Méditations sur la Genèse

XLVI
Le Retour de Jacob à Béthel. — Le Royaume d’Edom

Genèse ch. 35 et 36

I

La vengeance de Siméon et de Lévi : expose toute la famille patriarcale à un grand danger. Si Jacob n’était pas en état de défendre les siens contre les quatre cents hommes d’Esaü, combien moins l’eût-il pu contre toute la population de Canaan, si elle s’était levée pour venger le sang des Sichémites (Genèse 34.30) ! Il ne lui reste donc qu’à se réfugier en Dieu. De la réponse qu’il reçut du Ciel, nous pouvons conclure qu’il le fit. Sa foi fut victorieuse dans ce grand péril ; ses soupirs parvinrent jusqu’à Dieu, et la voie du salut lui fut indiquée : « Lève-toi, monte à Béthel » et y dresse un autel au Dieu qui t’apparut là, lorsque tu fuyais devant Esaü, ton frère. » Jacob entend cet appel ; il se souvient de son vœu, sa conscience se réveille, il comprend que Dieu l’invite à se purifier, lui et les siens, pour lui offrir à Béthel un culte digne de lui.

« Otez les dieux des étrangers qui sont au milieu de vous, » dit Jacob aux siens. Le paganisme avait donc pénétré parmi eux. Rachel avait rapporté de Mésopotamie les téraphims de son père (les idoles de bois qui étaient dans la maison de Laban). Jacob devait avoir, comme Abraham (Genèse 14.14), un nombreux domestique d’origine païenne, et l’idolâtrie cananéenne s’était probablement aussi introduite dans sa maison. Les pendants d’oreille qu’on mit de côté avec les idoles, étaient sans doute une parure portée dans les fêtes idolâtres. Beaucoup d’objets de cette nature, devaient s’être trouvés dans le butin de Sichem. Il est humiliant que tout cela fût toléré dans la maison d’un homme de Dieu. Il était temps de l’en purifier. Jacob comprend mieux que ses fils ce que Dieu a voulu lui dire en permettant la chute honteuse de Dina ; il s’humilie et reconnaît, dans ce qui est arrivé, un juste châtiment de sa négligence. Josué, voyant qu’un interdit pesait sur Israël, se prosternait devant Dieu ; Job, craignant que ses fils ne péchassent, offrait des holocaustes pour chacun d’eux. Paul pouvait dire : « Qui est scandalisé, que je n’en sois brûlé ? » c’est-à-dire qu’il ne pouvait voir tomber un membre des Eglises qui lui étaient confiées, sans en éprouver une douleur cuisante (Josué 7.6 ; Job 1.5 ; 2 Corinthiens 11.29). Ces sentiments étaient aussi ceux de Jacob. Il donne aux siens l’exemple de l’humiliation ; il use de l’autorité du chef de la famille pour attaquer le mal par la racine : « Otez les dieux étrangers ! » Pour qu’une Eglise, une maison marche bien, la première chose est d’enterrer les idoles. Notre cœur est plein d’idoles — convoitises des yeux et de la chair, luxe, argent ; ou, s’il n’est pas dominé par ces idoles du monde, alors se dresse la propre justice ! Il faut que les cœurs soient d’abord convertis au Dieu vivant ; sans cela, pas d’amélioration de la vie et de la conduite. Dieu s’est manifesté en Christ, le péché est effacé par son sang, l’amour divin est apparu, la force qui renouvelle nous est assurée ; ce sont là des faits réels et certains. L’idolâtrie ne disparaîtra que là où ils seront proclamés et acceptés. Le cœur qui saisit Christ est purifié par la confiance en Dieu. Un sentiment filial s’éveille, la prière de la foi monte vers le ciel ; là est le principe de la purification de la vie dans la famille et dans l’Eglise. « Purifiez-vous et changez vos vêtements. » Les cœurs une fois convertis, la conduite extérieure se transforme aussi ; les abus se corrigent ; on ne s’accommode plus au monde. C’est une réformation, qui commence par le dedans, mais qui ne s’y arrête pas. Doctrine pure, cœurs purs, culte pur, conduite pure, — une vraie réforme suppose tout cela.

Jacob invite les siens à monter à Béthel, pour y bâtir un autel au Dieu qui l’a exaucé au jour de sa détresse. C’est à la « maison de Dieu » qu’il veut les conduire pour trouver le secours. Nous savons que de ruines l’esprit du monde fait dans les familles même des enfants de Dieu ; insistons donc pour que les nôtres restent attachés aux saintes institutions de l’Eglise, qui seront leur sauvegarde. Avant de partir, Jacob enterre les symboles idolâtres sous un chêne près de Sichem. Cet acte symbolise la prière qu’il adresse à Dieu, de daigner enterrer aussi sa vieille faute et ne plus s’en souvenir, aussi bien que le vœu qu’il forme avec les siens de laisser en terre leurs anciens péchés maintenant pardonnes, et de ne plus jamais les rappeler à la vie.

La réalité, dont tout cela n’est qu’un emblème, est apparue en Christ. Nos péchés, amassés sur sa tête, ont bien réellement été frappés et ensevelis avec lui ; nous avons part à sa mort. Notre vieil homme y a péri ; notre culpabilité y a disparu. Nous sommes — dit l’apôtre — ensevelis avec lui en sa mort par le baptême, et ressuscités comme de nouvelles créatures. Mais nos péchés ne sont pas ressuscités avec nous ; ils sont demeurés dans la tombe où Dieu lui-même les envisage comme ensevelis (Romains 6.2-11). Gardons-nous donc de les en faire sortir et de les ramener à la vie. Que notre vieil homme reste sous le coup de la sentence de mort qu’il a méritée et qui s’est exécutée sur lui ! La famille de Jacob ne songea pas à aller reprendre les idoles que le patriarche avait enfouies, sous le chêne de Sichem. Qu’il ne nous vienne pas davantage à la pensée de laisser reparaître un péché, une habitude coupable, avec lesquels nous avons rompu et que Dieu nous a pardonnés ! Laissons-les à jamais ensevelis dans le tombeau de Jésus-Christ !

Les enfants de Jacob lui obéissent et accomplissent la purification qu’il réclame ; Dieu regarde avec faveur cette famille pénitente et sans protection, et la sauve du péril. Les prières de Jacob sont exaucées. Il part de Sichem et arrive heureusement à Béthel, sans avoir eu à tirer, l’épée. Car la terreur de Dieu se répandit sur les villes qui les entouraient, et l’on ne poursuivit point les fils de Jacob. » L’Eternel entoura comme d’un mur de feu la famille du patriarche. C’est ainsi qu’il put bâtir paisiblement un autel et s’acquitter de son vœu en adorant l’Eternel et en lui offrant ses dîmes. Pour la seconde fois, la gloire de Dieu lui apparut en ce lieu consacré, où il l’avait contemplée au jour de sa fuite. L’Eternel lui confirma la bénédiction d’Abraham et son nom d’Israël. Ainsi furent scellées à nouveau l’alliance et l’espérance du salut.

II

On s’attendrait à voir Jacob, après avoir purifié sa maison, acquitté son vœu, reçu une nouvelle assurance de la faveur divine, jouir en paix de son bonheur domestique. C’est ce qu’il espérait lui-même. Il se réjouissait surtout à la pensée de revoir son vieux père. Il ne retrouvera plus sa mère, morte pendant sa longue absence ; il n’est plus parlé d’elle. Mais Isaac vivait encore. Si Jacob avait été consolé par son entrevue avec Esaü, combien plus grande s’était pas sa joie au moment de rencontrer son père, de lui présenter tous les siens, et de lui demander pour eux sa bénédiction paternelle ! Ce devait être là, semble-t-il, le terme définitif de l’exil et du pèlerinage de Jacob. Mais, ici encore, ce ne sont pas les pensées de l’homme qui se réalisent. Au moment où il touche au but désiré, de nouvelles épreuves le frappent, et l’amertume vient se mêler à sa joie.

C’est d’abord, à Béthel, la perte de Débora, la vieille nourrice de sa mère, qui sans doute avait suivi jadis Rébecca et Eliézer en Canaan. Peut-être Rébecca l’avait-elle envoyée en Syrie, pour inviter Jacob au retour, comme elle le lui avait promis (Genèse 27.45). Le « chêne des pleurs, » à Béthel, perpétua le souvenir de cette femme, aimée et honorée de Jacob et des siens.

Une autre perte, bien plus sensible pour lui, attendait Jacob. Rachel était ce qu’il avait de plus cher ; c’est sur son fils Joseph qu’il fondait ses meilleures espérances. Il comptait que la grande promesse qui venait de lui être renouvelée, se réaliserait en elle et en ses enfants. Une mort inattendue la lui ravit à la fleur de l’âge, et cela dans les plus douloureuses circonstances. Elle exprime l’amertume du départ dans le nom de Bénoni, « fils de ma douleur », qu’elle donne à son enfant. Que dut éprouver Jacob en se séparant de celle qui avait été sa femme préférée ! Il appela l’enfant Benjamin, « fils de ma droite (fils préféré), » afin de marquer son amour pour la défunte et les espérances qu’il nourrissait pour son fils. — Rachel mourut et fut enterrée non loin de Bethléem, près de la Tour du troupeau, dans la contrée même où devait retentir le message de Noël, et où bientôt devait lui succéder la plainte amère du massacre des innocents, la plainte de Rachel — l’Eglise fidèle — « pleurant ses enfants et ne voulant point être consolée, parce qu’ils ne sont plus ! » Le deuil de Jacob et des siens au tombeau de Rachel est le prélude de ces pleurs de Bethléem (Jérémie 31.15 ; Matthieu 2.17-18).

Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées, et ses voies ne sont pas nos voies. Quand il nous a fortifiés par sa Parole et par son Esprit, et que nous pensons n’avoir plus qu’une marche facile jusqu’au but, c’est alors qu’il nous visite par d’amères douleurs. Ces visites, qui accompagnent celles de sa grâce, sont aussi un témoignage de sa miséricorde ; car elles nous font avancer sur le chemin du ciel. Elles sont nécessaires à notre préparation en vue de l’éternité, notre nature est trop pervertie pour n’avoir pas besoin de châtiments sévères et répétés. Et, en fût-il autrement, notre destination est trop haute et trop sainte pour que nous puissions en être rendus dignes autrement que par la souffrance. Le Fils de Dieu lui-même, quoique sans souillure, a été conduit à la gloire par la croix, et ce n’est qu’en souffrant qu’il est devenu notre parfait sacrificateur.

Une douleur plus amère que toutes les autres était encore réservée au patriarche. Ruben, son fils aîné, souille par un inceste la tente de Rachel. Si Débora, la pieuse gardienne des mœurs antiques, eût encore été là, peut-être chose pareille ne fût pas arrivée. Nous ne voyons pas que les fils de Bilha, Dan et Nephtali, aient chercher à venger son honneur. Mais on peut être certain que ce crime fut un ferment de haine entre les frères. Ruben a, par cet acte, forfait son droit d’aînesse et changé en menaces la bénédiction paternelle. « Impétueux comme les eaux », il s’est attiré cette sentence de la bouche du patriarche mourant : « Tu n’auras pas la prééminence ! » (Genèse 49.3-4). La douleur que ce crime fit éprouver à Jacob dut surpasser celle que tous ses deuils avaient pu lui causer. Peut-il y avoir un rayon consolateur dans une telle affliction ? Il faut s’étonner qu’il l’ait supportée. Cette fois encore, Dieu le fortifia et ne permit pas qu’il succombât.

Ce triste événement, qui le touchait aussi, vint assombrir pour Isaac le soir de sa vie et sa réunion avec le fils depuis si longtemps attendu. Enfin, le vieux patriarche s’endormit, rassasié de jours, à l’âge de 180 ans, « et fut recueilli avec ses peuples. » Lui aussi s’en alla avec l’espérance de la résurrection et dans la foi au Dieu de son père, au Dieu non des morts, mais des vivants, en qui vivent tous ceux qui l’ont servi pendant leur vie et qui lui ont été fidèles jusqu’à la mort.

III

Isaac fut enseveli par ses deux fils. Esaü et Jacob se tendirent encore une fois la main. Puis Esaü partit avec les siens, et Dieu lui donna pour demeure la montagne de Séir (Josué 24.4), pendant que Jacob continuait avec ses troupeaux à parcourir Canaan comme pèlerin. Esaü et ses fils s’allièrent aux anciens habitants de Séir, les Horiens, et les deux races paraissent s’être fondues pour former le peuple des Edomites.

L’histoire d’Edom, dont le chapitre 36 nous donne un abrégé, a été tout autre que celle d’Israël. Israël dut aller en Egypte et y subir quatre siècles d’exil, puis rentrer par le désert et prendre possession de Canaan au prix de grands combats, traverser enfin l’époque agitée et malheureuse des Juges. Après cela seulement il parvint, sous les rois, Saül, David et Salomon, à une position assurée et respectée. Edom n’eut à traverser aucune de ces épreuves. « Ce sont là les rois qui ont régné au pays d’Edom avant qu’aucun roi régnât sur Israël. » De bonne heure Edom fut un Etat puissant, tandis qu’Israël était encore dans la maison de servitude. Il y avait du bien en Edom : ce n’est pas seulement une sagesse mondaine, c’est une sagesse divine qui fleurissait à Théman.

L’ami de Job, Eliphaz, est un Edomite ; et, au dire des Juifs, Job lui-même serait l’un des princes d’Edom : le roi Jobab de Botsra (v. 33). Mais où est aujourd’hui l’empire d’Edom ? Peuple et royaume ont disparu sans laisser de traces ; il ne reste que les cavernes et les ruines désertes de ces villes taillées dans le roc, ou les Edomites se croyaient invincibles (Abdias 1.3).

Telle est, jusqu’à cette heure, l’histoire, des empires de ce monde. Le glorieux règne du Christ n’est pas encore apparu. Les royaumes de ce monde s’élèvent, ils devancent celui du Christ, mais ils passent ; ils grandissent rapidement, puis ils disparaissent dans la poussière, comme Ninive et Babylone.

Il en sera de même de l’Eglise mondanisée. Sous cette forme, elle est devenue un empire terrestre, et elle a devancé le règne de Jésus-Christ. Le royaume des cieux paraîtra — mais, en attendant, des rois se sont élevés en Edom, et, de leur nid de rocher, ils se sont emparés de la domination du monde. Cependant leur puissance prendra fin. Quand l’homme veut ainsi anticiper le règne de Dieu et l’établir par des moyens charnels, Dieu tolère pour un temps son entreprise ; il peut y avoir, dans un pareil Etat, beaucoup de vérité et de piété ; mais il ne saurait subsister. La corruption humaine s’en est mêlée, et son terme est la ruine. Dieu détruit l’œuvre de l’homme tout en conservant le bien qui s’y trouve. Ceux-là seuls ont choisi la bonne part, laquelle ne leur sera pas ôtée, qui attendent le règne de Christ et fondent toute leur espérance sur sa venue.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant