Méditations sur la Genèse

XXXIX
La Fuite et le Songe de Jacob

Genèse 28.1-15

I

Les menaces de mort de son frère, plus fort et plus puissant que lui, forcent Jacob à quitter la maison paternelle. Rébecca avait laissé ignorer ces menaces à son mari. Elle s’efforce d’empêcher, un malheur, tout en affligeant le moins possible le vieillard aveugle. Son désir de voir Jacob se marier dans sa parenté, en Mésopotamie, où la crainte de Dieu s’était conservée, plutôt que d’épouser une Cananéenne, avait d’ailleurs bien sa raison d’être. C’est là ce qu’elle expose à Isaac, qui entre dans ses vues et, plein d’espérance pour l’avenir de Jacob, lui donne au départ sa bénédiction paternelle. Mais dans l’âme de Jacob s’agitent de tout autres pensées. Ce n’est pas l’espérance, c’est le trouble et l’angoisse qui remplissent son cœur. Eliézer, un simple serviteur d’Abraham, était parti à la recherche d’une épouse avec dix chameaux et de riches présents. Jacob, le fils et l’héritier, n’emporte rien avec lui des biens paternels ; il se met en route seul, avec son bâton, n’ayant ni bêtes de somme chargées de cadeaux pour la fiancée qu’il va chercher, ni armes ni serviteurs pour le défendre ; son départ est une fuite précipitée ; il s’agit de sauver sa vie. Le voilà, donc parti, désormais sans patrie, sans foyer, n’espérant pas de revoir ses parents tant qu’Esaü est en vie. En attendant, celui-ci reste seul maître de tous les biens d’Abraham, chef et sacrificateur de la famille. En voyant passer ce fugitif, les habitants de Canaan ne pouvaient éprouver pour lui que de la pitié.

Voilà donc le fruit retiré par Jacob de la bénédiction paternelle ! La plus grande bénédiction qui fût sur La terre lui a été donnée, et le premier effet en est une fuite pleine de trouble et de péril ! Celui qui eut connu les espérances d’Abraham, se fût demandé : Est-ce là son héritier, celui que Dieu a choisi entre tous ? Et pourtant, Jacob était était cet homme, le seul auquel appartînt la promesse et sur lequel reposât l’espérance d’un Messie et le salut futur de l’humanité. Dieu avait à son égard des pensées de paix ; mais tout ce qu’on voyait, tout ce qu’éprouvait Jacob lui-même, contredisait ces perspectives. Les apparences extérieures étaient en opposition avec la Parole de Dieu. — Telles sont les voies de Dieu. Il appelle ses serviteurs, les combles de grâces et de promesses ; puis il les conduit par des chemins abrupts et en telle détresse qu’ils se sentent entièrement abandonnées. Nul ne reçoit les bénédictions d’en-haut, sans traverser tôt après la souffrance et la tentation. Il est doux de s’enrôler à la suite de Christ ; mais à peine y a-t-on fait les premiers pas que l’on éprouve combien est vraie sa parole : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il se charge de sa croix… ! » (Matthieu 16.24)

Pourquoi Dieu traite-t-il ainsi ses enfants ? Pour les humilier et les préserver par là de plus d’un danger spirituel. De grandes grâces rendent nécessaires de grandes humiliations. Jacob en avait besoin surtout à cause de ses fautes ; Dieu ne pouvait les laisser passer et lui donner à croire qu’il était innocent. Sans humiliation, la grâce enorgueillit : l’homme se croit bon, se complaît en lui-même, ne veille pas, abuse de la grâce et finit par la perdre. Voilà de quoi Dieu veut nous garder ; que nul ne s’étonne donc si à la prospérité succèdent de grandes épreuves. Cela ne contredit ni l’amour ni les promesses de Dieu ; c’est bien plutôt une marque de sa sagesse et de sa bonté paternelles. En même temps, Dieu veut purifier et affermir notre foi, qui ne deviendra jamais forte autrement ; une fois affermie, il peut la couronner, et nous remportons « le prix de la foi, savoir le salut des âmes. »

II

Jacob est au soir de son premier jour de voyage ; la nuit arrive ; il n’ose demander asile aux habitants de la ville voisine de Luz, de peur d’être trahi, si son frère Esaü apprend sa fuite et le fait poursuivre. Il se couche donc dans la campagne, n’ayant qu’une pierre pour appuyer sa tête fatiguée. Des souvenirs pénibles, de tristes pensées, remplissent son âme. Il se recommande à Dieu et s’endort. Mais le regard de Dieu veille sur lui. L’Eternel semble l’avoir oublié ; tout au contraire, il pense à lui ; son Esprit le visite pendant son sommeil et lui fait contempler la magnifique vision de l’échelle.

L’Eternel lui-même daigne lui parler et fortifier sa foi, lui confirmer les promesses données à Abraham et à Isaac, et ratifier du ciel les paroles qu’Isaac a prononcées sur la terre (v. 13-15). Jacob comprenait la valeur de l’héritage méprisé par Esaü, c’est-à-dire de la promesse des biens célestes. Cette promesse lui est renouvelée. Voilà le don qu’il reçoit au moment où commence son douloureux pèlerinage, qui ne durera pas moins de vingt années. Obligé de servir dans l’exil, il ne perdra pas de vue la gloire promise. Il se sentira étranger et voyageur sur la terre et cherchera sa patrie dans la cité céleste, dont Dieu est le fondateur. L’Eternel lui dit : « Je serai avec toi ; je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays ; je ne te laisserai point que je n’aie fait tout ce que je t’ai dit. » C’est avec ces paroles dans le cœur qu’il poursuit son voyage ; de longtemps le Seigneur ne lui apparaîtra plus, mais sa parole lui reste ; elle est le bâton qui maintient sa foi debout

Ce ne sont pas seulement les paroles de Dieu, c’est la vision tout entière qui est consolante. Jacob voit les anges monter et descendre ; il comprend que ces esprits célestes l’accompagnent et le protègent comme d’invisibles amis. Pendant vingt ans, il ne les revit pas, jusqu’au jour où il rentra en Canaan. Alors, au moment où, tremblant à l’approche de son frère, il va franchir le Jourdain, les anges de Dieu lui apparaissent de nouveau à Mahanaïm (Genèse 32.2), en signe que, pendant tout le temps de son exil, ils ne l’ont point abandonné, et qu’ils ont rempli envers lui leur mission de secourir ceux qui doivent hériter le salut (Hébreux 1.14).

Que la fidélité de Dieu soit notre consolation, comme celle de Jacob ! Il tiendra tout ce qu’il a promis à son Eglise aux jours où elle entra dans la carrière ; tout cela finira par être la réalité, si longues que puissent être pour elle ici-bas les humiliations et les amertumes. Cette consolation est spécialement pour nous qui vivons dans les derniers temps. Le Seigneur a parlé ; il a donné à son Eglise des lumières nouvelles, il a initié ses serviteurs, comme Jacob, à ses secrets célestes. Les merveilleux commencements de son œuvre apostolique peuvent être comparés à cette vision de Béthel. Mais elle ne se poursuivra pas sans que la foi soit éprouvée. Serait-il surprenant que notre pèlerinage ressemblât à celui de Jacob ? Si nous voulons marcher sur les traces des patriarches, attendons-nous à traverser de dures épreuves. Nous en triompherons, car nous retenons fermement ce que nous avons expérimenté et ce que le Seigneur nous a dit. Il nous a fait voir à tous au moins un rayon de sa céleste apparition ; quiconque a obéi à son appel, a connu sa puissance et sa grâce. « Je ne te laisserai pas que je n’aie fait tout ce que je t’ai dit. » Cette précieuse promesse appartient à l’Eglise qui marche sous la conduite des apôtres ; elle appartient aussi individuellement à toute âme qui a reçu le sceau de l’Esprit. Dieu veut accomplir tout ce qu’il vous a promis ! Faites, vous aussi, ce que vous lui avez promis, et accomplissez les vœux que vous avez solennellement prononcés !

III

Jacob, qui a aussi nom Israël, est l’ancêtre et le chef du peuple juif. Dieu voyait en lui le peuple élu, et ses promesses envers lui conservent leur vérité pour Israël, bien qu’elles aient trouvé leur parfait accomplissement dans l’Eglise. Comme Jacob, son père, Israël a dû fuir de son pays et entreprendre depuis la ruine de Jérusalem un long pèlerinage, qui a déjà duré dix-huit cents ans. Mais ce pèlerinage aura un terme. Non qu’Israël doive s’éteindre et disparaître dans l’exil. La promesse : « Je te ramènerai dans ce pays ; je ne te laisserai pas que je n’aie fait tout ce que je t’ai dit, » est aussi pour lui. Les Juifs ont été jusqu’à ce jour miraculeusement conservés à travers tous les temps. Il y a une malédiction, mais il y a aussi une bénédiction sur eux. Le temps vient où la malédiction sera ôtée, et où la bénédiction se réalisera magnifiquement Le Seigneur réussira enfin à convertir leurs cœurs. Alors leur captivité cessera, sa compassion les rassemblera d’entre tous les peuples où il les a dispersés, et les ramènera en Canaan ; il accomplira pour eux ce qu’il a promis à leur père. La vision de Jacob est pleine de consolation pour Israël, s’il est sincère dans son attachement au Dieu de ses pères. Puisse le temps venir bientôt où la miséricorde et la fidélité de notre Dieu pourront être enfin glorifiées dans ce peuple !

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