Théologie de l’Ancien Testament

§ 200. Satan.

Parmi les anges qui ont accès auprès de Dieu, les fils de Dieu, בני האלהים, ainsi que les appelle le livre de Job, nous en voyons apparaître un dans le prologue du livre de Job, dans les Chroniques et Zacharie, qui se distingue par son hostilité contre le peuple de Dieu, qui cherche par les nombreux artifices que lui suggère sa ruse, à lui enlever la bienveillance divine, mais qui cependant n’est jamais qu’un instrument dans les mains de Dieu. Il s’appelle Satan, השטן. Ce n’est pas là un nom propre, mais bien un appellatif qui signifie : Ennemi, adversaire ; dans Nombres 22.22, l’ange qui s’oppose à Balaam est appelé un satan. Voyez encore Psaumes 109.6,29. « Que l’accusateur (Satan) se dresse à sa droite ! Que la honte enveloppe mes adversaires (Soten, שוטן) ! » Luther, dans le premier de ces versets, a pris Satan pour un nom propre. C’est une erreur.

Pour que la doctrine de Satan nous apparaisse, non pas dans un isolement qui nous étonnerait, mais au contraire bien entourée de tant de doctrines avec lesquelles elle est en relation, — nous commencerons par l’histoire du dénombrement (2 Samuel 24.1 ; 1 Chroniques 21.1) ; nous prendrons ensuite la vision du vieux prophète Michée (1 Rois 22.19) ; puis Job ch. 1 et 2, et enfin Zacharie ch. 3. Après quoi, il ne nous restera plus qu’à dire quelques mots de l’origine de cette doctrine et des autres mauvais anges dont l’A. T. fait encore mention.

Et d’abord, l’histoire du dénombrement. L’idée vint un jour à David de faire le dénombrement de son peuple. La chose était mauvaise, car c’était par orgueil que David voulait connaître le nombre de ses sujets. Voici maintenant comment 2Sam. ch. 24xx, qui est le plus ancien des deux récits, introduit cette histoire : « La colère de l’Éternel s’alluma contre les Israélites et excita (הסית) David contre eux en lui suggérant : Va, fais le dénombrement d’Israël et de Juda. » L’auteur des Chroniques s’exprime un peu différemment : « Satan s’éleva contre Israël et incita David à faire le dénombrement d’Israël. » Ainsi donc dans le plus ancien des deux récits, c’est Dieu qui fait en sorte que le péché caché dans le cœur de David (l’orgueil), se manifeste au dehors afin de recevoir le châtiment qu’il mérite, et dans les Chroniques le rôle de Dieu se résume à donner à un esprit malin le pouvoir de profiter d’une disposition coupable de David pour le faire tomber en faute. C’est la répétition de ce que nous avons remarqué dans le paragraphe précédent, à savoir que les livres postérieurs ont une tendance marquée à accentuer la personnalité des puissances dont Dieu se sert pour gouverner le monde. Cependant, les premiers livres de la Bible font déjà une certaine distinction entre l’action de Dieu en général et celle qu’il exerce sur l’homme qui pèche. Reprenons, par exemple, un passage dont nous avons déjà dit quelques mots au § 65, 1 Samuel 16.14-23. Quand l’Esprit de Jéhovah (Rouach Jéhovah, רוח יהוה) a quitté Saül, un mauvais esprit d’auprès de Jéhovah, רוח–ראה מאת ִהוה, qui est appelé au v. 15, un mauvais esprit de Dieu, רוח–אלהים רעה, et au v. 23 en deux mots, un esprit de Dieu, רוח אלהים — vient tourmenter le pauvre roi. Il y a donc dans le domaine du péché et spécialement de l’endurcissement, un agent divin qui est autre chose que le principe de vie auquel le monde doit son existence. Et ce ne sont pas là les seuls endroits où il soit fait allusion à ces puissances ordonnées de Dieu pour exécuter ses vengeances ; voyez Ésaïe 19.14 : L’Éternel a versé dans l’intérieur (le cœur) des Egyptiens un esprit d’étourdissement, en vertu duquel ils ne peuvent faire que des choses capables d’attirer sur eux le jugement du ciel, — et tant d’autres passages, tels que Psaumes 75.9 ; Jérémie 25.15 ; Ésaïe 51.17 ; Psaumes 60.3, dans lesquels il est parlé de la coupe d’étourdissement de la colère divine, à laquelle doivent boire ceux pour lesquels il n’y a plus de pardon possible.

