La trinité

B) TÉMOIGNAGE DE PAUL

21. L’Esprit du Christ et l’Esprit de Dieu.

Mais laissons maintenant la parole à l’Instrument de choix[27] au Docteur des Nations[28]. Il commence par louer la foi du peuple de Rome et la reconnaît conforme à une saine intelligence de la vérité[29]. Puis son désir de souligner l’unité de nature dans le Père et dans le Fils, le pousse à s’exprimer ainsi : « Mais vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’Esprit ; si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, bien que le corps soit déjà mort en raison du péché, l’Esprit est vie par suite de la justice. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels, grâce à son Esprit qui habite en vous » (Romains 8.9-11).

[27] Cf. Actes 9.15.

[28] Cf. 1 Timothée 2.7.

[29] Cf. Romains 1.8.

Nous sommes tous spirituels, si l’Esprit de Dieu est en nous. Mais cet Esprit de Dieu, c’est aussi l’Esprit du Christ. Et lorsque l’Esprit du Christ est en nous, l’Esprit de Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, est également en nous. Et celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, rendra aussi la vie à nos corps mortels, grâce à son Esprit qui habite en nous.

Nous voilà donc rendus à la vie grâce à l’Esprit du Christ qui habite en nous, par celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts habite en nous, et si par ailleurs, l’Esprit du Christ est également en nous, l’Esprit qui est en nous ne peut être que l’Esprit de Dieu !

Hérétique, fais donc alors une distinction entre l’Esprit du Christ et l’Esprit de Dieu, entre l’Esprit du Christ ressuscité des morts, et l’Esprit de Dieu qui ressuscite le Christ d’entre les morts ! Si l’Esprit du Christ habite en nous, c’est qu’il est l’Esprit de Dieu ; et si c’est l’Esprit du Christ ressuscité des morts, c’est aussi l’Esprit du Dieu qui a ressuscité le Christ d’entre les morts !

22. Que veut dire : Esprit de Dieu ?

Je te le demande maintenant : crois-tu que l’expression : « Esprit de Dieu » désigne la nature divine ou une réalité que possède cette nature[30] ? Car il y a une différence entre une nature et une réalité que possède une nature : un homme n’est pas identique à ce qui constitue l’homme ; un feu n’est pas identique à ce qui constitue le feu. De la même façon, Dieu n’est pas identique à ce qui est de Dieu.

[30] Hilaire distingue « natura » appliquée au Père, et « res naturae » attribuée au Saint-Esprit. « Le Père est la nature principielle, la source primordiale ; le Saint-Esprit est la nature communiquée, c’est-à-dire l’être qui appartient à Dieu comme à sa source » (A. Palmieri, article « Esprit-Saint » dans Dictionnaire de Théologie Catholique, vol. V, col. 747).

23. Ce mot peut s’entendre du Père ou du Fils.

Il me revient en effet à la mémoire que l’on peut entendre ce terme : « Esprit de Dieu », comme signifiant aussi bien le Fils de Dieu que la présence du Père en lui : ainsi cette expression : « Esprit de Dieu » est susceptible de désigner l’une ou l’autre des deux personnes. Et ceci nous est prouvé non seulement par l’autorité des prophètes, mais l’Evangile aussi s’en porte garant ; par exemple dans ces textes : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par son onction » (Luc 4.18) ; et encore : « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui mon âme se complaît. Je ferai reposer sur lui mon Esprit » (Matthieu 12.18). Le Seigneur affirme à son sujet : « Si c’est dans l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le Royaume de Dieu est donc venu jusqu’à vous » (Matthieu 12.28). Ces passages semblent en effet s’appliquer sans aucun doute au Père et au Fils ; ils ont pour objet de nous manifester l’excellence de leur nature.

24. Il souligne que la nature divine est immatérielle.

De fait, à ce qu’il me semble, si cette expression : « Esprit de Dieu » est employée pour chacune des deux personnes, c’est pour nous éviter de croire que le Fils est dans le Père, et le Père dans le Fils, selon des modes corporels : il est bien évident que Dieu ne demeure pas dans un lieu, qu’il est en lui-même et nulle part ailleurs. Car un homme, ou toute autre créature qui lui ressemble, est ici et ne saurait être ailleurs ; ce qui est dans un endroit est limité au lieu où il se trouve : sa nature, située en un certain point de l’espace est trop imparfaite pour être partout. Mais Dieu est une puissance vivante, dotée d’une force extraordinaire. Présent partout, il n’est absent nulle part, fl nous apprend tout ce qu’il est par ses attributs, et nous laisse entendre que ses attributs ne sont pas autres que lui-même. Là où sont ses biens, là il se trouve. Aussi ne devons-nous pas croire qu’à la manière des corps, il ne soit pas partout lorsqu’il est dans un lieu, puisque, par ses attributs, il ne cesse d’être en toutes choses. Car ses attributs ne sont autres que ce qu’il est[31].

[31] Le moi « sua » qui commande ce paragraphe a été rendu une fois par « biens » et les autres fois par « attributs » plutôt que par « propriétés », terme qu’Hilaire emploie souvent pour désigner ce que les personnes ont en propre.

Ceci dit pour nous aider à comprendre ce qu’est la nature divine.

