Théologie de l’Ancien Testament

§ 231. Développement de l’idée messianique chez les prophètes ; la personne du Messie.

Chez les plus anciens prophètes, nous ne trouvons encore aucune allusion à la personne du Messie. C’est quelque chose de tout à fait impersonnel que le relèvement du tabernacle de David qu’annonce Amos 9.11. Ce roi de la famille de David, sous la domination duquel Israël et Juda ne formeront plus qu’un seul peuple, est ce que les prophètes de la première période présentent de plus précis en fait de prophéties messianiques. Ce n’est guère que dans la seconde moitié du huitième siècle, avec Esaïe et Michée, quand le peuple est mûr pour le jugement et qu’il importe de rassurer les fidèles sur l’issue finale des catastrophes qui approchent, — que la prophétie messianique commence vraiment à se développer. Mais on sent parfaitement que ce n’est là qu’un développement ; elle ne se présente point comme quelque chose de nouveau, et c’est sans aucun fondement quelconque qu’on s’est plu à dire qu’avant le 8me siècle Israël ne pensait point à son Messie. Sans doute, la décadence du royaume de David faisait tout naturellement sentir aux prophètes le besoin de diriger les regards de leurs contemporains sur les destinées futures de leur peuple ; plus les promesses divines semblaient être annulées par la sombre réalité, plus il était urgent de les montrer dans un avenir lointain, mais certain, glorieusement accomplies. Mais les prophéties messianiques ne sont en aucune façon le résultat de ce besoin.

Divisons notre sujet et voyons en premier lieu ce que les prophètes ont annoncé touchant la nature du Messie. Se le représentaient-ils comme un être plus qu’humain, ou seulement comme le plus grand des rois ? Michée 5.1-2 ; Ésaïe 4.2 ; 7.14 ; 9.5 ; 11.1 ; Jérémie 30.21 ; 33.15 ; Zacharie 13.7 ; 12.8 ; Malachie 3.1 ; Daniel 7.13, sont les principaux passages que nous allons être appelés à examiner ici.

Après avoir annoncé dans le verset précédent que Jérusalem serait assiégée et son roi indignement traité, Michée oppose à ces malheurs la bienheureuse apparition du Messie, qui sera originaire de la petite ville de David « maisa dont les issues sont d’ancienneté, dès les jours éternels. » La moderne explication de ces paroles me paraît insoutenable. Si Michée veut dire uniquement que le Messie naîtra de la chétive Bethléem, et que, cependant, il descendra de l’antique famille de David, j’avoue que cette opposition me paraît bien pâle. Dans un pays de généalogies, la famille de David n’était pas plus antique que les autres. Non ! de deux choses l’une : ou bien Michée 5.2 parle de l’existence éternelle du Messie auprès de Dieu (Caspari), ou bien, il faut voir dans ces origines antiques (le pluriel מותּאת est favorable à cette interprétation) tous les préparatifs du salut depuis le Protévangile : « Il y a, dit Hofmann dans ses Preuves scripturaires, un temps immémorial que le Messie vient et qu’il se rapproche de notre Terre ; il est le but de l’histoire d’Israël, de celle du monde entier. »

a – II y a ici une opposition clairement établie entre la naissance temporelle qui aura lieu à un moment donné à Bethléem, et l’issue qui est dès les jours éternels.

Le verset suivant montre qu’il y aura quelque chose de mystérieux dans la naissance du Messie. « Dieu les livrera (livrera Israël en jugement), jusqu’à ce que celle qui doit enfanter, enfante. « Qu’est-ce que cette יולדה, Jolédah ? Calvin, et beaucoup d’interprètes modernes y voient la fille de Sion de Michée 4.9. Mais, dans ce cas, il faudrait un article qui renvoyât à ce verset-là. C’est tout simplement la mère du Messie, à l’endroit de laquelle comme le remarque Hitzig, le prophète s’exprime avec la retenue dont nul prophète ne se départit quand il s’agit de choses obscures et mystérieuses. Au reste, il est à remarquer qu’aucun prophète, pas même ceux qui se représentaient la venue du Messie comme fort prochaine, n’a jamais désigné comme tel le fils du roi qui régnait de son temps.

[Après cela (Michée 5.3), le Messie s’élèvera et il paîtra (son peuple) avec la force de Jéhovah et avec la souveraineté du nom de l’Éternel son Dieu. Ainsi donc, tout en régnant, il sera aussi un organe de la révélation ; Il fera connaître son Dieu. Ceci rappelle ce qui est dit de l’ange de l’alliance (Exode 23.21). « Mon nom est en lui »]

« En ce temps-là, lisons-nous, en Ésaïe 4.2, le germe de l’Éternel sera l’ornement et la gloire des restes échappés d’Israël, et le fruit de la terre sera leur orgueil et leur parure. » Le Targum appliquait déjà ceci au Messie, et dans ce cas « le germe de l’Éternel » servirait à en indiquer l’origine divine, et « le fruit de la terre », l’origine humaine. Mais on peut contester cette interprétation. Il n’en est pas de même d’Ésaïe 7.14. Le contexte, et surtout Ésaïe 9.5, ne permet pas de voir en Emmanuel autre chose que le Messie.

