Théologie de l’Ancien Testament

§ 216. Suite.

3° Les prophètes vivant dans des temps assez différents les uns des autres, leur premier plan n’est pas toujours le même. De là vient qu’il semble régner quelque contradiction entre leurs diverses prophéties. Mais ce n’est là qu’une apparence. Chaque prophète met en relief une idée particulière, mais toutes ces idées particulières se complètent les unes les autres. Ainsi, le Messie est tantôt un sauveur débonnaire, tantôt un héros dans les combats ; tantôt il foule aux pieds ses ennemis, tantôt, simple serviteur de l’Éternel, il meurt pour expier les péchés de son peuple. Pour ce qui est des prophètes eux-mêmes, ils ne peuvent naturellement se tirer de cette difficulté qu’en présentant les traits opposés comme se succédant les uns aux autres. Ainsi, dans Michée 5.3-10, le Messie est la paix même. Mais si Assur, qui est aux yeux du prophète la personnification du monde dans son hostilité contre Dieu, — attaque le peuple de l’Éternel, alors l’Éternel portera la guerre dans l’Assyrie et la détruira. Ce n’est que dans le N. T. que se trouveront harmoniquement réunis ces deux points de vue dans la personne de Celui qui est notre paix, et qui en même temps est venu jeter l’épée sur la terre, — Celui dont le règne est paisible et militant à la fois. Autre exemple d’un seul et même événement annoncé dans l’A. T. de deux manières différentes sans que la conciliation soit même tentéef : L’ère du salut ne s’ouvrira, d’une part, que lorsque l’Éternel lui-même sera entré dans son saint temple, et de l’autre, que lorsque sera venu au monde le vrai fils de David. Nous, enfants de la nouvelle alliance, nous avons la clef de l’énigme : le Logos est venu dresser sa tente parmi nous ; Il a habité comme dans son temple dans la personne d’un fils de David. En Jésus-Christ viennent s’accomplir toutes les promesses de Dieu ; elles sont toutes oui et amen en Lui (2 Corinthiens 1.20). Mais les prophètes pris individuellement ne possèdent qu’une connaissance fragmentaire. « Nous ne prophétisons qu’imparfaitement, ἐκ μέρους (1 Corinthiens 13.9).

f – Ce sont comme deux, lignes parallèles qui ne se réunissent pas. Cependant nous verrons au § 229 que l’A. T. lui-même a quelquefois tenté la conciliation.

4° Un quatrième caractère de la prophétie, c’est qu’étant une sorte de seconde vue, elle se ressent naturellement de l’individualité de l’homme qui la perçoit, du temps dans lequel il vit et de l’économie sous laquelle il est placé. Les prophètes ne se représentent guère le royaume de Dieu autrement que comme une théocratie, plus grande et plus glorieuse que la théocratie juive, mais de la même nature. L’introduction des Gentils dans le royaume de Dieu leur apparaît sous la forme d’un grand pèlerinage à la montagne de Sion. (Esaïe ch. 2), et d’une incorporation des étrangers à la bourgeoisie de Jérusalem (Psaumes  87)g. Pour eux le monde dans son hostilité contre Dieu, c’est successivement, l’Assyrie, l’Egypte, Babylone, Edom, Moab, etc. C’est là ce que l’on a appelé avec assez de raison l’enveloppe de la prophétie, l’écorce qui porte l’empreinte du temps où elle a été donnée. Mais Hengstenberg fait erreur quand il prétend que les prophètes eux-mêmes avaient le sentiment que cette enveloppe n’avait qu’une valeur symbolique. Les prophètes, tout comme les autres écrivains sacrés, emploient souvent un langage symbolique, mais ils le font en toute connaissance de cause, et l’on peut dire d’une manière générale que, lorsqu’ils transportent toutes les formes de l’ancienne alliance à la théocratie de l’avenir, ils ne pensent aucunement parler d’une manière figurée.

g – Nous avons vu au § 201 qu’ils ne se représentent pas non plus la théocratie de l’avenir sans culte lévitique avec autels et victimes.

[Il y a des cas où l’on sent clairement que le prophète ne sait trop s’il doit prendre ce qu’il dit au sens propre ou figuré. Quelquefois aussi les idées prophétiques sont si vastes, si magnifiques, que l’écrivain ne sait dans quels mots les enfermer ; le cercle de la lettre éclate sous la pression intérieure de l’esprit ; et alors il se doute bien qu’il y a sous ses paroles quelque chose de plus que ce qu’elles semblent dire. Un exemple : Zach. ch. 2, décrit les temps messianiques ; les Gentils se réclament de l’Éternel, v. 15 ; Jérusalem ne pourra évidemment pas contenir cette foule. Aussi ses murailles n’existeront-elles plus. v. 4 et 5 ; ce sera une ville ouverte comme un village immense. פרזות תשב ירושלם. L’Éternel lui servira de murailles de feu et sa gloire sera en elle.]

La Terre sainte sera la vaste capitale du royaume de Dieu ; Israël sera à la tête des nations ; quand ils parlent d’Assur, de Babel ou de Moab, c’est bien Assur, Babel ou Moab qu’ils ont en vue ; ils ne l’entendent point autrement. Ce n’est pas la conscience des prophètes, c’est l’Esprit qui les inspire, qui seul fait le départ entre ce qu’il peut y avoir de temporaire dans la forme, et ce qu’il y a d’éternellement vrai dans le fond de la prophétie. Il n’y a pas identité absolue entre les prédictions et leur accomplissement. Cette identité ne s’établit pour ainsi dire qu’à la longue, à mesure que l’histoire marche et qu’elle montre ce qu’il y avait encore d’imparfait dans les degrés préparatoires de la prophétie, et dans ce qu’on avait pris pour des accomplissements définitifs.

Il ne faudrait cependant pas traiter comme quelque chose d’indifférent l’enveloppe symbolique de la prophétie. Elle a bien son importance, alors même qu’elle se ressent de ce qu’il y avait encore de forcément borné dans l’horizon des personnes à qui elle était d’abord adressée. Dans le N. T., les idées révélées n’apparaissent point non plus sous la forme de principes abstraits ; ce sont des faits, des actes de Dieu ; c’est une histoire. Et il arrive, — car les deux alliances ne forment après tout qu’un seul et même organisme, — que la nouvelle voit se produire des faits, des événements historiques qui ont une ressemblance même extérieure avec ceux de l’ancienne. La forme symbolique que revêt la prophétie dans l’ancienne alliance a donc une véritable valeur typique.

[Ajoutez à cela que nous-mêmes ne sommes point encore par-Tenus à cette corporéité qui, selon la parole d’Oetinger, est la fin des œuvres et des voies de Dieu sur la terre. Nous en sommes encore à attendre le tabernacle de Dieu avec les hommes (Apocalypse 21.3). Il n’appartient donc point à l’exégète de déterminer à l’avance jusqu’à quel point le royaume des cieux répondra, sous sa forme définitive, à la description que les prophètes nous font des choses finales. Hengstenberg cependant a tort (Christol., 2e éd. I, page 257) de parler dédaigneusement de ceux qui pensent qu’Israël retournera un jour dans le pays de Canaan.]

5° Enfin, si l’on veut juger sainement du rapport qu’il y a entre les prophéties et leur accomplissement, il faut bien se dire que Dieu, en se révélant, est entré dans un rapport historique avec l’humanité ; que, dans le développement de son règne, Dieu n’a pas affaire avec une nature incapable de lui offrir la moindre résistance, mais bien avec une créature libre. Dieu finira par surmonter toutes les résistances que lui opposera la liberté humaine ; Il arrivera certainement à ses fins ; mais en attendant Il compte avec cette liberté, et quiconque veut comprendre la valeur des prophéties et la manière en laquelle elles se sont accomplies, doit en faire autant.

Dieu accompagne sa loi de promesses et de menaces. Si les Israélites lui obéissent, les promesses s’accompliront. S’ils lui sont infidèles, ce seront les menaces qui auront leur cours. Mais dans l’un comme dans l’autre cas, le but que Dieu s’est proposé en choisissant Israël sera atteint ; la chose est hors de doute (Lévitique 26.44 ; Deutéronome 30.1-6). Eh bien ! ce qui est vrai de la loi, l’est de la prophétie. Elle a un but pédagogique ; c’est en vue de son salut qu’elle éclaire le peuple sur son avenir. Dieu ne prend pas plaisir à la mort des pécheurs, mais plutôt à ce qu’ils se détournent de leur mauvaise voie et qu’ils vivent ; aussi, quand Il menace, est-ce pour les amener à la repentance, et, quand ils se repentent en effet, détourne-t-il ses jugements de dessus leurs têtes.