25. Aussi ce terme : « Esprit de Dieu » désigne-t-il à la fois le Père, le Fils et le Paraclet.

A mon sens, dans l’« Esprit de Dieu » nous devons voir Dieu le Père ; puisque notre Seigneur Jésus-Christ déclare que l’Esprit du Seigneur est sur lui, c’est lui qui l’a oint et envoyé prêcher la Bonne Nouvelle[32]. Dans l’Esprit, en effet, se manifeste la puissance de la nature du Père ; celui-ci nous le montre : par la réalité mystérieuse de cette onction spirituelle, son Fils participe à sa nature, même une fois né dans la chair. La preuve en est qu’après cette naissance que consacre le baptême, une voix venant du ciel[33], donne la garantie qu’il s’agit bien là du propre Fils de Dieu : « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui » (Luc 3.22, cf. Psaumes 2.7).

[32] Cf. Luc 4.18.

[33] Cf. Matthieu 3.17. Hilaire cite ici une variante de Luc 3.22 avec Psaumes 2.7, qui se trouve dans le codex Bezae et les manuscrits occidentaux. Voir Clem. d’Alex, Pédag., I, 25 ,2.

Cet épisode n’est pas à interpréter comme si le Père se reposait sur le Christ ou venait à lui du haut du ciel, ou encore se donnait à lui-même le nom de Fils[34]. Non, nous nous sommes attachés à établir que sous le mystère de la vraie et parfaite naissance, notre foi devait reconnaître que la seule nature divine demeurait dans le Fils qui commençait alors sa vie d’homme. C’est donc bien le Père que nous découvrons signifié ici dans l’« Esprit de Dieu ».

[34] Pointe contre les sabelliens.

Mais nous comprenons que le Fils, lui aussi, est désigné par cette formule lorsqu’il nous dit : « Si c’est dans l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le Royaume de Dieu est donc venu jusqu’à vous » (Matthieu 12.28). Il se dépeint donc chassant par la puissance de sa nature, ces démons qui ne peuvent être expulsés que par l’Esprit de Dieu.

Par ailleurs, l’expression : « Esprit de Dieu » désigne aussi l’Esprit Paraclet. Non seulement les prophètes s’en portent garants, mais aussi les Apôtres, puisqu’il est dit : « C’est ce qui a été annoncé par le Prophète : Dans les derniers jours, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils ainsi que vos filles prophétiseront » (Actes 2.16). On nous apprend ici que cette prophétie fut réalisée dans les Apôtres, lorsqu’après l’envoi du Saint-Esprit, ils se mirent tous à parler dans les langues des diverses nations[35].

[35] Cf. Actes 2.4.

26. L’Esprit-Saint, réalité personnelle appartenant au Père et au Fils, est bien la preuve que le Père et le Fils sont un.

Il nous fallait expliquer tout cela : ainsi, au cas où la fourberie de nos hérétiques se porterait sur quelque point, elle se verrait tout de même endiguée par les lignes et le tracé de la vérité évangélique.

Oui, le Christ habite en nous ; et là où le Christ habite, Dieu habite. Et puisque l’Esprit du Christ habite en nous, cette habitation en nous de l’Esprit du Christ, fait en sorte qu’aucun autre Esprit n’habite en nous, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Et s’il faut entendre que le Christ habite en nous par l’Esprit-Saint, cela ne nous empêche pas de reconnaître que cet Esprit de Dieu est aussi l’Esprit du Christ[36]. Et puisque la nature divine elle-même, habite en nous par la réalité personnelle de cette nature[37], il nous reste à croire que la nature du Fils est identique à celle du Père, puisque le Saint-Esprit qui est à la fois l’Esprit du Christ et l’Esprit de Dieu, nous apparaît comme la réalité personnelle qui appartient à l’unique nature divine.

[36] Cf. Romains 8.9-11.

[37] Cf. chap. 22, note 30.

Et maintenant, je te pose cette question : Ne sont-ils pas un par nature ? L’Esprit de vérité procède du Père[38], il est envoyé par le Fils et il reçoit du Fils. Mais tout ce qu’a le Père est au Fils, et par conséquent, il reçoit du Père[39]. Il est l’Esprit de Dieu, mais en même temps l’Esprit du Christ[40]. L’Esprit est donc la réalité personnelle appartenant à la nature du Fils, mais aussi la réalité personnelle appartenant à la nature du Père. Il est l’Esprit de celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, mais il est aussi l’Esprit du Christ ressuscité d’entre les morts[41]. S’il pouvait être établi que l’Esprit de Dieu n’est pas aussi l’Esprit du Christ, la nature du Christ et celle de Dieu différeraient sur quelque point, elles ne seraient pas la même nature.

[38] Cf. Jean 15.26.

[39] Cf. Jean 16.14-15.

[40] Cf. Romains 8.9 ; 1 Corinthiens 8.6.

[41] Cf. Romains 8.11.

27. L’Esprit du Christ et l’Esprit de Dieu : un seul Esprit, habite en nous.

Mais l’Apôtre te tient et te serre à la gorge, hérétique en délire qui tournoie sous le souffle d’une doctrine mortelle ! Il place le Christ comme fondement de notre foi[42], et se souvient aussi de cette parole du Seigneur : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure » (Jean 14.23).

[42] Cf. 1 Corinthiens 3.11.

Par ce texte, il s’en porte garant : si l’Esprit du Christ demeure en nous, l’Esprit de Dieu demeure aussi en nous ; et l’Esprit de celui qui est ressuscité d’entre les morts, n’est pas différent de l’Esprit de celui qui ressuscite les morts[43]. Car tous deux viennent et habitent en nous ; et je te pose cette question : Viennent-ils en nous et font-ils en nous leur demeure comme deux personnes étrangères qui voyageraient ensemble, ou ne serait-ce pas plutôt par suite de l’unité de leur nature ?

[43] Cf. Romains 8.9-11.

Mais le Docteur des Nations[44] s’oppose à la première interprétation : il ne s’agit pas de deux Esprits : l’Esprit de Dieu et l’Esprit du Christ, qui sont présents dans les croyants, mais de l’Esprit du Christ qui est l’Esprit de Dieu. Ce n’est pas une cohabitation, mais une habitation : sous l’aspect mystérieux d’une cohabitation, c’est pourtant bien d’une habitation qu’il s’agit, puisque ce ne sont pas deux dieux qui habitent en nous, et que notre hôte est unique. Car l’Esprit de Dieu est présent en nous, mais l’Esprit du Christ y est aussi présent ; et lorsque l’Esprit du Christ est en nous, l’Esprit de Dieu y est également. Ainsi ce qui est « de Dieu » est « du Christ », et puisque ce qui est « du Christ » est « de Dieu », le Christ ne saurait être différent de ce qu’est Dieu.

[44] Cf. 1 Timothée 2.7.

Le Christ est donc le Dieu qui possède un seul Esprit avec Dieu.

28. « Personne, s’il parle dans l’Esprit de Dieu, ne dit : Anathème à Jésus ! »

L’Apôtre nous enseigne aussi que ce texte de l’Evangile : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30), exprime l’unité de la nature divine, et non la solitude qu’entraînerait la confusion des personnes ; il écrit aux Corinthiens : « Voilà pourquoi, je vous le déclare, personne, s’il parle dans l’Esprit de Dieu, ne dit : Anathème à Jésus ! » (1 Corinthiens 12.3).

Ne reconnais-tu pas maintenant, hérétique, par quel Esprit tu parles, lorsque tu affirmes que le Christ est une créature ? Ceux-là sont frappés d’anathème qui rendent hommage à une créature plutôt qu’au Créateur ; puisque tu prends le Christ pour une créature, comprends donc qui tu es, toi qui n’ignores plus qu’un culte rendu à une créature tombe sous la malédiction[45].

[45] Cf. Romains 1.25.

Remarque aussi ce qui suit : « Et personne ne peut dire : Jésus est Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit-Saint » (1 Corinthiens 12.3). Perçois-tu ce qui te manque, lorsque tu refuses au Christ ce qui lui appartient ? Si, de par sa nature divine, le Christ est pour toi le Seigneur, tu possèdes l’Esprit-Saint ; mais si le Christ est ton Seigneur en vertu d’un nom d’adoption, te voilà privé de l’Esprit-Saint, et c’est un esprit d’égarement qui t’anime, puisque personne ne peut dire : Jésus est Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit-Saint ».

Et toi qui le prétends créature plutôt que Dieu, tu ne dis pourtant pas qu’il est le Seigneur, bien que tu lui donnes ce nom : selon toi, en effet, s’il est Seigneur, c’est parce qu’il porte ce nom, un nom banal qui peut s’appliquer à plusieurs, mais non par suite de sa nature divine. Mais apprends donc de Paul quelle est sa nature[46].

[46] De 28-32, Hilaire démontre que le Père et le Fils : deux personnes mais un Esprit, une seule divinité.

29. Dans les dons de l’Esprit, se manifeste un seul Esprit, un seul Seigneur, un seul Dieu.

Car l’Apôtre continue : « Il y a certes diversité de dons, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour ce qui est utile » (1 Corinthiens 12.4-7).

Dans ce texte on discerne quatre idées : il y a un même Esprit dans la diversité des dons, un même Seigneur dans la diversité des ministères, un même Dieu dans la diversité des opérations, et la manifestation de l’Esprit est donnée en vue de notre utilité.

Et pour nous convaincre que cette manifestation de l’Esprit a pour but de nous accorder ce qui nous est utile, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Oui, à l’un est donné par l’Esprit une parole de sagesse ; à tel autre, une parole de science, selon le même Esprit ; à un autre, la foi dans le même Esprit ; à tel autre, le don de guérir dans ce même Esprit ; à tel autre, la puissance d’opérer des miracles ; à tel autre la prophétie ; à tel autre, le discernement des esprits ; à un autre, de parler en diverses langues ; à tel autre, le don d’interpréter ces langues » (1 Corinthiens 12.8-10).

30. Le don de l’Esprit, force promise par le Père…

La quatrième idée que nous avons relevée, c’est-à-dire la manifestation de l’Esprit en vue de nous donner ce qui nous est utile, ressort très nettement de ce texte. Car l’Apôtre vient de nous énumérer les dons précieux par lesquels se manifeste l’Esprit. Aussi ces diverses manifestations de puissance nous montrent assez quel est ce don qu’avait en vue le Seigneur, lorsqu’il enjoignait aux Apôtres de ne pas s’éloigner de Jérusalem : « Mais attendez, disait-il, ce que le Père a promis, ce que vous avez appris de ma bouche. Car Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, vous serez plongés dans l’Esprit-Saint que vous recevrez sous peu de jours » (Actes 1.4-5). Et plus loin : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit-Saint qui viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre « (Actes 1.8).