La vision de Michée (1 Rois 22.19) va nous faire faire un pas de plus vers la doctrine de Satan proprement dit. Il voit l’Éternel sur son trône et toute l’armée du ciel rangée à sa droite et à sa gauche. « Lequel de vous, demande l’Éternel, veut aller pour persuader Achab de faire la guerre aux Syriens afin qu’il y trouve la mort ? — J’irai ! dit l’esprit (הרוחa). — Et comment le persuaderas-tu, demande l’Éternel. — Je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. — Va », lui dit l’Éternel. — Ici, la puissance qui sert d’instrument à la justice divine est déjà une personne concrète. Et ce n’est pas même là ce qui, dans cet Esprit, nous rappelle le plus Satan, mais, l’avez-vous remarqué, il est animé de dispositions hostiles envers les hommes, il cherche à leur nuire. C’est cette haine que nous avons déjà vue poindre dans 1 Chroniques 21.1 : Satan s’éleva contre Israël, et qui se montre d’une manière encore plus positive dans le Prologue de Job. Il est vrai qu’ici Satan est encore mêlé à la foule des fils de Dieu qui se présentent devant l’Éternel ; mais il vient de se promener par la terre, et cette promenade évidemment, il ne l’a pas faite en ami des hommes. Il les a épiés et il vient chercher à élever dans le cœur de Dieu des soupçons à l’endroit de la piété de Job. Il cherche à amener l’Éternel à permettre que Job soit mis à l’épreuve, et il se flatte par devers lui que ce juste succombera, et qu’il cessera d’être l’objet de la bienveillance divine. L’Éternel autorise Satan à se servir contre Job de divers éléments, vent de tempête et feu du ciel, — et même de l’homme (des hordes nomades) ; il va jusqu’à lui permettre de frapper Job de la plus horrible maladie. Mais il ne pourrait cependant rien faire de tout cela, si Dieu ne lui en donnait le pouvoir (Job 2.6), et c’est Dieu qui met également un frein à sa fureur et qui lui dit : Jusque là et pas plus loin !

a – L’esprit, et non pas un esprit, comme traduit Luther

Zacharie ch. 3, nous montre d’une manière encore plus caractéristique que 1Chr. ch. 21, la position hostile que Satan a prise vis-à-vis du peuple élu. Le grand prêtre Jéhosçuah est là, vêtu d’habits souillés, devant l’ange de l’Éternel. A sa droite se tient Satan, qui l’accuse et le charge de nombreux péchés. L’Éternel tance Satan, ne tient aucun compte de ses plaintes, déclare Jéhosçuah innocent et juste, et, en signe de complète absolution, lui ordonne de revêtir des vêtements de fête. On a quelquefois rapproché ceci des faux bruits qu’on avait fait courir jusqu’à la cour de Perse sur le compte des Israélites. Mais serait-ce digne d’un prophète que d’assimiler ainsi l’Éternel au roi de Perse ? Le grand prêtre (§ 96) est le représentant du peuple. Jéhosçuah n’est pas là pour son compte personnel, ce n’est pas pour ses péchés qu’il est accusé auprès de l’Éternel. C’est en sa qualité de grand prêtre qu’il figure dans cette vision, c’est son vêtement sacerdotal qui est souillé, et ce que Satan prétend, c’est que le peuple d’Israël, avec tous ses péchés, ne peut point subsister, qu’il n’y a point pour lui d’expiation, qu’il doit être re- jeté. Mais l’Éternel, v. 2, est ému de compassion envers les misérables restes de son peuple, ce tison arraché du feu ; il ne veut pas voir ses péchés ; en donnant au grand prêtre des vêtements purs, il déclare valable l’office qu’il remplit en faveur du peuple. Toutefois, v. 8 et sq., le véritable temps du salut est encore à venir ; celui qui expiera pleinement, quoiqu’en un jour, les péchés du peuple, le serviteur de l’Éternel, le Germe, — en un mot le Messie, — n’a pas encore paru.

