Méditations sur la Genèse

IV
Les Conséquences de la Chute

Genèse 3.7-24

I

A peine Adam et Eve avaient-ils péché, que les conséquences de leur faute commencèrent à se montrer, et tout d’abord la corruption qui avait envahi leurs cœurs. Ils avaient bien sujet d’avoir honte l’un devant l’autre, et ils avaient raison d’avoir peur de Dieu lorsqu’ils entendirent, au vent du soir, l’Eternel parcourant le jardin d’Eden. Ils ne le voyaient pas, mais ils entendaient un bruit qui leur annonçait sa présence. Autrefois, à son approche, leur cœur se remplissait de respect, de joie et d’adoration. Maintenant, tout est changé. Ils sentent qu’ils ne peuvent subsister devant lui ; ils s’imaginent pouvoir lui échapper, et ils tentent follement de se cacher parmi les arbres du jardin. Ainsi se révèlent leur mauvaise conscience et la crainte servile que Dieu leur inspire. La confiance filiale a disparu ; rien ne les attire plus vers lui ; ils ne veulent plus avoir affaire à lui ; ils fuient sa présence ; ils désirent être aussi loin de lui que possible. Le même acte qui leur a ravi leur innocence, a dépravé leur cœur tout entier et les a profondément séparés de leur Dieu. A l’heure de la tentation, l’homme est libre de choisir ; une fois le mal commis, il n’est plus son propre maître ; il ne peut supprimer les conséquences de son action, et elles se révèlent dans son état moral : son cœur devient étranger à Dieu ; il expérimente la vérité de la parole : « Quiconque fait le péché, est esclave du péché » (Jean 8.34).

Il peut paraître, au premier abord, que l’homme tombé n’éprouve pour son Dieu et son Père que de l’indifférence ; mais dès que Dieu s’approche et parle avec lui, il devient évident que » l’affection de la chair » est, comme le dit l’Ecriture, « inimitié contre Dieu » (Romains 8.7). Lorsqu’il ne peut plus échapper à l’appel de l’Eternel, Adam cherche à expliquer sa fuite. Il tait le vrai motif. Le premier mot de l’homme tombé est un mensonge, une vaine excuse, un essai déloyal de se justifier lui-même et de voiler sa faute. Mais la voix de Dieu devient plus pressante et met au jour la vraie cause de sa crainte. Alors, au lieu de s’avouer coupable, il répond : « La femme que tu m’as donnée m’a offert du fruit, et j’en ai mangé ; » c’est-à-dire qu’il rejette la faute sur sa femme et — chose plus odieuse encore — sur celui qui la lui a donnée, son Dieu et son Père ! Le mensonge, le murmure contre Dieu, la malveillance envers le prochain, et jusqu’au blasphème : voilà donc ce qui sort de son cœur ! Il faut qu’il ait raison dans son péché même. C’est sa faible femme qui sera la coupable, et finalement Dieu lui-même qui sera la cause de tout le mal ! Adam reproche à son bienfaiteur son plus grand bienfait. Mais il ne songe pas à expliquer pourquoi il a obéi à la voix de sa femme et à celle du serpent, plutôt qu’à celle de Dieu. Eve ne se repent pas davantage ; elle s’excuse ; elle jette toute la faute sur le serpent ; elle prétend n’avoir agi que par ignorance. Mais pourquoi elle a plutôt eu foi aux mensonges du serpent qu’au commandement de Dieu et aux conseils de son mari, de cela Eve non plus ne dit rien !

N’est-ce- pas ici la fidèle image de ce que notre propre cœur est par nature : combien froid envers Dieu, enclin au mensonge, prompt à se justifier, égoïste, prêt à braver le Tout-Puissant, à blasphémer la majesté et l’amour du Père éternel ! Tel est l’abîme de corruption où nous sommes tombés : incapables de confiance filiale, de vraie crainte et d’amour pour Dieu, éloignés de lui par notre mauvaise conscience, qui à son tour devient la source de tant de volontés, de paroles et d’actes coupables !

Tant qu’il est en ce monde, l’homme s’en tire encore, grâce aux distractions et aux jouissances qu’il trouve dans les créatures, bien que parfois le chagrin, l’ennui et une amertume profonde l’accompagnent. Mais enfin, tant bien que mal, en cette vie il parvient à se cacher parmi les arbres. Lorsqu’il a franchi le seuil du monde invisible et de l’éternité, alors plus question de se cacher, d’échapper à la voix de Dieu qui demande compte ! Seul avec lui-même et avec son cœur mauvais en présence de Dieu, sa corruption intérieure, sa mauvaise conscience le rongent comme un ver qu’il n’est pas en son pouvoir de tuer. Il ne trouve en lui-même aucun remède à son mal, car le seul moyen de guérison, la franche confession de sa faute et le jugement sans réserve prononcé sur lui-même, l’homme déchu, s’il le connaissait, refuserait de s’en servir.

Le cœur de nos premiers parents présente donc déjà les traces d’une corruption qui, à moins que le Seigneur n’intervienne par sa puissance et son amour, déploiera ses effets jusque dans l’éternité et plongera l’homme dans une misère sans terme. Si Dieu eût voulu faire usage de son droit absolu, il eût donc pu nous rejeter pour toujours.