Ici, le Christ demande à ses Apôtres d’attendre la réalisation de la promesse du Père, cette promesse qu’ils ont entendue de sa bouche. Et nous pouvons être sûrs que dans le texte de l’Apôtre que nous étudions maintenant, celui-ci nous parle aussi de cette promesse faite par le Père.

… Est manifesté par les dons reçus

Il s’agit donc d’une manifestation de l’Esprit qui s’opère par ces œuvres de puissance. Car le don de l’Esprit n’est pas caché lorsque retentit une parole de sagesse et qu’on entend une parole de vie, ou encore lorsque nous est donnée la science qui nous permet de connaître Dieu, et nous aide à ne pas vivre à la façon des bêtes, en ignorant celui qui est à l’origine de notre existence. Le don de l’Esprit se fait voir aussi par la foi en Dieu : grâce à lui, nous ne sommes pas exclus de la bonne nouvelle de Dieu, pour avoir refusé de croire à la bonne nouvelle de Dieu[47]. Il se manifeste encore par le don de guérir : ainsi la guérison des maladies rend témoignage à la grâce de celui qui a concédé ce don ; ou bien par des œuvres de puissance, et nos actions apparaissent comme « puissance de Dieu[48] ; ou encore par la prophétie, et à la manière dont nous connaissons l’enseignement du Christ, on nous reconnaît instruits par Dieu. Il se constate aussi par le discernement : des esprits qui nous permet d’établir si quelqu’un parle selon un Esprit saint ou un esprit de mensonge. On le perçoit encore lorsqu’on entend parler en diverses langues : cette parole en langues est un signe que l’Esprit-Saint nous a été donné. Il est encore mis en évidence par l’interprétation des langues : par ce moyen, la foi de ceux qui écoutent cette parole en langues et ne la comprennent pas, n’est pas mise en danger, puisque celui qui interprète ce langage l’explique à ceux qui ne le saisissent pas.

[47] 1 Pierre 4.17.

[48] Expression paulinienne.

Ainsi, à travers tous ces charismes, l’Esprit nous est manifesté pour le profit de tous. Le don de l’Esprit éclate au grand jour, on l’admire dans ces grâces octroyées pour être utiles à tous.

31. Dans la répartition de ces dons, le Christ accomplit l’œuvre de son Père.

Or, pour nous parler de ce mystère si difficile à comprendre que sont les dispositions de Dieu à notre égard[49], le bienheureux Apôtre Paul conserve à la fois un langage clair et un souci attentif de nous montrer que ces dons, ainsi répartis, sont accordés dans l’Esprit et par l’Esprit – être donné par l’Esprit est en effet différent d’être donné dans l’Esprit – ; l’octroi de ce don obtenu dans l’Esprit est également concédé par l’Esprit. De fait, l’Apôtre clôt par ces mets ce passage qui traite de la répartition des dons : « Mais tout cela, c’est un seul et même Esprit qui l’opère, distribuant à chacun ses dons, comme il l’entend » (1 Corinthiens 12.11).

[49] « Mysterium cœlestium sacramentum ».

Et maintenant, je te pose cette question : quel est cet Esprit qui agit et distribue ces dons, comme il l’entend ? Est-ce celui par qui se fait la répartition de ces dons, ou celui en qui elle se fait ? Si quelqu’un osait affirmer qu’il s’agit ici de la même personne, l’Apôtre interviendrait et demanderait à son lecteur pourquoi il le lit si mal ! Car il avait dit plus haut : « Il y a diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous « (1 Corinthiens 12.6). Il y a donc une personne qui répartit les dons, et une autre en qui se fait cette répartition. Reconnais-le : c’est toujours Dieu qui accomplit toutes ces merveilles, il le fait toutefois de telle sorte que c’est le Christ qui agit, et qu’en agissant, celui-ci mène à bien l’œuvre de son Père.

Et si tu reconnais dans l’Esprit-Saint que « Jésus est Seigneur »[50], comprends la force de cette triple indication de l’Apôtre : dans la diversité des dons, c’est le même Esprit ; dans la diversité des services, c’est le même Seigneur, et dans la diversité des opérations, c’est le même Dieu. Mais par ailleurs, c’est un seul Esprit qui produit tout cela, distribuant à chacun ses dons comme il l’entend. Essaie de concevoir, si tu le peux, que le Seigneur, dans la diversité des services, et Dieu, dans la diversité des opérations, sont un seul et même Esprit qui agit et distribue ses dons selon son bon plaisir. Il n’y a en effet qu’un seul Esprit pour répartir ces dons, et c’est le même Esprit qui les produit et les répartit.

[50] Cf. 1 Corinthiens 12.3. La théologie trinitaire d’Hilaire manque ici de netteté sur la personne de l’Esprit.