[Bengel, dans son Gnomon, et la plupart des modernes n’admettent ici qu’une prophétie typique du Messie, tandis qu’Ewald est l’un des principaux partisans de l’interprétation directement messianique de ce passage.]

J’accorde bien que le mot de Olemah, עלמה, qu’on a traduit par vierge, n’est pas synonyme de בתולה (qui signifie proprement vierge), fille, femme non mariée ; et qu’on n’a pas le droit d’appuyer sur ce mot le dogme de la naissance miraculeuse du Messie ; le signe que l’Éternel donne à Achaz ne consiste pas dans le fait qu’une עלמה aura un enfant ; mais bien plutôt dans le fait que le Messie méritera d’être appelé « Emmanuel, Dieu avec nous », parce que sa naissance prouvera d’une manière irrécusable que l’Éternel, tout en châtiant son peuple, ne veut cependant pas rompre avec lui. Mais il y a dans l’expression dont se sert le prophète quelque chose de mystérieux dont il faut tenir compte, ici comme dans Michée 5.2.

Un autre passage qui montre bien décidément que le Messie ne sera pas un homme ordinaire, c’est Ésaïe 9.2 : « Un enfant nous est né ; un fils nous est donné, et l’empire est sur ses épaules, et son nom est admirableb, Dieu fortc, Père d’éternité, prince de paix ; pour accroître l’empire et pour faire régner une paix sans fin sur le trône et le royaume de David, afin de l’affermir et de le soutenir par le droit et la justice dès maintenant et à jamais. » Il faudrait être aveugle pour ne pas voir un être surhumain dans le Messie qui méritera ces noms. Mais ici aussi il y a quelque chose d’indéterminé et de mystérieux dans les expressions.

b – Admirable en conseil (Ésaïe 28.19).

c – Voyez Ésaïe 10.21 : « Le reste de Jacob se convertira au Dieu fort et puissant. »

Dans Ésaïe 11.1 : « Il sortira un rejeton du tronc d’Isaïe et un surgeon croîtra de ses racines, et l’Esprit de l’Éternel reposera sur lui, etc. », le côté divin de la nature du Messie est tout entier résumé dans un seul mot : l’Esprit de l’Éternel. Le Messie n’est qu’une grande personnalité, tout entière et plus que toute autre pénétrée de l’Esprit de Dieu.

Nous arrivons maintenant à quelques passages (Jér. ch. 23, Jérémie 33.14-16 ; 30.21) qui, pour nous servir de l’expression de Stier, nous montrent d’une manière frappante jusqu’à quel point le courant humain et le courant divin de la prophétie messianique peuvent se rapprocher sans cependant s’unir.

Jérémie, après avoir déclaré dans le chapitre précédent que la race de Jéojachim et de Jéojachin était exclue du trône, annonce au chapitre 23 que, lorsque l’Éternel réunira de nouveau son troupeau, Il lui donnera pour berger un germe juste. Ce nom de germe, תּמח, apparaît de nouveau dix chapitres plus loin (Jérémie 33.15), et Zacharie l’emploie sans autre comme un des noms propres du Messie (Zacharie 3.8 ; 6.12). Ceci montre dans quel sens il faut entendre les passages qui parlent du Messie comme de David, l’ancien roi, ressuscité et rétabli, non pas sur le trône de ses pères, mais sur son propre trône (Jérémie 30.9 ; Ézéchiel 34.23 ; 37.24). Ammon et Hitzig s’y sont laissé prendre.

[Dans son ouvrage sur le développement du Christianisme, I, page 178. Les Portugais attendent leur roi Sébastien, les Allemands Barberousse. Qu’est-ce à dire ? Attendent-ils ces mêmes rois en personne, ou bien des rois qui leur ressemblent ?]

Dans Jérémie 23.6, il est dit que le Messie s’appellera ce l’Éternel notre justice », et l’ancienne théologie a cité ces mots comme une preuve manifeste de la divinité du Messie. Elle a eu tort. Il n’est point dit que le Messie sera l’Éternel notre justice, mais qu’il sera appelé de ce nom, parce qu’en lui et par lui l’Éternel se manifestera comme celui qui justifie son peuple. Jérusalem aussi (Jérémie 33.16) est nommée « l’Éternel notre justice », et dans Exode 17.15, un drapeau est appelé : « l’Éternel mon étendard. »

Jérémie 30.21 est plus significatif. Le Messie sera un roi glorieux, de la race même d’Israël, que Dieu fera approcher de Lui et qui viendra effectivement vers Lui, car, est-il dit, « qui est-ce qui cautionne son propre cœur pour s’approcher de moi ? » Ceci suppose entre l’Éternel et le Messie un rapport de telle nature que nul homme n’oserait y prétendre. C’est tout à fait « l’homme qui est mon proche » de Zacharie 13.7 (גבר עמיתי), car il n’est pas possible de ne pas voir ici une prophétie messianique.

