La Vérité Humaine – I. Quel homme suis-je ?

4.3 Des quatre attitudes possibles en face d’une obligation absolue

Mais pour avoir constaté l’absolu dans l’obligation volontaire, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Quatre attitudes restent possibles en face de l’obligation absolue, qui déterminent dans une très large mesure la portée et la signification de la vérité humaine, laquelle reste le but auquel nous tendons.

Ou bien : l’obligation est considérée comme un fait en soi, se suffisant à lui-même, sans autre antécédent et sans autre conséquent que lui-même. L’homme alors est un être moral, absolument, essentiellement moral, mais il n’est que cela. La vérité humaine se confond avec la vérité morale et ne la dépasse point. C’est la solution de la morale indépendante.

Ou bien : l’obligation, toujours considérée comme fait en soi, permet cependant l’hypothèse d’un absolu religieux. La certitude parfaite, entière, catégorique, est dans l’obligation, et l’obligation est strictement morale (ce point est commun avec la morale indépendante) ; mais de la certitude obligatoire, on peut — et selon les cas, on doit même — élever des postulats métaphysiques. L’existence de Dieu dérive de celle de l’obligation. Ce n’est pas Dieu qui garantit l’obligation ; c’est l’obligation qui garantit Dieu. La religion s’établit en fonction de la morale ; et la vérité humaine se définit de la sorte : l’homme est un être moral qui peut ou doit devenir un être religieux.

Ou bien : il y a deux obligations absolues distinctes : l’obligation morale, qui est un fait en soi ; l’obligation religieuse, qui est l’expression religieuse d’un rapport métaphysique. Chacune d’elles se suffit à soi-même. De l’une à l’autre il n’y a rapport ni de dépendance, ni de connexion nécessaire, mais une harmonie ou conformité pragmatique qui permet à la fois et leur distinction et leur convergence. Ni la morale ni la religion ne sont fonction l’une de l’autre. La vérité humaine est en même temps morale et religieuse. L’homme est un être moral parce qu’il est moral, et religieux parce qu’il est religieux.

Ou bien : l’obligation, sans cesser d’être absolue, n’est pas considérée comme un fait en soi, comme se suffisant à elle-même. Elle n’est que l’expression d’un rapport absolu : le rapport de Dieu à l’homme, ou plus exactement, de la volonté souveraine à la volonté créée. L’obligation marque avant tout un rapport religieux. Elle ne fonde la morale que parce qu’elle a d’abord fondé la religion. La morale est conçue en fonction de la religion, et la vérité humaine se définit de la sorte : l’homme est un être moral parce qu’il est un être religieux.

Aucune de ces conceptions ne porte atteinte, au moins à première vue, au caractère absolu de l’obligation. Elles ont donc toutes quatre le droit de se faire jour sur la base que nous venons d’obtenir. Pourtant il nous faudra choisir entre elles, car, suivant qu’on adopte l’une ou l’autre, la vérité humaine change sensiblement d’aspect et de portée. Malgré l’importance du sujet, nous ne nous y arrêterons pas longtemps. Notre choix sera déterminé, non par des critiques, somme toute négatives, mais par le résultat positif d’une analyse subséquente du fait d’obligation ; et ce résultat, je le dis d’avance, sera favorable à la quatrième conception : celle qui met la morale en fonction de la religion.

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