II

Mais ce n’est point ce qu’il a fait. « Il ne nous a pas traités selon nos péchés, et ne nous a pas rendu selon nos iniquités » (Psaumes 103.10). Sans doute, il inflige à Adam et à ses descendants des peines méritées : travail, souffrance, mort ; mais ces peines mêmes sont de salutaires et paternelles corrections, et au lieu d’une mort éternelle, il leur ouvre la perspective consolante d’une semence de la femme qui écrasera la tête du serpent. Il dit à ce dernier : « Sois maudit ; » il ne dit rien de pareil à Adam et à Eve. En s’adressant au serpent, c’est l’ennemi invisible, dont il a été l’instrument, que Dieu menace et maudit. Le menteur, le meurtrier qui nous a perdus, a mérité ce châtiment ; et le serpent, objet de crainte et de dégoût, reste comme un symbole qui nous rappelle comment, par la ruse du diable, la mort est entrée dans le monde [note 4].

En voyant devant lui les deux malheureux pécheurs, Dieu n’oublie pas qu’ils sont ses créatures, faites à son image et pour sa gloire. Bien qu’il ne trouve pas chez eux le repentir, il se souvient pourtant qu’ils ont été séduits et qu’ils n’ont pas, comme Satan, inventé eux-mêmes et introduit le péché dans la création. Mais la menace : « Tu mourras de mort ! » ne peut être révoquée et doit s’accomplir. Ils ne descendent pas, il est vrai, le jour même dans la tombe ; mais ils commencent déjà de mourir ; car, au lieu de s’élever à l’état bienheureux où l’on ne meurt plus parce que la vie est plus puissante que la mort, ils sont dès maintenant tombés dans l’état misérable où la vie ne peut se maintenir, parce que la mort est plus forte qu’elle. Le péché leur a fermé la source de la vie divine. Au jour de sa chute, Adam est mort ; bien qu’il ait vécu encore des siècles sur la terre maudite, il porte dès ce jour dans ses membres la loi qui l’oblige à mourir, la mort elle-même.

Les autres peines dont Dieu frappe Adam et Eve sont appropriées à la faute particulière de l’un et de l’autre. A la femme qui, cédant à l’attrait du plaisir, s’est rendue indépendante de son mari, Dieu dit : « Tu enfanteras avec douleur, et tu seras assujettie à ton mari. » Elle avait rêvé de devenir pareille à Dieu, et elle s’entend dire : « Il dominera sur toi. » La dépendance, où le Créateur l’avait placée d’abord, devient par la chute plus complète et plus sévère.

Adam n’a pas été fidèle à sa noble mission de protecteur de sa femme et de gardien du paradis. Sa tâche lui est rendue plus dure et plus difficile. Ce n’est plus le jardin de Dieu, c’est la terre infertile qu’il devra cultiver pour nourrir les siens ; il faudra qu’il travaille à la sueur de son visage. Dans quelque vocation que ce soit, l’homme sent maintenant l’amertume de la malédiction qui a frappé la terre à cause de lui.

Mais ces châtiments sont en même temps un remède salutaire. La désobéissance est punie ; mais, en portant sa peine avec patience, l’homme est purifié et préparé’ à la guérison complète. Adam et Eve sont mis à l’école de l’humiliation ; ils portent leur croix ; la carrière qu’ils ont à fournir sera longue, mais bénie ; car elle les ramènera à Dieu.

Les classes de la société humaine qui ont la vie la plus facile, sont aussi celles qui sont exposées aux plus grandes tentations et chez lesquelles la corruption croissante du genre humain atteint tout d’abord son point culminant. Le travailleur chargé de soucis, la mère de famille pauvre, sont exposés à moins de périls. C’est dans les situations de ce genre qu’on trouve encore aujourd’hui le plus de bien. Ceux qui sont appelés à porter une lourde part du fardeau imposé à Adam et à Eve, trouvent dans cette nécessité même — si du moins leur cœur ne s’endurcit pas lui-même — un secours et une préparation au royaume de Dieu.

Nous sommes maintenant réconciliés avec Dieu ; la séparation entre lui et nous a été ôtée ; nous sommes nés de lui. Nous devons tous néanmoins porter le fardeau imposé à nos premiers parents. « Nous sommes enfants de Dieu ; mais ce que nous serons n’a pas été manifesté » (1 Jean 3.2). Destinés à porter un jour l’image du Christ céleste, nous portons encore celle de l’Adam terrestre, auquel il a été dit : « Tu es poudre, et tu retourneras en poudre » (1 Corinthiens 15.45-49). Nous avons donc à porter notre part de la peine commune, à travailler aussi pour notre nourriture et notre vie, et si quelque fléau fond sur notre peuple, à prendre de bon cœur notre part de sa souffrance. En tout cela, nous reconnaissons des châtiments paternels et bienfaisants, et la souffrance est adoucie par les divines consolations de l’amour et de l’espérance. Sans la douleur, bientôt partout le sérieux aurait disparu et le zèle pour Dieu serait évanoui. L’affliction, accompagnée de la grâce, devient la source la plus puissante de la vraie joie. La chair souffre — car tout châtiment paraît d’abord un sujet de tristesse et non pas de joie — mais l’esprit est abondamment consolé. Nous nous glorifions même dans les afflictions, et nous ouvrons joyeusement notre cœur et notre bouche pour adorer et louer notre Dieu, et pour lui rendre grâces.

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