Je n’en dirai pas autant de Zacharie 12.8. Dans la lutte suprême du monde contre Jérusalem, l’Éternel protégera les habitants de sa ville sainte et les rendra forts. « En ce jour-là, le faible parmi eux sera comme David, et la maison de David sera semblable à Dieu, à l’ange de l’Éternel à leur tête. » On a vu ici, dans la maison de Davidd, le plus glorieux représentant de cette maison, le Messie, qui serait en outre assimilé à l’ange dans la personne duquel jadis l’Éternel marchait à la tête de son peuple. Mais tout cela me paraît fort peu probable. Voyez le v. 7 : « La gloire de la maison de David ne doit pas s’élever au-dessus de Juda. » Et le v. 10 : « Je verserai sur la maison de David… l’esprit de grâce… » Impossible de voir le Messie dans la maison de David qui mène deuil sur la mort du Messie.

d – On distingue alors la maison de David, v. 8, de la race de la maison de David, v. 12.

Dans Malachie 3.1, il est successivement, parlé de trois personnes : l’Ange qui prépare la voie, le Seigneur et l’Ange de l’alliance. Le premier, c’est évidemment, d’après le v. 23, un nouvel Elie, un prophète plein de zèle pour Dieu et pour sa sainte loi, qui viendra prêcher la repentance et préparer le peuple à recevoir dignement le Seigneur quand Il apparaîtra. Le second, celui qui a envoyé le précurseur et qui entre enfin dans, son temple, c’est le Seigneur, le Dieu du jugement, après lequel soupire le peuple (Malachie 2.17 ; 3.5). Le troisième, l’ange de l’alliance, מלאכ.ֻ הברית, dont l’avènement coïncide avec celui de l’Éternel, — n’est pas le précurseur, — ce serait une tautologie inadmissible ; il est bien plus naturel d’y voir avec Hævernick l’ange de l’alliance, dans la personne duquel l’Éternel conduisait autre fois son peuple à travers le désert, et dont l’Éternel se sert de nouveau pour rétablir avec Israël ses relations longtemps compromises. Dans ce cas, cette prophétie ne concernerait pas directement le Messie, bien que, dans le fait, Hengstenberg ait tout à fait le droit de dire qu’elle s’est définitivement accomplie lors de la venue en chair de Christ dans lequel l’Ange du Seigneur, le λόγος, fut fait chair.

Mais Hofmann a compris ce verset différemment. Il a vu dans l’Ange de l’alliance le pendant du premier Ange, un autre homme également employé à ramener Israël à son Dieu, et qui serait à Moïse ce que Jean-Baptiste est à Elie. Dans ce cas l’avènement du Messie serait identifié avec celui de l’Éternel, sans que pour cela l’on puisse non plus rien conclure de ce passage touchant les relations intimes et essentielles du Messie avec Dieu.

Reste Daniel. Qu’est-ce que cette figure semblable à celle d’un Fils d’homme qu’il voit venir sur les nuées du ciel jusqu’à l’Ancien des jours, et à qui est donnée la domination sur tous les peuples du monde ? (Daniel 7.13.) Hofmann et Kœhler n’admettent pas que ce soit une personne ; ils y voient le règne messianique, et ce règne, d’après les v. 18, 22 et 27, appartient au peuple des Saints. C’est un royaume vraiment humain, tandis que les royaumes de la terre ont eu quelque chose de brutal et qu’ils ont mérité d’être représentés dans les versets précédents par des animaux. Il est difficile de réfuter cette manière de voir d’une manière péremptoire ; mais les plus anciens interprètes connus ont tous vu dans ce Fils d’homme, le Messie, qui apparut en son temps à la fois comme le Seigneur du ciel (1 Corinthiens 15.47), et comme homme ; puis, de quel droit refuser à l’empire du ciel un roi personnel, quand nous voyons presque toujours les royaumes de la terre identifiés avec les grands conquérants qui les ont fondés, Babylone avec Nébukadnézar, etc. ?

[Voyez aussi le Fils de l’homme du N. T. et le livre d’Hénoch. Ce sont là les plus antiques témoignages que l’on puisse citer en faveur de l’interprétation messianique de Daniel 7.13, et ils ont bien leur valeur. Il n’y a rien de docétique dans les mots de Daniel : כבר אנש, « comme fils d’homme, » pas plus que dans ὅμοιος ἀνθρώπου de Apocalypse 1.13. Le comparatif ke indique à quoi ressemble un objet, sans du tout nier que cet objet soit réellement ce à quoi il ressemble. Nous avons déjà remarqué au § 199 que l’être mystérieux de Daniel 8.15-18 ; 10.5 ; 12.6, est bien probablement aussi le Messie. L’identification de ce Maître du ciel, qui apparaît là sous la forme humaine et qui, dans les derniers siècles, reçoit la domination du monde, après avoir, dans le temps des monarchies humaines, travaillé à l’accomplissement du plan de Dieu dans le monde des Gentils, — avec le grand fils de David dont parlent les autres prophètes, — celle identification n’est pas consommée dans Daniel. Mais il est dans la nature de la prophétie de laisser quelque chose à faire à la révélation de la nouvelle alliance.]

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