32. C’est pourtant l’œuvre d’un seul Esprit…

Mais si cet unique Esprit d’un même Dieu te chagrine, si tu prends ombrage de le savoir en Dieu et dans le Seigneur en raison du mystère de sa naissance, montre-moi quel autre Esprit pourrait être l’artisan et le donateur de ces dons ; oui, dis-moi en quel Esprit se réaliserait cette œuvre et cette répartition. Mais tu ne m’indiqueras rien d’autre que ce qui est l’objet de notre foi. Car l’Apôtre nous signale de qui il s’agit, lorsqu’il affirme : « Comme le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ » (1 Corinthiens 12.12). Il nous l’explique donc, la répartition des charismes est l’œuvre du seul Seigneur Jésus-Christ, qui est le corps de tous. Après avoir présenté le Seigneur dans l’assistance qu’il nous rend, et avoir parlé aussi de Dieu dans ses œuvres, il nous assure que c’est pourtant un seul Esprit qui opère ces dons et les répartit, distribuant ces grâces qui sont comme les membres qui rendent parfait le corps unique.

33.… Car les dons du Christ sont les dons de Père

Tu estimeras peut-être que l’Apôtre ne tient pas compte de l’unité de Dieu, lorsqu’il affirme : « Il y a diversité de services, mais c’est le même Seigneur ; il y a diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu » (1 Corinthiens 12.5-6). Il attribue les services au Seigneur et les opérations à Dieu : il semblerait donc qu’il ne s’agisse pas de Faction et des services du même Dieu. Remarque comme ces membres qui se chargent des services sont les membres qui agissent, puisqu’il dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres. Dieu en a établi quelques-uns dans l’Eglise, premièrement comme apôtres », en qui se trouve la parole de sagesse, « deuxièmement comme prophètes », en qui réside le don de science ; « troisièmement comme docteurs », par qui est dispensée la doctrine de la foi[51] ; « puis viennent les œuvres de puissance », et parmi celles-ci le don de guérir les malades, d’assister les pauvres, de diriger d’une manière prophétique, et les dons de parler ou d’interpréter diverses langues[52].

[51] Pour comprendre la pensée d’Hilaire en ces deux chapitres 33 et 34, il importe de repérer la correspondance entre les mots. Hilaire part de 1 Co 12,27 et ss. Aux Apôtres, il attribue « Verbum sapientiae ». Ces deux mots traduits par : « parole de sagesse » restent accolés durant tout ce texte. A « Sapientia » correspond le verbe : « Sapere », traduit par « goûter ».
Aux prophètes, il attribue : « Donum scientiae », mais quand il en parle par la suite, il ne retient que : « Scientia » en lui accolant le mot « Sermo » ; nous traduisons alors « Langage de science ». A « Science », correspond : « Intelligere » : « comprendre » ou « connaître ».
Aux docteurs, il attribue : « Doctrina fidei ». Seul « Fides » reviendra par la suite.

[52] Cf. 1 Corinthiens 12.8-10.

Tout cela, c’est bien les services et les œuvres dont s’acquitte l’Eglise ; en eux s’édifie le corps du Christ. Et ceux-ci, c’est Dieu qui les a institués. Tu prétends qu’ils ne sont pas institués par le Christ, puisque je dis : Dieu les a institués ! Ecoute l’Apôtre : « Mais chacun de nous a reçu sa part, selon la mesure répartie par le Christ » (Éphésiens 4.7) ; et encore : « Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout remplir. C’est lui aussi qui a donné aux uns d’être apôtres, aux autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou pasteurs, ou docteurs, pour rendre parfaits les saints, dans l’œuvre du service de Dieu » (Éphésiens 4.10-12). Les divers services ne sont-ils pas les dons du Christ, bien qu’ils soient aussi les dons de Dieu ?

34. Il s’agit d’« Un seul Dieu » et d’ « Un seul Seigneur ».

Mais l’hérésie s’est emparée de ce texte ; elle prétend : puisqu’on parle du « même Seigneur » et du « même Dieu », c’est qu’ils ne sont pas dans une même nature. Eh bien soit ! Je vais abonder en ton sens, et même ajouter d’autres textes pour rendre ta position plus forte. Car l’Apôtre nous dit bien : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et nous sommes en lui ; et un seul Seigneur, par qui tout existe, et nous sommes par lui » (1 Corinthiens 8.6). Et encore : « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Un seul Dieu et Père de tous, qui agit par tous et habite en nous tous » (Éphésiens 4.5 et 6). De fait, ces mots : « Un seul Dieu », et « Un seul Seigneur » semblent regarder Dieu le Père comme le seul Dieu, et lui attribuer à lui seul cette propriété d’être Dieu, puisque ce qui est l’apanage d’un seul ne souffre pas d’être partagé avec un autre.

Ôh vraiment, comme les dons spirituels sont rares et peu fréquents ! Et comme la manifestation de l’Esprit est perceptible dans ces charismes octroyés pour notre utilité ! Oui, c’est avec raison qu’un ordre est à conserver dans les grâces qui nous sont réparties, et cet ordre veut que la plus importante soit la parole de sagesse. Car il est fort bien dit : « Personne ne peut dire : Jésus est Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit-Saint » (1 Corinthiens 12.3), puisque sans cette parole de sagesse, le Christ ne peut être connu comme le Seigneur. Vient alors ensuite le langage de science : ainsi nous parlons avec science de ce que nous goûtons, dans la mesure où nous goûtons la parole de sagesse. Si le troisième don consiste dans la foi, c’est que ces dons principaux et supérieurs n’auraient aucune utilité si l’on ne croyait pas en Dieu[53].

[53] Cf. 1 Corinthiens 12.8-9.

Tirons maintenant une conclusion de la doctrine cachée dans ce texte si profond et si beau de l’Apôtre : chez tous ces hérétiques, ne se discerne aucune parole de sagesse, aucun langage de science, ni la foi qui honore Dieu ; car l’impiété qui ne saisit pas le sens de l’Ecriture, est à côté du langage de la science, elle est à côté de la pureté de la foi. Personne en effet, n’arrive à parler de ce qu’il ne goûte pas, et il ne peut croire à ce qu’il ne peut exprimer.

C’est pourquoi, en proclamant : « Un seul Dieu », l’Apôtre qui, venant de la Loi, fut appelé à l’Evangile du Christ[54], garde une profession de foi parfaite. Et pour que la simplicité de son langage qui pourrait paraître risqué, ne fournisse aux hérétiques quelque prétexte pour nier la naissance du Fils en raison de cette proclamation d’« Un seul Dieu », Paul reconnaît : « Un seul Dieu », tout en exprimant ce qui lui appartient en propre : « Un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et nous sommes en lui » ; de la sorte, nous sommes invités à croire que celui qui est Dieu est aussi Père. Mais ensuite, parce que cette foi nue en un seul Dieu, le Père, ne suffit pas à nous sauver, il ajoute : « Et un seul Seigneur, notre Christ Jésus, par qui tout existe, et nous sommes par lui ». En proclamant ainsi un seul Dieu et un seul Seigneur, il nous montre la pureté d’une foi capable de nous assurer le salut, pour que nous aussi, nous croyions en un seul Dieu, le Père, et en un seul Seigneur Jésus-Christ.

[54] Cf. Romains 1.1.

L’Apôtre n’ignorait pas en effet, cette parole du Seigneur : « Oui, c’est la volonté de mon Père que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle » (Jean 6.40). Mais pour établir la règle de la foi de l’Eglise, et pour construire notre foi sur le Père et sur le Fils, il exprime par ces mets : « Un seul Dieu » et « Un seul Seigneur », le mystère de cette unité inséparable et indissoluble du Père et du Fils, le mystère de notre foi.

35. « Un seul Dieu », « Un seul Seigneur », expression qui s’applique au Fils aussi bien qu’au Père.

Toi qui vis sans avoir part à l’Esprit de l’Apôtre, toi l’hérétique, commence par reconnaître ta sottise ! Car si tu reconnais un seul Dieu, c’est pour nier la divinité du Christ. Tu nous dis : Un être qui est seul est évidemment solitaire, et le fait d’être unique est la caractéristique réservée à celui qui est un. Mais alors, quel sens donneras-tu à cette affirmation : Jésus-Christ est le seul Seigneur ?

Si en effet, selon toi, le fait que le Père est « Un seul Dieu », ne permet plus au Christ d’être Dieu, on doit déduire logiquement que l’existence du « Seul Seigneur Jésus-Christ » ne permet plus à Dieu d’être Seigneur. Car tu l’exiges : être unique est la caractéristique de celui qui est un. Par conséquent, si tu nies que le seul Seigneur, le Christ, est également Dieu, tu dois nier aussi que le seul Dieu, le Père, soit également Seigneur. Mais qui donc serait dans la puissance de Dieu, s’il n’était pas le Seigneur ? Qui posséderait le pouvoir[55] du Seigneur, s’il n’était pas Dieu ? Car être Seigneur assure la perfection de Dieu, et ce qui fait qu’il est Seigneur, c’est qu’il est Dieu !

[55] « Virtus » = grec : dunamis = paissance = force.
« Potestas » = grec : exousian = liberté de faire = pouvoir.

36. Cette parole de l’Apôtre est la seule à pouvoir rendre compte de ce mystère.

Or l’Apôtre tient compte de toute la réalité mystérieuse contenue dans la parole du Seigneur : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30) ; lorsqu’il affirme que l’un et l’autre sont un, il rend compte qu’ils sont un et qu’ils sont deux, non pas en se référant à la solitude d’une personne unique, mais en raison de l’unité de l’Esprit. Car il maintient : « Un seul Dieu », le Père, et « Un seul Seigneur », le Christ, puisque l’un comme l’autre est Dieu et Seigneur, sans que pourtant notre foi n’admette ni deux dieux, ni deux seigneurs.

L’un et l’autre sont donc un. Et bien que un, l’un comme l’autre ne sont pas solitaires. Seule la voix de l’Apôtre nous permet d’exprimer le mystère de la foi. Il n’y a en effet, qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul Seigneur[56] ; et du fait que Dieu est unique, du fait que le Seigneur est unique, nous voyons le Seigneur en Dieu, et Dieu dans le Seigneur. Ne soutiens pas qu’il n’y a qu’une personne, pour nous présenter un Dieu solitaire ; mais ne divise pourtant pas l’Esprit, pour que le Père et le Fils ne soient plus un seul Dieu. Non, tu n’arriveras pas à mettre à part, d’un côté la puissance du seul Dieu, et d’un autre côté celle du seul Seigneur ; tu ne pourras faire en sorte que celui qui est Seigneur, ne soit pas aussi Dieu, et que Dieu ne soit pas en même temps Seigneur.

[56] Cf. 1 Corinthiens 8.6.

L’Apôtre en effet, évite de laisser supposer deux dieux et deux seigneurs, lorsqu’il emploie ces deux noms. Et par suite, une telle pédagogie a pour but de montrer le seul Dieu dans le Christ, Seigneur unique, et le seul Seigneur dans le Père, Dieu unique. Il proclame, et le Père, et le Christ, pour que nous n’allions pas croire à cette identité impie des personnes qui serait la négation de la naissance ce Dieu, le Fils Unique.

37. Paul affirme que le Christ est Dieu.

Mais au point où tu en es arrivé, à cet état dont il n’y a plus lieu de rien espérer, ta rage va peut-être se déchaîner et aller jusqu’à déclarer que le Christ n’est rien de plus que le Seigneur : puisque l’Apôtre affirme que le Christ est Seigneur, la qualité qui lui appartient en propre est d’être Seigneur, mais il ne jouit pas de la véritable nature divine. Allons ! Paul reconnaît la divinité du Christ ! Il nous dit : « Eux à qui appartiennent les patriarches, et de qui est issu le Christ, lui qui est Dieu, au-dessus de tout » (Romains 9.5). En ce texte, il ne s’agit pas d’une créature qui serait regardée comme Dieu, mais du Dieu des créatures qui est « Dieu, au-dessus de tout ».

38. Il reconnaît l’identité du Dieu « De qui tout vient », et du Dieu « Par qui tout existe ».

Apprends maintenant par ce texte de l’Apôtre dont il est ici question, comment ce « Dieu, au-dessus de tout », est un Esprit inséparable du Père. En effet, lorsque Paul reconnaît : « Un seul Dieu, le Père, de qui tout vient », et « Un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe » (1 Corinthiens 8.6), je me demande quelle différence il met entre ces expressions qui nous assurent que tout vient de Dieu et que tout est par le Christ ? Ces formules peuvent-elles s’entendre d’une nature et d’un Esprit autres que celui de qui et par qui sont toutes les créatures. Car c’est par le Fils qu’elles viennent toutes du néant à l’être : et l’Apôtre les rapporte à Dieu « De qui tout vient », mais aussi au Fils « Par qui tout existe ». Et je ne vois ici aucune différence, puisque chez l’un comme chez l’autre, l’œuvre accomplie l’est par l’effet d’une même puissance. Car si, lorsque nous envisageons l’ensemble de l’univers, il suffisait à proprement parler, de dite que les créatures viennent de Dieu, quel besoin aurait-on de rappeler que ce qui vient de Dieu, existe par le Christ, sinon pour souligner que venir de Dieu et être par le Christ sont identiques ? Mais comme il a été attribué au Père et au Fils d’être « Dieu » et « Seigneur », de telle sorte que les deux titres s’entendent de chacune des deux personnes, ainsi les mots : « De qui » et : « Par qui » se rapportent à tous les deux pour indiquer leur unité, sans pourtant laisser entendre qu’il s’agisse d’une seule personne.

« A lui soit la gloire ! »

Le langage de l’Apôtre n’a donc aucune faille par où puisse se glisser l’hérésie, et sa foi discerne les mots exacts qu’il doit employer lorsqu’il expose la vérité. Car il choisit ses expressions selon le sens qui leur est propre, de façon à ne laisser entendre ni deux dieux ni un Dieu solitaire : tout en repoussant la confusion des personnes, il ne brise pourtant pas l’unité de la nature divine. Ces deux textes : « De qui tout vient », et : « Par qui tout existe » ne peuvent en effet, servir de base pour appuyer l’idée d’un Dieu solitaire dans la puissance de sa majesté, et cependant ils ne nous montrent pas une divergence dans l’action qui laisserait supposer deux dieux : puisque « Tout vient de lui », et puisque « Tout existe par lui », on voit par là qu’il s’agit de l’auteur d’un même univers.

Or l’Apôtre nous déclare que le Père et le Fils ont en propre d’être l’auteur de cet univers. Car après avoir affirmé avec force la profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu, après avoir proclamé que ses jugements impénétrables dépassent les prises de notre intelligence, et prouvé que l’on ignore ses voies insondables[57], bien que l’homme doive pourtant se servir de sa foi, il rend hommage à l’immensité des secrets de Dieu, ces mystères insondables et impossibles à scruter, et s’écrie : « Car tout est de lui, par lui et pour lui ! A lui soit la gloire dans les siècles ! Amen ! » (Romains 11.36).

[57] Cf. Romains 11.33.

Ici, Paul nous montre bien qu’il a en vue Punique nature divine, car l’œuvre réalisée par un seul être ne peut être que l’œuvre de la nature de Dieu.

39. Le mystère céleste : Un Père et un Fils : Dieu unique !

L’Apôtre a donc imputé à Dieu d’une manière particulière : « Tout vient de lui ». Il a décerné au Christ d’avoir en propre : « Tout existe par lui » (1 Corinthiens 8.6). Et maintenant, c’est la gloire de Dieu que : « Tout soit de lui, par lui et en lui » (Romains 11.36). Et puisque l’Esprit de Dieu, c’est aussi l’Esprit du Christ, puisque c’est un seul et même Esprit qui agit et répartit ses dons[58] à travers le service du Seigneur et dans l’œuvre de Dieu[59], ils ne sauraient ne pas être un, ceux dont les propriétés sont celles d’un être unique : dans le même Seigneur Fils, et dans le même Dieu Père, c’est un seul et même Esprit qui mène les créatures à leur perfection, en répartissant à chacune les grâces, dans ce même Esprit-Saint.

