Introduction au livre du prophète Habakuk

1.6 Composition du livre sous Jojakim.

L’étude que nous venons de faire des opinions des critiques modernes, qui placent le livre d’Habakuk soit sous Sédécias, soit sous Manassé ou sous Josias, et les résultats auxquels nous sommes parvenus, nous conduisent déjà à supposer que le règne de Jojakim est le règne sous lequel Habakuk a dû prophétiser. Mais il est nécessaire cependant d’examiner la chose de plus près, et de voir sur quelles bases nous pouvons nous appuyer pour arriver à une date précise.

Dans ce but, nous consulterons le texte lui-même, car c’est là qu’il faut évidemment regarder avant tout, et nous verrons qu’il nous permet de déterminer clairement les deux limites, entre lesquelles doit se placer la prophétie d’Habakuk.

1° D’un côté, il ressort du contenu même qu’Habakuk sait parfaitement qui sont les Chaldéens, puisqu’il les nomme par leur nom (הכשדים), et en donne même une description assez détaillée. Ce peuple, en effet, nous est représenté comme féroce et impétueux, comme parcourant l’étendue de la terre pour prendre des demeures qui ne sont point à lui (Habakuk 1.6) et pour ramasser des captifs (Habakuk 1.9), comme se moquant des rois et se riant des princes (Habakuk 1.10), comme étant une nation redoutable (Habakuk 1.7). Tout cela suppose donc que les Chaldéens sont un peuple qui a atteint un certain degré de puissance, et qui, en même temps, a déjà profité de cette puissance, pour faire des conquêtes et étendre son empire ; ce qui nous conduit au temps de Nébukadnézar, sous le règne duquel cette nation était devenue redoutable pour ses voisins.

Le roi d’Egypte Pharaon-Nécoh, craignant en effet la puissance naissante des Chaldéens, qui venaient de renverser l’empire des Assyriens, et de rendre Jojakim vassal du roi de Babylone, voulant les empêcher d’étendre leurs conquêtes au-delà de l’Euphrate, occupa militairement les provinces situées entre ce fleuve et l’Egypte. La ville de Karkémisch, située sur la rive orientale de l’Euphrate, devait servir de boulevard contre leurs entreprises. Nébukadnézar, roi de Babylone, marcha aussitôt contre les Égyptiens, pour les repousser des provinces qu’ils avaient envahies et les soumettre aussi à l’empire babylonien. Ce prince, jeune et vaillant, leur livra une bataille, à eux et à leurs alliés, près de Karkémisch, et les défit totalement (606 av. J. G. la 4e année du règne de Jojakim, Jérémie 46.2). Cette victoire encouragea les Chaldéens qui poursuivirent les Égyptiens jusqu’à leurs frontières, pillant et ravageant les pays qu’ils traversaient, et soumettant par la force les peuplades qui se trouvaient sur leur route.

2° D’un autre côté, il ressort encore du texte que les Chaldéens n’avaient pas encore envahi la Palestine et étendu leurs ravages dans le pays de Juda et à Jérusalem. Rien, dans le passage Habakuk 1.2-4, ne nous autorise à y voir une description de violences venant du dehors ; il n’y est fait mention ni de villes pillées ou brûlées ni de sang répandu. Or nous savons que la première invasion des Chaldéens en Judée eut lieu la 6e année du règne de Jojakim (604 av. J.-C.) ; ce qui nous empêche de faire prophétiser Habakuk après cette époque.

Ainsi donc, nous avons deux limites que nous ne croyons pouvoir dépasser, et qui nous sont données par le texte même. C’est, d’une part, le fait que les Chaldéens sont connus à Habakuk comme peuple redoutable, ce qui conduit à l’an 606 ; d’autre part, le fait qu’ils n’ont pas encore envahi la Palestine, ce qui nous conduit à l’an 604. D’où nous concluons qu’Habakuk a dû prophétiser dans cet intervalle. Quant à fixer la date de la prophétie d’une manière plus précise, cela est impossible. L’on peut, sans inconvénient, conjecturer qu’Habakuk a prophétisé à la fin de 606 ou au commencement de 605.

