Méditations sur la Genèse

XXV
L’Intercession d’Abraham

Genèse 18.16-33

I

Abraham accompagne les trois inconnus, lorsqu’ils se lèvent pour se rendre à Sodome. Il avait déjà un pressentiment de ce qu’ils étaient ; mais il n’avait pas osé le faire paraître jusqu’à ce moment. Pendant la route, l’Eternel se donne clairement à connaître à lui. Sa majesté éclate dans ses paroles ; et lorsque, sur son ordre, les deux anges poursuivent leur voyage vers Sodome, tandis que lui-même demeure avec Abraham, le mystère qui, pour ce dernier, enveloppait son interlocuteur est dissipé, et Abraham n’a plus qu’à se prosterner en adorateur devant le Seigneur son Dieu.

« Comment cacherais-je à Abraham ce que je m’en vais faire ? » dit l’Eternel. Jésus dit à ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que son maître fait ; je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père » (Jean 15.15). C’est une confiance semblable que Dieu accorde à Abraham ; il a vu que sa promesse de grâce n’est point tombée dans un cœur indifférent ou ingrat, et qu’Abraham prend au sérieux la tâche de glorifier par ses actes Celui qui l’a choisi par pure et libre grâce. « Je sais qu’il ordonnera à ses fils et à sa maison après lui de garder mes voies et de faire ce qui est juste et bon. » Voilà le fruit que Dieu réclame de la foi. Est-ce un homme qui inculquera aux siens les commandements de Dieu ? C’est à cette pierre de touche que Dieu juge chacun de ses serviteurs. Un tel homme lui était en ce moment particulièrement nécessaire ; il cherchait, au milieu de la corruption générale et grandissante, une famille où ses commandements seraient observés et transmis d’une génération à l’autre. Il l’a trouvée maintenant. Abraham est la racine d’où sortira un peuple juste ; à lui se rattacheront tous les justes que la terre verra jusqu’à la fin des temps. Il est la racine de l’olivier franc ; et cette racine nous porte aussi, nous, qui par nature appartenions à l’olivier sauvage, mais qui, par un acte de la grâce de Dieu, avons été entés sur l’olivier noble (Romains 11.16-17).

Abraham s’est attiré la faveur de Dieu par son ferme dessein d’inculquer à ses fils ce qui est juste et droit. Dieu veut avoir pour serviteurs des hommes qui mettent un saint zèle à faire prévaloir sa loi parmi leurs subordonnés. Quelle tendresse n’éprouve-t-il pas pour un père, pour une mère qui font tout, par leurs paroles et leur exemple, pour élever chrétiennement leurs enfants ! Quelle récompense ne réserve-t-il pas aux princes — s’il en trouve — qui, dans ce siècle d’apostasie, tiennent encore pour la justice et la vertu chrétienne ! Mais plus glorieuse encore est la promesse faite aux ministres de Christ : « Allez et instruisez toutes les nations, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé », leur a-t-il dit, et il a ajouté : « Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28.20). Cette promesse suppose la fidélité des ministres. Elle tomberait d’elle-même s’ils venaient à ne plus enseigner ce que le Maître a commandé, ou à enseigner ce qu’il n’a pas commandé. Mais tant qu’ils feront leur devoir, ils peuvent s’appuyer sur cette promesse comme sur le roc.

Que les pères et les mères se gardent d’oublier la dignité et l’autorité que Dieu leur a confiées, de fermer les yeux quand leurs enfants commencent à mal faire, ou, comme le faible Eli, de ne les reprendre que par de vaines paroles ! Luttons plutôt de toute notre énergie, comme Dieu nous en a confié la sainte mission, pour faire respecter ses commandements ; veillons sur tous ceux qui nous sont subordonnés ; combattons pour eux ; celle promesse est à nous : « En faisant cela, tu te sauveras loi-même, et ceux qui t’écoutent » (1 Timothée 4.16).

Dieu révèle à Abraham ce qu’il se propose de faire de Sodome et de Gomorrhe. Leurs péchés effroyables crient jusqu’au ciel, et, pour la dernière fois, leurs habitants vont être mis à l’épreuve. L’Eternel sait bien ce qui est caché dans les cœurs ; mais il veut le tirer au grand jour, afin que chacun puisse reconnaître ce qui en est des Sodomites ; il veut que les pécheurs eux-mêmes finissent par se condamner et que toute créature soit obligée de confesser que ses jugements sont justes. Avant d’exécuter son décret, il fait en sorte que les pécheurs sachent pourquoi ils sont jugés.

La ruine de Sodome et de Gomorrhe était déjà imminente, que nul n’en avait le moindre pressentiment. Quand elle s’accomplit, les mondains purent n’y voir qu’un événement accidentel, une catastrophe naturelle, un effet du hasard, un fait sans relation avec la vie coupable de leurs habitants. L’impénitent est aveugle pour ce qui vient de Dieu ; il ne voit partout que la nature ; il ne discerne pas la main du Seigneur. Mais ce qui lui échappe fut dévoilé à Abraham ; le décret de Dieu lui fut révélé, et avant même qu’il s’exécutât, il put l’envisager sous son vrai jour. Ne soyons pas surpris si de nos jours le monde aveuglé et enivré s’avance, sans en avoir la moindre idée, au-devant de jugements imminents ; remercions Dieu, qui nous a ouvert les yeux et qui nous donne, dans sa bonté, de savoir dans quel temps nous sommes. « Voici, le Juge est à la porte » (Jacques 5.9). Il est à la porte de la chrétienté infidèle. Mais, avant d’entrer, il heurte et il appelle, afin que l’on sache à quoi il faut se préparer. C’est là ce qu’il fait de nos jours. Sans que nous le voyions, déjà sa voix se fait entendre. Pas plus qu’Abraham il ne veut laisser dans l’ignorance de ses desseins aucun de ceux qui sont disposés à l’écouter.