[Jérôme dit fort bien dans son comment, sur Ezéchiel, à propos du passage Ézéchiel 33.11 (Ed. Vallars, V, page 396) : « Quand le prophète a parlé, la chose n’arrive pas immédiatement, comme s’il ne s’agissait pour Dieu que d’accomplir la prophétie de son serviteur. Non ! la prophétie n’est pas faite pour qu’elle arrive, mais bien pour qu’elle n’arrive pas. Parce que Dieu a parlé, il n’est point nécessaire que ses menaces s’accomplissent. Il n’a parlé que dans l’espoir de détourner le méchant de son mauvais train et pour empêcher que n’arrivent les malheurs qui arriveront si l’on méprise sa parole. »]

Il n’est point nécessaire que toutes les menaces s’accomplissent telles qu’elles ont été prononcées ; Dieu se plaît à laisser de la marge à la liberté humaine ; Il sait se repentir, non seulement quand il s’agit de son peuple, mais aussi à l’égard des peuples, païens. Ce sont là tout autant de points sur lesquels la lecture de l’A. T. ne permet de conserver aucun doute. Voyez Joël 2.12 ; Jérémie 4.3 ; 26.3 ; Ézéchiel 18.30-32. Mais le passage capital à ce sujet est Jérémie 18.1-10. De même qu’un potier peut briser le vase qui ne lui a pas réussi, de même l’Éternel peut changer à son gré les destinées d’un peuple. Mais le gré de l’Éternel n’est pas du caprice ; c’est la sagesse et la justice suprêmes. Voyez encore Jonas 3.3-10 ; 2 Samuel 12.13 ; 1 Rois 21.28, et surtout Jérémie 26.18 : Michée avait annoncé que le sol de Jérusalem serait labouré comme un champ ; Ezéchias et son peuple s’étaient repentis, et la prophétie de Michée ne s’était pas accomplie. Dans Amos 7.1-6, nous voyons à deux reprises la prière du prophète détourner de dessus le peuple des jugements imminents. — Toutefois, il y a une limite aux délais de l’Éternel. Le péché peut devenir de l’endurcissement, et alors l’intercession la plus ardente du résidu fidèle est impuissante à éloigner davantage les jugements du ciel. « Je ne lui en passerai plus ! » (Amos 7.8) Moïse et Samuel eux-mêmes n’y pourraient plus rien (Jérémie 15.1). Alors, les prophéties n’ont plus pour but d’amener le peuple à la repentance, mais seulement, hélas ! (Ésaïe 6.9) d’amener l’endurcissement à un plein état de maturité. Alors les prophéties, dont l’exécution avait été jusque là suspendue, reprennent toute leur redoutable valeur ; nous venons de le voir dans Jérémie 26.18, où quelques anciens l’appellent les paroles d’un prophète qui vivait environ un siècle auparavant. Le peuple s’est départi des sentiments de repentance qui sous Ezéchias ont engagé l’Éternel à prolonger en sa faveur le temps de la patience ; Jérusalem n’a pas été réduite en un champ labourable ; mais elle va l’être, caries conditions morales du salut, et avant tout la soumission à la volonté de Dieu font défaut, et les conditions morales du châtiment sont remplies. Mais, lors même que les conditions morales du salut font défaut, Dieu n’en sauvera pas moins !

[Caspari : Sur Michée, page 160, et lntrod. à Esaïe, page 96. Bertheau : Essai sur les prophéties qui annoncent le retour d’Israël dans son pays, publié dans les Annales de la Théol. allemande. 1859 et 1860. Bertheau va trop loin dans cet Essai. Tholuck lui a reproché avec raison (ibid, page 139) de rendre ainsi tout à fait illusoire la notion de la prophétie et de la prédiction.]

On a prétendu que les hommes peuvent compromettre la réalisation du plan de Dieu. Ne lisons-nous pas dans Zacharie 6.15 : Les païens se convertiront « si vous écoutez attentivement la voix de l’Éternel ? » Mais il faut distinguer entre le fait et le mode. Les païens se convertiront, quoi qu’il arrive. Mais jusqu’à quel point Israël sera-t-il le tronc sur lequel ils seront entés ? C’est là ce qui dépend d’Israël, et non pas de Dieu.

[Aux yeux de l’A.-T., le salut, — le salut complet et glorieux, — n’est pas possible sans Israël. Mais aussi l’A.-T. ne connaît qu’un rejet temporaire du peuple de Dieu. Et ce rejet demeure temporaire, alors même qu’Israël a eu l’occasion de se montrer incrédule en face de son Messie lui-même, et que Dieu a trouvé pour le remplacer des vignerons qui lui rendent des fruits en leur saison. Les prophéties qui parlent de la gloire d’Israël dans les derniers temps, ne sont nullement abrogées. Romains 11.25. Voyez Luthardt : La doctrine des choses finales, pages 18 et 106.]

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