Satan s’est donc donné pour tâche d’inciter Dieu à retirer à l’assemblée des fidèles le pardon de ses péchés. Il est l’accusateur de nos frères (Apocalypse 12.10), et il forme ainsi la contre-partie de cet ange du Seigneur qui, grand prêtre invisible, intercède auprès de Dieu en faveur du peuple (Zacharie 1.12), ainsi que de cet autre ange que nous voyons dans Job 33.23, s’efforcer de réveiller la conscience des pécheurs pour les sauver de la ruine éternelle.

Les nombreux points de contact qu’il y a entre la doctrine de Satan et les autres doctrines de l’A. T., ne permettent absolument pas de la considérer comme une importation de provenance perse. Et d’abord, comment admettre que l’influence de la religion perse se fasse sentir dans le livre de Job, qui est incontestablement d’avant l’exil ?

Puis ensuite, il y a entre Satan et Ahriman une différence essentielle : il n’y a point de place, à côté du Dieu de l’A. T., pour un principe éternellement mauvais. Le N. T. nous parle bien d’un prince du monde, qui est à la tête d’un royaume de ténèbres, et qui jouit d’une indépendance relative ; mais ce n’est pas du premier coup que la Bible nous révèle les profondeurs de Satan ; tout cela n’est encore qu’ébauché dans l’A. T. Ce que le N. T. nous dit du monde et de son hostilité contre le royaume de Dieu, est contenu en germe dans la lutte que nous venons de remarquer dans l’A. T. entre les puissances de la terre et Israël. Mais, malgré ce que nous avons remarqué à propos de Daniel ch. 10 et d’Esaïe ch. 24, sur la correspondance qu’il y a entre ce qui se passe chez les hommes et ce qui se passe dans le monde des esprits, Satan ne figure cependant jamais dans ces grandes luttes ; son nom n’y est point mentionné.

L’A. T. ne nous apprend rien de positif sur d’autres mauvais anges. — Asasel (§ 140. Lév. ch. 16) est probablement une puissance infernale. Hengstenberg l’identifie avec Satan, mais la chose, quoique fort possible, n’est pas susceptible d’une démonstration rigoureuse. — Les Memithim, מ.ֻמתים (tuants, ceux qui font mourir) de Job 33.22, sont bien probablement des anges.

[On y a vu parfois des douleurs mortelles. Mais puisqu’il est question d’un ange dans le verset suivant, il est plus naturel de voir aussi des anges dans ces Memithim.]

Mais il ne faudrait pas conclure de ce passage que l’A. T. admet une classe particulière d’anges de la mort, dans le genre de l’ange de la mort de la théologie juive postérieure, qui est connu sous le nom de Samaël. Les Memithim n’ont point en eux-mêmes la propriété de tuer ; ils la reçoivent de Dieu au moment où Dieu les charge d’aller porter la mort à telle ou telle créature. C’est exactement ainsi que dans Psaumes 78.49, les Maleake raïm, מלאכים רעים, ne sont pas des anges mauvais, — ce serait Maleakim raïm, מלאכים רעים, qui aurait ce sens, — mais bien les anges de malheur, angeli malorum. Ce sont eux qui ont exécuté les jugements de Dieu sur les Egyptiens lors des dix plaies, et qui sont présentés dans l’Exode comme un être unique, le destructeur (Exode 12.13,23), ce qui n’empêche point que ce destructeur ne soit, tout comme le מלאכ.ֻ משחית de 2 Samuel 24.16 ; 1 Chroniques 21.15 ; Ésaïe 37.36, — l’ange de l’Éternel.

[Ode, dans son livre De angelis, page 741, a donc pu dire que, pour punir les méchants, Dieu emploie de bons anges, tandis qu’il en emploie de mauvais pour châtier les justes.]

Le revenant d’Ésaïe 34.14 (Lilith, לילית, nocturna), dont le Talmud fait une espèce de démon nocturne particulièrement redoutable aux enfants, et les Seïrim d’Ésaïe 13.21, satyres, démons aux pieds de bouc, שעירים, — ne peuvent naturellement pas être considérés comme des anges. D’ailleurs de quel droit conclure de ces passages à la réalité de ces êtres, probablement purement imaginaires ? La théologie juive postérieure a une démonologie très développée ; voyez, par exemple, l’Asmodi du livre de Tobie.

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