Méditations sur la Genèse

XVIII
Abraham Sauve Lot de la captivité

Genèse ch. 14

I

Lot ne songeait qu’à jouir de la vie facile et confortable qu’il s’était faite dans cette belle vallée où croissaient le palmier, la vigne et les aromates, lorsque soudain éclata du nord l’orage de la guerre. Kédor-Laomer et les rois qui l’accompagnent viennent rapiner jusqu’à l’extrémité sud de Canaan, et les géants eux-mêmes ne peuvent leur résister [note 18]. A leur retour, ils surprennent les cinq villes florissantes de la vallée de Siddim, qui s’étaient dans l’intervalle détachées de Kédor-Laomer [note 19]. C’est une guerre de représailles, et les représailles, en Orient, sont terribles. Un sort cruel attend les habitants de la plaine et leurs rois, vaincus dans la bataille. Les vainqueurs emmènent toute la population, avec ses biens ; et, parmi les captifs destinés à l’esclavage, à la mutilation ou à la mort, se trouvent aussi Lot et les siens.

Ces tyrans barbares étaient, dans la main de Dieu, une verge bien méritée pour les habitants de cette contrée. Le malheur de ceux-ci a une cause plus profonde que leur défection de Kédor-Laomer : ils sont méchants et ils pèchent excessivement contre l’Eternel.

La contrée d’Hébron, qu’habitait Abraham, était demeurée à l’abri de l’invasion. Un homme, échappé au désastre, vint le lui annoncer, ainsi qu’à ses amis, les trois frères amorrhéens, Mamré, Aner et Escol. Ils n’ignoraient pas les forces des envahisseurs ; mais ils pressentaient le sort cruel des captifs. Abraham n’aurait pas manqué de prétextes pour se tenir coi. Il aurait pu dire de Lot : C’est sa faute ! Il a mérité ce qui lui arrive ! Mais non. A peine a-t-il appris le malheur de son frère, qu’il arme 318 de ses serviteurs, nés dans sa maison, et se met à la poursuite de l’ennemi. Il fait acte à la fois de courage et d’une générosité bien rare. Ce courage, qui contraste si fort avec sa lâcheté en face de Pharaon, lui vient de sa foi. En Egypte, sa foi a chancelé ; depuis lors elle s’est raffermie. Il risque maintenant sa vie, confiant dans le Dieu vivant. Cette foi courageuse a sa source dans le sentiment du devoir. Comme chef d’une famille, il se souvient qu’il a le devoir d’en défendre tous les membres ; c’est là la tâche que Dieu lui a confiée. Il reconnaît ici un appel d’en-haut, et il obéit. Quand on est au clair sur la tâche que Dieu vous a donnée et qu’on obéit, il est aisé de se confier en lui. Ainsi fit Esther, qui exposa sa vie pour obéir à son devoir, et qui sauva son peuple, sans périr elle-même.

Abraham rejoint l’ennemi près de Dan, tout au nord de la Palestine. Avec autant de prudence que de hardiesse, il partage sa petite troupe et l’attaque de nuit et de plusieurs côtés à la fois. Il en fut comme dans cette nuit où Gédéon avec ses trois cents hommes battit les Madianites, au cri de : « L’épée de l’Eternel et de Gédéon ! » (Juges 7.16-25). Dieu frappa de terreur les ennemis, et ils s’enfuirent en abandonnant un riche butin, poursuivis par Abraham jusqu’en Syrie. Cette guerre est la première que mentionne l’Ecriture. Abraham est le premier dans la série des héros de la foi dont l’apôtre dit : Par la foi ils ont conquis des royaumes, ils ont été vaillants dans la guerre, et ils ont mis en fuite les armées des étrangers » (Hébreux 11.33-34). Mais ce n’est pas à lui seul que revient l’honneur de la victoire ; il ne faut pas oublier les trois amis qui avaient consenti à lui prêter leur concours. Ils appartenaient à l’un des peuples païens de Canaan ; cependant ils étaient ses alliés courageux et fidèles, ils partageaient sa confiance en Dieu ; eux aussi, sans doute, ont obtenu la justice de la foi.

Le combat qui nous est imposé ne peut se livrer avec des armes charnelles. Nous avons à lutter non avec les hommes, mais avec les puissances invisibles, qui agissent en ce monde de ténèbres chez les hommes incrédules et rebelles (Éphésiens 6.12) ; nos armes contre elles sont spirituelles — la prière, la Parole de vérité, la persévérance de la foi, la volonté de souffrir. Comme Abraham, nous avons à défendre ceux que Dieu nous a confiés contre l’incrédulité, les mauvais exemples, les séductions de toutes sortes, et à les arracher de la gueule du lion, s’ils sont déjà tombés en son pouvoir. Que chacun s’acquitte de cette tâche en suivant les traces de la foi d’Abraham ! Et que, sans crainte des hommes, ni ménagements envers nous-mêmes, faisant le sacrifice de l’amitié et de la faveur des impies et comptant absolument sur Dieu, nous combattions avec un amour désintéressé pour nos frères et nos enfants !

II

Lot et tout le peuple captif avec lui étaient sauvés, et reprenaient, sous la protection d’Abraham, le chemin de leurs foyers. Abraham rapportait le butin enlevé par l’ennemi. Le roi de Sodome, réfugié dans la montagne après la défaite, sort de sa retraite pour le remercier d’un si grand service : « Donne-moi les personnes, lui dit-il, et garde les richesses pour toi. » Une fois de plus, Abraham prouve son désintéressement, disons mieux, le sens céleste qui l’animait. Tout Canaan lui était promis, mais il était résolu à ne le recevoir que de la main de Dieu. Il n’use pas de sa victoire pour faire des conquêtes ou pour se créer une souveraineté à côté des rois de Canaan ; il refuse même ce qu’il a légitimement gagné, les trésors de Sodome ; il ne veut entrer en aucune relation intime avec le prince de cette ville impie. Lot n’avait pas craint de devenir le concitoyen des Sodomites ; Abraham ne veut pas avoir d’obligations envers eux. Le sentiment de l’approbation de Dieu lui suffit. Il ne réclame que pour ses alliés la part qui leur revient. Il n’accepte rien pour lui-même et laisse au Seigneur le choix du temps et des moyens qu’il emploiera pour faire de lui, étranger, le maître de la terre promise et de tous les biens qu’elle renferme.

La prompte délivrance de Lot et du peuple de Sodome et le temps de grâce accordé encore aux impies, alors que le jugement avait déjà commencé, sont un grand exemple de la patience de Dieu. Qu’en résultera-t-il ? Les Sodomites ne s’amélioreront-ils point ? Lot ne rompra-t-il pas ses dangereuses relations avec eux, après que le Seigneur lui a si sévèrement parlé et lui a si miséricordieusement tendu la main alors que tout semblait perdu ? Nous le savons : les Sodomites ne se sont point améliorés ; Lot ne s’est point séparé d’eux et ne s’est point rapproché d’Abraham. Les gens de Sodome restèrent les mêmes, méprisant et les châtiments et les marques de la bonté et de la patience de Dieu, comme s’ils eussent ignoré que sa bonté nous convie à la repentance. — Telle est la manière d’agir du Seigneur à l’égard de ceux qui délaissent ses voies : il commence à frapper, puis il s’interrompt ; il châtie en père, cherchant encore à corriger. C’est un prélude des châtiments beaucoup plus sévères qui ne peuvent manquer, si nous ne changeons. Heureux ceux qui entendent sa voix et qui comprennent les intentions de son amour paternel ! Le Dieu fort fait toutes ces choses deux fois, trois fois à l’homme, pour retirer son âme de la fosse et l’éclairer de la lumière des vivants » (Job 33.29-30). Mais trop souvent le châtiment, comme la délivrance, passent sans laisser de traces. Parfois même, c’est au sortir d’une grave maladie que l’homme montre bien son impiété, ou lorsqu’un pays vient d’être frappé que ses habitants mettent au jour toute leur frivolité.

L’Apocalypse nous montre Dieu agissant de cette même manière. Au son des sept trompettes, diverses plaies se déchaînent ; mais une partie seulement de la terre, des eaux, des créatures vivantes et des astres est atteinte (Apocalypse 8.7-13). Les châtiments corporels et spirituels dont Dieu frappe déjà actuellement la chrétienté, sont encore tempérés par sa miséricorde ; il nous traite avec ménagements, il se lasse bientôt de punir. Mais si aucune conversion véritable n’intervient, des choses bien plus terribles — l’effusion des sept coupes — nous attendent. On verra reparaître les mêmes plaies, mais trois fois plus dures : elles frapperont non plus seulement une partie, mais la totalité de l’univers (Apocalypse 16.1-9).

D’où vient qu’une âme puisse, comme Lot, faire ces expériences sans être ramenée à Dieu ? A l’heure de la détresse, l’indifférent même crie à lui ; mais il ne pense qu’à écarter le danger de mort, la souffrance physique, la pauvreté ou la honte. La conscience n’y est pour rien. Aussi a-t-il bientôt tout oublié. L’œuvre de Dieu commence dans les profondeurs de la conscience. Quand celle-ci est réveillée et que l’homme est troublé au point de ne plus vouloir de repos qu’il n’ait obtenu le pardon de ses péchés et la paix qui surpasse toute intelligence, — alors on peut espérer qu’un nouvel homme naîtra. Il faut, à cet effet, que la Parole de vérité soit prêchée ; sans cette Parole, sans un ministère établi de Dieu, sans Eglise, comment le pauvre pécheur trouverait-il la voie qui ramène à Dieu, et ne se perdrait-il pas dans les ténèbres de l’erreur ?

Lot pouvait apprendre de la bouche d’Abraham et par son exemple voir comment Dieu doit être servi. Heureux sommes-nous, si, en ce temps où progressent l’ignorance et l’erreur, la Parole de Dieu nous est annoncée, et son conseil de salut prêché tout entier ! Il s’agit de nous mettre sans réserve, comme Abraham, du côté de Dieu, en sorte que non seulement nous sauvions notre propre âme, mais que — comme Abraham sauva Lot et ses compagnons de captivité — nous soyons-aussi en aide à d’autres par les prières de notre foi, par la proclamation de la vérité et par notre entière consécration au service de Dieu !

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