Méditations sur la Genèse

XXXV
Esaü Méprise son Droit d’Aînesse

Genèse 25.27-34

I

Et les enfants devinrent grands, et Esaü fut un habile chasseur, un homme de campagne ; mais Jacob fut un homme tranquille, se tenant dans les tentes. » Il semble, à lire ces mots, qu’il ne convienne pas qu’un homme pieux soit chasseur ou agriculteur. Ce n’est pourtant pas là le sens de ces paroles. Esaü abandonne la vie pastorale de ses pères. Ce n’est pas ce changement de vocation qui est blâmable, mais bien l’esprit qui anime Esaü. On retrouve chez lui la nature indomptable et la sauvage rudesse d’Ismaël. De plus en plus il fut évident qu’il cherchait sa part dans ce monde. — Jacob habite dans les tentes ; il conserve le genre de vie des patriarches, non seulement par inclination naturelle pour une vie tranquille, mais par amour pour le culte et la Parole de Dieu. C’est Isaac qui préside au culte, qui invoque le nom de l’Eternel et qui proclame sa vérité ; Jacob entend la Parole de Dieu de la bouche de son père et de sa mère. La vieille prophétie de Noé disait : « Dieu habitera dans les tentes de Sem. » Voilà ce qui attachait Jacob à ces tentes. Particulièrement attentif aux enseignements de sa mère, il apprenait d’elle quelles étaient les promesses données à Abraham, et son plus grand désir était d’en devenir l’héritier. Nous n’inventons rien en disant qu’il y attachait plus de prix qu’Esaü : cela ressort de toute leur histoire.

Jacob persuade à son frère de lui vendre son droit d’aînesse. Esaü y consent et le lui cède pour un plat de lentilles. Etait-il loyal de la part de Jacob de proposer à son frère un tel marché ? Non, sans doute ; cette conduite ne peut être ni agréable à Dieu, ni approuvée des hommes. Les biens futurs et célestes ont à ses yeux une grande valeur : voilà ce qui est beau chez lui ; mais il cherche à se les assurer avant le temps par l’emploi de moyens injustes : voilà le mal. Il eut dû prendre patience et s’en remettre à Dieu, comme David qui, déjà oint pour roi, n’emploie ni ruse, ni violence pour renverser Saul et prendre sa place, mais lui demeure fidèle et laisse à Dieu le soin de l’élever lui-même sur le trône. Jacob commet la même faute qu’Abraham, lorsque, pour obtenir le fils promis, il a recours à un mauvais moyen, que lui commande la prudence charnelle, et prend Agar pour femme.

L’Ecriture n’approuve pas plus ce trafic du droit d’aînesse que la ruse par laquelle Jacob obtiendra plus tard la bénédiction paternelle. Dieu lui envoie une série de châtiments sévères dont bientôt nous reparlerons. Jacob croyait en Dieu ; mais Dieu ne passe pas leurs fautes aux croyants. Il châtie ses enfants ; il ne les traite pas comme un prince faible et sans caractère traite ses favoris. Il est sévère envers eux, et, pour les humilier et les purifier, il n’épargne pas la verge.

« Prenez garde, dit l’auteur de l’épître aux Hébreux, qu’il n’y ait point parmi vous d’impur ni de profane, comme Esaü, qui, pour un mets, vendit son droit d’aînesse » (Hébreux 12.15-17). Esaü est désigné ici comme un profane ou plutôt encore un impur. Ce jugement, qui peut paraître dur, se justifie par les propres paroles d’Esaü : « Voici, je vais, mourir ; de quoi me servira ce droit d’aînesse ? » Ces paroles révèlent les pensées secrètes de son cœur. Comme le dit l’Ecriture, « il méprise son droit d’aînesse. »

Qu’était-ce que ce droit d’aînesse ? L’héritage d’Abraham ne comprenait pas seulement des biens périssables, mais, avant tout, cette bénédiction céleste qui devait descendre sur sa postérité pour découler ensuite sur toutes les familles de la terre, et qui renfermait le don du Saint-Esprit et des biens éternels. Abraham était le seul homme sur la terre auquel appartint cette promesse qui maintenant reposait sur Isaac, et qui pouvait passer à Esaü. De tous les mortels, aucun n’avait à vendre un droit d’aînesse pareil à celui d’Esaü. C’est cet héritage qu’il livre pour un mets et qu’il méprise en disant : « Je m’en vais mourir ! » Cela seul a donc du prix pour lui, que l’homme peut goûter avant la mort ; ce qui pourra venir après n’a que peu ou point de valeur. Où est ici la foi d’Abraham ? Esaü semble dire : Abraham, mon grand-père, qui a si longtemps attendu l’accomplissement de la promesse, est mort sans l’avoir obtenu ; mon père va mourir aussi ; de quoi leur a servi leur espérance ? Il calcule comme les incrédules. Ce qu’on peut manger et boire est certain ; ce qui est au-delà de la tombe est incertain. Abraham a cru Dieu fidèle et n’a point douté que ce qu’il avait promis, il ne pût le faire et ne le fit un jour. Il est mort dans la foi, attendant la résurrection et la vie à venir. Esaü n’attend rien de pareil. Il préfère le plat de lentilles à tout ce qu’on lui promet de cette vie-là-peu lui importent la Parole divine et le Dieu de ses pères. C’est ainsi qu’Abraham est devenu le père des croyants et Esaü le précurseur des incrédules, qui disent : « Mangeons et buvons ; car demain nous mourrons ! » (1 Corinthiens 15.32)