Nous appuierons ici notre raisonnement par quelques observations :

1° L’expression בימיכם (Habakuk 1.5) que le prophète emploie pour indiquer l’exécution prochaine du châtiment, confirme pleinement l’époque à laquelle nous sommes arrivé pour la prophétie d’Habakuk. Cette parole montre, en effet, comme, le dit Delitzsch, que « l’œuvre de la justice divine doit s’accomplir pendant les jours de ceux à qui le discours du prophète s’adresse. » Or, cette œuvre s’est accomplie peu à peu, comme nous le savons, sous les règnes successifs de Jojakim, de Jojakin et de Sédécias. Sous ces trois rois, en effet, Nébukadnézar, roi de Babylone, marcha contre Jérusalem. Dans une première expédition, il fit prisonnier Jojakim et l’emmena, chargé de chaînes, à Babylone (2 Rois 24.1-5 ; 2 Chroniques 36.2). Dans une seconde, il obligea Jojakin à se rendre et le traîna en esclavage, lui, sa famille, sa cour et une partie du peuple, en tout dix mille captifs (2 Rois 24.14-15 ; 2 Chroniques 36.10). Dans une troisième expédition enfin, alors que Sédécias était sur le trône de Juda, il livra Jérusalem au pillage le plus affreux, fit mettre le feu à la ville et emmena le roi et le reste du peuple captif à Babylone (2 Rois 25.1-11 ; 2 Chroniques 36.17-21). Tels sont les événements qui devaient se passer pendant les jours de ceux à qui Habakuk s’adressait, et qui se passèrent, en effet, depuis la sixième année du règne de Jojakim, à la onzième année du règne de Sédécias, c’est-à-dire dans l’espace de dix-sept ans environ. Ce calcul vient donc confirmer l’époque que nous avons assignée à la prophétie d’Habakuk.

2° Nous pouvons encore avancer, à l’appui de notre résultat, ce que nous savons des premières années du règne de Jojakim. Nous savons, en effet, par Jérémie que le peuple était corrompu (Jérémie 9.1-2), que nul ne pouvait se fier à son frère (Jérémie 9.3), que l’on calomniait son prochain, que l’on exerçait sa langue au mensonge, que l’on s’étudiait à faire des injustices (Jérémie 9.3-4), etc. Ces faits ne concordent-ils pas avec les paroles d’Habakuk : Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité et considérer l’injustice (Habakuk 1.3) ?

Nous savons encore que, par suite des impressions que firent les prophéties de Jérémie, la populace se jeta sur lui, et allait lui ôter la vie dans une émeute, lorsque les magistrats intervinrent et se firent donner le rapport des griefs dont on chargeait le prophète. Ils entendirent les accusateurs, ainsi que la défense de Jérémie, et le renvoyèrent absous (Jérémie 26.1 et suiv.). Il nous est dit enfin que Jojakim mit lui-même en pièces et brûla le discours que Baruc venait de lire, devant le peuple, de la part de Jérémie ; et qu’après cela, il ordonna qu’on arrêtât Jérémie et son secrétaire (Jérémie 36.1-26). Tout cela ne semble-t-il pas confirmer les paroles d’Habakuk : L’oppression et la violence sont devant moi ; des procès et des discordes s’élèvent (Habakuk 1.3). Aussi la loi est sans vigueur, et la justice ne se fait pas selon la vérité. Le méchant enveloppe le juste, parce que la justice est toute corrompue (Habakuk 1.4).

