Théologie de l’Ancien Testament

§ 158. Etat religieux du peuple. Il n’observe pas la loi.

Rien de bien étonnant, après ce que nous venons de voir, à ce que le peuple, pendant cette période, se relâche dans l’observation de la loi et se mette à rendre un culte aux dieux des Cananéens en même temps qu’à l’Éternel. — Mais jusqu’à quel point pouvons-nous parler d’un relâchement dans l’observation des lois théocratiques ? Le livre des Juges suppose-t-il vraiment les six livres précédents avec toute leur histoire et leur législation si complète ? N’avons-nous pas plutôt, en le lisant, l’impression que c’est là la période embryonnaire de la théocratie ?

[C’est ici un point auquel les adversaires de l’authenticité du Pentateuque ajoutent une grande importance. Voir surtout De Wette et Vatke. Disons, dès le début, qu’on n’est pas en droit de tirer de pareilles conséquences d’un livre qui raconte l’histoire de trois siècles en 21 chapitres. — Dans un ouvrage de la nature de celui-ci, nous sommes obligés de nous en tenir pour cette discussion aux arguments tirés du culte.]

Nous croyons fermement que le livre des Juges suppose le Pentateuque et Josué, et voici nos raisons.

D’abord, l’introduction ne s’explique pas sans un passé glorieux et béni. Voyez en particulier des passages comme Juges 2.10. Il en est absolument de même du cantique de Débora, dont personne encore n’a osé mettre en doute l’authenticité, et qui. oppose également les tristesses du temps présent à un passé qui n’est autre que celui que dépeignent Moïse et Josué :

« O Éternel, quand tu sortis de Séhir, quand tu partis du territoire de l’Idumée, la terre fut ébranlée ; même les cieux se fondirent, les nuées se fondirent en eaux. Les montagnes s’écoulèrent de devant l’Éternel ; et ce mont de Sinaï de devant l’Éternel, le Dieu d’Israël ! » Voilà (Juges 5.4-5), la gloire passée. Voici maintenant (Juges 5.6-8) les malheurs récents : « Aux jours de Sçamgar, fils de Hanath, aux jours de, label, les grands chemins n’étaient plus fréquentés et les voyageurs allaient par des routes détournées ; les bourgs n’étaient, pas habités en Israël… On ne voyait ni bouclier ni lance parmi 40 000 soldats d’Israël. »

Puis, il importe de remarquer que si le livre des Juges parle fort peu du culte, c’est qu’il n’a évidemment, pas l’intention d’en parler. On conclut de son silence à l’endroit de certaines institutions, que les lois destinées à les faire naître n’existaient pas encore. Mais on pourrait faire le même raisonnement à l’égard du livre de Josué. Il n’est fait mention dans les Juges que d’une seule fête (Juges 21.19, Tabernacles ou Pentecôte, peu importe), et l’on s’écrie : le cycle des fêtes qu’établit le Pentateuque n’existait donc pas encore et n’était pas. institué ! Mais il en est absolument de même de Josué, où il n’est parlé non plus que d’une fête (la Pâque de Josué 5.10), et de tous les autres livres historiques à l’exception des Chroniques. — D’ailleurs, les Juges renferment un certain nombre de passages qui montrent, que si, d’une part, jusqu’à Samuel, la plupart des lois cérémoniales étaient tombées en désuétude, ou n’avaient même jamais été observées, — d’autre part cependant, ces mêmes lois étaient bel et bien connues.

Spécialisons. Demandons-nous d’abord si le livre des Juges connaît un sanctuaire central, qui soit le seul lieu où l’on ose sacrifier à l’Éternel, — ou bien s’il y avait dans ce temps-là plusieurs sanctuaires consacrés à l’Éternel et existant simultanément les uns à côté des. autres ? Eh bien ! pendant les quarante ans du désert, sous les yeux même du législateur, le peuple n’avait pu renoncer à l’usage de sacrifier partout où cela lui plaisait (Lévitique 17.5 ; Deutéronome 12.8) ; combien moins sera-ce le cas quand il n’y aura plus ni de Moïse, ni de Josué pour tenir les Israélites en respect ; quand ils seront dispersés parmi des païens dont ils prendront les usages et les croyances ! Que l’on conclue de là, si l’on veut, que la loi sur l’unité du culte n’existait pas encore sous les Juges ; mais alors, pour être conséquent, il faut admettre qu’elle n’a été promulguée, que pendant l’exil, puisqu’en dépit des mesures rigoureuses prises par plusieurs rois, le peuple, jusqu’à l’exil, ne cessa jamais de sacrifier sur les hauts lieux. Quand Michée se fait une maison de Dieu pour y célébrer un culte idolâtre, c’est qu’alors, remarque l’auteur sacré, chacun faisait ce qui lui semblait bon (Juges 17.6). Quand Gédéon institue son culte séparatiste (Juges 8.27), il en est positivement blâmé, ce qui suppose évidemment que, d’après la loi, il ne devait y avoir qu’un seul sanctuaire. Quant aux sacrifices Juges 6.18 ; 13.16, nous n’en parlons ici que pour dire qu’ils sont justifiés par les théophanies qui venaient d’avoir lieu en ces endroits ; c’était un souvenir du temps des patriarches (§ 114) ; il n’est question ni dans l’un, ni dans l’autre de ces passages, d’établir en ces lieux un culte permanent. Nous verrons au § 160 qu’il en sera autrement sous Samuel.

Sous les Juges, le sanctuaire national se trouvait à Silo, avec l’Arche (Josué 18.1 ; 19.51 ; Juges 18.31 ; 1 Samuel 1.10 comparé à Psaumes 78.60 ; Jérémie 7.12). C’était à Silo que se célébraient les grandes fêtes (Juges 21.19 ; 1 Samuel 1.3) ; un culte permanent y avait lieu (1 Samuel 2.12). Il n’est fait nulle part mention d’un autre tabernacle légitime. Josué 24.26, parle d’un sanctuaire qui se trouvait à Sichem sous un chêne ; c’est probablement l’autel de Genèse 12.6b à moins que, — ce que l’on pourrait peut-être supposer aussi, — l’arche qui, d’après 2 Samuel 7.6, pouvait fort bien demeurer un sanctuaire itinérant, n’eût été transportée quelque temps de Silo à Sichem. En tous cas, il n’est point parlé d’un culte qui se serait célébré à Sichem. En temps de guerre, l’arche suivait l’arméec, et l’on offrait des sacrifices là où l’on se trouvait ; mais la meilleure preuve qu’il n’y avait point en ces divers lieux de sanctuaire régulier, c’est que l’on devait toujours commencer par y élever un autel (Juges 21.4). Là où était l’arche, on osait sacrifier ; telle était l’importance de l’arche de l’alliance. Le sacrifice raconté en 1 Samuel 6.15, n’a donc rien de surprenant. Sans doute il est dit que les hommes de Bethsémès offrirent des holocaustes, mais il n’est pas nécessaire d’y voir une infraction à la loi, car Bethsémès était une ville lévitique. Le récit de 1 Sam. ch. 4 ne se comprend absolument pas, si l’on admet qu’il y avait un certain nombre d’arches dispersées en différents lieux ; la perte de l’une d’elles n’aurait pas été considérée comme un malheur public. D’ailleurs, il n’est jamais parlé d’une arche, mais toujours de l’arche.

bGenèse 35.4, mentionne aussi un lieu sacré à Sichem.

c – Comme plus tard encore 2 Samuel 11.11 ; 15.24.

Les Juges et Samuel semblent ignorer les lois du Pentateuque relatives aux diverses espèces de sacrifices. Mais, en vérité, étant donné le contenu de ces livres, est-ce bien étonnant ? La seule chose qui puisse surprendre, c’est qu’ils parlent bien d’holocaustes et de sacrifices de prospérité, mais jamais de sacrifices pour le péchéd, pas même en 2 Samuel 24.25, où il semble pourtant que c’était le cas ou jamais de le fairee. Mais il est probable que, dans ce temps, les sacrifices pour le péché étaient considérés comme une sorte d’holocaustesf. Au reste, le passage 1 Samuel 2.13,17, suppose connues les lois lévitiques ; la graisse revient à Dieu ; les fils d’Héli font mal en exigeant leur part de la victime avant que la graisse ait été consumée en l’honneur de l’Éternel.

d – Au reste, le livre de Josué n’en parle jamais non plus.

e – Dans l’affaire de la mortalité de trois jours que David arrête par des sacrifices sur le mont Morija.

f – Tel est certainement le cas dans Esdras 8.35.

Mais, à propos des lois lévitiques, on a prétendu que le livre des Juges ignore absolument la position exceptionnelle de la tribu de Lévi. Rien de moins fondé ! Les Lévites y apparaissent tout au contraire dans la position que leur a faite le Pentateuque et en particulier le Deutéronome, où, à cause de leur indigence, ils sont toujours mis sur le même pied que les étrangers. En effet, la conquête n’ayant pas été achevée, plusieurs des villes qui devaient devenir des villes lévitiques demeurèrent au pouvoir des Cananéens, ainsi Guézer (Josué 21.21 ; 16.10), Ajalon (Josué 21.24 ; Juges 1.35). Les Lévites cherchèrent donc un asile dans des lieux qui ne leur avaient point été assignés. Juges 17.7, nous présente un jeune lévite vivant comme étranger à Bethléem, puis quittant Bethléem pour la montagne d’Ephraïm. Voyez encore Juges 19.1. Nous ne trouvons pas les Lévites astreints à un service régulier. Mais pouvaient-ils l’être avec les migrations continuelles de l’arche ? La loi ne stipule rien sur leurs occupations loin du sanctuaire, et les temps de désorganisation ne sont pas en général ceux où l’on voit s’établir de nouvelles charges. Un seul passage nous montre un Lévite attaché au service du sanctuaire et l’accompagnant de lieu en lieu, c’est Juges 19.18 : « Je marche auprès de la maison de l’Éternel, je l’accompagne… » [Ce passage est In plus souvent mal traduit. Il ne peut pas signifier : Je vais à la maison de l’Éternel. Et, את, ne se trouve jamais avec l’accusatif de la direction, du lieu où l’on va. Mais le chap. 17 tout entier suppose bien connue la valeur spéciale d’un Lévite. Mica est tout heureux, v. 43, d’avoir un Lévite pour sacrificateur.

[Ce prêtre fut plus tard attaché au service du sanctuaire de Dieu ; il s’appelait Jonathan et descendait de Moïse (Juges 18.30), car la leçon Manassé est fausse ; il faut ôter le nun suspensum, et lire Moïse. Pour Samuel aussi, c’est parce qu’il est lévite qu’il peut servir en la présence de l’Éternel (1 Samuel 2.18).]

Impossible de s’expliquer le rôle que jouent les Lévites depuis David, s’ils n’ont pas été mis à part, d’une manière ou de l’autre.

[Pour ce qui est spécialement des grands prêtres, il y a évidemment lacune dans le livre des Juges. Aaron, dont l’élection est mentionnée 1 Samuel 2.28 eut pour successeur Eléazar, son fils aîné (Nombres 20.28 ; Deutéronome 10.6 ; Josué 16.1). Phinées succéda à Eléazar. Jug. XX, 28. Après cela, personne n’est plus nommé jusqu’à Héli. Héli était, d’après une tradition assez vraisemblable (Jos., Ant. 5.11.5), de la branche d’Ithamar, sans que nous sachions ce qui avait pu amener le passage de cette dignité de la branche aînée à la branche cadette. — Pour combler cette lacune, nous n’avons que Josèphe et la généalogie d’Eléazar dans 1 Chroniques 6.3, 50 ; Esdras 7.5.]

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