Théologie de l’Ancien Testament

§ 212. Suite. L’inspiration divine comparée à l’inspiration des hommes de génie et à la divination naturelle.

On a souvent cherché à faire de l’inspiration une simple divination, ou à l’expliquer par ces conceptions géniales qui surgissent parfois tout à coup dans l’esprit des poètes, des artistes et des grands hommes (Voyez Lasaulx, La faculté prophétique de l’âme humaine, 1858 ; E. Graf, dans les Etudes et Critiques de 1859, et Roth, Zur Dogm. Page 70). On a cité à l’appui de cette thèse le mot un peu risqué de Hamarm : « Il y a du prophète en chacun de nous. »

Tout n’est pas absolument faux dans ce point de vue. L’A. T. lui-même (§ 65) attribue à l’action de l’Esprit de Dieu sur l’âme humaine tous les talents et tous les dons intellectuels que nous appelons des dons et des talents naturels. Mais il y a loin de cette inspiration générale à l’inspiration prophétique. Un prophète est un homme qui soutient avec son Dieu des rapports intimes et personnels, qui est introduit dans le conseil secret du Tout-Puissant (Amos 3.7 ; Jérémie 23.18, 22 § 161) ; il y a évidemment une différence spécifique entre une pareille inspiration et celle d’un Betsaléel, par exemple.

Il y a certaines prophéties auxquelles la divination naturelle pourrait sembler n’être pas entièrement étrangère. Ce sont celles où la conscience joue un rôle prépondéranta, et qui ne font en quelque sorte que de donner satisfaction aux justes exigences de la conscience, en garantissant que Dieu interviendra au moment opportun dans l’histoire du monde et de son peuple. Le sens moral suffit pour indiquer qu’arrivé à un certain degré de corruption, un peuple doit être châtié ; qu’après tel ou tel forfait le coupable ne demeurera probablement pas longtemps impuni. — Mais cela ne veut cependant point dire que le plus consciencieux des hommes puisse parvenir avec ses seules lumières morales à connaître le but final que Dieu se propose dans le gouvernement du monde ? Scipion, sur les ruines de Carthage, peut emprunter les paroles d’Homère (Illiade 4.164), pour annoncer que le jour de Rome approche ; Lasaulx peut trouver que c’est là une prophétie s’il en fut jamais. Pourtant ils en savaient davantage, les prophètes d’Israël, quand ils montraient tous les royaumes de la terre tombant et faisant place au royaume des cieux, la gloire de Dieu recouvrant tant de ruines comme les ilôts recouvrent le fond de la mer (Habakuk 2.13 et sq.), le salut se répandant de la petite Palestine jusqu’aux extrémités du monde et le Fils de l’homme descendant du ciel pour triompher de la résistance suprême de l’ennemi (Dan. ch. 7). Puis comment la conscience se tire-t-elle d’affaire quand elle se trouve en face d’événements qui semblent au contraire prouver qu’il n’y a point de justice en Dieu ?

a – Beck, lntrod. au système de la doctrine chrétienne, page 197.

[Au moyen d’une certaine divination de la conscience, Platon s’élève à l’idée d’un juste qui réalise parfaitement en sa personne l’idéal moral déposé par Dieu au fond de tous les cœurs, mais qui n’en est pas moins enchaîné, fouetté et maltraité de toute façon, jusqu’à ce qu’on lui crève les yeux et qu’on le couvre de crachats ; Virgile annonce, dans sa 4e églogue, le retour de l’âge d’or et il parle dans l’Enéide de l’empire sans fin que Rome exercera sur le monde, I, 278. C’est fort bien ! Mais ne voyez-vous pas que Platon ne sait absolument pas à quoi rattacher historiquement l’apparition de ce juste, et que Virgile rattache tout à fait à faux l’avènement de l’âge d’or, puisqu’il attend la délivrance de l’humanité du consulat de Pollion et de la naissance de son fils ? Et c’est ce qui arrivera toujours à l’homme auquel l’esprit de Dieu n’a pas fait connaître les « διαθήκας τῆς ἐππαγηλίας » (Éphésiens 2.12). c’est-à-dire les conditions dont il a plu à Dieu de faire dépendre l’accomplissement de ses desseins.]

Rien de plus faible enfin que cette page de Lasaulx : un peuple produit quelquefois un homme qui devient en quelque sorte son âme, dans lequel s’incorporent ses aspirations, et qui, lorsqu’il parle, exprime d’une manière claire et frappante ce qui se trouvait à l’état latent dans tous les cœurs ; il en a été ainsi, poursuit-il, des prophètes juifs ; quand ils ont parlé, ils n’ont fait que de donner une expression à ce que chacun pensait ou désirait plus ou moins vaguement. — Rien de plus faible que cela, disons-nous, car les prophètes de l’A. T. n’ont aucunement la prétention d’être les organes de leurs concitoyens ; ils sont presque toujours en lutte avec l’esprit général de leur nation ; quand tout va bien chez les Juifs, les prophètes se taisent, et jamais ils n’élèvent autant la voix, jamais ils ne font briller aux yeux de la foi un plus magnifique avenir, que lorsque leurs compatriotes sont le plus découragés par les malheurs des temps.

[Chez les païens, au contraire, nous voyons les devins, et en général la foi mythologique, baisser avec la vie nationale. Les Grecs de la décadence ne consultaient plus leurs oracles, ou du moins ils n’y avaient recours que pour des choses de minime importance, un départ, un mariage, et c’est pour cela, pense Plutarque, que la Pythie ne parle plus en vers (Plut. De Pyth. orac. chap. 28, et De defectu Orac, chap. 7).]

Ils se savent les interprètes de pensées infiniment supérieures à celles des hommes. « Autant les cieux sont élevés par dessus la terre, autant mes voies sont élevées par dessus vos voies et mes pensées par dessus vos pensées. » (Ésaïe 55.8-9 ; voyez § 5.)

Le contenu des révélations dépasse quelquefois si fort l’horizon des prophètes, qu’ils ne savent comment faire pour rendre exactement tout ce qu’ils ont reçu. Quand on lit avec quelque attention les livres des prophètes, on ne tarde pas à reconnaître qu’il leur est arrivé d’écrire des choses qui étaient décidément plus grandes que leur compréhension, et pour lesquelles ils ne trouvaient pas d’expression adéquate. Avant la Pentecôte l’Esprit de Dieu n’habitait pas chez les hommes ; il descendait, il tombait, il fondait sur les prophètes (Ézéchiel 11.5 ; 1 Samuel 10.6). pour les quitter bientôt ; il ne leur était pas toujours possible de s’assimiler pleinement les révélations qu’ils avaient reçues (1 Pierre 1.10).

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