3° Enfin, nous observerons, à l’appui de notre thèse, que, dans les prophètes qui ont prédit la ruine de Juda, nous ne rencontrons le nom de Chaldéens, comme désignant un peuple puissant, qu’à partir de la bataille de Karkémisch. Sophonie, en effet, qui a prophétisé sous Josias, ne nomme pas de son nom le peuple par lequel Jehovah exécutera son jugement sur Jérusalem. Jérémie se tait également, à ce sujet, dans les prophéties qu’il fit sous Josias, ainsi que dans les quatre premières années du règne de Jojakim. Ce n’est qu’à partir de cette quatrième année, après avoir parlé de la victoire de Nebukadnézar sur Pharaon-Nécoh (Jérémie 46.1-2), qu’il nomme du nom de Chaldéens (הכשדים), ce peuple terrible qui viendra punir Jérusalem, de la part de l’Éternel. Depuis ce moment alors il ne parle jamais de cet ennemi de Juda, sans le désigner par son nom. L’on peut s’en convaincre par les passages suivants : Jérémie 21.4,9 ; 32.3,5,24,29 ; 33.5 ; 37.8-10,13 ; 38.18-19,23 ; 39.5,8 ; 41.3,18.

Ainsi donc ces trois observations viennent confirmer la date que nous avons assignée à la prophétie d’Habakuk.

Avant de clore ce paragraphe, nous devons cependant mentionner ici une difficulté que nous avons rencontrée et qui réside dans une contradiction apparente de deux textes de Jérémie et de Daniel. Nous savons, d’après Jérémie 46.2, que la bataille de Karkémisch, dans laquelle Nebukadnézar défit l’armée de Pharaon-Nécoh, fut livrée dans la quatrième année du règne de Jojakim, roi de Juda. De son côté, Daniel (Daniel 1.2) nous dit positivement : La troisième année du règne de Jojakim, roi de Juda, Nebukadnézar, roi de Babylone, vint contre Jérusalem et l’assiégea. Et le Seigneur livra, entre ses mains, Jojakim, roi de Juda, et une partie des vases de la maison de Dieu, que Nébukadnézar fit emporter au pays de Schinehar (Babylone), en la maison de son dieu.

D’après ce que dit Dahler, on pourrait supposer qu’il y a là, peut-être, une erreur de copiste, dans le livre de Daniel ou celui de Jérémie. On pourrait supposer encore que, lorsque l’armée chaldéenne partit de Babylone, Jojakim était, en effet, dans la troisième année de son règne ; mais que, plusieurs mois s’étant nécessairement passés avant qu’elle arrivât à Karkémisch, Jojakim était entré, dans l’intervalle, dans la quatrième année de son règne. On pourrait enfin admettre qu’il y a eu, dans les deux auteurs, une différence de calcul. Si Jojakim est monté sur le trône dans le courant de l’année, Jérémie peut avoir compté pour une année entière, la portion de l’année, dans laquelle Jojakim commença à régner, et daté ainsi la bataille de Karkémisch de la quatrième année, tandis que Daniel, comptant les années à partir du jour de l’avènement de Jojakim, aura placé le départ de Nébukadnézar dans la troisième année du règne de ce prince.

Mais nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de recourir à des hypothèses pour expliquer l’état réel des choses et établir la chaîne historique des faits. Nous n’avons, pour cela, qu’à rassembler les faits épars que la Bible nous rapporte sur le sujet.

Remarquons d’abord, que le texte de Daniel ne nous dit pas du tout que Jojakim fut emmené à Babylone. Les vases, pris dans le temple, furent seuls emportés et déposés, par l’ordre de Nébukadnézar, parmi les trésors qui se trouvaient dans la maison de son dieu. Quant à l’expression : Et le Seigneur livra entre ses mains Jojakim, elle n’a pas d’autre sens que : Jojakim devint vassal du roi de Babylone, puisque nous savons que Jojakim régna 11 ans.

Cela dit, le passage de Daniel nous semble s’accorder parfaitement avec les faits tels que nous les avons établis précédemment. Voici quelle est, sans doute, la suite des événements :