C’est à cause de ces dispositions qu’Esaü est appelé un impur. La foi purifie les cœurs ; l’incrédulité, le mépris de ce qui est éternel, est une souillure de l’esprit, une profanation du sanctuaire le plus intime du cœur humain. Mais cette souillure n’existe pas seulement chez les impies et les moqueurs, qui disent hautement : « A quoi me sert ce droit d’aînesse, puisque je m’en vais mourir ! » Elle est déjà chez l’homme qui ne fait qu’exprimer timidement ces principes d’incrédulité, ou qui les cache soigneusement dans son cœur et ne les montre que par sa manière de vivre et d’agir. L’apôtre nous met en garde contre ce secret mépris de Dieu, de sa Parole, de son jugement, de la promesse de la vie éternelle, en disant : « Prenez garde qu’il n’y ait point parmi vous d’impur comme Esaü ! »

II

Avons-nous aussi un droit d’aînesse que nous puissions conserver ou vendre ? Nous en avons un ; nous l’avons reçu dans le baptême. Nous appartenons à la nouvelle création qui a pris naissance avec la résurrection de Jésus-Christ. Nous avons reçu le droit d’être enfants de Dieu et d’être comptés au nombre des héritiers de son royaume. Il y a une Eglise des premiers-nés, qui sont inscrits dans le ciel, à laquelle l’apôtre nous dit que nous avons été joints (Hébreux 12.23). Il en est ainsi du moins si nous persévérons dans la grâce de notre baptême et si nous sommes participants de l’Esprit de Christ. La position nouvelle qui nous appartient en Christ, la gloire qui doit être manifestée chez les enfants de Dieu, le don du Saint-Esprit qui en est l’arrhe, voilà notre droit d’aînesse, voilà le bien suprême qui doit avoir plus de prix à nos yeux que tous les autres !

Il semble que rien ne soit plus simple, plus naturel, et ne s’entende mieux de soi, que de se réjouir de ces privilèges de l’adoption, de les conserver comme la prunelle de ses yeux, d’éviter et d’avoir en horreur tout ce qui aurait pour effet de nous en priver. Se pourrait-il que l’on vendît et vilipendât le plus précieux de tous les biens pour un instant de plaisir coupable, pour une jouissance vaine et passagère ? Et pourtant, cela est. Le monde est plein de malheureux qui ont vendu pour un plat de lentilles leur droit à des biens éternels. Nous disons malheureux, nous devrions dire en même temps impies. Si quelqu’un se sent atteint par cette sentence, il ne saurait trop se hâter de se repentir et de revenir à Dieu de tout son cœur, pour qu’il l’assure de nouveau de la grâce qu’il a si frivolement méprisée.

Nous marchons par la foi et non par la vue. Notre droit d’aînesse est invisible ; on ne peut ni le saisir avec les mains, ni le démontrer à la raison. C’est la foi qui nous le fait reconnaître pour ce qu’il est en effet — un bien d’une valeur inexprimable, plus précieux que tous les trésors du inonde, que la faveur cl l’amitié des hommes. Une divine assurance nous a été donnée. Dieu nous a déclarés ses enfants et ses héritiers. Il s’agit de retenir cette assurance, de garder ce droit d’aînesse. Or, cela n’est possible que par la foi ; car sans elle ce droit nous paraîtrait — comme à Esaü le sien — n’être rien.

Nous aussi passons par l’épreuve. Esaü revenait des champs, las et ayant faim ; son droit d’aînesse ne pouvait lui donner le réconfort matériel dont il avait besoin. La vocation céleste que nous avons acceptée ne nous procure point d’avantages temporels. Comme d’autres, nous devons travailler et avoir faim ; comme et plus que d’autres, être mis de côté en ce monde. Il faut que nous connaissions la peine et la fatigue, afin qu’il paraisse si dans notre cœur il y a de la foi ou non. Esaü a perdu sa position. Sans doute, le marché aurait pu être déclaré nul ; car il était par trop inégal. Mais ce n’est pas le plat de lentilles qui l’a privé de son droit d’aînesse, c’est l’incrédulité. Voilà la cause réelle, profonde, de cette perte incalculable. Gardons nos cœurs de cette incrédulité dissimulée, qui agit comme un poison caché. Le malin esprit qui est dans les airs nous insinue des pensées d’incrédulité. Il s’approche même de ceux qui ont reçu de grandes grâces et cherche à souiller leur âme en y jetant le levain des Sadducéens. Il leur recommande, comme une conception raisonnable et sérieuse des choses, des doctrines d’incrédulité et d’athéisme. Ce n’est que plus tard, à mesure que tout ce qui est divin dans l’âme est peu à peu rongé par le doute, que se découvre son caractère malfaisant. Prions, pour être délivrés de toute souillure de l’esprit et de la chair ; si l’incrédulité, cette souillure de l’esprit, s’introduit en nous, elle brise nos forces, et pour nous, comme pour Esaü, peut arriver une heure de tentation imprévue, où nous serons entraînés à commettre quelque grand péché ou à renier Jésus-Christ.

Persévérons donc dans la foi ; donnons gloire à Dieu, ne méprisons pas ce que nous avons déjà reçu de lui, ouvrons notre cœur au Saint-Esprit, pour qu’il nous révèle tout ce que Dieu nous a donné. Cultivons en nous la reconnaissance et l’amour pour le Seigneur, à cause de tout le bien qu’il nous a fait. Croyons qu’il est véridique, et les hommes menteurs ; que ses promesses sont inébranlables, et que tout ce que le monde peut offrir en échange n’est qu’un plat de lentilles ! Ainsi nous grandirons, comme fils et filles premiers-nés de Dieu, jusqu’à la pleine possession de ces biens incorruptibles dont nous avons déjà reçu les prémices.

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