parlant des sacrifices de prospérité et des holocaustes, dont il est dit qu’ils sont agréés (Lévitique 1. ; 7.18 ; 19.7 ; 22.19-23 et sq.), car, c’est une triste chose qu’il faille offrir des sacrifices pour le péché. Cependant, il n’y a pas une différence essentielle à cet égard entre ces deux sortes de sacrifices. Dieu, en acceptant l’offrande qui lui est faite de la graisse de la victime, montre par là qu’il a déjà accepté le sacrifice qui vient de s’accomplir.

[Dans les outres sacrifices, l’aspersion du sang est la condition sine qua non de la présentation de l’offrande, qui est l’acte capital (§ 127). Dans le sacrifice pour le péché, en revanche, l’offrande sert à confirmer, et en quelque sorte à parachever, l’expiation qui est le but direct de ce sacrifice.]

Mais ce n’est que la graisse de l’animal qui est offerte à l’Éternel, car ici le don de la victime est une affaire secondaire, et c’est l’expiation et la réconciliation qui sont la chose importante. Et les autres parties de l’animal, qu’en fera-t-on ? C’est une chose très sainte ; il ne faut point la profaner. Il va de soi que ceux qui ont offert un semblable sacrifice pour leur propre compte ne peuvent pas en manger eux-mêmes. Il ne reste donc dans les sacrifices pour le péché du degré supérieur, qu’à détruire cette viande de la manière la plus digne d’elle, et c’est pour cela qu’on la brûle (Saraph, שרף, et non pas Hiquethir, הקטיר. § 128). Dans les sacrifices d’un degré inférieur, la chair est consommée par les prêtres, et Lévitique 10.17, nous en explique la raison. « L’offrande pour le péché, dit Moïse aux prêtres, vous a été donnée à manger pour enlever l’iniquité de l’assemblée, et afin de faire propitiation pour eux devant l’Éternel. » Ceci ne veut point dire que le fait que cette viande est mangée par les prêtres ait une valeur expiatoire ; non, il faut laisser cette importance suprême à l’aspersion du sang. Mais, en consommant la victime, les prêtres montrent que le Dieu dont ils tiennent la place est satisfait et que le sacrifice a atteint son but. Philon dit fort bien (De vict. § 13) qu’à la vue des prêtres se nourrissant de cette viande, on se sentait entièrement rassuré à l’endroit du sacrifice ; l’efficacité en était par là proclamée d’une manière palpable ; Dieu n’aurait pas invité ses serviteurs à un pareil repas, s’il n’eût pas pleinement pardonné.

[Au § 140, nous verrons, à propos du jour des expiations, une autre cérémonie ayant également le sens d’une déclaration. Au fait voici le sens de Lévitique 10.17 : L’offrande pour le péché vous a été donnée pour qu’en la mangeant vous donniez à entendre et déclariez à tous les assistants que l’iniquité de l’assemblée est ôtée.]

Tout autre est le sens de ces cérémonies aux yeux de ceux qui font de l’immolation de la victime la partie essentielle de tout sacrifice. Nous ne voulons pas répéter ici ce que nous avons dit déjà au § 126. Rappelons seulement que, d’après cette théorie (pœna vicaria), l’imposition des mains a pour effet de charger des péchés du coupable la victime, qui dès lors devient la personnification du péché (2 Corinthiens 5.21 : Dieu a fait Christ péché). L’aspersion du sang n’a donc pas de valeur expiatoire ; elle a seulement pour but de montrer qu’il y a eu expiation, que Dieu est satisfait par la mort de la victime. Après cela les opinions se partagent : les uns disent que par sa mort la victime a englouti le péché dont elle s’était chargée, en sorte que sa graisse peut être brûlée en sacrifice de bonne odeur à l’Éternel ; les autres estiment que la chair de l’animal immolé souffre encore de la malédiction qu’il a portée, et que les prêtres ne la mangent que pour absorber en quelque sorte cette souillure par la sainteté que leur communique leur emploi dans la théocratie ; on fait remarquer à l’appui de cette seconde opinion que le sacrifice pour le péché est parfois appelé tout simplement péché. Mais c’est évidemment là une métonymie dans le genre de celle qui se trouve à la fin de Michée 6.7 : donnerai-je mes enfants péché de mon âme, c’est-à-dire : pour le péché de mon âme. Voyez Lév. iv, 3 ; pour le péché (Al Rhattaat, על–חטאת, περὶ ἁμαρτίας, ainsi que les Septante ont traduit). On pourrait se demander pourquoi, si le corps de la victime demeure infecté par le péché, il n’est pas immédiatement jeté dans un lieu impur comme un objet de malédiction (קל.ֻלת אלהים), comme, par exemple, le cadavre d’un malfaiteur (Deutéronome 21.23) ; mais on fait remarquer qu’il y a une grande différence entre le corps où le péché s’est commis, et le corps qui a simplement été chargé du péché d’autrui ; ce dernier peut à un certain point de vue demeurer une chose très sainte, tout en étant chargé de la malédiction du péché d’autrui. Nous verrons bientôt dans Nombres 19.7, 10, une victime qui semble aussi réunir en même temps ces deux caractères.

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