Nébukadnézar venait de monter sur le trône, pour succéder à son père Nabopolassar, qui, avec le secours de Cyaxare, roi des Mèdes, avait secoué le joug de l’Assyrie, et pris la ville de Ninive. Dès ce moment la puissance chaldéenne pouvait prendre tout son développement. Nébukadnézar, qui voulait étendre son empire, partit, la 3e année du règne de Jojakim, pour s’emparer de Jérusalem (Daniel 1.1). Mais il ne fit aucun mal à la ville, il pénétra dans ses murs, saisit une partie des vases sacrés du temple et les fit transporter à Babylone. Il choisit, en outre, un certain nombre de jeunes gens, les mieux faits et les plus intelligents, pour les emmener avec lui et les employer au service de sa cour (Daniel 1.2-4). Jojakim, alors tributaire du roi d’Egypte, fut laissé sur le trône, mais en qualité de vassal et de sujet de Nébukadnézar (Daniel 1.2). Pharaon-Nécoh, à la vue de cette puissance chaldéenne, qui commençait à se former et à vouloir tout envahir, apprenant que Jojakim était devenu le vassal de Nébukadnézar, craignit que l’ennemi n’envahît aussi ses frontières, et s’avança, avec son armée, jusqu’à Karkémisch, où il se disposait à prévenir tout envahissement. Il avait sans doute alors pour alliés quelques tribus voisines, comme les Moabites, et les Hammonites. Mais Nébukadnézar, qui venait de quitter la Palestine, se dirigea du côté où Pharaon avait concentré ses forces. Là il lui livra bataille et le défit ; ce qui eut lieu la 6e année du règne de Jojakim (606 av. J.-C. Jérémie 46.2). De son côté, Jojakim ne resta pas longtemps vassal du roi de Babylone ; après trois ans de dépendance, il résolut de s’en affranchir et se révolta contre lui (2 Rois 24.1). Il était donc alors dans la 6e année de son règne (604 av. J.-C). Nébukadnézar, après avoir défait les Égyptiens à Karkémisch, avait été jusqu’alors occupé, soit à poursuivre les Égyptiens, soit à soumettre diverses tribus, alliées ou non des Égyptiens, telles que les Moabites, les Hammonites, les Syriens, etc., ce qui nous le prouve, c’est que, lorsque Nébukadnézar marcha contre Jérusalem, pour soumettre Jojakim rebelle, il y alla, comme l’avait déjà prédit Jérémie 9.25, avec des troupes de Syriens, de Moabites et d’Hammonites (2 Rois 24.2). C’est alors qu’il commença, sans s’en douter, à donner aux prophéties de Jérémie et d’Habakuk, leur premier accomplissement, en faisant charger Jojakim de chaînes et en l’emmenant à Babylone (2 Chroniques 36.6).

Tel nous semble devoir être l’enchaînement naturel des faits, d’après le peu de données bibliques que nous possédons. Comme on le voit, il s’accorde bien avec les motifs sur lesquels nous nous sommes appuyé, pour fixer la date de la prophétie d’Habakuk (606 ou 605 av. J.-C.).

Note explicative sur les כשדים

Dans tout ce que nous venons de dire, nous sommes parti du fait que les כשדים dont parle Habakuk, étaient les Chaldéens ou Babyloniens, fait reconnu par la grande majorité des critiques. Cependant comme ce fait a été contesté, nous tenons à justifier, aussi brièvement que possible, l’opinion que nous avons adoptée.

