Méditations sur la Genèse

VIII
Les Derniers Temps avant le Déluge

Genèse 6.1-12

I

Par quels crimes la génération du déluge avait-elle mérité un si terrible châtiment ? L’Ecriture ne dit pas que les hommes de ce, temps aient été de plus grands pécheurs que ceux des temps postérieurs. Par les « fils de Dieu » (v. 2), on a quelquefois entendu des anges tombés ; cette opinion a été émise chez les Juifs, — ainsi dans le livre apocryphe d’Hénoc, — puis par quelques Pères de l’Eglise. Mais, d’après notre récit, Dieu est irrité contre les hommes, non contre des anges ; et c’est le genre humain qui est frappé par le jugement. Aussi, selon nous, les fils de Dieu sont des hommes chez lesquels l’image de Dieu s’était conservée plus pure que dans le reste de l’humanité, les descendants de Seth, demeurés fidèles à la Parole et au culte du vrai Dieu [note 7]. Ce peuple de Dieu aurait dû rester séparé des descendants de Caïn. Comme, plus tard, entre Israélites et Cananéens, il n’aurait pas dû se faire d’unions entre fils de Dieu et filles des hommes. Salomon est un exemple du danger que présentent toujours de pareilles unions ; le plus sage des rois en vint jusqu’à sacrifier aux idoles et attira sur lui la colère de Dieu (1 Rois 11.1-13). Ce qui restait encore de fils des anciens justes, fut entraîné dans la corruption. Se marier n’est évidemment point un péché ; mais ces fils se mariaient contre le gré de leurs pères : « Ils prirent pour femmes celles qu’ils voulurent. Désobéissants envers leurs parents, sans respect pour le joug protecteur de la famille, ils ressemblaient à hommes des derniers temps dont le caractère sera le mépris de la loi de Dieu et l’insubordination envers leurs parents (2 Timothée 3.2)

L’effet de ces unions coupables fut l’apparition d’une race de géants et de tyrans admirée dans le monde, mais rejetée de Dieu. Toutes les fois que l’Esprit se mêle à la chair, le ciel à la terre, que le don de Dieu est au service de l’esprit du monde, il sort de ce mélange quelque chose de grand, qui excite l’admiration et l’enthousiasme des hommes. Si les peuples chrétiens de nos jours sont supérieurs à tous les autres, cela tient aux énergies nouvelles dont les a doués le christianisme, et qui sont venues se mêler à l’esprit du monde et le servir. Quand un chrétien renie sa foi pour retourner au monde, il n’est pas rare qu’il obtienne de grands succès et s’attire les louanges et l’admiration des hommes. Mais l’Esprit de Dieu ne nous le cache pas : cette mondanisation des enfants de Dieu, que beaucoup envisagent comme chose indifférente, est la source des maux les plus graves et hâte le jugement. Pendant que les hommes rêvent d’une puissance et d’un bien-être croissants, le déluge les emporte soudain. N’y a-t-il pas dans un tel exemple de quoi nous engager à servir le Seigneur d’un cœur pur, à ne pas nous écarter un instant de la route qu’il nous trace, et à ne jamais chercher l’amitié du mondé ? « Qui veut être ami du monde, se rend ennemi de Dieu » (Jacques 4.4).

Ce qui mit le comble à la corruption, c’est le refus d’accepter la répréhension du Seigneur (v. 3). En vain Dieu s’efforce de montrer aux rebelles leurs fautes et le danger imminent ; leur sens charnel oppose une invincible résistance à l’Esprit de vérité. C’est ce péché-là qui finit par faire éclater le jugement. Aux dispensations extérieures de la Providence, se joignent les appels intérieurs de l’Esprit, qui cherche à humilier et à convertir les pécheurs. Mais le monde lui ferme la porte. L’Esprit-Saint ne se lasse pas : il parle par les discours et la vie des serviteurs de Dieu. Mais ni la prophétie et l’enlèvement d’Hénoc, ni la prédication de Noé et la construction de l’arche, ne parviennent à réveiller les consciences endormies et à convaincre le inonde de son injustice ; tout est inutile ! Comme les contemporains de Jésus, les hommes du déluge méconnaissent le temps de leur Visitation : ils ferment leurs cœurs à la vérité ; ils préfèrent les ténèbres à la lumière ; ils comblent la mesure de leur péché et rendent le jugement inévitable. Quand les rebelles, individus ou peuples, acceptent la répréhension, donnent gloire à Dieu, reconnaissent son droit et leur culpabilité, il y a encore de l’espoir. Des vices graves ont régné à certaines époques chez les peuples chrétiens ; mais, sous le coup des châtiments divins ou à la voix des témoins de la vérité, les cœurs étaient saisis ; on tremblait à la pensée du jugement, et des peuples entiers faisaient pénitence, comme les habitants de Ninive aux jours de Jonas. Ainsi, au moyen-âge. La génération de Noé n’en fit rien. Ce vieux monde, ce monde de pécheurs, n’accepta pas la répréhension, et le prédicateur de la justice, Noé, finit par s’y trouver tout à fait isolé.

Ne faut-il pas reconnaître que notre temps offre une effrayante ressemblance avec celui-là ? Où voit-on de nos, jours, même après les épreuves publiques les plus douloureuses, quelques traces de repentir et de retour au bien dans la vie nationale ? La prédication sérieuse du jugement répugne à nos contemporains ; les voix qui annoncent la venue du Juge des vivants et des morts excitent leurs railleries et leur colère. Il semble qu’aujourd’hui comme alors tout respect pour la Parole de Dieu soit près de disparaître pour faire place à l’indifférence, qui est le signe précurseur du jugement.

Il y a beaucoup à reprendre chez nous, tout éclairés que nous soyons de l’Esprit de Dieu ; notre salut dépend de la manière dont nous recevrons la répréhension. Nous avons reçu la grâce de Dieu ; c’est cette grâce même qui réclame de nous le renoncement à toute convoitise mondaine (Tite 2.11-12) ; pareille à un glaive à deux tranchants, elle veut pénétrer notre être intime pour y détruire le secret amour du péché. Laissons-lui libre cours ; c’est l’unique moyen d’échapper au jugement !

II

« Dieu se repentit d’avoir fait l’homme. » Cela ne veut point dire qu’il blâme sa propre œuvre. Mais il peut la rendre au néant. Il se suffit parfaitement et n’a nul besoin des créatures. Mais il s’abaisse jusqu’à elles ; il sent et souffre avec elles ; son Esprit est attristé quand les enfants de Dieu pèchent. Cette souffrance divine trouve un écho sur la terre dans le cœur des serviteurs de Dieu. Les patriarches ont souffert à la vue de la corruption grandissante et de l’inutilité de leurs efforts pour la combattre. Le juste Lot affligeait chaque jour son âme de ce qu’il voyait et entendait des œuvres des impies. » Cette douleur fut pour eux de toutes la plus grande ; ce fut une divine tristesse ; Dieu était contristé en eux. Ils éprouvaient quelque chose de ce qu’éprouve le Fils de Dieu à l’égard des pécheurs ; ils goûtaient d’avance à la coupe d’amertume qu’il dut boire.

Les péchés de notre génération sont-ils pires que ceux de ce temps-là ? Quoi qu’il en soit, la situation est grave, et la sévérité de Dieu ne sera pas moindre aujourd’hui qu’alors. Le péril est même plus grand pour notre chrétienté que pour l’ancien monde. Placés plus haut, nous pouvons tomber plus bas ; ayant reçu davantage, il nous sera plus redemandé. Les moqueurs du temps de Noé ont péri ; qu’adviendra-t-il des moqueurs des derniers temps, de ceux qui disent : « Où est la promesse de son avènement ? » de ces chrétiens infidèles dont la révélation décrit l’endurcissement et les blasphèmes (2 Pierre 3 ; Apocalypse 16.11-21) ? Une première fois la terre a été ravagée par l’eau à cause de l’homme ; elle le sera une seconde fois par le feu ; n’est-ce pas dire que le jugement à venir sera plus terrible encore que celui du déluge ?

La bonté de Dieu se révèle dans toute cette histoire autant que sa sévérité. Toute chair avait corrompu sa voie, et la terre était pleine de violence. Cependant Dieu donne encore à l’homme cent-vingt ans de répit, se réservant d’épargner ceux qui profiteraient de ce temps de grâce pour se convertir. Sa patience sait attendre ; avant même que l’on crie à lui, il est prêt à exaucer, et il fait entendre à tous l’appel de sa grâce par la bouche de Noé. Sous leurs yeux se construit l’arche qui servira de refuge à tous ceux qui se convertiront. C’est ainsi que les témoignages de sa bonté et de sa patience vont de pair avec ceux de sa justice. N’y a-t-il pas là un gage de la miséricorde qu’il éprouve encore pour son peuple ? Son cœur n’a point changé ; il attend pour nous faire grâce ; sa puissance et son amour, qui ont brillé dans le salut de Noé et de sa famille, se manifesteront aux derniers temps, en faveur de ceux — s’il en trouve — qui se convertiront à lui de tout leur cœur.

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