[58] Cf. Romains 8.9-11, voir commentaire chap. 21.

[59] Cf. 1 Corinthiens 12.4-11, voir chap. 29.

Oh comme il est digne d’avoir reçu la confidence des sublimes mystères du ciel, cet homme mis à part et choisi pour être le confident des secrets divins ! Cachant forcément dans le silence ces mystères intraduisibles en paroles, comme ce véritable Apôtre du Christ[60] a su fermer la bouche des hommes pervers, fertiles en inventions, par son enseignement parfait, lorsqu’il reconnaît un seul Dieu Père, et un seul Seigneur Jésus-Christ ! Ainsi personne n’oserait plus avancer ni deux dieux ni un Dieu unique, puisque, bien qu’il ne soit pas unique, notre Dieu ne se dédouble pourtant pas en deux divinités, et que, bien qu’elles ne soient pas deux dieux, les deux personnes ne sauraient être conçues comme un être solitaire ; et que le Père soit mis en évidence dans ces textes, cela nous prouve la naissance parfaite du Christ.

[60] Cf. 2 Corinthiens 12.2-4.

40. Un seul Dieu, un seul Seigneur, une seule espérance, un seul baptême…

Et maintenant, pour accompagner vos sifflements, faites jaillir de votre gueule vos langues qui vibrent, serpents hérétiques : Sabellius, Photin, et vous qui, à présent, proclamez que le Fils de Dieu est une créature ! Qu’il entende l’Apôtre lui parler du « Seul Dieu Père »[61], celui qui nie le Fils : car le Père n’est Père qu’en raison du Fils, et par là, le Fils est manifesté dans le Père. Et par ailleurs, que celui qui enlève au Fils l’unité de sa nature, identique à celle du Père, sache qu’il y a « Un seul Seigneur, Jésus-Christ ». Si en effet, celui-ci n’est pas « Seul Seigneur » par l’unité que réalise l’Esprit, Dieu le Père n’a plus qu’à renoncer a être Seigneur ! Que celui qui regarde le Fils comme né dans le temps et de la chair, le reconnaisse : « Tout existe par lui, et nous sommes par lui » (1 Corinthiens 8.6) ; et puisque son immensité qui échappe à la durée, crée tous les êtres, c’est qu’il est hors du temps.

[61] Cf. 1 Corinthiens 8.6.

Mieux, qu’il relise ces lignes où Paul affirme que nous sommes appelés à « Une seule espérance, à un seul baptême, à une seule foi » (Galates 1.8). Et lorsqu’il l’aura fait, s’il s’oppose à la prédication de l’Apôtre, le voici anathème, puisqu’il édifie de son propre chef une autre doctrine : il n’est ni appelé, ni baptisé, ni fidèle. Car l’unique foi qui nous permet d’être appelés à une unique espérance dans un seul baptême, c’est de croire dans le seul Dieu Père, et dans le seul Seigneur Jésus-Christ. Et toutes les autres doctrines ne pourront se glorifier d’avoir en elles ces caractéristiques : un seul Dieu, un seul Seigneur, une seule espérance, un seul baptême, une seule foi.

41.… Une seule foi !

L’unique foi, c’est donc de reconnaître le Père dans le Fils et le Fils dans le Père, par suite de l’unité inséparable de leur nature ; unité qui ne permet pas d’affirmer leur confusion, mais leur indivisibilité ; non leur mélange, mais l’identité de leur nature[62] ; non leur juxtaposition, mais leur substantialité ; non leur inachèvement, mais leur perfection. Il s’agit en effet, d’une naissance, et non pas d’une division ; nous avons un Fils et non une adoption ; c’est Dieu, et non une création. Et ce n’est pas un Dieu d’une autre espèce ; non, le Père et le Fils sont un. En naissant, le Fils n’est pas doté d’une nouvelle nature qui serait étrangère à la nature propre de celui dont il tire son origine.

[62] Cf. Livre V, chap. 39, dernière ligne.

Ainsi l’Apôtre maintient la foi au Fils qui demeure dans le Père, et au Père qui demeure dans le Fils, quand il affirme que pour lui, il y a un seul Dieu Père et un seul Seigneur Christ[63] : Dieu est aussi dans le Christ Seigneur, le Seigneur est aussi en Dieu le Père ; tous deux, c’est l’Un qui est Dieu, tous deux, c’est l’Un qui est Seigneur, puisque cela paraîtrait imparfait, et pour Dieu de ne pas être Seigneur, et pour le Seigneur de ne pas être Dieu. Ainsi, puisque tous les deux sont un, puisque l’unique nature divine est signifiée dans chacune des deux personnes, et que l’un comme l’autre ne pourraient se concevoir s’ils n’étaient pas dans cette unique nature, l’enseignement de l’Apôtre n’a donc pas été plus loin que l’enseignement de l’Evangile, et le Christ qui parle par la bouche de Paul[64], n’emploie pas d’autres mots que ceux dont il faisait usage, quand il demeurait en ce monde, sous sa forme corporelle.

[63] Cf. 1 Corinthiens 8.6.

[64] Cf 2 Corinthiens 13.3.

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