Gumpach, dans une monographie sur le livre d’Habakuk, a soutenu que le peuple dont ce prophète fait mention, était, non pas le peuple chaldéen, mais le peuple scythe. Voici ce qu’il dit pour défendre sa thèse : « Les interprètes eux-mêmes font ressortir, ce que du reste on ne saurait méconnaître, que le prophète (Habakuk 1.5-6) dépeint les כשדים comme une toute nouvelle apparition, et leurs expéditions comme un événement jusqu’alors inouï et incroyable. Peut-on, en conséquence, avec une ombre de bon sens, songer aux Chaldéens ?… De plus, Habakuk dépeint les כשדים comme une armée de cavaliers, dont les mouvements surpassaient en rapidité tout ce que les Juifs avaient vu jusqu’alors (Habakuk 1.8). Or, si les Babylo-Assyriens possédaient aussi de la cavalerie, celle-ci ne formait qu’une partie excessivement petite de l’armée, tellement que Jérémie, décrivant le siège de Jérusalem, n’en fait pas même mention. Le prophète dépeint encore les כשדים, comme un peuple qui ne connaît pas l’art du siège ou dédaigne de s’en servir, et qui pour prendre une ville, se contente d’élever un boulevard contre ses murs (Habakuk 1.10). Au contraire, nous voyons les Chaldéens employer l’art de la guerre encore en usage, et sous Sédécias, faire tomber Jérusalem entre leurs mains après un siège de 18 mois. A cela, il faut ajouter (sans vouloir s’arrêter à des contradictions plus frappantes encore), que Jérémie, dont les premières prophéties se rapportent indubitablement au même peuple que celui dont parle Habakuk, le fait venir des contrées les plus septentrionales (Jérémie 1.14-15, comp. Jérémie 4.16 ; 5.15) et le désigne comme une vieille nation dont la langue n’est connue de personne (Jérémie 5.15). Sans doute, les Juifs, en général, pouvaient ne pas très bien connaître les tribus babylo-assyriennes, qui parlaient araméen (2 Rois 18.26), mais les gens les plus cultivés, comme le déclare l’A. T. comprenaient cette langue, ainsi que les classes marchandes du peuple d’Israël. »

Pour toutes ces raisons, Gumpach voit dans l’idée, que les כשדים d’Habakuk sont les Babyloniens « une impossibilité, et une opinion irrationnelle. » Il conclut donc que le peuple, dont Habakuk annonce l’arrivée, ne peut être que les Scythes.

Mais ici surgit la difficulté de faire concorder le mot de כשדים avec celui de Scythes. Gumpach la reconnaît lui-même ; aussi explique-t-il ainsi : « Nous sommes conduit de nous-même, dit-il (à moins que nous ne lisions השדים à la ponctuation הֲכַּשֵׁדִּי, c’est-à-dire aux Scythes, dont le nom, à cause de sa dure prononciation, était inconnu au peuple Juif. Dans les circonstances où se trouvait la nation juive, il était bien naturel que le prophète, au lieu de désigner le terrible instrument de Jehovah par un mot étranger et sans signification pour l’oreille Israélite, en choisît, pour faire plus d’effet, la transformation figurée, mais renfermant en même temps les éléments sonnants du nom du peuple scythe, à savoir : ceux qui sont semblables aux démons (die Dæmonengleichen). »

Il faut avouer que c’est là une explication plus ingénieuse que probante. Et d’abord nous dirons que le mot שׁד a ordinairement, en hébreu, le sens d’idole, proprement : maître, seigneur, comme בעלים (Deutéronome 32.17 ; Psaumes 106.37). En arabe, il signifie maître, seigneur ; en syriaque démon ; les LXX et la Vulgate lui donnent aussi ce sens (δαιμόνια, daemonia). Mais à supposer que le sens de démon soit le sens usité en hébreu, comment se fait-il qu’Habakuk donne au mot הכשדים une signification aussi exceptionnelle, tandis que partout, dans l’Ancien Testament, ce mot est employé comme nom propre ? Gumpach a-t-il raison d’ajouter que le mot הֲכַּשֵׁדִּי est moins dur que le mot de Scythe, et que ce dernier nom aurait été inconnu aux Juifs, uniquement à cause de sa dure prononciation ?

Quant aux motifs, reproduits plus haut, et sur lesquels Gumpach fonde son argumentation, il faut avouer qu’ils sont en général bien vagues et bien arbitraires. Ce critique, en effet, nous dit que les Babylo-Assyriens n’avaient qu’une cavalerie de peu d’importance ; mais qui nous dit que celle des Scythes était beaucoup plus forte ? Il n’appuie son dire sur aucun témoignage. Où voyons-nous, en outre, dans le texte d’Habakuk, que les כשדים, dont il est fait mention, sont un peuple qui ne connaît pas l’art de la guerre ? Ce que nous trouvons à ce sujet, ce nous semble, est suffisant pour nous faire penser le contraire. Du reste, le fait même qu’Habakuk ne pouvait, pour désigner le peuple qu’il décrit, « se servir d’un mot qui soit sans signification pour l’oreille Israélite, » comme Gumpach l’avoue lui-même, ne doit-il pas naturellement porter l’interprète à songer aux Chaldéens ? Mais nous ne nous arrêterons pas plus longtemps sur cette opinion de Gumpach, sur une opinion surtout, qui oblige son défenseur à expliquer, d’une manière aussi détournée, le mot dont Habakuk s’est servi pour désigner les Scythes.

Quant à nous, si nous avons vu dans les כשדים d’Habakuk, les Chaldéens ou Babyloniens, c’est que rien, dans le livre de prophète, ne nous permettait de voir, sous ce nom, un peuple que celui qui habitait la Babylonie, au temps de Nébukadnézar.

Partout ; en effet, dans l’Ancien Testament, où nous rencontrons le nom de כשדים, ce nom désigne les Chaldéens ; et les passages à l’appui sont en grand nombre. (Jérémie 21.4,9 ; 24.5 ; 25.12 etc. Ézéchiel 1.3 ; 2 Rois 25.4, 5, 10, 13, 24-26 ; 2 Chroniques 16.17, etc.). Comment donc serait-il vraisemblable, qu’Habakuk eût employé ce nom, qui désigne partout les Chaldéens, pour l’appliquer à un autre peuple ? S’il n’avait pas eu en vue les Chaldéens, il ne se serait évidemment pas servi du seul terme, usité alors, pour les nommer. De plus, quand nous étudions les détails renfermés dans le texte, nous n’en pouvons trouver aucun qui puisse nous faire supposer qu’il ne s’agisse pas ici des Chaldéens. Tout, au contraire, s’accorde avec ce que nous savons de ce peuple.

1° La description qu’Habakuk fait de ce peuple (Habakuk 1.6-11), concorde exactement avec ce que l’histoire nous en rapporte. Ces Chaldéens, depuis l’avènement de Nébukadnézar sur le trône de Babylone, ne sont-ils pas une nation féroce et impétueuse, une nation qui parcourt l’étendue de la terre, pour prendre des demeures qui ne sont point à elle ? (Habakuk 5.6). N’entassent-ils pas des captifs en grande quantité (Habakuk 5.9). Ne vont-ils pas avec rapidité, se moquant des rois, se riant des princes (Habakuk 5.9) ? Tout ceci ne convient-il pas à ce prince puissant et orgueilleux, qui, à peine affermi sur son trône, marche sur Jérusalem, force le roi de Juda à lui jurer fidélité et obéissance, et enlève ainsi au roi d’Egypte le tribut qu’il recevait ? Tout ceci ne convient-il pas à ce prince, qui, à peine sorti de Palestine, se dirige, avec la rapidité de l’aigle, sur les bords de l’Euphrate, met en déroute l’armée égyptienne, et s’avance comme un ouragan, poursuivant ses ennemis, et soumettant toutes les tribus qu’il rencontre sur son passage.

2° Habakuk ayant prononcé un oracle de mort, sur cette nation qui entasse le bien d’autrui, qui bâtit sa ville par le sang, et la fonde sur l’iniquité, il faut nécessairement que nous trouvions dans l’histoire de cette nation, une époque où cette prophétie se soit accomplie. Or, l’histoire des Chaldéens n’est-elle pas là pour appuyer notre thèse ?

Nous savons, en effet, que, vers l’an 538 av. J.-C., l’heure de l’humiliation allait sonner pour le royaume de Babylone. Tandis que le roi Belscatzar était à se divertir dans un grand festin, tandis qu’il s’était fait apporter les vases sacrés, que son aïeul avait enlevés du temple de Jérusalem, et qu’il insultait, à plaisir, le Dieu au culte duquel ces vases avaient servi, une main écrivit sur la muraille ces caractères mystérieux : מנא מנא תקל ופרסין (Daniel 5.25). La sentence de mort était prononcée ! — La nuit suivante, Cyrus, roi de Perse, arriva, prit Babylone, renversa l’empire et devint le maître de l’Asie.

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