Abraham reçoit, avec la révélation du terrible jugement qui va éclater, la mission d’en transmettre le souvenir à ses descendants. Il faut que le jugement sur les impies soit proclamé de génération en génération. Les serviteurs de Christ n’ont pas seulement à prêcher la paix, mais aussi à rendre témoignage au Juge des vivants et des morts (Actes 10.42). Ils s’attireront par là la haine et la colère des gens du monde, leurs railleries, quelquefois la persécution. C’est parce que les prophètes n’annonçaient pas seulement les promesses de Dieu, mais aussi ses châtiments, la ruine de Jérusalem et du temple, que les Juifs les ont de tout temps maltraités et tués. Mais il faut que cette proclamation ait lieu. Les évangélistes que le Seigneur envoie aujourd’hui, ne sont pas seulement des messagers de paix, mais aussi de jugement. Leur mission est difficile et redoutable, et vraiment ils ont besoin, pour la remplir, d’être soutenus par les croyants.

II

La communication divine imposait à Abrabam un autre devoir encore. Se rappelant les jugements des temps primitifs, il devait pressentir que Dieu allait frapper Sodome et Gomorrhe de quelque catastrophe terrible comme celle du déluge. Ce pressentiment le pousse à intercéder. Il montre par là qu’il est bien dans l’esprit du Seigneur. Son intercession révèle un cœur également plein d’amour pour les hommes et d’humilité devant Dieu. Annoncer les jugements de Dieu et ne pas intercéder, ce ne serait pas agir selon l’Esprit de Christ. Intercéder et taire le jugement qui menace, ce ne serait pas non plus agir selon cet Esprit. Il ne faut pas que, par une fausse tendresse, par une charité mal entendue, ou par crainte des hommes, le témoignage prophétique qui parle de la colère à venir soit étouffé. Si nous y croyons, cette foi même doit être pour nous le plus puissant motif d’intercéder. Quoi de plus triste et de plus dangereux que d’être au clair sur les catastrophes imminentes, sans qu’il y eût dans nos cœurs ni sympathie ni intercession pour nos frères !

Abraham prie pour tous les habitants de Sodome sans distinction. Il y avait pourtant entre eux des différences : il y avait la masse entièrement pervertie ; il y avait aussi Lot et sa famille, une poignée de gens connaissant et craignant Dieu, mais relâchés, tièdes, plus ou moins mondanisés. Abraham a prié pour tous, particulièrement pour les justes qui pouvaient se trouver là, mais aussi pour la population tout entière. Notre tâche est aussi d’intercéder avec une ferveur et une cordialité particulières pour tous ceux qui craignent Dieu et confessent encore le nom de Jésus, mais en même temps d’implorer sa miséricorde pour tous ceux qui méprisent la grâce de leur baptême et qui suivent la voie large de la perdition.

« J’ai pris la hardiesse de parler au Seigneur, bien que je ne sois que poudre et cendre ; je te prie de ne point t’irriter, si je parle encore une fois ! » Ainsi prie Abraham. Cette humilité sied aux enfants de Dieu. Si nous prions pour les tièdes et pour les pécheurs, que ce ne soit pas en nous donnant pour meilleurs qu’eux ; jetons-nous avec eux dans la poussière, en nous agenouillant à côté d’eux et nous humiliant comme tous devraient le faire ! Nous sommes de la même chair qu’eux ; nous ne sommes, si Dieu nous retire son Esprit, que poudre et cendre, incapables d’aucun bien et indignes d’élever nos regards vers lui. Une prière sans humiliation n’a point de valeur à ses yeux. « Les sacrifices de Dieu sont l’esprit froissé ; tu ne méprises point le cœur froissé et brisé » (Psaumes 51.19).

Abraham a compris les voies de Dieu ; il sait qu’il épargnera le juste et ne le rejettera pas avec l’impie ; que, pour l’amour de quelques justes, il supporte parfois longtemps la multitude des impies, — longtemps, mais pas à toujours ! Il en est encore ainsi maintenant ; mais le monde n’y prend pas garde ; il ne sait pas quel est le sel qui, jusqu’à ce jour, a préservé l’humanité de la pourriture et de la destruction, et il ne soupçonne pas par quelle miraculeuse intervention, quand l’heure du jugement aura sonné, Dieu saura mettre les justes en sûreté.

Abraham lutte sans se lasser avec le Seigneur. Six fois il revient à la charge, et six fois il obtient une réponse favorable ; il réclame enfin et il reçoit l’assurance que si, non pas cinquante, ni quarante, mais seulement dix justes s’y trouvent, Sodome ne périra pas encore. Après cela, il peut s’en retourner chez lui consolé et cependant plein d’angoisse. Les dix justes se trouveront-ils ? Qui le sait ? Sans doute, il passe une nuit sans sommeil, pendant que les Sodomites mettent le comble à leur malice et à leurs crimes. Il ne réussit pas à sauver Sodome ; cependant son intercession n’est pas perdue ; sa prière est exaucée ; sa lutte avec Dieu n’est pas demeurée sans résultat. Cet exaucement, ce résultat, c’est la délivrance de son frère Lot. Heureux, si un jour il nous est aussi donné de rencontrer des frères que notre intercession aura sauvés !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant