Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE VIII

Réfutation de l’assertion de Marcion et de ses disciples, qui prétendaient qu’Abraham n’avait pu être sauvé par le Christ ; car le Christ est venu pour délivrer non-seulement Abraham, mais encore toute sa race, non par l’abolition de la loi, mais par son accomplissement ; il ne la violait pas lors même qu’il opérait des guérisons miraculeuses le jour du sabbat.

C’est en vain que Marcion et ses sectateurs nous opposent qu’Abraham n’a pu être sauvé, puisque l’Esprit saint nous assure le contraire par le témoignage des prophètes et par celui de saint Paul, qui dit qu’Abraham a été sauvé « parce qu’il crut à la parole de Dieu, et que sa foi lui fut imputée à justice. » Et le salut d’Abraham ne nous est-il pas confirmé par notre Seigneur lui-même ? pour prouver que la puissance de Dieu pourrait faire sortir des pierres mêmes des enfants de la foi d’Abraham, et faire que sa postérité fût comme les étoiles du ciel, il dit : « Or, je vous dis que plusieurs viendront d’orient et d’occident, et s’assiéront, avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux ; » et un peu après il dit encore aux Juifs : « Quand vous verrez qu’Abraham, Isaac et Jacob, et tous les autres prophètes seront dans le royaume de Dieu, et que vous en serez chassés. » Il est donc certain que ceux qui nient la vérité du salut d’Abraham, et qui font intervenir un Dieu autre que celui que nous savons avoir fait à Abraham la promesse du salut, ceux-là s’excluent eux-mêmes du royaume de Dieu et de l’immortalité ; car ils blasphèment contre Dieu même qui a appelé dans son sein Abraham, et qui a promis le salut à toute sa race, c’est-à-dire à l’Église, qui, par la grâce de Jésus-Christ, reçoit l’adoption et l’héritage qui lui avait été promis dans la personne d’Abraham.

Ainsi notre Seigneur, en sauvant la postérité d’Abraham, en la rendant à la liberté et l’appelant au bienfait du salut, comme en guérissant la femme le jour du sabbat, agissait toujours en vertu de sa même puissance ; ce qu’il manifesta en disant à ceux qui l’entouraient et qu’il savait n’avoir pas la même foi qu’Abraham : « Hypocrites, chacun ne détache-t-il pas son bœuf et son âne de la crèche les jours de sabbat, et ne les conduit-il pas à l’abreuvoir ? Et ne fallait-il point délivrer de son esclavage, au jour du sabbat, cette fille d’Abraham dont Satan s’était emparé, il y a dix-huit ans. » On voit donc que, sans porter atteinte à la loi, le Christ délivrait des liens du démon et guérissait ceux qui avaient la foi d’Abraham le jour même du sabbat. Et d’ailleurs la loi ne défendait nullement de secourir pendant ce jour du sabbat ceux dont la position le réclamait, en même temps qu’elle voulait que les cérémonies religieuses prescrites fussent accomplies ; bien plus, elle ne défendait point de s’occuper de la guérison des animaux. Nous voyons que le Christ opéra souvent des guérisons le jour du sabbat, auprès de la piscine de Siloé ; c’est pour cela qu’un grand nombre de malades venaient vers lui ce jour-là. Ce que la loi défendait, c’étaient les œuvres intéressées qui ont pour objet un intérêt tout matériel ; elle invitait, au contraire, de se livrer aux actes qui sont purement intellectuel, qui s’opèrent par la parole et le conseil, et qui ont pour objet le soulagement du prochain. C’est dans ce sens que notre Seigneur réprimandait ceux qui, par un esprit d’hypocrisie, se montraient scandalisés des guérisons qu’il faisait le jour du sabbat. Loin de violer la loi, il l’accomplissait au contraire, faisant, comme le grand-prêtre, des œuvres d’expiation, rendant Dieu propice aux hommes, guérissant les lépreux et les infirmes, et enfin se dévouant lui-même à la mort pour racheter l’homme, le ramener de l’exil et le faire rentrer dans son héritage.

La loi ne défendait pas non plus de prendre, le jour du sabbat, pour sa nourriture, des choses que l’on trouvait devant soi : mais ce qu’elle défendait, c’était de moissonner et de rentrer la moisson dans le grenier. Aussi, le Seigneur entendant quelques-uns qui blâmaient ses disciples de ce qu’ils cueillaient le jour du sabbat quelques épis pour en manger le blé, leur dit : « N’avez-vous pas lu ce que David fit quand il eut faim, lui et tous ceux qui étaient avec lui ? Et comment il entra en la maison de Dieu, et prit le pain de proposition et en mangea, et donna à ceux qui étaient avec lui des pains qu’il n’est permis de manger qu’aux prêtres seulement. » C’est ainsi qu’en défendant ses disciples, il explique la loi qui laisse à ceux qui sont revêtus du sacerdoce une certaine liberté d’agir. Car, aux yeux de Dieu, David était encore investi du sacerdoce, quoiqu’il fût persécuté par Saül.

En effet, tous les justes participent à l’exercice du divin sacerdoce. Tous les apôtres de notre Seigneur en sont naturellement revêtus, eux qui n’ont ni champ, ni héritage, mais qui sont entièrement consacrés au service de l’autel ; c’est d’eux dont Moïse a voulu parler, quand il dit dans le Deutéronome : « Qui dit à son père et à sa mère, je ne vous connais pas ; qui méconnaît ses frères ; qui oublie ses enfants pour observer ta loi et garder ton alliance. » Qui sont donc ceux qui ont quitté leur père et leur mère, qui ont renoncé à tous leurs proches pour suivre le Fils de Dieu et pour annoncer sa parole, si ce n’est ses disciples ? C’est à eux encore que s’appliquent ces paroles de Moïse : « Le Seigneur dit à Aaron Vous ne possèderez rien dans la terre des enfants d’Israël, et vous n’aurez aucune part avec eux : je suis moi seul ta part et ton héritage. » Et encore ailleurs : « C’est pourquoi Lévi n’est point entré en partage ni en possession avec ses frères, parce que le Seigneur est lui-même son partage, selon que le Seigneur votre Dieu le lui a promis. Ils mangeront des sacrifices du Seigneur et de ses oblations. » C’est aussi dans le même sens que saint Pau dit : « Ce n’est pas vos dons que je désire, mais le profit qui en reviendra pour vous. » Les disciples du Seigneur ayant un caractère sacerdotal, il leur est permis, d’après la loi, de prendre des productions de la terre, ce qui est nécessaire à leur nourriture ; car « l’ouvrier mérite qu’on le nourrisse. » Les prêtres du temple ont violé la loi du sabbat, et cependant ils n’étaient point coupables. Pourquoi n’étaient-ils pas coupables ? parce qu’étant au service du temple, leurs actes participaient des choses saintes et n’avaient point rapport aux choses temporelles ; ce qu’ils faisaient était pour accomplir la loi, loin que ce fût pour la violer. Il n’en était pas de même de celui qui, sans être prêtre, vint jusque dans l’intérieur du temple pour y déposer des bois secs pour le sacrifice, et qui fut avec raison lapidé. « Tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. Et si quelqu’un profane le temple Dieu, Dieu le perdra. »

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